Numéro 11 - Novembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2023

UNION EUROPEENNE

1re Civ., 15 novembre 2023, n° 22-21.179, (B), FS

Cassation

Responsabilité du fait des produits défectueux – Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 – Domaine d'application – Rapports avec les autres régimes de responsabilité – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 juillet 2022), Mme [Y] [Z] à laquelle a été prescrit du Mediator de 2007 à 2009, a présenté des lésions cardiaques.

Le 7 octobre 2011, elle a saisi le collège d'experts de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) qui, par un avis du 24 avril 2014, a retenu que son dommage était imputable à ce médicament.

Par lettres du 17 juillet et 20 novembre 2014, la société Les Laboratoires Servier, producteur du Mediator (le producteur), a adressé à Mme [Z] des offres d'indemnisation qu'elle a refusées.

2. Les 7 et 8 juillet 2020, Mme [Z] a assigné sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux le producteur qui a opposé la prescription. Elle a mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie qui a sollicité le remboursement de ses débours. Elle a, ensuite, fondé son action sur l'article 1240 du code civil.

Examen du moyen

Sur le moyen pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Madame [Z] fait grief à l'arrêt de dire que son action, initialement fondée sur les articles 1245 et suivants du code civil, ne saurait être poursuivie sur le fondement de l'article 1240 du même code et de la déclarer irrecevable comme prescrite alors « que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, pourvu que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit litigieux, tels la garantie des vices cachés ou la faute ; qu'exposant les prétentions de Madame [Z], les juges du fond ont constaté que le reproche qu'elle adressait aux laboratoires Servier portait sur la carence dolosive du producteur qui, bien que connaissant la dangerosité du Médiator, s'était volontairement abstenu de toute mesure pour en suspendre la commercialisation et avait délibérément maintenu ce produit en circulation ; qu'il en résulte que Madame [Z] se prévalait, devant les juges du fond, d'une faute distincte du simple défaut de sécurité du produit ; qu'en jugeant cependant que tel n'était pas le cas pour lui fermer la voie de la responsabilité pour faute et retenir l'application exclusive de la responsabilité du fait des produits défectueux, les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations et ont, dès lors, violé les articles 1245-17, anciennement 1386-18, et 1240, anciennement 1382, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil :

4. Aux termes du premier de ces textes, transposant l'article 13 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, instaurant une responsabilité de plein droit du producteur au titre du dommage causé par un défaut de son produit, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité.

Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.

5. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la référence, à l'article 13 de la directive, aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle doit être interprétée en ce sens que le régime mis en place par ladite directive n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute (CJCE, arrêt du 25 avril 2002, González Sánchez, C-183/00, point 31).

6. Il en résulte que la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement du second de ces textes, si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle qu'un maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

7. Pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient, d'une part, que l'assignation a été délivrée le 7 juillet 2020, plus de trois ans après la connaissance du dommage acquise à la date de l'avis de l'ONIAM du 24 avril 2014, d'autre part, que la faute reprochée au laboratoire, prise d'un manquement au devoir de vigilance et de surveillance du fait de la commercialisation d'un produit dont il connaissait les risques ou de l'absence de retrait du produit du marché français contrairement à d'autres pays européens, n'est pas distincte du défaut de sécurité du produit, de sorte que la responsabilité délictuelle pour faute ne saurait se substituer au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme Bacache-Gibeili - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier -

Textes visés :

Articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 10 décembre 2014, pourvoi n° 13-14.314, Bull. 2014, I, n° 209 (rejet) ; 1re Civ., 17 mars 2016, pourvoi n° 13-18.876, Bull. 2016, I, n° 68 (rejet), et les arrêts cités.

1re Civ., 15 novembre 2023, n° 22-21.180, (B), FS

Cassation

Responsabilité du fait des produits défectueux – Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 – Domaine d'application – Rapports avec les autres régimes de responsabilité – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 juillet 2022), Mme [I] [V], épouse [Y], à laquelle a été prescrit du Mediator de 2004 à 2010, a présenté des lésions cardiaques.

Le 17 septembre 2012, elle a saisi le collège d'experts de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) qui, par un avis du 8 avril 2015, a retenu que son dommage était imputable à ce médicament.

Par lettre du 3 juillet 2015, la société Les Laboratoires Servier, producteur du Mediator (le producteur), a adressé à Mme [Y] une offre d'indemnisation qu'elle a refusée.

2. Le 7 juillet 2020, Mme [I] [Y] et son conjoint, M. [B] [Y], agissant tant en leur nom personnel qu'ès qualités de représentants légaux de leur fils mineur [C] [Y] (les consorts [Y]), ont assigné sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux le producteur qui a opposé la prescription. Ils ont mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie qui a sollicité le remboursement de ses débours. Ils ont, ensuite, fondé leur action sur l'article 1240 du code civil.

Examen du moyen

Sur le moyen pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Les consorts [Y] font grief à l'arrêt de dire que leur action, initialement fondée sur les articles 1245 et suivants du code civil, ne saurait être poursuivie sur le fondement de l'article 1240 du même code et de la déclarer irrecevable comme prescrite alors « que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, pourvu que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit litigieux, tels la garantie des vices cachés ou la faute ; qu'exposant les prétentions des consorts [Y], les juges du fond ont constaté que le reproche qu'ils adressaient aux laboratoires Servier portait sur la carence dolosive du producteur qui, bien que connaissant la dangerosité du Médiator, s'était volontairement abstenu de toute mesure pour en suspendre la commercialisation et avait délibérément maintenu ce produit en circulation ; qu'il en résulte que les consorts [Y] se prévalaient, devant les juges du fond, d'une faute distincte du simple défaut de sécurité du produit ; qu'en jugeant cependant que tel n'était pas le cas pour leur fermer la voie de la responsabilité pour faute et retenir l'application exclusive de la responsabilité du fait des produits défectueux, les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations et ont, dès lors, violé les articles 1245-17, anciennement 1386-18, et 1240, anciennement 1382, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil :

4. Aux termes du premier de ces textes, transposant l'article 13 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, instaurant une responsabilité de plein droit du producteur au titre du dommage causé par un défaut de son produit, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité.

Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.

5. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la référence, à l'article 13 de la directive, aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle doit être interprétée en ce sens que le régime mis en place par ladite directive n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute (CJCE, arrêt du 25 avril 2002, González Sánchez, C-183/00, point 31).

6. Il en résulte que la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement du second de ces textes, si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle qu'un maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

7. Pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient, d'une part, que l'assignation a été délivrée le 7 juillet 2020, plus de trois ans après la connaissance du dommage acquise à la date de l'avis de l'ONIAM du 8 avril 2015, d'autre part, que la faute reprochée au laboratoire, prise d'un manquement au devoir de vigilance et de surveillance du fait de la commercialisation d'un produit dont il connaissait les risques ou de l'absence de retrait du produit du marché français contrairement à d'autres pays européens, n'est pas distincte du défaut de sécurité du produit, de sorte que la responsabilité délictuelle pour faute ne saurait se substituer au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme Bacache-Gibeili - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier -

Textes visés :

Articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 10 décembre 2014, pourvoi n° 13-14.314, Bull. 2014, I, n° 209 (rejet) ; 1re Civ., 17 mars 2016, pourvoi n° 13-18.876, Bull. 2016, I, n° 68 (rejet), et les arrêts cités.

1re Civ., 15 novembre 2023, n° 22-21.174, (B), FS

Cassation

Responsabilité du fait des produits défectueux – Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 – Domaine d'application – Rapports avec les autres régimes de responsabilité – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 juillet 2022), Mme [M] [H], à laquelle a été prescrit du Mediator de 2006 à 2008, a présenté des lésions cardiaques.

Le 14 octobre 2011, elle a saisi le collège d'experts de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) qui, par un avis du 21 juillet 2015, a retenu que son dommage était imputable à ce médicament.

Par lettre du 16 octobre 2015, la société Les Laboratoires Servier, producteur du Mediator (le producteur), a adressé à Mme [H] une offre d'indemnisation qu'elle a refusée.

2. Le 7 juillet 2020, Mme [H], sa fille, Mme [G] [I], et sa petite-fille, Mme [P] [I] (les consorts [H]) ont assigné sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux le producteur qui a opposé la prescription. Ils ont mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, qui a sollicité le remboursement de ses débours. Ils ont, ensuite, fondé leur action sur l'article 1240 du code civil.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Les consorts [H] font grief à l'arrêt de dire que leur action ne saurait être poursuivie sur le fondement de l'article 1240 du code civil et de la déclarer irrecevable comme prescrite, alors « que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, pourvu que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit litigieux, tels la garantie des vices cachés ou la faute ; qu'exposant les prétentions des consorts [H], les juges du fond ont constaté que le reproche qu'ils adressaient aux laboratoires Servier portait sur la carence dolosive du producteur qui, bien que connaissant la dangerosité du Médiator, s'était volontairement abstenu de toute mesure pour en suspendre la commercialisation et avait délibérément maintenu ce produit en circulation ; qu'il en résulte que les consorts [H] se prévalaient, devant les juges du fond, d'une faute distincte du simple défaut de sécurité du produit ; qu'en jugeant cependant que tel n'était pas le cas pour leur fermer la voie de la responsabilité pour faute et retenir l'application exclusive de la responsabilité du fait des produits défectueux, les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations et ont, dès lors, violé les articles 1245-17, anciennement 1386-18, et 1240, anciennement 1382, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil :

4. Aux termes du premier de ces textes, transposant l'article 13 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, instaurant une responsabilité de plein droit du producteur au titre du dommage causé par un défaut de son produit, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité.

Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.

5. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la référence, à l'article 13 de la directive, aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle doit être interprétée en ce sens que le régime mis en place par ladite directive n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute (CJCE, 25 avril 2002, González Sánchez, C-183/00, point 31).

6. Il en résulte que la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement du second de ces textes, si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle qu'un maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

7. Pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient, d'une part, que l'assignation a été délivrée le 7 juillet 2020, plus de trois ans après la connaissance du dommage acquise à la date de l'avis de l'ONIAM du 21 juillet 2015, d'autre part, que la faute reprochée au laboratoire, prise d'un manquement au devoir de vigilance et de surveillance du fait de la commercialisation d'un produit dont il connaissait les risques ou de l'absence de retrait du produit du marché français contrairement à d'autres pays européens, n'est pas distincte du défaut de sécurité du produit, de sorte que la responsabilité délictuelle pour faute ne saurait se substituer au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme Bacache-Gibeili - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier -

Textes visés :

Articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 10 décembre 2014, pourvoi n° 13-14.314, Bull. 2014, I, n° 209 (rejet) ; 1re Civ., 17 mars 2016, pourvoi n° 13-18.876, Bull. 2016, I, n° 68 (rejet), et les arrêts cités.

1re Civ., 15 novembre 2023, n° 22-21.178, (B), FS

Cassation

Responsabilité du fait des produits défectueux – Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 – Domaine d'application – Rapports avec les autres régimes de responsabilité – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 juillet 2022), Mme [H] [E] à laquelle a été prescrit du Mediator de 2007 à 2009 a présenté des lésions cardiaques.

Le 17 juillet 2012, elle a saisi le collège d'experts de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) qui, par un avis du 8 octobre 2015, a retenu que son dommage était imputable à ce médicament.

Par lettre du 31 décembre 2015, la société Les Laboratoires Servier, producteur du Mediator (le producteur), a adressé à Mme [E] une offre d'indemnisation qu'elle a refusée.

2. Le 7 juillet 2020, Mme [E], son conjoint, M. [W] [E], et leur fille, Mme [S] [K] (les consorts [E]), ont assigné sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux le producteur qui a opposé la prescription. Ils ont mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie qui a sollicité le remboursement de ses débours. Ils ont, ensuite, fondé leur action sur l'article 1240 du code civil.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Les consorts [E] font grief à l'arrêt de dire que leur action, initialement fondée sur les articles 1245 et suivants du code civil, ne saurait être poursuivie sur le fondement de l'article 1240 du même code et de déclarer ainsi leur action irrecevable comme prescrite alors « que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, pourvu que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit litigieux, tels la garantie des vices cachés ou la faute ; qu'exposant les prétentions des consorts [E], les juges du fond ont constaté que le reproche qu'ils adressaient aux laboratoires Servier portait sur la carence dolosive du producteur qui, bien que connaissant la dangerosité du Médiator, s'était volontairement abstenu de toute mesure pour en suspendre la commercialisation et avait délibérément maintenu ce produit en circulation ; qu'il en résulte que les consorts [E] se prévalaient, devant les juges du fond, d'une faute distincte du simple défaut de sécurité du produit ; qu'en jugeant cependant que tel n'était pas le cas pour leur fermer la voie de la responsabilité pour faute et retenir l'application exclusive de la responsabilité du fait des produits défectueux, les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations et ont, dès lors, violé les articles 1245-17, anciennement 1386-18, et 1240, anciennement 1382, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil :

4. Aux termes du premier de ces textes, transposant l'article 13 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, instaurant une responsabilité de plein droit du producteur au titre du dommage causé par un défaut de son produit, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité.

Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.

5. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la référence, à l'article 13 de la directive, aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle doit être interprétée en ce sens que le régime mis en place par ladite directive n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute (CJCE, arrêt du 25 avril 2002, González Sánchez, C-183/00, point 31).

6. Il en résulte que la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement du second de ces textes, si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle qu'un maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

7. Pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient, d'une part, que l'assignation a été délivrée le 7 juillet 2020, plus de trois ans après la connaissance du dommage acquise à la date de l'avis de l'ONIAM du 8 octobre 2015, d'autre part, que la faute reprochée au laboratoire, prise d'un manquement au devoir de vigilance et de surveillance du fait de la commercialisation d'un produit dont il connaissait les risques ou de l'absence de retrait du produit du marché français contrairement à d'autres pays européens, n'est pas distincte du défaut de sécurité du produit, de sorte que la responsabilité délictuelle pour faute ne saurait se substituer au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme Bacache-Gibeili - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier -

Textes visés :

Articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 10 décembre 2014, pourvoi n° 13-14.314, Bull. 2014, I, n° 209 (rejet) ; 1re Civ., 17 mars 2016, pourvoi n° 13-18.876, Bull. 2016, I, n° 68 (rejet), et les arrêts cités.

2e Civ., 30 novembre 2023, n° 21-18.251, (B), FS

Cassation partielle

Sécurité sociale – Affiliation – Coordination des systèmes de sécurité sociale – Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 – Office du juge – Travailleur en situation de pluriactivité atteste par le certificat A 1 – Détermination de la loi applicable – Portée

Les dispositions de l'article 16 du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, instituent une procédure de dialogue administratif entre les institutions compétentes pour l'application de l'article 13 du règlement n° 883/2004, précité, en vue de la détermination de la législation applicable à un travailleur en situation de pluriactivité, attestée par un formulaire appelé certificat A 1.

Lorsque cette procédure de dialogue entre les institutions compétentes des États membres concernés n'a pas été mise en oeuvre, il appartient au juge saisi d'un conflit d'affiliation d'inviter l'institution désignée par l'autorité compétente à le faire.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 12 mai 2021), M. [R] (le cotisant), dont la résidence est située en France, a été affilié à la caisse du régime social des indépendants de Bretagne, aux droits de laquelle vient l'URSSAF de Bretagne (la caisse), à compter du 18 octobre 2004, en qualité de gérant majoritaire d'une société à responsabilité limitée.

2. La caisse a notifié au cotisant plusieurs mises en demeure pour obtenir le paiement des cotisations de sécurité sociale dues par celui-ci en qualité de travailleur indépendant au cours de la période de juillet 2016 à juin 2017.

3. Parallèlement, par courrier du 27 septembre 2016, le cotisant a sollicité auprès de la caisse sa radiation du régime français applicable aux travailleurs indépendants en invoquant l'exercice d'une activité salariée au Portugal. Il a produit un courrier d'une caisse de sécurité sociale portugaise attestant de son assujettissement à l'assurance obligatoire portugaise à compter du 4 juillet 2016 pour son activité salariée en qualité de gérant minoritaire d'une société de droit portugais. Il a ensuite contesté, devant la commission de recours amiable de la caisse, les mises en demeure qui lui ont été délivrées.

4. Cette commission ayant maintenu son affiliation auprès de la caisse et confirmé le bien-fondé des mises en demeure litigieuses, le cotisant a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.

Examen des moyens

Sur le moyen relevé d'office

5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 13, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après le règlement n° 883/2004) et 16 du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d'application du règlement n° 883/2004 (ci-après le règlement n° 987/2009) :

6. Selon le premier de ces textes, la personne qui exerce normalement une activité salariée et une activité non salariée dans différents États membres est soumise à la législation de l'État membre dans lequel elle exerce une activité salariée.

7. Aux termes du second, qui organise la procédure de dialogue pour l'application du premier :

« 1.

La personne qui exerce des activités dans deux États membres ou plus en informe l'institution désignée par l'autorité compétente de l'État membre de résidence.

2. L'institution désignée du lieu de résidence détermine dans les meilleurs délais la législation applicable à la personne concernée, compte tenu de l'article 13 du règlement de base et de l'article 14 du règlement d'application. Cette détermination initiale est provisoire.

L'institution informe de cette détermination provisoire les institutions désignées de chaque État membre où une activité est exercée.

3. La détermination provisoire de la législation applicable visée au paragraphe 2 devient définitive dans les deux mois suivant sa notification à l'institution désignée par les autorités compétentes des États membres concernés, conformément au paragraphe 2, sauf si la législation a déjà fait l'objet d'une détermination définitive en application du paragraphe 4, ou si au moins une des institutions concernées informe l'institution désignée par l'autorité compétente de l'État membre de résidence, à l'expiration de cette période de deux mois, qu'elle ne peut encore accepter la détermination ou qu'elle a un avis différent à cet égard.

4. Lorsqu'une incertitude quant à la détermination de la législation applicable nécessite des contacts entre les institutions ou autorités de deux États membres ou plus, la législation applicable à la personne concernée est déterminée d'un commun accord, à la demande d'une ou plusieurs des institutions désignées par les autorités compétentes des États membres concernés ou des autorités compétentes elles-mêmes, compte tenu de l'article 13 du règlement de base et des dispositions pertinentes de l'article 14 du règlement d'application.

Si les institutions ou autorités compétentes concernées ont des avis divergents, elles recherchent un accord conformément aux conditions énoncées ci-dessus, et l'article 6 du règlement d'application s'applique.

5. L'institution compétente de l'État membre dont il est déterminé que la législation est applicable, que ce soit provisoirement ou définitivement, en informe sans délai la personne concernée.

6. Si la personne concernée omet de fournir les informations mentionnées au paragraphe 1, le présent article est appliqué à l'initiative de l'institution désignée par l'autorité compétente de l'État membre de résidence dès qu'elle est instruite de la situation de cette dernière, éventuellement par l'intermédiaire d'une autre institution concernée. »

8. Selon l'article 19, paragraphe 2, du règlement n° 987/2009, « à la demande de la personne concernée ou de l'employeur, l'institution compétente de l'État membre dont la législation est applicable en vertu d'une disposition du titre II du règlement de base atteste que cette législation est applicable et indique, le cas échéant, jusqu'à quelle date et à quelles conditions ».

9. Ces dispositions instituent une procédure de dialogue administratif entre les institutions compétentes en vue de la détermination de la législation applicable attestée par un formulaire appelé certificat A 1.

10. Ce certificat A 1 est délivré, conformément au titre II du règlement n° 987/2009, par l'institution désignée par l'autorité compétente de l'État membre, dont la législation en matière de sécurité sociale est applicable, pour attester de la soumission des travailleurs se trouvant dans l'une des situations visées au titre II du règlement n° 883/2004 à la législation de cet État membre.

En raison du principe selon lequel les travailleurs doivent être affiliés à un seul régime de sécurité sociale, ce certificat implique nécessairement que les régimes de sécurité sociale des autres États membres ne sont pas susceptibles de s'appliquer (CJUE, 14 mai 2020, Bouygues travaux publics e.a., C 17/19, EU : C : 2020 : 379, points 38 et 39 ainsi que jurisprudence citée).

11. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, des effets contraignants sont attachés à ce certificat A 1 afin de prévenir le risque de cumul de régimes de sécurité sociale, qui porterait atteinte au principe d'affiliation des travailleurs salariés à un seul régime de sécurité sociale ainsi qu'à la prévisibilité du régime applicable et, partant, au principe de sécurité juridique (CJUE, 2 avril 2020, CRPNPAC et Vueling Airlines, C-370/17 et C-37/18, EU : C : 2020 : 260, point 70 ainsi que jurisprudence citée, s'agissant du règlement n° 1408/71 ; CJUE, 2 mars 2023, DRV Intertrans et Verbraeken J. en Zonen, C-410/21 et C-661/21, EU : C : 2023 : 138, point 56, s'agissant du règlement n° 987/2009).

12. Le certificat A 1 délivré par l'institution compétente d'un État membre lie tant les institutions de sécurité sociale de l'État membre dans lequel l'activité est exercée que les juridictions de cet État membre, le cas échéant, avec effet rétroactif, alors même que ce certificat n'a été délivré qu'après que ledit État membre eut établi l'assujettissement du travailleur concerné à l'assurance obligatoire au titre de sa législation (CJUE, 6 septembre 2018, Alpenrind e.a., C 527/16, EU : C : 2018 : 669, précité, points 73 et suivants).

13. Il résulte de ce qui précède que lorsque la procédure de dialogue entre les institutions compétentes des États membres concernés, prévue à l'article 16 du règlement n° 987/2009, n'a pas été mise en oeuvre, il appartient au juge saisi d'un conflit d'affiliation d'inviter l'institution désignée par l'autorité compétente à la mettre en oeuvre.

14. Pour confirmer l'affiliation du cotisant auprès de la caisse au cours de la période litigieuse, l'arrêt retient qu'il résulte de l'article 16 du règlement n° 987/2009 qu'il appartient à la caisse française de résidence de déterminer la législation de sécurité sociale applicable. Il constate qu'à défaut d'avoir saisi l'organisme social à cet effet, le cotisant n'a pas accompli les démarches prévues par ce texte, qu'il lui incombait de diligenter en raison de sa situation de pluriactivité. Il en déduit que c'est à bon droit que la caisse a maintenu son affiliation jusqu'au 30 novembre 2017.

15. En statuant ainsi, alors que, saisie d'un litige portant sur la détermination de la législation applicable à un cotisant qui invoquait une situation de pluriactivité au sens des règlements susvisés, il lui appartenait d'inviter la caisse à mettre en oeuvre la procédure prévue par l'article 16 du règlement n° 987/2009 et, dans cette attente, de surseoir à statuer, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme l'obligation d'affiliation et de cotisations de M. [R] auprès du régime social des indépendants de Bretagne, le condamne à lui verser la somme de 300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et le déboute de sa demande de remise sous astreinte d'une attestation de désaffiliation, l'arrêt rendu le 12 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Soulard (premier président) - Rapporteur : M. Labaune - Avocat général : Mme Tuffreau - Avocat(s) : SAS Buk Lament-Robillot ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 16 du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009 ; Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004.

2e Civ., 30 novembre 2023, n° 21-22.259, (B), FRH

Rejet

Travail – Salarié – Principe de non-discrimination – Egalité de traitement entre hommes et femmes – Violation – Industries électriques et gazières – Assurance vieillesse – Liquidation anticipée pour avoir élevé trois enfants – Effet

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 7 juillet 2021), le 2 juin 2015, M. [W] (l'assuré), salarié de la branche des industries électriques et gazières depuis 2000, a sollicité auprès de la [3] (la Caisse) son admission au bénéfice du dispositif de retraite anticipée avec bonification au titre de ses trois enfants à compter du 1er janvier 2016.

2. La Caisse ayant rejeté sa demande au motif qu'il ne remplissait pas la condition d'interruption ou de réduction d'activité pour chacun de ses enfants, l'assuré a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

4. La Caisse fait grief à l'arrêt d'accueillir le recours, alors :

« 1°/ qu'une mesure nationale entraînant une discrimination indirecte en raison du sexe n'est pas contraire au principe d'égalité de traitement en matière de rémunération entre travailleurs masculins et féminins si la différence de traitement qu'elle engendre est justifiée par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe, c'est-à-dire si les moyens choisis répondent à un but légitime de politique sociale, sont aptes à atteindre l'objectif poursuivi et nécessaires à cet effet ; que selon les articles 12, 13 et 16 de l'annexe III du statut national du personnel IEG, dans sa rédaction issue du décret n° 2008-627 du 27 juin 2008 en vigueur jusqu'au 20 mars 2011, les agents ayant accompli quinze années de service qui ont interrompu totalement leur activité pendant une durée continue d'au moins deux mois pour chacun de leurs trois enfants bénéficient à la fois d'un droit à liquidation anticipée de leur pension et d'une bonification de service d'un an pour chaque enfant ; qu'en l'espèce, pour dire que la condition d'interruption ou de réduction d'activité définie à l'article 13 dudit statut constituait une discrimination indirecte injustifiée, la cour d'appel, après avoir relevé que la [3] démontrait par ses statistiques l'existence d'un écart au détriment des femmes dans la durée d'assurance validée et dans le montant de leur pension, écart que les dispositions relatives à la retraite par anticipation et la bonification avaient pour objectif de compenser, a retenu que si le régime de liquidation par anticipation des droits à pension poursuivait bien un objectif de politique sociale tendant à compenser les désavantages subis dans le déroulement de leur carrière par l'ensemble des travailleurs ayant interrompu leur carrière durant un certain laps de temps afin de se consacrer à leurs enfants, en revanche, les modalités retenues par ce dispositif, qui favorisaient seulement une fin anticipée de la carrière professionnelle, ce qui impactait la durée d'assurance validée, n'étaient pas de nature à compenser avec cohérence ces désavantages ; qu'en statuant ainsi, lorsqu'elle devait rechercher, comme elle y était invitée, si les modalités combinées de l'annexe III dudit statut prévoyant non seulement un régime de liquidation par anticipation des droits à pension mais aussi un régime de bonification augmentant la durée d'assurance validée n'étaient pas, dans leur ensemble, de nature à compenser avec cohérence les désavantages de carrière résultant de l'interruption ou de la réduction d'activité professionnelle en raison de la naissance, de l'arrivée au foyer ou de l'éducation des trois enfants, la cour d'appel a violé les articles 12, 13 et 16 de l'annexe III du statut national du personnel des IEG et l'article 157 du TFUE ;

2°/ que les jugements doivent être motivés ; que dans ses conclusions d'appel, la [3] faisait valoir que le dispositif de liquidation par anticipation des droits à pension ne favorisait pas seulement une fin anticipée de carrière mais permettait également de bénéficier de paramètres de calcul de pension plus favorables pour les agents qui remplissaient les conditions avant 2017 ; qu'en jugeant que le dispositif de liquidation par anticipation des droits à pension favorisait uniquement une fin anticipée de carrière professionnelle sans répondre à ce moyen pertinent, la cour d'appel a privé sa décision de motif en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. L'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), dans le champ d'application duquel entrent les pensions de retraite servies par le régime spécial des industries électriques et gazières, impose aux États membres d'assurer l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail, la rémunération devant s'entendre comme intégrant les avantages directs et indirects se rattachant à l'activité.

6. Il résulte de ces dispositions telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 17 juillet 2014, Leone / Garde des Sceaux, ministre de la justice et Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, C-173/13), qu'une discrimination indirecte en raison du sexe est caractérisée lorsque l'application d'une mesure nationale, bien que formulée de façon neutre, désavantage en fait un nombre beaucoup plus élevé de travailleurs d'un sexe par rapport à l'autre.

7. Une telle mesure n'est compatible avec le principe d'égalité de traitement garanti par les dispositions de l'article 157 du TFUE qu'à la condition que la différence de traitement entre les deux catégories de travailleurs qu'elle engendre soit justifiée par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

8. Tel est le cas si les moyens choisis répondent à un but légitime de la politique sociale de l'État membre dont la législation est en cause, sont aptes à atteindre l'objectif poursuivi par celle-ci et sont nécessaires à cet effet.

9. Il résulte de la combinaison des articles 12, 13 et 16 de l'annexe III du statut du personnel des industries électriques et gazières, dans leur rédaction issue du décret n° 2011-290 du 18 mars 2011, que les agents, qui ont accompli quinze années de services et interrompu totalement pendant une durée continue d'au moins deux mois ou réduit dans certaines proportions leur activité professionnelle pour chacun de leurs trois enfants, bénéficient d'une bonification de service d'un an pour chaque enfant et, conservent, à titre transitoire, la possibilité de liquider leur pension de retraite par anticipation s'ils justifient de la durée minimale de service avant le 1er janvier 2017.

10. La bonification de service et le maintien, fût-ce à titre transitoire, du régime de la liquidation par anticipation des droits à pension de retraite qui résulte de ces dispositions engendrent une discrimination indirecte en matière de rémunération entre travailleurs féminins et travailleurs masculins contraire à l'article 157 du TFUE.

En effet, si ces deux mesures poursuivent un objectif légitime de politique sociale tendant à compenser les désavantages subis dans le déroulement de leur carrière par l'ensemble des travailleurs tant féminins que masculins ayant interrompu ou réduit celle-ci durant un certain laps de temps afin de se consacrer à leurs enfants, les modalités retenues par le dispositif, favorisant une fin anticipée de la carrière professionnelle et augmentant fictivement la durée de travail de l'agent, ne sont pas de nature à compenser, avec la cohérence requise, les désavantages de carrière résultant d'une triple interruption de deux mois ou réduction d'activité professionnelle en raison de la naissance, de l'arrivée au foyer ou de l'éducation des enfants.

11. Il en résulte que la bonification et le droit à la liquidation de la pension ne sauraient être subordonnés, pour les agents entrant dans le champ d'application du statut du personnel des industries électriques et gazières, à la justification de l'interruption ou de la réduction de leur activité dans les conditions auxquelles ce dernier renvoie.

12. Par ce seul motif de pur droit, substitué d'office à ceux critiqués par le moyen, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile, la décision attaquée se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Dudit - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Marlange et de La Burgade -

Textes visés :

Articles 12, 13 et 16 de l'annexe III du statut du personnel des industries électriques et gazières, dans leur rédaction issue du décret n° 2011-290 du 18 mars 2011 ; article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

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