Numéro 11 - Novembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2023

SOCIETE COMMERCIALE (règles générales)

Com., 8 novembre 2023, n° 22-13.851, (B), FRH

Rejet

Assemblée générale – Décision – Abus de majorité – Exclusion – Cas – Décision prise à l'unanimité des associés

Une décision prise à l'unanimité des associés ne peut être constitutive d'un abus de majorité.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans,10 mars 2022), rendu sur renvoi après cassation (Com., 13 janvier 2021, pourvoi n° 18-21.860, publié au Bulletin), M. [O], associé majoritaire et gérant de la société Mécanique de précision de [Localité 2] (la société MPM), et Mme [R], associé minoritaire, ont, le 21 juillet 2014, consenti une promesse de cession de l'intégralité des parts de cette société à M. [H] pour le prix de 8 000 euros.

2. Le 29 octobre 2014, l'assemblée générale de la société a décidé d'octroyer à M. [O], au titre de ses fonctions de dirigeant, une prime de 83 000 euros, puis, le 24 novembre, une autre prime au titre d'un rappel de salaire, d'un montant de 3 049,94 euros.

3. Par acte sous seing privé du 4 décembre 2014, les parties ont réitéré la promesse de cession, en précisant dans l'acte qu'aux termes de l'assemblée générale du 29 octobre 2014, il avait été accordé à M. [O] une prime exceptionnelle de 83 000 euros.

4. La société MPM, dont M. [H] était devenu le dirigeant, a refusé de verser les sommes allouées à M. [O] par les assemblées générales des 29 octobre et 24 novembre 2014.

5. M. [O] a assigné la société MPM en paiement d'une somme totale de 84 623,05 euros. M. [H] est intervenu volontairement à l'instance et a demandé l'annulation des résolutions des assemblées générales des 29 octobre et 24 novembre 2014 comme procédant d'un abus de majorité.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. La société MPM et M. [H] font grief à l'arrêt de rejeter les demandes d'annulation des résolutions des assemblées générales de la société MPM des 29 octobre et 24 novembre 2014 ayant alloué à M. [O] des primes exceptionnelles et de confirmer, par conséquent, le jugement en ce qu'il a condamné la société MPM à payer à M. [O] certaines sommes au titre des salaires des mois d'octobre et novembre 2014 et pour solde de la prime exceptionnelle, alors « que l'abus de majorité est caractérisé dès lors que la décision sociale adoptée est contraire à l'intérêt social et dans l'unique dessein de favoriser les majoritaires au détriment des autres associés, que cette rupture d'égalité s'apprécie objectivement et peut exister nonobstant le vote du minoritaire en faveur de la délibération sociale litigieuse ; qu'en retenant cependant que « la deuxième condition fait nécessairement défaut puisque les décisions critiquées ont été prises à l'unanimité, de sorte qu'on ne peut considérer que les décisions, auxquelles l'actionnaire minoritaire a participé ont été prises à son détriment », la cour d'appel a statué par un motif impropre et privé sa décision de base légale au regard des articles 1832, 1833 et 1844-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

7. Une décision prise à l'unanimité des associés ne peut être constitutive d'un abus de majorité.

8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Lefeuvre - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Article 1240 du code civil.

Soc., 22 novembre 2023, n° 22-19.282, (B), FS

Cassation partielle

Filiale et participation – Prise de contrôle – Entreprise dominante – Influence dominante – Exercice – Exercice par une personne physique – Possibilité – Conditions – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Fontainebleau, 7 juillet 2022), le 13 avril 2022, le syndicat CFDT Métiers du transport Haute-Normandie (le syndicat) et le comité social et économique de l'UES [K] (le comité) ont saisi le tribunal judiciaire pour solliciter la constitution d'un comité de groupe au sein d'un groupe devant être composé entre les sociétés A.[K] SAS, Centre couronnais de maintenance, Sterna, Ardea, des transports de la Bassée, Gael centre, Ile de France transports, Mormantaise de maintenance, Gael, Gael Rhône, Gael Parisud, BQ Trans, Loveti et Transpevrac, en soutenant que M. [K] devait être considéré comme entreprise dominante puisque détenant toutes les sociétés à hauteur d'au moins 97 %, soit directement, soit indirectement par l'intermédiaire de la société [K] qu'il détient à 100 %.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. Le syndicat et le comité font grief au jugement de les débouter de leurs demandes tendant à la constatation de l'existence d'un groupe et la constitution d'un comité de groupe entre les sociétés A. [K] SAS, Centre couronnais de Maintenance (CCM), Sterna, Ardea, société des transports de la Bassée (STB), Gael Centre, Ile de France Transport (SIFTRA), Morentaise de Maintenance (S2M), Gael, Gael Rhône, Gael Parisud, BQ Trans, Loveti et Transpevrac, alors « qu'un comité de groupe est constitué au sein du groupe formé par une entreprise dominante, dont le siège social est situé sur le territoire français, et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce ; qu'une personne physique doit, au même titre qu'une personne morale, être considérée comme en contrôlant une autre dès lors qu'elle remplit les conditions visées à l'article L. 233-3 du code de commerce ; qu'en rejetant la demande de constitution d'un comité de groupe au sein du périmètre des entreprises contrôlées, directement ou indirectement, par M. [D] [K], aux motifs erronés que la loi vise une entreprise dotée d'un siège social, et non une personne physique, et que le législateur n'a pas entendu élargir la notion d'entreprise dominante à une personne physique, le tribunal a violé les articles L. 2331-1 du code du travail et L. 233-3, I, du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2331-1 du code du travail et L. 233-3, I, du code de commerce :

3. L'article L. 2331-1 du code du travail dispose que :

« I.

- Un comité de groupe est constitué au sein du groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante, dont le siège social est situé sur le territoire français, et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

II.

- Est également considérée comme entreprise dominante, pour la constitution d'un comité de groupe, une entreprise exerçant une influence dominante sur une autre entreprise dont elle détient au moins 10 % du capital, lorsque la permanence et l'importance des relations de ces entreprises établissent l'appartenance de l'une et de l'autre à un même ensemble économique.

L'existence d'une influence dominante est présumée établie, sans préjudice de la preuve contraire, lorsqu'une entreprise, directement ou indirectement :

 - peut nommer plus de la moitié des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance d'une autre entreprise ;

 - ou dispose de la majorité des voix attachées aux parts émises par une autre entreprise ;

 - ou détient la majorité du capital souscrit d'une autre entreprise.

Lorsque plusieurs entreprises satisfont, à l'égard d'une même entreprise dominée, à un ou plusieurs des critères susmentionnés, celle qui peut nommer plus de la moitié des membres des organes de direction, d'administration ou de surveillance de l'entreprise dominée est considérée comme l'entreprise dominante, sans préjudice de la preuve qu'une autre entreprise puisse exercer une influence dominante. »

4. Aux termes de l'article L. 233-3, I, du code de commerce, toute personne, physique ou morale, est considérée, pour l'application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme en contrôlant une autre :

1° Lorsqu'elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ;

2° Lorsqu'elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés ou actionnaires et qui n'est pas contraire à l'intérêt de la société ;

3° Lorsqu'elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ;

4° Lorsqu'elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance de cette société.

5. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 2331-4 du code du travail, ne sont pas considérées comme entreprises dominantes, les entreprises mentionnées aux points a et c du paragraphe 5 de l'article 3 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 sur les concentrations.

6. A cet égard, la Cour de cassation juge que, si l'article L. 2331-4 du code du travail exclut notamment de la qualification d'entreprises dominantes les sociétés de participation financière visées au point c du paragraphe 5 de l'article 3 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 sur les concentrations, c'est à la condition, toutefois, que les droits de vote attachés aux participations détenues ne soient exercés, notamment par la voie de la nomination des membres des organes de direction et de surveillance des entreprises dont elles détiennent des participations, que pour sauvegarder la pleine valeur de ces investissements et non pour déterminer directement ou indirectement le comportement concurrentiel de ces entreprises, c'est-à-dire à la condition, précisée par l'article 5 du paragraphe 3 de la directive 78/660/CEE du Conseil auquel renvoient les dispositions du règlement précité, que la société de participation financière ne s'immisce pas directement ou indirectement dans la gestion des entreprises filiales (Soc., 14 novembre 2019, pourvoi n° 18-21.723, publié).

7. Il en résulte que si le contrôle sur les entreprises du groupe, exercé dans les conditions définies notamment aux I et II de l'article L. 233-3 du code de commerce, peut émaner d'une personne physique, pour que cette personne physique puisse être qualifiée d'entreprise dominante au sens de l'article L. 2331-1 du code du travail, c'est à la condition que les droits de vote attachés aux participations ne soient pas exercés, notamment par la voie de la nomination des membres des organes de direction et de surveillance des entreprises dans lesquelles sont détenues les participations, que pour sauvegarder la pleine valeur de ces investissements et que la personne physique, détentrice de tout ou partie du capital, s'immisce directement ou indirectement dans la gestion des entreprises du groupe.

8. Pour rejeter la demande du syndicat et du comité de constitution d'un comité de groupe, le jugement retient que les dispositions de l'article L. 2331-1 du code du travail visent une entreprise, dotée d'un siège social, et non une personne physique et que rien ne permet de considérer que le législateur a entendu élargir cette notion d'entreprise dominante à une personne physique.

9. En statuant ainsi, par un motif erroné, alors qu'il lui incombait de rechercher si les sociétés en cause, qui relèvent du même secteur d'activité, étaient sous le contrôle et la direction de M. [K], de sorte que celui-ci devait être considéré comme l'entreprise dominante du groupe, le tribunal a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute le syndicat CFDT Métiers du transport Haute-Normandie et le comité social et économique de l'UES [K] de leurs demandes, le jugement rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Fontainebleau ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Ott - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SARL Thouvenin, Coudray et Grévy ; SARL Cabinet Briard -

Textes visés :

Articles L. 2331-1 et L. 2331-4 du code du travail ; article L. 233-3, I, du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur le contrôle d'un groupe de sociétés assuré par une personne physique, à rapprocher : Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-23.273, Bull. V, n° 149 (cassation partielle). Cf. : CE, 14 juin 2021, n° 417940, mentionné dans les tables du Recueil Lebon.

Com., 29 novembre 2023, n° 22-21.623, (B) (R), FS

Rejet

Société en formation – Acte souscrit au nom ou pour le compte de la société en formation – Mention expresse – Absence – Portée

Il résulte des articles L. 210-6 et R. 210-6 du code de commerce que les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Les personnes qui ont agi au nom ou pour le compte d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits, lesquels sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société.

En présence d'un acte dans lequel il n'est pas expressément mentionné qu'il a été souscrit au nom ou pour le compte de la société en formation, il appartient au juge d'apprécier souverainement, par un examen de l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à cet acte qu'extrinsèques, si la commune intention des parties n'était pas qu'il soit conclu au nom ou pour le compte de la société.

Société en formation – Acte souscrit au nom ou pour le compte de la société en formation – Mention expresse – Absence – Office du juge – Recherche de la commune intention des parties

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 8 septembre 2022), par un acte sous seing privé des 10 et 11 septembre 2018, prorogé par un avenant du 24 septembre 2018, M. [P] a consenti à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Holding BSP (la société Holding BSP) « représentée par son gérant, M. [T] [B] » une promesse de cession des parts de la société Hôtel La pirogue API, exploitant une résidence hôtelière implantée sur un îlot en Polynésie.

2. La société Holding BSP a été constituée le 24 août 2018, ayant pour gérant M. [B] et pour associé unique la société par actions simplifiée Holding BSP, elle-même détenue en totalité par M. [B]. Elle a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 1er octobre 2018.

3. Le 18 mars 2019, le conseil de M. [P] a adressé au notaire chargé de l'établissement de l'acte de cession, M. [Y], une lettre exprimant le refus de son client de signer l'acte réitératif.

4. L'acte n'ayant pas été signé, la société Holding BSP, après avoir vainement mis en demeure M. [P] de s'exécuter, a saisi le tribunal mixte de commerce par requête en date du 30 avril 2019 aux fins de voir ordonner l'exécution forcée de la promesse de cessions de parts.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. M. [P] fait grief à l'arrêt d'ordonner l'exécution de la promesse de cession de parts, alors « que l'acte conclu par une société en cours d'immatriculation, et partant dépourvue de personnalité morale, est nul de nullité absolue, insusceptible de confirmation ou ratification ; qu'en rejetant la demande de nullité du compromis de cession conclu entre M. [P] et la société Holding BSP les 10 et 11 septembre 2018 et amendé par voie d'avenant le 24 septembre 2018, alors que la société Holding BSP « a été immatriculée le 1er octobre 2018 » soit postérieurement à la conclusion de ces actes, au motif que « la rédaction impropre de ces actes quant à la qualité du cessionnaire est donc sans emport eu égard à la connaissance qu'avait [V] [P] que [T] [B] agissait pour le compte d'une société en formation et non au nom de celle-ci », la cour d'appel a statué par motif impropre et violé les articles L. 210-6 du code de commerce et 1842 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte des articles L. 210-6 et R. 210-6 du code de commerce que les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés.

Les personnes qui ont agi au nom ou pour le compte d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société.

7. La Cour de cassation juge depuis de nombreuses années que ne sont susceptibles d'être repris par la société après son immatriculation que les engagements expressément souscrits « au nom » (Com., 22 mai 2001, pourvoi n° 98-19.742 ; Com., 21 février 2012, pourvoi n° 10-27.630, Bull. 2012, IV, n° 49 ; Com., 13 novembre 2013, pourvoi n° 12-26.158) ou « pour le compte » (Com., 11 juin 2013, pourvoi n° 11-27.356 ; Com., 10 mars 2021, pourvoi n° 19-15.618) de la société en formation, et que sont nuls les actes passés « par » la société, même s'il ressort des mentions de l'acte ou des circonstances que l'intention des parties était que l'acte soit accompli en son nom ou pour son compte (3e Civ., 5 octobre 2011, pourvoi n° 09-72.855 ; Com., 21 février 2012, pourvoi n° 10-27.630, Bull. 2012, IV, n° 49 ; Com., 19 janvier 2022, pourvoi n° 20-13.719).

8. Cette jurisprudence repose sur le caractère dérogatoire du système instauré par la loi, lequel permet de réputer conclus par une société des actes juridiques passés avant son immatriculation. Elle vise à assurer la sécurité juridique, dès lors que la présence d'une mention expresse selon laquelle l'acte est accompli « au nom » ou « pour le compte » d'une société en formation protège, d'un côté, le tiers cocontractant, en appelant son attention sur la possibilité, à l'avenir, d'une substitution de plein droit et rétroactive de débiteur, et, de l'autre, la personne qui accomplit l'acte « au nom » ou « pour le compte » de la société, en lui faisant prendre conscience qu'elle s'engage personnellement et restera tenue si la société ne reprend pas les engagements ainsi souscrits.

9. Cette solution a pour conséquence que l'acte non expressément souscrit « au nom » ou « pour le compte » d'une société en formation est nul et que ni la société ni la personne ayant entendu agir pour son compte n'auront à répondre de son exécution, à la différence d'un acte valable, mais non repris par la société, qui engage les personnes ayant agi « au nom » ou « pour son compte ». Elle s'avère ainsi produire des effets indésirables en étant parfois utilisée par des parties souhaitant se soustraire à leurs engagements, et a paradoxalement pour conséquence de fragiliser les entreprises lors de leur démarrage sous forme sociale au lieu de les protéger, sans toujours apporter une protection adéquate aux tiers cocontractants, qui, en cas d'annulation de l'acte, se trouvent dépourvus de tout débiteur.

10. L'exigence selon laquelle l'acte doit, expressément et à peine de nullité, mentionner qu'il est passé « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation ne résultant pas explicitement des textes régissant le sort des actes passés au cours de la période de formation, il apparaît possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d'apprécier souverainement, par un examen de l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l'acte qu'extrinsèques, si la commune intention des parties n'était pas que l'acte soit conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits.

11. En l'espèce, après avoir constaté que l'acte des 10 et 11 septembre 2018 avait été signé par M. [B] en qualité de gérant de la société Holding BSP en cours d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, l'arrêt relève qu'il résulte des correspondances produites, dont la teneur n'est pas contestée, que M. [P] a été clairement informé, avant la signature de cet acte et de son avenant, que M. [B] agissait pour le compte d'une société en formation.

12. En l'état de ces constatations, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, qui a fait ressortir que, en dépit de la rédaction impropre de ces actes quant à la désignation du cessionnaire, la commune intention des parties était que l'acte soit conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits, a ordonné l'exécution de la promesse litigieuse.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Ponsot - Avocat général : M. Lecaroz - Avocat(s) : SCP Bénabent ; Me Bertrand ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles L. 210-6 et R. 210-6 du code de commerce.

Com., 29 novembre 2023, n° 22-12.865, (B) (R), FS

Cassation

Société en formation – Acte souscrit au nom ou pour le compte de la société en formation – Mention expresse – Absence – Portée

Il résulte des articles L. 210-6 et R. 210-6 du code de commerce que les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Les personnes qui ont agi au nom ou pour le compte d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits, lesquels sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société.

En présence d'un acte dans lequel il n'est pas expressément mentionné qu'il a été souscrit au nom ou pour le compte de la société en formation, il appartient au juge d'apprécier souverainement, par un examen de l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à cet acte qu'extrinsèques, si la commune intention des parties n'était pas qu'il soit conclu au nom ou pour le compte de la société.

Société en formation – Acte souscrit au nom ou pour le compte de la société en formation – Mention expresse – Absence – Office du juge – Recherche de la commune intention des parties

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 6 janvier 2022) et les productions, M. et Mme [J] ont, par un acte authentique reçu le 21 janvier 2019, consenti un bail commercial à la société en formation Bypa.

L'acte précise que la société est « en cours d'identification au SIREN » et que « la présente opération est réalisée au nom et pour le compte de la société en formation dans le cadre des dispositions des articles L. 210-1 à L. 210-9 du code de commerce et de celles du décret 67-236 du 23 mars 1967 ». Il précise en outre que « la société dénommée Bypa est représentée à l'acte par ses seuls futurs associés ».

2. Le 18 juillet 2019, la société Bypa a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés, avec pour associés la société AVL développement, représentée par M. [I], et la société Fayett-Valley, représentée par M. [M].

3. Les relations entre MM. [I] et [M] s'étant dégradées, ce dernier et la société Fayett-Valley ont, le 11 mars 2020, assigné la société Bypa, la société AVL développement et M. [I] en annulation du bail commercial. M. et Mme [J] sont intervenus volontairement à l'instance et se sont joints à cette demande.

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [I], la société Bypa et la société AVL développement font grief à l'arrêt de déclarer nul le bail commercial, de dire que la société Bypa, M. [I] et M. [M] sont occupants sans droit ni titre, de les condamner à libérer les lieux et, à défaut d'exécution spontanée, d'ordonner leur expulsion, et de les condamner in solidum à payer aux époux [J] une indemnité d'occupation, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, le bail commercial du 21 janvier 2019 stipule expressément que « les personnes dénommées aux présentes sont les seuls fondateurs de la société » et que « la présente opération est réalisée au nom et pour le compte de la société en formation dans le cadre des dispositions des articles L. 210-1 à L. 210-9 du code de commerce », rappelant même que « l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés emportera de plein droit reprise par elle des présentées (présentes) qui seront alors réputées avoir été conclus (conclues) dès l'origine par la société elle-même », l'acte étant signé en dernière page par « M. [M] [G] représentant de la société dénommée Bypa » et par « M. [I] [F] représentant de la société dénommée Bypa » ; qu'en retenant néanmoins, pour prononcer la nullité du bail commercial que « les futurs associés n'ont pas agi « pour le compte de la société en formation » en leur qualité d'associé, comme le veut l'usage, afin de pouvoir engager la société elle-même une fois immatriculée », la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du bail commercial du 21 janvier 2019 et, partant, a violé l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 210-6 et R. 210-6 du code de commerce :

5. Il résulte de ces textes que les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés.

Les personnes qui ont agi au nom ou pour le compte d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société.

6. La Cour de cassation juge depuis de nombreuses années que ne sont susceptibles d'être repris par la société après son immatriculation que les engagements expressément souscrits « au nom » (Com., 22 mai 2001, pourvoi n° 98-19.742 ; Com., 21 février 2012, pourvoi n° 10-27.630, Bull. 2012, IV, n° 49 ; Com., 13 novembre 2013, pourvoi n° 12-26.158) ou « pour le compte » (Com., 11 juin 2013, pourvoi n° 11-27.356 ; Com., 10 mars 2021, pourvoi n° 19-15.618) de la société en formation, et que sont nuls les actes passés « par » la société, même s'il ressort des mentions de l'acte ou des circonstances que l'intention des parties était que l'acte soit accompli en son nom ou pour son compte (3e Civ., 5 octobre 2011, pourvoi n° 09-72.855 ; Com., 21 février 2012, pourvoi n° 10-27.630, Bull. 2012, IV, n° 49 ; Com., 19 janvier 2022, pourvoi n° 20-13.719).

7. Cette jurisprudence repose sur le caractère dérogatoire du système instauré par la loi, lequel permet de réputer conclus par une société des actes juridiques passés avant son immatriculation. Elle vise à assurer la sécurité juridique, dès lors que la présence d'une mention expresse selon laquelle l'acte est accompli « au nom » ou « pour le compte » d'une société en formation protège, d'un côté, le tiers cocontractant, en appelant son attention sur la possibilité, à l'avenir, d'une substitution de plein droit et rétroactive de débiteur, et, de l'autre, la personne qui accomplit l'acte « au nom » ou « pour le compte » de la société, en lui faisant prendre conscience qu'elle s'engage personnellement et restera tenue si la société ne reprend pas les engagements ainsi souscrits.

8. Cette solution a pour conséquence que l'acte non expressément souscrit « au nom » ou « pour le compte » d'une société en formation est nul et que ni la société ni la personne ayant entendu agir pour son compte n'auront à répondre de son exécution, à la différence d'un acte valable, mais non repris par la société, qui engage les personnes ayant agi « au nom » ou « pour son compte ». Elle s'avère ainsi produire des effets indésirables en étant parfois utilisée par des parties souhaitant se soustraire à leurs engagements, et a paradoxalement pour conséquence de fragiliser les entreprises lors de leur démarrage sous forme sociale au lieu de les protéger, sans toujours apporter une protection adéquate aux tiers cocontractants, qui, en cas d'annulation de l'acte, se trouvent dépourvus de tout débiteur.

9. L'exigence selon laquelle l'acte doit, expressément et à peine de nullité, mentionner qu'il est passé « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation ne résultant pas explicitement des textes régissant le sort des actes passés au cours de la période de formation, il apparaît possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d'apprécier souverainement, par un examen de l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l'acte qu'extrinsèques, si la commune intention des parties n'était pas que l'acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits.

10. Pour annuler le bail commercial, l'arrêt retient que le contrat a été signé par M. [M] et la société CDV en leur qualité de représentants de la société Bypa, et non pas au nom de cette société en formation, alors que celle-ci n'était pas encore constituée.

11. En se déterminant ainsi, sans rechercher s'il ne résultait pas, non seulement des mentions de l'acte, mais aussi de l'ensemble des circonstances que, nonobstant une rédaction défectueuse, la commune intention de M. [M] et de la société CDV, d'un côté, et de M. et Mme [J], de l'autre, était que l'acte fût passé au nom ou pour le compte de la société en formation Bypa, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

12. M. [I], la société Bypa et la société AVL développement font le même grief à l'arrêt, alors « que les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits ; que la société, personne morale, peut reprendre les engagements qui avaient été souscrits en son nom et pour son compte, quand bien même l'identité des associés ou sa forme sociale aurait changé entre le moment où les actes ont été originellement accomplis et le moment où ils ont été repris ; qu'en considérant néanmoins, pour prononcer la nullité du bail commercial, que « quand bien même l'acte aurait été passé par les futurs associés fondateurs de la société Bypa pour le compte de celle-ci, soit par M. [M] et la société Caveau des vignerons (CDV), l'acte n'en aurait été pas moins irrégulier dès lors que ces derniers n'ont jamais eu cette qualité puisque la société Bypa a été constituée entre la société AVL développement et la société Fayett-Valley, au demeurant sous une autre forme sociale que celle prévue au bail », quand ces circonstances n'empêchaient pas la société Bypa, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, de reprendre les engagements souscrits en son nom et pour son compte, la cour d'appel a violé l'article 1843 du code civil et l'article L. 210-6 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 210-6 et R. 210-6 du code commerce :

13. Il résulte de ces textes que la validité de l'acte passé pour le compte d'une société en formation n'implique pas, sauf les cas de dol ou de fraude, que la société effectivement immatriculée revête la forme et comporte les associés mentionnés, le cas échéant, dans l'acte litigieux.

14. Pour annuler le bail, l'arrêt retient encore, par motifs adoptés, que, quand bien même l'acte aurait été passé par les futurs associés fondateurs de la société Bypa pour le compte de celle-ci, soit par M. [M] et la société CDV, il n'en serait pas moins irrégulier dès lors que ces derniers n'ont jamais eu cette qualité, puisque la société Bypa a été constituée entre la société AVL développement et la société Fayett-Valley, au demeurant sous une autre forme sociale que celle prévue au bail.

15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Ponsot - Avocat général : M. Lecaroz - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon -

Textes visés :

Articles L. 210-6 et R. 210-6 du code de commerce.

Com., 8 novembre 2023, n° 22-12.978, (B), FRH

Cassation partielle

Transformation – Adoption d'une autre forme – Commissaire à la transformation – Commissaire désigné en raison de son inscription sur la liste réglementaire – Responsabilité – Action antérieure à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 – Prescription – Délai – Délai triennal (non)

Le délai de prescription triennale prévu à l'article L. 225-254 du code de commerce ne s'applique pas à l'action en responsabilité exercée antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 contre un commissaire à la transformation désigné, non pas en sa qualité de commissaire aux comptes de la société, mais en raison de son inscription sur la liste réglementaire des commissaires aux comptes.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 janvier 2022), par un protocole du 31 mars 2011, MM. [I] et [X] [J] ont cédé à la société Brumes l'intégralité des actions qu'ils détenaient dans le capital de la société TDS.

2. Préalablement à la cession, les associés de la société TDS avaient, lors d'une assemblée générale du 31 décembre 2010, décidé sa transformation de société à responsabilité limitée en société par actions simplifiée.

3. Le 7 décembre 2015, invoquant plusieurs manquements à leur encontre, la société Brumes a assigné en responsabilité la société Bonifacio et associés, en sa qualité de commissaire à la transformation, et la société Compagnie française d'expertise comptable - CBSA (la société CFEC - CBSA), en sa qualité d'expert-comptable de la société TDS.

Examen des moyens

Sur le second moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société Brumes fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action contre la société Bonifacio et associés, alors « que le délai de prescription de trois ans prévu à l'article L. 224-254 du code de commerce, sur renvoi de l'article L. 822-18 du même code, s'applique aux actions en responsabilité engagées contre des commissaires aux comptes à l'occasion de toute mission légale de contrôle ; qu'en revanche, le délai de prescription applicable à l'action engagée contre le commissaire à la transformation désigné en application de l'article L. 224-3 du code de commerce, non pas en sa qualité de commissaire aux comptes d'une société qui en est dépourvue, mais en raison de son inscription sur la liste réglementaire des commissaires aux comptes, est celui de cinq ans prévu à l'article 2224 du code civil ; qu'en affirmant que l'intervention de la société Bonifacio et associés en qualité de commissaire à la transformation répondait aux exigences de l'article L. 224-3 du code de commerce en cas de transformation d'une société à responsabilité limitée en société par actions simplifiée et constituait donc une mission légale du commissaire aux comptes soumise à la prescription triennale, tandis que la prescription quinquennale était applicable, la cour d'appel a violé les articles L. 822-18 et L. 225-254 du code de commerce par fausse application et les articles L. 224-3 du code de commerce et 2224 du code civil par refus d'application. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 820-1, I, dans sa version antérieure à celle issue de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, L. 822-18 et L. 225-254 du code de commerce :

6. Selon le premier de ces textes, nonobstant toute disposition contraire, les dispositions du titre II du livre VIII du code de commerce sont applicables aux commissaires aux comptes nommés dans toutes les personnes et entités quelle que soit la nature de la certification prévue dans leur mission.

7. Aux termes du second, qui figure dans ce titre, les actions en responsabilité contre les commissaires aux comptes se prescrivent dans les conditions prévues à l'article L. 225-254.

8. Selon le troisième, l'action en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général, tant sociale qu'individuelle, se prescrit par trois ans, à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation.

9. Ce délai de prescription s'applique aux actions engagées contre des commissaires aux comptes à l'occasion de toute mission légale de contrôle.

10. Pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action de la société Brumes contre la société Bonifacio et associés, l'arrêt retient que l'intervention de cette dernière en qualité de commissaire à la transformation répond aux exigences de l'article L. 224-3 du code de commerce, de sorte qu'elle constitue une mission légale du commissaire aux comptes soumise à la prescription triennale.

11. En statuant ainsi, alors qu'en application de l'article L. 224-3 du code de commerce, la société Bonifacio et associés avait été désignée commissaire à la transformation non pas en sa qualité de commissaire aux comptes de la société TDS, qui en était dépourvue, mais en raison de son inscription sur la liste réglementaire des commissaires aux comptes, la cour d'appel a violé, par fausse application, les textes susvisés.

Mise hors de cause

12. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause, sur sa demande, la société CFEC - CBSA, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable comme prescrite l'action de la société Brumes contre la société Bonifacio et associés et en ce qu'il statue sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 6 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Met hors de cause la société Compagnie française d'expertise comptable - CBSA ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Lefeuvre - Avocat(s) : SCP Duhamel ; SCP Bénabent ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article L. 225-254 du code de commerce.

Com., 22 novembre 2023, n° 22-16.362, (B), FRH

Rejet

Valeurs mobilières émises par les sociétés par actions – Obligations remboursables en actions – Masse des obligataires – Pouvoirs – Consultation – Cas – Décisions touchant aux conditions de souscription ou d'attribution des titres de capital déterminées au moment de l'émission

Une cour d'appel énonce à bon droit qu'il résulte de l'article L. 228-103 du code de commerce que si les porteurs d'obligations convertibles doivent autoriser les modifications du contrat d'émission des obligations, les décisions touchant aux conditions de souscription ou d'attribution des titres de capital déterminées au moment de l'émission ne sont soumises qu'à leur consultation.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 mars 2022), rendu en référé, et les productions, le capital de la société Fort royal, dirigée par la société Fort royal Holding, elle-même dirigée par M. [E], est divisé en 30 607 actions détenues par plus de 60 actionnaires, les deux principaux étant la société Fort royal Holding, qui détient 8 488 actions, et la société Finiva LLC, présidée par M. [X], qui détient 7 639 actions.

2. Le 15 janvier 2019, la société Fort royal a été mise en redressement judiciaire, la société Thévenot Partners étant désignée administrateur.

3. Par un jugement du 5 mai 2020, le tribunal a arrêté le plan de redressement de la société Fort royal, mis fin à la mission de l'administrateur et désigné la société Thévenot Partners commissaire à l'exécution du plan.

4. Une assemblée générale des actionnaires de la société du 29 décembre 2020 a rejeté les résolutions visant à mettre en oeuvre des mesures de restructuration financière consistant en une réduction du capital social à zéro, et une augmentation de ce capital, avec suppression du droit préférentiel de souscription, par l'émission de 100 000 actions ordinaires, au profit de la société Roi soleil Holding.

5. La société Fort royal a assigné devant le président du tribunal, statuant en référé, la société Finiva LLC, M. [X], M. [H], M. [Z], M. [B], Mme [C], la société Nantaise des eaux Holding, la société Financière Amenon, tous actionnaires opposants, et la société Thévenot Partners, ès qualités, aux fins de voir notamment juger que l'opposition de ces actionnaires aux résolutions visant à la bonne exécution du plan de redressement adopté par le jugement définitif du 5 mai 2020 constituait un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser et exposait la société Fort royal à un dommage imminent, et voir désigner un mandataire ad hoc chargé de voter aux lieu et place des actionnaires minoritaires, dans le sens que commande l'intérêt social lors de la prochaine assemblée générale extraordinaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La société Finiva LLC, M. [X], M. [H], M. [B], Mme [C], la société Nantaise des eaux Holding, et la société Financière Amenon font grief à l'arrêt de recevoir aux débats la pièce n° 22 de la société Fort royal à titre d'attestation de la société Thévenot Partners sur le sens de sa note d'actualisation du 24 février 2020 au plan de redressement de la société Fort royal, alors « que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense ; que l'exigence de loyauté procédurale interdit à une partie de contourner l'irrecevabilité de conclusions déposées tardivement par une autre partie avec laquelle elle présente un intérêt commun, en produisant à titre de pièce lesdites conclusions, aux fins d'emporter la conviction du juge sur le bien fondé de ses propres prétentions ; qu'en énonçant que si l'irrecevabilité prononcée des conclusions de la société Thévenot partners a pour effet de rendre irrecevables les prétentions que cette partie intimée forme devant la cour, les informations contenues dans ces conclusions peuvent être versées aux débats à titre de simple attestation par l'appelante, la cour d'appel a violé les articles 15 et 135 du code de procédure civile, ensemble le principe selon lequel le juge est tenu de respecter et de faire respecter la loyauté des débats. »

Réponse de la Cour

7. Après avoir relevé que les conclusions de la société Thévenot Partners, ès qualités, avaient été déclarées irrecevables pour tardiveté, l'arrêt retient exactement que les informations contenues dans ces conclusions pouvaient être versées aux débats par la société Fort royal, sans mauvaise foi ni déloyauté de sa part, en vertu du principe du droit à la preuve et aux fins de permettre à la cour d'appel d'apprécier le sens d'une note d'actualisation de l'administrateur sur le plan de redressement de la société Fort royal qui avait fait l'objet d'une interprétation par le tribunal qui était contestée par cette société.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. La société Finiva LLC, M. [X], M. [H], M. [B], Mme [C], la société Nantaise des eaux Holding, et la société Financière Amenon font grief à l'arrêt de désigner M. [G], en qualité de mandataire ad hoc, avec pour mission, pour une durée maximum de quatre mois de participer à l'assemblée générale extraordinaire de la société Fort royal qui sera convoquée avec notamment pour ordre du jour la réduction de capital de 979 424 euros motivée par des pertes, par voie d'annulation de l'ensemble des actions composant le capital social de la société, sous la condition suspensive de l'adoption d'une augmentation de capital en numéraire, l'augmentation du capital social, par l'émission de 100 000 actions ordinaires, au prix d'un euro chacune, avec suppression du droit préférentiel de souscription des associés au profit d'une personne dénommée, à savoir la société Roi soleil holding, la suppression du droit préférentiel de souscription aux 100 000 actions ordinaires nouvelles au profit d'une personne dénommée, la constatation de l'augmentation de capital, la modification des statuts et de représenter lors de cette assemblée générale M. [X], M. [H], M. [Z], M. [B], Mme [C], la société Nantaise des eaux holding, la société Financière Amenon et la société Finiva LLC, associés opposants, et voter en leur lieu et place, alors :

« 1°/ qu'aux termes de l'article L. 631-9-1 du code de commerce, si les capitaux propres n'ont pas été reconstitués dans les conditions prévues par l'article L. 626-3, l'administrateur a qualité pour demander la désignation d'un mandataire en justice chargé de convoquer l'assemblée compétente et de voter la reconstitution du capital, à concurrence du montant proposé par l'administrateur, à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à exécuter le plan ; qu'il s'évince d'une telle disposition que lorsque l'adoption du plan de redressement suppose une modification du capital, l'administrateur peut seulement demander la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de convoquer l'assemblée compétente pour voter la reconstitution du capital, à l'exclusion de toute opération d'accordéon ; qu'en considérant qu'il était possible d'obtenir en référé la désignation d'un mandataire aux fins de convoquer l'assemblée générale des actionnaires appelée à décider de la réduction et de l'augmentation du capital en faveur de la société Roi soleil holding, la cour d'appel a violé l'article L. 631-9-1 du code de commerce ;

2°/ qu'aux termes de l'article L. 631-9-1 du code de commerce, si les capitaux propres n'ont pas été reconstitués dans les conditions prévues par l'article L. 626-3, l'administrateur a qualité pour demander la désignation d'un mandataire en justice chargé de convoquer l'assemblée compétente et de voter la reconstitution du capital, à concurrence du montant proposé par l'administrateur, à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à exécuter le plan ; qu'il s'évince d'une telle disposition que lorsque l'adoption du plan de redressement suppose une modification du capital, l'administrateur peut seulement demander la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de convoquer l'assemblée compétente pour voter la reconstitution du capital, à l'exclusion de toute opération d'accordéon ; qu'en énonçant que « selon le plan de redressement, les mesures de restructuration qui ont été soumises au vote de l'assemblée générale des actionnaires s'inscrivent bien dans le cadre d'une reconstitution des capitaux propres, ces mesures ayant pour objet de réaliser cette reconstitution, et que conformément au texte susvisé, l'assemblée générale des actionnaires a été appelée à décider de la réduction et de l'augmentation du capital en faveur de la société Roi soleil holding », lorsqu'il était constant que la réduction du capital à zéro et l'augmentation de capital à hauteur de 100 000 euros ne permettait pas la reconstitution des capitaux propres de la société, compte tenu de ce que les capitaux propres avaient une valeur négative de 7 686 830 euros, la cour d'appel a violé l'article L. 631-9-1 du code de commerce ;

3°/ qu'avant toute restructuration du capital décidée par l'assemblée générale, si, du fait des pertes constatées dans les documents comptables, les capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social, l'assemblée est d'abord appelée à reconstituer ces capitaux à concurrence du montant proposé par l'administrateur et qui ne peut être inférieur à la moitié du capital social ; qu'en énonçant que « selon le plan de redressement, les mesures de restructuration qui ont été soumises au vote de l'assemblée générale des actionnaires s'inscrivent bien dans le cadre d'une reconstitution des capitaux propres, ces mesures ayant pour objet de réaliser cette reconstitution, et que conformément au texte susvisé, l'assemblée générale des actionnaires a été appelée à décider de la réduction et de l'augmentation du capital en faveur de la société Roi soleil holding », lorsqu'était requise, avant toute opération d'accordéon, que l'assemblée générale soit préalablement consultée sur la reconstitution des capitaux propres à concurrence du montant proposé par l'administration et qui ne peut être inférieur à la moitié du capital social, la cour d'appel a violé les articles L. 626-3 alinéa 2 du code de commerce et L. 631-9 du code de commerce ;

4°/ qu'avant toute restructuration du capital décidée par l'assemblée générale, si, du fait des pertes constatées dans les documents comptables, les capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social, l'assemblée est d'abord appelée à reconstituer ces capitaux à concurrence du montant proposé par l'administrateur et qui ne peut être inférieur à la moitié du capital social ; qu'en énonçant que « selon le plan de redressement, les mesures de restructuration qui ont été soumises au vote de l'assemblée générale des actionnaires s'inscrivent bien dans le cadre d'une reconstitution des capitaux propres, ces mesures ayant pour objet de réaliser cette reconstitution, et que conformément au texte susvisé, l'assemblée générale des actionnaires a été appelée à décider de la réduction et de l'augmentation du capital en faveur de la société Roi soleil holding », lorsqu'il était constant que la réduction du capital à zéro et l'augmentation de capital à hauteur de 100 000 euros ne permettait pas une reconstitution des capitaux propres à hauteur de la moitié du capital social, compte tenu de ce que les capitaux propres avaient une valeur négative de 7 686 830 euros, la cour d'appel a violé les articles L. 626-3 alinéa 2 du code de commerce et L. 631-9 du code de commerce ;

5°/ que les assemblées générales des titulaires de valeurs mobilières donnant accès à terme au capital sont appelées à autoriser toutes modifications au contrat d'émission et à statuer sur toute décision touchant aux conditions de souscription ou d'attribution de titres de capital déterminées au moment de l'émission ; que l'opération de réduction du capital à zéro et l'annulation consécutive des obligations convertibles en actions touchant aux conditions d'attribution de titres de capital déterminées au moment de l'émission, l'assemblée générale des obligataires aurait dû autoriser préalablement cette opération ; qu'en énonçant que les porteurs d'obligations convertibles en actions devaient seulement être consultés sur l'opération d'accordéon, la cour d'appel a violé les articles L. 228-103 et L. 626-3 du code de commerce ;

6°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'au cas présent, le contrat d'émission du 20 novembre 2015 prévoit en son article 2 de l'annexe 3, que la réduction du capital de la société était « soumise à l'accord préalable de la masse des titulaires d'obligations convertibles » ; qu'en énonçant que l'opération d'accordéon, qui implique une réduction de capital, pouvait être réalisée sans l'accord préalable de la masse des obligations convertibles, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 ;

7°/ que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif ; qu'en énonçant, pour établir l'existence d'un trouble manifestement illicite et d'un dommage imminent tirée du refus des actionnaires minoritaires de voter en faveur de l'opération d'accordéon, qu'il ne saurait être tiré de ce que cette opération n'est pas expressément reprise dans le dispositif du jugement du 5 mai 2020 ayant arrêté le plan de redressement pour en nier l'autorité de chose jugée de ce chef, la cour d'appel a violé les articles 480 et 873 du code de procédure civile ;

8°/ que seules les dispositions du plan arrêtées dans le dispositif du jugement sont opposables à tous ; qu'en estimant, pour établir l'existence d'un trouble manifestement illicite et d'un dommage imminent tirée du refus des actionnaires minoritaires de voter en faveur de l'opération d'accordéon, qu'il ne saurait être tiré de ce que la restructuration financière n'est pas expressément reprise dans le dispositif du jugement du 5 mai 2020 et qu'elle n'y serait pas incluse, aux motifs que selon l'article L. 621-65 du code de commerce, le jugement qui arrête le plan en rend les dispositions opposables à tous, si bien qu'arrêtées par le jugement du 5 mai 2020 dont le dispositif a autorité de chose jugée (autorité non discutée par les intimés), les mesures de restructuration du capital, en ce qu'elles sont incluses dans le redressement tel qu'arrêté par le tribunal de commerce, sont opposables à tous et notamment aux actionnaires qui les contestent, la cour d'appel a violé les articles L. 626-11 et L. 631-19 du code de commerce, ensemble les articles 480 et 873 du code de procédure civile ;

9°/ que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif ; qu'en énonçant, pour écarter l'existence d'une fraude attachée à la suppression du droit préférentiel de souscription, que la légalité des mesures de redressement telles qu'adoptées par le tribunal de commerce (qui les a jugées légales) serait à apprécier dans le cadre d'un recours formé contre le jugement du tribunal de commerce, recours qui manifestement n'a pas été exercé en l'espèce, les intimés ne discutant pas eux-mêmes le caractère définitif du jugement du 5 mai 2020, lorsque l'opération d'accordéon ne figurait pas dans le dispositif de la décision de sorte que le tribunal n'avait pas définitivement statué sur cette restructuration du capital, la cour d'appel a violé les articles 480 et 873 du code de procédure civile ;

10°/ que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif ; qu'en énonçant, pour établir l'existence d'un trouble manifestement illicite et d'un dommage imminent tirée du refus des actionnaires minoritaires de voter en faveur de l'opération d'accordéon, qu'un tel refus était abusif, en ce qu'il fait obstacle à la mise en oeuvre de mesures de restructuration qui ont été considérées, par jugement définitif du tribunal de commerce, comme étant indispensables au redressement de la société Fort royal et par suite à sa survie, exposant ainsi la société à un risque de liquidation judiciaire contraire à l'intérêt social, lorsque l'opération d'accordéon ne figurait pas dans le dispositif de la décision de sorte que le tribunal n'avait pas définitivement statué sur cette restructuration du capital, la cour d'appel a violé les articles 480 et 873 du code de procédure civile ;

11°/ que les exposants faisaient valoir que la suppression du droit préférentiel de souscription au profit de la société Roi Soleil Holding en lieu et place de la société Fort royal Holding, avait pour seul but de contourner l'interdiction de vote prévue par l'article L. 225-138, alinéa 1, du code de commerce ; qu'en effet, il était soutenu que la société Roi Soleil Holding, structure ad hoc contrôlée par M. [E], n'avait été créée par ce dernier que pour permettre à la société Fort royal Holding, qu'il contrôlait également, de prendre part au vote ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen qui conditionnait la légalité même des mesures qu'elle ordonnait, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

12°/ que l'abus de minorité, qui seul permet au juge de désigner un mandataire aux fins de représenter les associés minoritaires défaillants à une nouvelle assemblée et de voter en leur nom dans le sens des décisions conformes à l'intérêt social mais ne portant pas atteinte à l'intérêt légitime des minoritaires, suppose à la fois une attitude contraire à l'intérêt social, en ce qu'il interdit la réalisation d'une opération essentielle pour la société, et dans l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l'ensemble des autres associés ; qu'en énonçant, pour établir l'existence d'un abus de minorité, que l'opération « est fondée sur l'intérêt social en ce qu'elle tend à permettre à la société de retrouver de nouveaux investisseurs qui adhèrent à la poursuite de son activité, alors que son actionnariat actuel est divisé et que les actionnaires qui la financent sont opposés à la poursuite de son activité », sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée si les modalités concrètes de l'opération d'accordéon sur lesquelles les associés avaient été consultés étaient réellement conformes à l'intérêt social, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil, ensemble l'article 873 du code de procédure civile ;

13°/ que les exposants faisaient valoir que « n'est pas constitutif d'un abus de minorité le fait de refuser de voter une augmentation de capital dès lors que l'associé n'a pas eu à sa disposition les documents lui permettant d'émettre un vote éclairé permettant un débat nécessaire sur la confrontation entre l'intérêt social et les mesures opposées aux minoritaires » et qu'« en l'espèce, seules les informations financières concernant l'approbation des comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2019 ont été communiquées, à l'exclusion de toute information financière pour l'année 2020 (ni pour la société Fort royal, ni pour sa filiale JRS)" et encore qu'« il n'a pas été non plus communiqué aux minoritaires le Projet de plan de redressement présenté par la société Fort royal, le bilan économique et social comportant un projet de plan de redressement de l'administrateur judiciaire, ni même le jugement en date du 5 mai 2020 arrêtant le plan de redressement. Aucune information n'a été non plus communiquée concernant le mode de libération de la souscription projetée : soit au moyen de versement en espèce, soit par compensation avec des créances liquides et exigibles ; qu'en considérant que les minoritaires avaient commis un abus de minorité sans analyser ce moyen tiré du défaut d'information leur permettant d'émettre un vote éclairé, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

14°/ que le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer ; qu'en se bornant à considérer qu'il existait un risque de liquidation judiciaire de la société Fort royal si les mesures de restructuration du capital n'étaient pas mises en oeuvre, sans établir que la liquidation judiciaire se produirait sûrement si l'opération d'accordéon n'était pas votée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 873 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. En premier lieu, l'arrêt relève que le plan de redressement a été adopté le 5 mai 2020, avant la tenue de l'assemblée générale appelée à autoriser les mesures de restructuration financières litigieuses qui a eu lieu le 29 décembre suivant, et que le juge des référés a été saisi par la société Fort royal sur le fondement de l'article 873 du code de procédure civile. Il s'en évince que la demande n'était pas présentée par l'administrateur de manière à rendre possible l'adoption du plan de redressement et que les dispositions des articles L. 626-3 et L. 631-9-1 du code de commerce n'étaient pas applicables au litige.

11. Les première, deuxième, troisième et quatrième branches sont donc inopérantes.

12. En deuxième lieu, l'arrêt, qui n'a pas dénaturé le contrat d'émission, énonce à bon droit qu'il résulte de l'article L. 228-103 du code de commerce que si les porteurs d'obligations convertibles doivent autoriser les modifications du contrat d'émission des obligations, les décisions touchant aux conditions de souscription ou d'attribution des titres de capital déterminées au moment de l'émission ne sont soumises qu'à leur consultation.

13. Les cinquième et sixième branches ne sont donc pas fondées.

14. En dernier lieu, l'arrêt relève que si la restructuration financière n'est pas expressément reprise dans le dispositif du jugement ayant arrêté le plan, le jugement fait expressément état de la restructuration du capital telle que proposée dans le projet de plan, dont il reprend les modalités. Il retient que le refus des actionnaires minoritaires de voter en faveur des mesures de restructuration s'inscrit dans la poursuite du conflit qui oppose M. [E] à M. [X] sur la gestion et l'avenir de la société Fort royal depuis le mois de mai 2018, M. [X] ayant soutenu, en opposition au plan de redressement proposé par M. [E], une offre concurrente de cession des actifs non retenue, et que les actionnaires opposants n'ont présenté aucun plan de redressement alternatif à celui adopté par le tribunal. Il en déduit que leur opposition tend, dans leur intérêt exclusif, à une récupération de leurs actifs, et non au redressement de la société.

L'arrêt en déduit que, dans ces circonstances, l'usage que les actionnaires minoritaires ont fait de leur droit de vote apparaît abusif en ce qu'il fait obstacle à la mise en oeuvre de mesures de restructuration financières jugées indispensables au redressement de la société Fort royal et par suite à sa survie, en exposant la société à un risque de liquidation judiciaire contraire à l'intérêt social.

15. De ces seules constatations et appréciations, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les septième, huitième, neuvième et dixième branches, la cour d'appel a exactement déduit que se trouvait caractérisée l'existence d'un trouble manifestement illicite et d'un dommage imminent.

16. Le moyen, pour partie inopérant, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat(s) : SAS Hannotin Avocats ; SCP Boutet et Hourdeaux -

Textes visés :

Articles 15 et 135 du code de procédure civile ; article L. 228-103 du code de commerce.

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