Numéro 11 - Novembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2023

CONTRATS ET OBLIGATIONS CONVENTIONNELLES

Soc., 29 novembre 2023, n° 22-11.398, (B), FS

Cassation partielle

Modalités – Conditions – Condition suspensive – Renonciation – Moment – Renonciation postérieure à la défaillance – Portée

Viole la loi la cour d'appel qui, ayant constaté que la condition était défaillie à la date prévue au contrat, de sorte que ce dernier était caduc, décide qu'il pouvait être renoncé à la condition suspensive malgré sa défaillance.

Modalités – Condition suspensive – Défaillance – Renonciation postérieure à la défaillance – Possibilité – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 10 décembre 2021), M. [M] a été engagé en qualité de joueur de football professionnel par la société [4] (le club) pour trois saisons, selon un contrat de travail à durée déterminée du 13 juin 2006.

Le contrat mentionnait le recours aux services d'un agent sportif, M. [T].

2. Le contrat de travail à durée déterminée a fait l'objet de renouvellements.

3. Une convention de rémunération d'agence sportive a été conclue le 28 septembre 2012 entre le joueur professionnel, l'agent sportif et le club, dont l'objet était de répartir entre le club et le joueur la charge de la rémunération due à l'agent sportif au titre de la réalisation de ses missions. Cette convention stipulait qu'au moyen d'une délégation novatoire, le club s'engageait à payer à l'agent sa rémunération en lieu et place du joueur.

4. Au cours de la saison 2013/2014, le club a exprimé son souhait de transfert du joueur vers un autre club.

5. Le 7 février 2014, le joueur et l'agent sportif ont conclu une transaction aux termes de laquelle le joueur devait, en contrepartie d'un terme anticipé à la convention de médiation du 1er septembre 2012, payer une indemnité transactionnelle globale et forfaitaire, dont le montant dépendait de la date à laquelle le joueur ferait l'objet d'un transfert vers un autre club.

6. Par avenant à la convention de rémunération d'agence sportive en date du 20 février 2014, le club, le joueur professionnel et l'agent sportif sont convenus que, dans l'hypothèse où le joueur ferait l'objet d'une mutation définitive dans un autre club avant le 30 juin 2014 inclus, les commissions dues au titre des saisons 2014/2015 et 2015/2016 seront garanties par le club et acquises à l'agent quand bien même le joueur ne ferait plus partie de l'effectif du club.

7. Le 8 août 2014, le joueur a été engagé par le club du [3].

8. Le 22 mai 2017, le joueur a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en condamnation du club au paiement de diverses sommes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. Le club fait grief à l'arrêt de le condamner à verser certaines sommes à titre de dommages-intérêts, alors « que lorsqu'une obligation est contractée sous la condition qu'un événement arrivera dans un temps fixe, cette condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l'événement soit arrivé, et entraîne automatiquement la caducité de l'acte ; que celui dans l'intérêt duquel est stipulée la condition ne peut y renoncer qu'avant que sa défaillance ne rende l'obligation caduque ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que l'avenant du 20 février 2014 à la convention de rémunération d'agence sportive conclue entre le club, le joueur et son agent sportif, stipulait, par dérogation au principe selon lequel la dette de rémunération de l'agent sportif pesant sur le club est subordonnée à la présence de ce dernier dans l'effectif du club, que : « dans l'hypothèse où le joueur ferait l'objet d'une mutation définitive dans un autre club avant le 30 juin 2014 inclus, les commissions dues au titre des saisons 2014/2015 et 2015/2016 seront garanties par le club et acquises à l'agent quand bien même le joueur ne ferait plus partie de l'effectif du club » ; qu'il était constant que la condition suspendant cet engagement de l'[4] ne s'était pas réalisée le 30 juin 2014 ; qu'en jugeant que le 2 août 2014, en répondant « OK » à la demande du conseil de M. [M] de lui confirmer sa prise en charge de « l'indemnité d'[T] (568 000 euros environ)", l'[4] avait entendu faire perdurer son obligation de payer les commissions de l'agent en dépit du fait que le transfert du joueur n'était pas intervenu le 30 juin 2014, et ne pouvait ainsi se prévaloir de la caducité de l'avenant du 20 février 2014, lorsque cet avenant étant devenu automatiquement caduc le 30 juin 2014 par la défaillance de la condition, l'[4] ne pouvait renoncer au bénéfice de la condition suspensive après sa défaillance, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1176 du code civil dans leur version en vigueur avant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1134 et 1176, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

11. Aux termes du second de ces textes, lorsqu'une obligation est contractée sous la condition qu'un événement arrivera dans un temps fixe, cette condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l'événement soit arrivé. S'il n'y a point de temps fixe, la condition peut toujours être accomplie ; et elle n'est censée défaillie que lorsqu'il est devenu certain que l'événement n'arrivera pas.

12. Pour condamner le club à payer au joueur certaines sommes à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient que du fait de l'expiration de la date du 30 juin 2014, terme de la condition suspensive, le conseil du joueur, invoquant le « deal » et la prise en charge par le club de l'indemnité de l'agent sportif qu'il évaluait à « 568 000 euros environ », faisait nécessairement référence à la convention du 7 février 2014 fixant la somme de 568 000 euros et demandait la confirmation de l'engagement du club de prendre en charge les dites commissions.

L'arrêt ajoute qu'en répondant « OK » dans un mail du 2 août 2014, le club s'est engagé à payer cette somme malgré le dépassement de la date du transfert du joueur qui avait été convenue par les parties.

L'arrêt en déduit que le club ne peut prétendre que l'avenant du 20 février 2014 était devenu caduc mais, au contraire, que les faits démontrent qu'il a entendu faire perdurer ses obligations après le 30 juin 2014.

13. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la condition suspensive était défaillie le 30 juin 2014, de sorte que le contrat étant caduc à cette date il ne pouvait plus être renoncé à cette condition, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief,

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette l'exception d'incompétence formulée par la société [4], l'arrêt rendu le 10 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles 1134 et 1176, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la renonciation à une condition défaillie, à rapprocher : Com., 6 février 1996, pourvoi n° 93-12.868, Bull. 1996, IV, n° 44 (rejet) ; 3e Civ., 13 octobre 1999, pourvoi n° 97-21.682, (rejet) ; 3e Civ., 31 mars 2005, pourvoi n° 04-11.752, Bull. 2005, III, n° 82 (rejet) ; 3e Civ., 17 décembre 2008, pourvoi n° 07-18.062, Bull. 2008, III, n° 211 (cassation partielle) ; 3e Civ., 10 octobre 2012, pourvoi n° 11-15.473, Bull. 2012, III, n° 142 (rejet) ; 3e Civ., 20 mai 2015, pourvoi n° 14-11.851, Bull. 2015, III, n° 51 (rejet) ; 3e Civ., 20 avril 2022, pourvoi n° 21-13.187 (rejet).

Com., 22 novembre 2023, n° 22-16.514, (B), FRH

Rejet

Résiliation – Résiliation conventionnelle – Résiliation unilatérale – Gravité du comportement du cocontractant – Preuve – Charge – Détermination

La gravité du comportement d'une partie à un contrat non soumis aux dispositions issues de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 peut justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls. En cas de contestation, c'est à la partie qui a mis fin au contrat de rapporter la preuve d'un tel comportement.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 mars 2022), la société 10-Vins, devenue D-Vine (la société D-Vine), a confié à la société Valexcel la recherche d'investisseurs.

2. La société D-Vine ayant mis fin au contrat de façon anticipée, la société Valexcel l'a assignée en paiement de commissions et en réparation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses quatre premières branches, les deuxième, troisième et quatrième moyens

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

4. La société D-Vine fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à ce que le jugement soit infirmé en ce qu'il a jugé fautive la rupture du contrat initiée par courrier du 27 avril 2018, de rejeter ses demandes de résolution judiciaire du contrat aux torts de la société Valexcel et de réduction du prix du contrat et d'indemnisation, alors « qu'en matière de résiliation et de résolution judiciaire d'un contrat, c'est au débiteur qu'il revient de rapporter la preuve qu'il a rempli ses obligations ; qu'en considérant par motifs propres et adoptés, pour dire fautive la rupture du contrat et débouter la société D-Vine de sa demande de résolution judiciaire, qu'elle n'a étayé aucune de ses critiques et que s'agissant d'obligations de moyens, il lui appartenait de rapporter la preuve d'une faute de la société Valexcel, la cour d'appel, qui a ainsi fait peser sur la société D-Vine la charge de la preuve de l'existence d'une faute contractuelle, quand il revenait à la société Valexcel d'établir qu'elle avait exécuté ses obligations, a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

5. La gravité du comportement d'une partie à un contrat non soumis aux dispositions issues de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 peut justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls.

En cas de contestation, c'est à la partie qui a mis fin au contrat de rapporter la preuve d'un tel comportement.

6. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

7. La société D-Vine fait le même grief à l'arrêt, alors « que la cassation du chef de dispositif par lequel la cour d'appel a débouté la société D-Vine de ses demandes relatives à la rupture du contrat emportera, en application de l'article 624 du code de procédure civile, cassation du chef de dispositif par lequel la cour d'appel a débouté la société D-Vine de ses demandes de réduction de prix du contrat et d'indemnisation. »

Réponse de la Cour

8. Le moyen étant rejeté, le grief tiré d'une cassation par voie de conséquence est sans portée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Guillou - Avocat(s) : SARL Ortscheidt ; SCP Duhamel -

Textes visés :

Article 1315 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

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