Numéro 11 - Novembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2023

BAIL RURAL

3e Civ., 30 novembre 2023, n° 21-22.539, (B), FS

Rejet

Bail à ferme – Résiliation – Sous-location ou cession illicite – Défaut d'exploitation d'une parcelle par un des copreneurs – Poursuite de l'exploitation par un autre copreneur – Effet

L'article L. 411-35, alinéa 3, du code rural et de la pêche maritime, qui prévoit que lorsqu'un des copreneurs d'un bail cesse de participer à l'exploitation du bien loué, le copreneur qui continue à exploiter dispose de trois mois à compter de cette cessation pour demander au bailleur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception que le bail se poursuive à son seul nom, ne crée, pour le copreneur resté en activité, qu'une simple faculté, dont le non-usage ne constitue pas une infraction aux dispositions de l'article L. 411-35, de nature à permettre la résiliation du bail sur le fondement de l'article L. 411-31, II, 1°.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 1er juillet 2021), M. et Mme [X] sont preneurs de diverses parcelles à usage agricole appartenant à Mmes [J] et [L] [R].

2. Reprochant à Mme [X] de ne pas leur avoir demandé la poursuite du bail à son seul nom alors que M. [X] aurait cessé de participer à l'exploitation du bien loué, Mmes [R] ont assigné les preneurs en résiliation du bail.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Mmes [R] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande en résiliation du bail rural, alors :

« 1°/ que l'article L. 411-31, II, 1°, du code rural et de la pêche maritime permet au bailleur de demander la résiliation du bail s'il justifie de toute contravention aux dispositions de l'article L. 411-35 du même code ; que le défaut d'accomplissement de l'obligation d'information du propriétaire, en cas de cessation d'activité de l'un des copreneurs, qui doit s'entendre comme la cessation de sa participation à l'exploitation de façon effective et permanente, constitue un manquement aux obligations nées du bail et une violation de l'article L. 411-35 ; qu'ayant constaté que les époux [X] avaient la qualité de copreneurs du bail litigieux, que M. [X] n'exploitait plus le bien loué depuis le 1er juin 2003, et que la formalité d'information du bailleur, prévue à l'article L. 411-35 du code rural, n'avait pas été respectée, la cour d'appel, qui a rejeté la demande de résiliation du bail aux motifs erronés que cet article n'exige pas une cessation de participation effective et permanente mais ne vise que la cessation de participation et que ce texte signifie simplement que seul le défaut de toute participation du copreneur à l'exploitation du bien loué impose au copreneur restant de solliciter l'autorisation du bailleur pour poursuivre le bail à son seul nom, a violé les articles L. 411-31 et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ;

2°/ que la cessation de la participation d'un copreneur à l'exploitation du bien loué s'entend, au sens de l'article L. 411-35 du code rural, de la cessation, par ce dernier, d'une participation effective et permanente à l'exploitation ; que les services que ce copreneur viendrait à rendre à son copreneur resté seul exploitant, ne peuvent constituer une participation effective et permanente à l'exploitation du bien loué, lesdits services procédant de l'exécution d'une convention d'entraide conclue entre agriculteurs, et non de l'exécution du bail ; qu'en considérant que M. [X], dont elle a constaté qu'il n'était plus exploitant des biens affermés depuis le 1er juin 2003, avait continué à participer à leur exploitation par le biais d'une entraide agricole avec son épouse, cotitulaire du bail restée seule exploitante des biens loués, au motif qu'une entraide entre les exploitations respectives des époux [X] peut suffire à constater une participation du mari à l'exploitation des terres affermées, la cour d'appel a violé les articles L. 411-31 et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

4. Aux termes de l'article L. 411-35, alinéa 1, du code rural et de la pêche maritime, sous réserve des dispositions particulières aux baux cessibles hors du cadre familial prévues au chapitre VIII du présent titre et nonobstant les dispositions de l'article 1717 du code civil, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur participant à l'exploitation ou aux descendants du preneur ayant atteint l'âge de la majorité ou ayant été émancipés. A défaut d'agrément par le bailleur, la cession peur être autorisée par le tribunal paritaire.

5. Selon l'article L. 411-35, alinéa 3, de ce code, issu de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, lorsqu'un des copreneurs du bail cesse de participer à l'exploitation du bien loué, le copreneur qui continue à exploiter dispose de trois mois à compter de cette cessation pour demander au bailleur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception que le bail se poursuive à son seul nom.

6. Selon l'article L. 411-31, II, 1°, du même code, le bailleur peut demander la résiliation du bail en cas de contravention aux dispositions de l'article L. 411-35.

7. La formalité prévue par le deuxième de ces textes a pour objet de permettre au preneur resté en activité de régulariser la poursuite du bail à son seul nom et de préserver ainsi sa faculté de le céder dans les conditions de l'article L. 411-35.

8. En effet, la cessation de la participation à l'exploitation du bien loué par l'un des copreneurs, qui y reste tenu, est de nature à faire obstacle à la cession du bail (3e Civ., 3 février 2010, pourvoi n° 09-11.528, Bull. 2010, III, n° 29).

9. Ce texte ne crée donc, pour le copreneur resté en activité, qu'une simple faculté, dont le non-usage ne constitue pas une infraction aux dispositions de l'article L. 411-35, de nature à permettre la résiliation du bail sur le fondement de l'article L. 411-31, II, 1°.

10. Par conséquent, le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Schmitt - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles L. 411-31, II, 1°, et L. 411-35, alinéa 3, du code rural et de la pêche maritime.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 3 février 2010, pourvoi n° 09-11.528, Bull. 2010, III, n° 29 (rejet).

3e Civ., 16 novembre 2023, n° 21-18.360, (B), FS

Cassation partielle

Statut du fermage et du métayage – Domaine d'application – Convention pluriannuelle de pâturage – Action en requalification – Prescription – Prescription quinquennale – Point de départ – Détermination – Portée

Il résulte de l'article 2224 du code civil que, si l'action en requalification en bail rural de la convention pluriannuelle de pâturage initiale se prescrit à compter de sa conclusion, l'action en requalification de chaque convention née ensuite par tacite reconduction se prescrit à compter de sa prise d'effet.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 1er avril 2021), le 4 septembre 2009, la société civile immobilière du [Adresse 1] (la SCI) a conclu avec M. et Mme [I] (les preneurs) un contrat dénommé « convention pluriannuelle de pâturage » portant sur des biens agricoles et un bâtiment d'habitation, pour une durée de cinq ans à compter du 1er avril 2009, tacitement reconduit à son terme.

2. Par acte d'huissier du 25 août 2016, les preneurs ont assigné en référé la SCI afin d'obtenir sa condamnation à réaliser des travaux.

3. Le 25 septembre 2017, la SCI leur a délivré un congé.

4. Après renvoi de l'affaire devant le tribunal paritaire des baux ruraux pour qu'il soit statué au fond, les preneurs ont demandé, à titre additionnel, la reconnaissance d'un bail rural, la condamnation de la SCI à leur rembourser diverses sommes, dont les loyers réglés au titre du bâtiment d'habitation, et l'annulation du congé.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen relevé d'office

6. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article 2224 du code civil :

7. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

8. La Cour de cassation juge, de façon constante, que le bail tacitement reconduit est un nouveau bail, distinct du bail initial (3e Civ., 10 juin 1998, pourvoi n° 96-15.626, Bull. 1998, III, n° 119). Cette règle est désormais consacrée, depuis l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, aux articles 1214 et 1215 du code civil.

9. Il en résulte que, si l'action en requalification en bail rural de la convention pluriannuelle de pâturage initiale se prescrit à compter de sa conclusion, l'action en requalification de chaque convention née ensuite par tacite reconduction se prescrit à compter de sa prise d'effet.

10. Pour déclarer prescrite l'action en reconnaissance d'un bail rural, laquelle s'analyse en une action en requalification de la convention en cours, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que le délai de prescription court, sauf fraude, à compter de la date de la conclusion du contrat initial, nonobstant sa tacite reconduction.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt déclarant irrecevable la demande de requalification entraîne la cassation des chefs de dispositif rejetant la demande en annulation du congé, ordonnant l'expulsion des preneurs, les condamnant au paiement d'une indemnité d'occupation et rejetant leur demande en remboursement de diverses sommes, y compris les loyers, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande de requalification, rejette la demande en annulation du congé, ordonne l'expulsion de M. et Mme [I], les condamne au paiement d'une indemnité d'occupation, rejette leur demande en remboursement de diverses sommes, y compris les loyers, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 1er avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Condamne la société civile immobilière du [Adresse 1] aux dépens.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Davoine - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Article 2224 du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 10 juin 1998, pourvoi n° 96-15.626, Bull. 1998, III, n° 119 (rejet), et les arrêts cités.

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