Numéro 11 - Novembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2023

MESURES D'INSTRUCTION

2e Civ., 30 novembre 2023, n° 21-25.640, n° 22-10.297, n° 22-24.526, (B), FRH

Cassation partielle

Expertise – Rapport de l'expert – Opérations d'expertise – Déroulement – Principe du contradictoire – Respect – Nécessité

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-10.297, 21-25.640 et 22-24.526 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 9 novembre 2021, rectifié par l'arrêt du 25 octobre 2022), et les productions, par décision du 9 juin 2009, la caisse primaire d'assurance maladie de la Meurthe-et-Moselle (la caisse) a pris en charge au titre de la législation professionnelle la maladie déclarée par [N] [I] (la victime), salarié de la société [8] (l'employeur), puis, par décision du 2 mars 2016, son décès survenu le 27 novembre 2015.

3. Le 27 février 2017, la veuve de la victime a adressé une nouvelle déclaration de maladie professionnelle, diagnostiquée en 2015, que la caisse a refusé de prendre en charge au motif que cette maladie est la même que celle déclarée le 19 janvier 2009, déjà indemnisée.

4. La veuve de la victime, et leurs quatre enfants, ont saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée en 2017 et de la faute inexcusable de l'employeur.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi n° 22-10.297, formé par l'employeur

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais, sur le premier moyen du pourvoi n° 21-25.640, dirigé contre l'arrêt du 9 novembre 2021, et sur le moyen du pourvoi n° 22-24.526 dirigé contre l'arrêt du 9 novembre 2021, rectifié par l'arrêt du 25 octobre 2022, formés par la caisse, qui sont similaires

Enoncé du moyen

6. La caisse fait grief d'accueillir le recours, alors « que le juge ne peut se fonder sur un rapport d'expertise judiciaire qui n'a pas été établi au contradictoire du défendeur, s'il n'est pas corroboré par d'autres éléments de preuve ; qu'en se fondant exclusivement, sans référence aucune à un autre élément de preuve, sur le rapport du dr [K] établi sans que la Caisse ait été régulièrement appelée aux opérations d'expertise, pour dire que la maladie déclarée le 27 février 2017 était sans lien aucun avec la maladie déclarée le 19 janvier 2009, ensuite en reconnaître le caractère professionnel et enfin faire droit à l'action des consorts [I] en reconnaissance de la faute inexcusable, les juges du fond ont violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

7. Lorsqu'une partie à laquelle un rapport d'expertise est opposé n'a pas été appelée ou représentée au cours des opérations d'expertise, le juge ne peut refuser d'examiner ce rapport, dès lors que celui-ci a été régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties. Il lui appartient alors de rechercher s'il est corroboré par d'autres éléments de preuve.

8. Pour dire que la maladie déclarée le 27 février 2017 était distincte de la maladie déclarée le 19 janvier 2009, l'arrêt retient qu'il ressort des conclusions, claires et dépourvues d'ambiguïté, du rapport de l'expert désigné par la cour que le « cancer à petites cellules » décrit dans le certificat du docteur [L] établi le 14 février 2017 est différent de l'« adéno-carcinome squameux du lobe supérieur droit du poumon » ayant fait l'objet de la déclaration de maladie professionnelle du 19 janvier 2009, les deux affections n'ayant aucun lien entre elles.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel, alors que la caisse faisait valoir, sans être contredite, qu'elle n'avait pas été régulièrement convoquée aux opérations d'expertise, qui s'est fondée sur les seuls éléments d'une expertise judiciaire non contradictoire, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

10. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef du dispositif de l'arrêt reconnaissant le caractère professionnel de la maladie déclarée le 27 février 2017 entraîne la cassation des chefs de dispositif relatifs à la faute inexcusable et à ses conséquences, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi n° 21-25.640, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il infirme le jugement rendu le 17 juillet 2019 par le tribunal de grande instance de Nancy et rejette la demande tendant à voir dire nulle l'expertise du docteur [K], l'arrêt rendu le 9 novembre 2021, entre les parties, rectifié par l'arrêt du 25 octobre 2022, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Dudit - Avocat général : M. Gaillardot (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Gury et Maitre ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 16 du code de procédure civile.

Com., 8 novembre 2023, n° 22-13.149, (B), FRH

Cassation partielle

Sauvegarde de la preuve avant tout procès – Référé – Injonction du juge – Production de pièces – Conditions

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Pharmabest du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Teroma.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 1er décembre 2021), le capital de la société Pharmabest, laquelle a pour objet la fourniture de prestations de services destinées aux officines de pharmacie, était détenu par une trentaine d'actionnaires, majoritairement des sociétés holding exploitant des officines de pharmacie adhérentes au réseau Pharmabest, dont la société Plein Sud.

3. Par une ordonnance du 8 novembre 2018, le président d'un tribunal de commerce, statuant en la forme des référés, a désigné, sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil, un expert avec pour mission de déterminer la valeur des titres Pharmabest détenus par la société Plein Sud.

4. Le 16 juillet 2020, la société Plein Sud a assigné, en référé, la société Pharmabest afin qu'il lui soit enjoint de communiquer, sous astreinte, certaines pièces à l'expert, dont le détail du chiffre d'affaires, au 31 décembre 2019, des entités du groupement de pharmaciens Pharmabest.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La société Pharmabest fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance de référé rendue le 17 septembre 2020 par le président du tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il l'a condamnée à communiquer à l'expert, sous astreinte, le détail du chiffre d'affaires des entités du groupement de pharmaciens Pharmabest au 31 décembre 2019, alors « que les parties étant tenues d'apporter leur concours aux mesures d'instruction, sauf à ce que toutes conséquences soient tirées de leur abstention ou de leur refus, le juge peut, si une partie détient un élément de preuve, lui enjoindre, sur la requête d'une autre partie, de le produire, au besoin à peine d'astreinte ; que, cependant, nul ne peut donner ni produire ce qu'il n'a pas ; qu'il s'ensuit que la partie qui requiert du juge qu'il enjoigne à une autre de produire un document doit établir, outre son existence, à tout le moins sa vraisemblance, sa possession par cette autre partie ; que le juge, quant à lui, ne peut accéder à cette requête, a fortiori sous astreinte, sans avoir vérifié que cette double preuve était apportée ; qu'en l'espèce, la société Plein Sud a demandé à la cour d'enjoindre à la société Pharmabest, sous astreinte, de communiquer le détail du chiffre d'affaires des entités du groupement de pharmacien Pharmabest au 31 décembre 2019, dont la société Pharmabest, cependant, protestait qu'elle ne le possédait pas ; que, pour confirmer l'ordonnance qui avait fait droit à la requête de la société Plein Sud, la cour s'est bornée à considérer que la société Pharmabest « ne justifiait pas de ce que la communication de pièces serait illégitime en ce que le secret des affaires serait en cause » ; qu'en se déterminant ainsi, sans avoir vérifié que la société Plein Sud établissait l'existence ou la vraisemblance du document réclamé ainsi que sa détention par la société Pharmabest, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles 10 [du code civil] et 11 du code de procédure civile, ensemble de l'article 1843-4 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 10, 11 et 145 du code de procédure civile :

6. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'il ne peut être enjoint à une partie, sur requête ou en référé, de produire un élément de preuve qu'elle ne détient pas.

7. Pour enjoindre à la société Pharmabest de communiquer, sous astreinte, le détail du chiffre d'affaires, au 31 décembre 2019, des entités du groupement de pharmaciens Pharmabest, l'arrêt retient que cette société ne justifie pas de ce que la communication de cette pièce serait illégitime en ce que le secret des affaires serait en cause.

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui appartenait dès lors que la société Pharmabest faisait valoir que la pièce en litige n'existait pas et qu'en tout état de cause, elle ne la détenait pas, si la société Plein Sud, à qui la preuve en incombait en l'état de cette contestation, établissait que l'existence de cette pièce était, sinon établie, du moins vraisemblable et, le cas échéant, qu'elle était détenue ou pouvait être détenue par la société Pharmabest, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant l'ordonnance attaquée, il enjoint à la société Pharmabest de communiquer à M. [C] [Z] le détail du chiffre d'affaires des entités du groupement de pharmaciens Pharmabest au 31 décembre 2019 dans les quinze jours suivant la notification de l'ordonnance et, à défaut de ce faire dans ce délai, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard dans le délai d'un mois, l'arrêt rendu le 1er décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Ducloz - Avocat(s) : SCP Poulet-Odent -

Textes visés :

Articles 10, 11 et 145 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur l'injonction de produire certaines pièces, à rapprocher : 2e Civ., 23 septembre 2004, pourvoi n° 02-15.782, Bull. 2004, II, n° 428 (rejet).

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