Relations internationales de la Cour de cassation

Rencontre entre Monsieur le Premier président et Madame la Présidente de la CEDH le 10 novembre 2022.

L’internationalisation du droit et de la justice constitue un des bouleversements majeurs de l’environnement du juge national – et en particulier du juge de cour suprême – depuis la seconde partie du XXe siècle en le plaçant devant de nouveaux défis : interprétation et application de règles internationales, articulation de ces normes et des normes internes, place croissante du droit comparé, émergence de contentieux globalisés. En Europe, l’adjonction d’un échelon juridictionnel supranational composé des deux cours européennes, la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’Homme, offre une résonnance particulière au phénomène.

En tant que plus haute juridiction de l’ordre judiciaire national, une responsabilité particulière incombe à la Cour de cassation pour assurer l’intégration harmonieuse du système juridique français au sein de cet environnement internationalisé et le maintien de son influence dans un monde juridique devenu concurrentiel.

Développer des lignes stratégiques pour structurer son action internationale est ainsi devenu un impératif pour la Cour de cassation.

Dans un contexte européen marqué par des tensions croissantes et des remises en cause répétées de l’Etat de droit et des fondements démocratiques de nos sociétés, le renforcement du dialogue des juges apparaît comme un impératif, contribuant à la construction d’un espace judiciaire commun autour des valeurs et principes fondamentaux partagées par les pays européens.

Ce dialogue permet d’apporter une réponse coordonnée aux défis communs que rencontrent les juges en Europe.

En raison des liens historiques et culturels unissant la France et les pays de la francophonie, la Cour de cassation entretient par ailleurs un haut niveau de coopération avec les cours suprêmes de ces Etats, dont les systèmes juridiques présentent de nombreuses caractéristiques communes au modèle français.

Fidèle à sa longue tradition d’ouverture, la Cour de cassation s’attache, de manière plus générale, à développer ses relations avec les cours suprêmes des Etats étrangers.

Dans ce cadre, l’action internationale de la Cour de cassation poursuit trois objectifs :

  • Promouvoir les valeurs et principes fondamentaux du système judiciaire français et contribuer à la promotion du droit continental et de la francophonie ;
  • Diffuser et valoriser la jurisprudence et les méthodes de travail de la Cour de cassation ;
  • Encourager l’échange des bonnes pratiques, renforcer l’expertise de la Cour de cassation en droit international et développer les outils d’analyse comparée afin d’enrichir le système juridique français.

 

L’action internationale de la Cour de cassation s’exprime tant au plan bilatéral, au travers des échanges qu’elle entretient avec d’autres juridictions suprêmes étrangères, qu’au plan multilatéral par la participation de la Cour de cassation à divers des réseaux judiciaires internationaux et européens (Réseau des présidents de cours suprêmes judiciaires de l’UE, Réseau des cours supérieures, Association des hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage l’usage du français (AHJUCAF).

Dans un souci d’accessibilité et de diffusion de sa jurisprudence, la Cour de cassation a entrepris la traduction en langue anglaise d’une sélection d’arrêts chaque trimestre.

Les arrêts traduits sont disponibles sur le site internet de la Cour de cassation.

Rattaché à la première présidence, le service des relations internationales a la charge de mettre en œuvre l’action internationale de la Cour de cassation.

Vidéos thématiques

Rôle et mission de la Cour de cassation - Présentation par M. le doyen Matet

Le parquet général de la Cour de cassation - Présentation par Mme Courcol-Bouchard, première avocate générale honoraire

Les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation

L’avocat aux conseils face à une demande de pourvoi
Pourquoi dire « avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ? Ce sont des spécialistes de la procédure de cassation qui sont chargés de représenter et de conseiller les justiciables devant les juridictions suprêmes françaises, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation. Lorsque la représentation est obligatoire, seuls les avocats aux conseils peuvent vous représenter. Donc lorsque le justiciable entend former un pourvoi en cassation ou lorsqu’il doit défendre sur un pourvoi en cassation formé à son encontre il doit saisir un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Cette saisine reste une faculté dans les quelques hypothèses où la représentation par un avocat n’est pas obligatoire, pour l’essentiel c’est en matière pénal.
Comment saisir son avocat aux conseils ? D’abord il peut être désigné au titre de l’aide juridictionnelle. Comme devant toutes les juridictions, il y a un dispositif d’aide juridictionnelle à la Cour de cassation. A ce titre, l’avocat aux conseils peut être soit désigné d’office soit à la demande du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle qui demeure libre de choisir son avocat aux conseils. En dehors de cette hypothèse de l’aide juridictionnelle, lorsque le justiciable n’a pas été représenté par un avocat devant les juridictions du fond ou s’il souhaite procéder lui-même à la désignation de son avocat aux conseils il devra le choisir sur la liste des avocats inscrits à l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation.
Mais en pratique, le plus simple et sans doute le plus fréquent, est de solliciter l’avocat à la Cour qui a assisté le justiciable devant les juridictions du fond pour qu’il saisisse lui-même directement l’avocat aux conseils avec lequel il a l’habitude de travailler. Les avocats à la Cour et les avocats à la Cour de cassation entretiennent en permanence des liens étroits dans l’intérêt des justiciables. C‘est l’avocat à la Cour qui va transmettre son entier dossier, constitué de la décision attaquée, des conclusions et des pièces, qui va permettre à l’avocat aux conseils de mettre ce dossier en état pour débuter l’instruction du pourvoi. L’avocat à la Cour sera tenu fidèlement informé de toute l’évolution de la procédure de cassation, de son introduction de sa saisine jusqu’à la fin il demeure un interlocuteur privilégié.

Une fois cette saisine faite, la première démarche de l’avocat aux conseils est de vérifier avant toute chose s’il ne se trouve pas en situation de conflit d’intérêts. Bien évidemment, s’il se trouve en situation de conflit, il ne peut pas accepter le dossier et le justiciable doit saisir un autre avocat aux conseils.
S’il n’est pas en situation de conflits d’intérêt, l’avocat aux conseils doit s’assurer de constituer l’entier dossier de la procédure en sollicitant sa communication, dont le plus souvent auprès de l’avocat à la Cour. Après cette étape, il ne va pas immédiatement introduire le pourvoi parce qu’arrive un phase liminaire cruciale c’est l’analyse des chances de succès du pourvoi en cassation. Avant l’instruction du pourvoi, l’avocat aux conseils doit apporter un regard neuf et indépendant sur les chances de succès du pourvoi en cassation, ce qui postule d’abord d’identifier les moyens sérieux qui pourraient être articuler à l’encontre de la décision qu’on entend contester et de tenir compte de la situation du justiciable, des objectifs qu’il poursuit et de s’assurer avec lui que l’introduction du pourvoi lui permettra éventuellement d’atteindre les objectifs qu’il s’est fixé.
Cette obligation de conseil qui est systématiquement mise en œuvre répond à deux séries d’objectifs l’un et l’autre d’importance égale.
Premier objectif c’est le service rendu au justiciable. Si l‘avocat aux conseils a émis un avis positif, le justiciable est assuré qu’il pourra soulever à l’encontre de la décision critiquée des moyens qui sont susceptibles de rentrer dans le champ du contrôle de la Cour de cassation. Il est assuré aussi de ce que la procédure spécifique à la Cour de cassation pourra être respecter de bout en bout. A l’inverse, si l‘avocat aux conseils a émis un avis négatif, il évitera au justiciable de se lancer dans une voie de recours qui serait engagée en vain et qui pourrait susciter des frais financiers engagés à perte.
Au-delà de ce premier objectif, il y a un second objectif qui est l’intérêt général. A travers cette mission de consultation sur les chances de succès des pourvois en cassation, les avocats aux conseils contribuent à la bonne administration de la justice et permette d’éviter d’encombrer inutilement les juridictions suprêmes, ici la cour de cassation, avec des pourvois dont on saurait par avance qu’ils sont voués à l’échec. Ils ont de ce point de vue un rôle de premier filtre et ils jouent pleinement leur rôle d’auxiliaire de justice.

L’avocat aux conseils et le processus décisionnel
La première question que se pose l’avocat aux conseils lorsqu’il est saisi d’un nouveau dossier c’est le délai de pourvoi, c’est-à-dire puis-je encore former un pourvoi et le cas échéant, jusqu’à quelle date. C’est le premier temps du dossier. Le délai est de 2 mois à compter de la signification par huissier de justice, généralement de l’arrêt de la cour d’appel. Le délai étant identifié, l’avocat aux conseils dépose un pourvoi qui interrompt le délai de pourvoi.
Le pourvoi étant déposé s’ouvre le 2e temps du dossier et le 2e délai. C’est le délai du mémoire ampliatif. Mémoire dans lequel seront développés les moyens de cassation à l’appui du pourvoi. Ce délai est de 4 mois à partir du dépôt du pourvoi. Une fois le mémoire ampliatif déposé, s’ouvre le temps de la défense et le délai imparti à l’avocat constitué en défense pour présenter ses observations à l’encontre du pourvoi. Le délai de mémoire en défense est de 2 mois à compter de la signification du mémoire ampliatif. Une fois les mémoires déposés par les avocats, s’ouvre ensuite le temps de l’instruction du dossier, principalement à la charge de la juridiction dans l’instruction du dossier. L’avocat aux conseils continue à jour un rôle dans cette phase juridictionnelle car la Cour de cassation est en train de mettre en place de manière formalisée des parcours différencies de l’examen des pourvois avec 3 circuits.
Un circuit court pour les affaires les plus simples avec le dépôt d’un rapport assez succinct qui sera déposé à l’avocat
Le circuit long pour les affaires présentant des difficultés juridiques particulières ou des questions de droit nouvelles ou d’intérêt sociétal.
Et le circuit intermédiaire pour les affaires ne rentrant ni dans le premier ni dans le deuxième de ces circuits.
L’avocat aux conseils joue un rôle dans le cadre de l’instruction du dossier puisque lorsque le dossier lui parait mal orienté dans un circuit court, il peut signaler la mauvaise orientation de son dossier au conseiller rapporteur et aux membres de la juridiction. En ce qui concerne les circuits longs, l’avocat aux conseils peut aussi agir en amont en signalant le dossier comme étant d’une importance particulière. il peut aussi intervenir dans le cadre de l’instruction une fois la séance d’instruction passée en prenant langue directement avec l’avocat général. Il peut enfin en aval plaider l’affaire qui mérite de passer à cette dernière phase avec l’intervention de l’avocat.
Devant la Cour de cassation comme devant toutes les juridictions, l’affaire se termine par une audience. Devant la Cour de cassation, la procédure est essentiellement écrite ce qui fait que toutes les affaires ne sont pas plaidées à part devant l’assemblée plénière et les chambres mixtes. Les affaires passant en circuit long seront sans doute une nouvelle occasion pour les avocats de plaider l’affaire.
Une fois les plaidoiries passées, la dernière étape est la décision. Une fois la décision rendue, l’avocat aux conseils joue encore un rôle en transmettant la décision au client en la lui expliquant. En cas de cassation avec renvoi lui indiquer et lui expliquer la saisine de la Cour d’appel de renvoi. Et aussi des questions d’exécution à régler puisque la décision de la Cour de cassation peut mettre à la charge de la partie perdante une indemnité de procédure. L’avocat aux conseils tente un règlement amiable, il commande une expédition exécutoire et peut ensuite conseiller la saisine d’un huissier de justice pour un recouvrement forcé.
Le parcours dure ainsi en moyenne une douzaine de mois entre le dépôt du pourvoi et la décision rendue. Une fois la décision rendue et expliquée au client, la mission de l’avocat est terminée, il n’y a pas de recours contre les décisions de la Cour de cassation, sauf cas particulier d’erreur matérielle ou d’omission de statuer. De manière générale, lorsque la décision est rendue, l’avocat a terminé sa mission.

L’avocat aux conseils face aux évolutions
La Cour de cassation a été la première juridiction suprême européenne a dématérialisé totalement sa procédure en matière civile. Cette dématérialisation est le fruit d’une concertation entre la Cour de cassation et l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Cette dématérialisation facilite beaucoup la vie de nos cabinets. Elle facilite tout d’abord le dépôt des actes, des pourvois, des mémoires, et des observations complémentaires. Elle facilite également la communication de ces actes à nos confrères adverses puisque on notifie et signifie nos actes de manière dématérialisée et ces actes sont signés également de manière électronique
Elle facilite également le suivi de la procédure puisqu’on peut suivre en temps réel le suivi de la procédure, la désignation du conseiller rapporteur, de l’avocat général. On peut avoir accès en ligne aux documents établis par les magistrats, que ce soit le rapport, l’avis de l’AG et naturellement l’arrêt qui est prononcé à 14h pile.
Une autre évolution de notre métier qui touche à la teneur même de notre examen c’est la question prioritaire de constitutionnalité. La QPC a été créée en 2010 et a sensiblement modifié notre métier d’avocat aux conseils puisqu’elle nous a offert un moyen de cassation de plus. Nous pouvons intervenir de deux manières pour soutenir une QPC.
Tout d’abord, nous pouvons intervenir au soutien d’une QPC qui a déjà été transmise par le juge du fond à la Cour de cassation, en tant que juge du filtre. Dans cette hypo, on n’invente pas la QPC mais on va consolider l’argumentation juridique développée à son soutien voir mieux la ciblée.
La 2e hypothèse et c’est la plus courante, est celle dans laquelle nous sommes saisi d’un pourvoi et la QPC va alors être un moyen comme les autres. Nous allons examiner l’opportunité d’une telle QPC et la poser dans tous les dossiers qui s’y prêtent. Nous avons pu dans le cas de l’ensemble de nos cabinets poser des QPC très diverses. Par exemple en matière pénale, on pense à la célèbre QPC sur la garde à vue sans l’assistance d’un avocat et sans que le droit au silence ne soit respecté. En matière pénale et de façon plus récente, on pense également au recours à la visioconférence sans le consentement la personne. En matière civile, par exemple le recours aux tests osseux pour déterminer l’âge e la personne.
Si la QPC est renvoyé au Conseil constitutionnel, nous pouvons également être amenés à intervenir devant le Conseil constitutionnel.
Enfin la dernière évolution concernant notre métier est l’évolution concernant l’examen de la conformité de la loi aux normes supranationales. On pense au droit de l’union européenne et aux autres conventions internationales.
S’agissant tout d’abord du droit de l’UE, le développement de l’UE nous a conduit à développer de nombreux moyens tirés de la méconnaissance du droit de l’Union. Récemment, on peut prendre l’exemple du droit social où nous avons pu développer de très nombreux moyens tirés de la méconnaissance du droit de l’Union, notamment sur le temps de travail.
Nous n’hésitons pas à poser une question préjudicielle si nous considérons que l’interprétation du droit de l’Union pose une question sérieuse. Si une telle question est renvoyée devant la Cour de Luxembourg, nous pouvons intervenir pour présenter des observations sur cette question.
S’agissant des autres conventions internationales, on pense principalement à la Convention européenne des droits de l‘homme. La jurisprudence de la Cour de Strasbourg nous a conduit à développer de plus en plus fréquemment des moyens d’inconventionnalité au regard de cette Convention. Par exemple, sur la méconnaissance du droit au procès équitable, sur le droit au respect de la vie privée et familial, ou encore sur le droit de propriété avec la jurisprudence sur les expulsions.
Depuis récemment, le protocole n°16 nous permet également de suggérer à la Cour de cassation de faire une demande d’avis auprès de la Cour de Strasbourg lorsqu’il existe une question délicate d’application de la convention. La Cour de cassation a pu le faire par exemple pour la gestation pour autrui.
Lorsqu’un pourvoi est rejeté, nous sommes très fréquemment saisis de la question de savoir s‘il est possible de saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Très souvent, les justiciables pensent que leur procès doit pouvoir être totalement rejugé grâce à la saisine de la Cour de Strasbourg. Très régulièrement, nous sommes amenés à les décevoir malheureusement en leur disant que ce ne sera pas le cas, sauf en certaines matières, mais qu’on pourra demander seulement une condamnation de l’Etat français, et seulement dans certains cas si on peut invoquer des griefs pertinents. Dans la plupart des cas, nous les dissuadons parce que les griefs sont soit irrecevables soit mal fondés. Mais dans un certain nombre de cas, nous pouvons être amenés à leur conseiller de saisir la Cour quand on a des griefs pertinents à faire valoir, sur des sujets très variés comme la procédure, par exemple le droit au recours effectif, ou à des questions de fond, par exemple des cas de violence policière.
Nous sommes amenés nous-mêmes à saisir fréquemment la Cour européenne des droits de l’homme d’une requête et à suivre toute la procédure et le cas échéant, si l’affaire est plaidée, à assurer l’audience devant la Cour.

La question prioritaire de constitutionnalité - Présentée par Nicolas Bonnal, doyen à la chambre criminelle

La création de la question prioritaire de constitutionnalité représente, en France, une véritable révolution juridique.

C'est la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui l'introduite dans notre Constitution. Jusque-là, ce principe fondateur de l'Etat de droit qu'est le respect de la hiérarchie des normes était, pour ce qui concerne la conformité des lois à la Constitution, assuré seulement par un contrôle a priori, entre le vote de la loi et sa promulgation, à l'initiative notamment de 60 députés ou sénateurs, généralement de l’opposition. De sorte qu'on pouvait envisager qu'une unanimité politique se fasse sur un texte non conforme à la Constitution, que la loi soit votée, qu'elle ne soit pas déférée au juge constitutionnel français, le Conseil constitutionnel, et qu'elle entre en vigueur, malgré ce caractère non conforme.

Les juges français, qui se sont, depuis 1975 (s'agissant de la Cour de cassation), reconnus compétents pour apprécier la conformité de la loi aux engagements internationaux de la France, droit de l'Union européenne et Convention européenne des droits de l’homme, pour l'essentiel, n'exerçaient paradoxalement pas un pareil contrôle à l'égard de la Constitution elle-même, pourtant placée au sommet de la hiérarchie des normes.

Cette loi constitutionnelle de 2008 a introduit dans la Constitution un nouvel article 61-1 ainsi rédigé :

« Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. »

Bien sûr, une loi organique et plusieurs autres textes sont venus organiser la procédure, mais l'essentiel est contenu dans l'article constitutionnel :
- il ne s'agit plus d'un contrôle a priori, mais bien d'un contrôle a posteriori, dans le cadre d'une procédure en cours devant une juridiction, et à l'initiative d'une des parties à la procédure,
- toutes les dispositions législatives, sans autre condition que d'être une loi, sont susceptibles d'être concernées,
- la norme de référence, ce n'est pas toute la Constitution et notamment pas ses règles établissant les compétences particulières des pouvoirs publics, mais spécialement les droits et libertés que celle-ci garantit : c'est donc le bloc de constitutionnalité résultant du préambule de la Constitution, et incluant la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946, mais aussi la Charte de l'environnement, qui seront le plus souvent mobilisés,
- le contrôle de la conformité de la loi à ces droits et libertés constitutionnellement garantis, c'est le Conseil constitutionnel seul qui va l'effectuer,
- enfin, les deux cours suprêmes des deux ordres juridictionnels français, l'ordre administratif et l'ordre judiciaire, sont seules compétentes pour le saisir.

Cette nouvelle possibilité offerte aux justiciables est entrée en vigueur le 1er mars 2010. En douze années, le Conseil constitutionnel a été saisi d'environ mille questions prioritaires de constitutionnalité. Et à de nombreuses reprises, il a jugé contraires à la Constitution des dispositions législatives, qu'il a donc abrogées.

Quelle est la procédure qui permet d'aboutir à un tel résultat ?

Je vais prendre l'exemple des juridictions de l'ordre judiciaire, mais tout ce qui les concerne peut être transposé aux juridictions de l'ordre administratif. Et, comme le prévoit la Constitution, dans chaque ordre de juridiction, seule la juridiction suprême est autorisée à transmettre une question au Conseil constitutionnel. Ce que je dirai pour la Cour de cassation vaudra donc aussi pour le Conseil d'Etat.

Mais commençons par le commencement. L'initiative de la question prioritaire de constitutionnalité est toujours celle d'une partie à un procès en cours, devant toute juridiction civile ou pénale (à l'exception de la cour d'assises, s'agissant des juridictions pénales). Cela veut dire que le juge ne peut, d'office, décider de poser une question.

Il doit être statué sur cette question avant toute autre décision à rendre dans le litige. C'est pour cette raison que la question de constitutionnalité est désignée comme prioritaire. S'il dit qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question à la Cour de cassation, le juge peut trancher le litige immédiatement. Sa décision refusant de transmettre la question n'est en effet pas susceptible de recours. En revanche, la même question pourra être à nouveau posée devant la juridiction d'appel ou de cassation, en cas d'exercice des voies de recours contre la décision rendue au fond.

La Cour de cassation est le point de passage obligé : le juge ne peut transmettre une question directement au Conseil constitutionnel. Il la transmet, s'il estime les conditions réunies, à la Cour de cassation, qui décidera de son éventuel renvoi au Conseil constitutionnel, comme elle décide sur le renvoi des questions qui sont directement posées devant elle, dans le cours de l'examen d'un pourvoi.

Si le juge décide de transmettre la question à la Cour de cassation, il doit surseoir à statuer sur le litige, dans l'attente de sa décision, puis de celle du Conseil constitutionnel, si la question lui est renvoyée par la Cour de cassation. Il y a cependant des exceptions à cette règle, pour permettre au juge de statuer en cas d'urgence. Ainsi, en matière pénale, le juge ne peut surseoir à statuer lorsqu'une personne est détenue à raison de l'instance dans le cadre de laquelle il renvoie la question.

Si le sursis à statuer est la règle, c'est évidemment en raison des conséquences que la décision de la Cour de cassation ou du Conseil constitutionnel pourra avoir sur l'issue du litige. La procédure est, en tout état de cause, enfermée dans des délais précis : à compter de la réception du jugement lui transmettant la question, la Cour de cassation a trois mois pour statuer, et décider si elle la renvoie ou non au Conseil constitutionnel. Et, en cas de renvoi, le Conseil constitutionnel doit lui-même statuer dans les trois mois.

Lorsqu'une question prioritaire de constitutionnalité lui a été transmise par une juridiction, la Cour de cassation va jouer le rôle de filtre qui lui est assigné par la Constitution, et elle ne va transmettre que les questions qu'elle estime sérieuses. J'y reviendrai.

A tous les stades, le débat sur la question, qui se tient selon les règles propres à la juridiction qui en est saisie, est contradictoire. Chaque partie doit être mise en mesure de donner son avis sur la nécessité de transmettre ou non la question, avant que le juge ne décide.

Sur quels critères la décision est-elle prise ?

La première condition est que soit concernée une disposition législative. Ce critère ne pose que rarement difficulté. Au contraire, il est entendu largement.

Il peut, en effet, aussi être soutenu qu'un texte de loi n'est pas conforme à la Constitution, non pas en ce qu'il prévoit quelque chose, mais en ce qu'il ne le prévoit pas. C'est un grief d'incompétence négative qui est fait au législateur.

Dans le même ordre d'idée, le Conseil constitutionnel admet que le grief d'inconstitutionnalité ne soit pas adressé à la loi elle-même, mais à son interprétation jurisprudentielle par une des deux Cours suprêmes. Cela peut mettre cette Cour dans la situation d'apprécier si sa propre jurisprudence peut se voir sérieusement reprocher d'être contraire à la Constitution, ce qui n'est pas un exercice facile, mais un exercice qu'elle doit faire.

C'est ainsi que la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel l'article 544 du code civil, en ce qu'elle déduisait du caractère absolu du droit de propriété qu'il prévoit que toute occupation irrégulière du terrain d'autrui constituait un trouble manifestement illicite et devait conduire le juge des référés à ordonner l'expulsion des occupants sans droits ni titres, sans que les conditions de cette occupation puissent être prises en compte3.

Une autre condition tout aussi importante, pour permettre la saisine du Conseil constitutionnel, est que le texte dont il est soutenu par la question qu'il est contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution soit applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites. On ne peut pas poser, en effet, n'importe quelle question portant sur n'importe quel texte à l'occasion de n'importe quel litige. Ce critère est d'autant plus étroitement contrôlé par la Cour de cassation qu'en cas de renvoi, il n'est plus discuté devant le Conseil constitutionnel, qui s'en remet à l'appréciation du juge du filtre. Il doit s'agir d'une disposition législative qui permet de trancher le litige, qu'elle en constitue le fondement, qu'elle règle la procédure devant le juge saisi, ou la compétence de celui-ci, qu'elle ait été invoquée par les parties, ou appliquées par la juridiction.

Il revient encore au juge de contrôler que la disposition critiquée n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, ce qui, compte tenu du nombre des saisines de celui-ci, peut se poser.

Néanmoins, la loi réserve la possibilité d’un changement de circonstances, qui autorise le Conseil constitutionnel a examiné à nouveau la constitutionnalité d’un texte qu’il avait précédemment examiné dans le cadre d’un contrôle a priori. Là encore, il appartient au juge et notamment au juge du filtre - à la Cour de cassation -, de vérifier l’existence de ce changement de circonstances, en fait ou en droit. Ce changement de circonstances peut résulter, par exemple, de l’extraordinaire développement du recours à la procédure de garde à vue en 20 ans, entre le contrôle a priori du Conseil constitutionnel dans des dispositions sur la présence d’un avocat pendant la garde à vue et 2011, où la Cour de cassation a décidé de transmettre une question sur ce même texte, en raison du changement de circonstances résultant du développement de la procédure de garde à vue.

Ces conditions sont les mêmes devant les juges du fond et devant la Cour de cassation.

Quel est le rôle particulier de la Cour de cassation en tant que juge du filtre ?

Pour éviter, en effet, que le Conseil constitutionnel soit submergé de questions, plus ou moins pertinentes, la procédure prévoit un examen préalable, qui peut donc être à deux étages, lorsque la question est posée devant un juge du fond, soit à un seul étage, lorsqu'elle est posée directement devant la Cour de cassation. De façon assez contre intuitive, c'est d'ailleurs cette seconde situation, de la question posée directement devant la Cour de cassation, qui est la plus fréquente, et représente presque deux tiers des questions examinées par la Cour, contre seulement un tiers pour les questions qui lui sont transmises par les juridictions.

Le juge du fond doit pourtant seulement examiner si la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. Le niveau d'exigence est ainsi assez limité.

En revanche, dans le cas où le juge du fond, au terme de son examen, a retenu que la question n'était pas dépourvue de caractère sérieux, la Cour de cassation, qui reçoit cette question, devra, pour décider si elle va ou non la renvoyer au Conseil constitutionnel, procéder à un examen différent, qui va consister à déterminer si la question, soit est nouvelle, soit présente un caractère sérieux.

Il en est d'ailleurs de même lorsque la question est posée directement devant la Cour de cassation, à l'occasion d'un pourvoi dont elle est saisie. En pareil cas, la Cour de cassation constitue le seul filtre, avant saisine du Conseil constitutionnel, et il est donc logique qu'elle doive immédiatement appliquer le tamis le plus fin.

Les développements qui suivent concernant seulement le critère du caractère sérieux, le plus opérant.

Apprécier le sérieux d'une question prioritaire de constitutionnalité, c'est inévitablement, mais évidemment avec prudence et sans se substituer à lui, appliquer les mêmes critères que ceux que le Conseil constitutionnel applique, et d'une certaine façon, se comporter comme le premier juge de la conformité du texte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Il revient donc à la Cour de cassation d'examiner, au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et des conséquences qu'il a déjà tirées des droits et libertés garantis par la Constitution qui sont invoqués par la question, si le texte législatif est sérieusement susceptible d'encourir les critiques qui sont formées par la question.

La Cour de cassation est ainsi, pour prendre un exemple tiré de la matière pénale, fréquemment amenée à déterminer si un texte répressif, qui définit une infraction pénale, le fait avec un degré de clarté et de précision suffisant pour satisfaire au principe de la légalité des délits et des peines, qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Si elle estime que oui, elle jugera, selon une formule consacrée, que les éléments constitutifs de l'infraction considérée sont définis de façon suffisamment claire et précise pour que l'interprétation du texte, qui entre dans l'office du juge pénal, puisse se faire sans risque d'arbitraire6. Si elle juge, au contraire, que tel n'est pas le cas, alors il lui appartient de renvoyer la question au Conseil constitutionnel, comme elle l'a fait7 du délit de harcèlement sexuel, tel qu'il était défini par la loi du 17 janvier 2002 comme « le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle », renvoi qui a abouti, pour cette même raison, à son abrogation immédiate par le Conseil constitutionnel8.

Ce rôle de juge du filtre, qui participe au contrôle de constitutionnalité, sans se substituer au Conseil constitutionnel, est délicat, puisqu'il ne lui revient pas de trancher la question, mais seulement d'apprécier son sérieux. C'est pour la Cour de cassation une responsabilité nouvelle et passionnante. Et qui constitue pour elle une réelle charge de travail, dès lors qu'elle a été saisie de près de 4 500 questions en douze années. Il faut noter qu'un peu moins de la moitié de ces questions ont été posées en matière pénale, et traitées par la seule chambre criminelle.

Le pourcentage des questions transmises au Conseil constitutionnel tournait autour de 15 % entre 2010 et 2019. En 2021, il a augmenté, puisque 27 % des questions posées en matière pénale ont été renvoyées au Conseil constitutionnel et 19 % des questions en matière civile.

Un dernier mot sur l'articulation entre question prioritaire de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité.

On l'a compris, le rôle de la Cour de cassation n'est pas le même dans ces deux contrôles, pourtant également effectués au regard des droits fondamentaux. Si, en matière constitutionnelle, elle ne constitue qu'une étape, qui ouvre la voie à une décision qui revient au seul Conseil constitutionnel, c'est en revanche à elle, après les juges du fond, qu'il appartient de contrôler la conventionnalité des lois, comme elle le fait depuis maintenant près de 50 années.

Et, quelque prioritaire que soit le contrôle de constitutionnalité, il peut arriver qu'avant que le Conseil constitutionnel ait statué ou avant que sa décision soit effective, il incombe à la Cour de cassation de trancher un moyen d'inconventionnalité dont elle est saisie.

Cela peut se produire dans deux situations.

D'abord, essentiellement en matière pénale, lorsque la Cour de cassation ne peut surseoir à statuer, parce qu'elle est, par exemple, saisie en matière de détention provisoire à l'égard d'une personne détenue, matière où un délai de trois mois pour statuer lui est imposé par la loi. Ainsi, tout en transmettant au Conseil constitutionnel en juillet 20209 une question portant sur l'insuffisance du code de procédure pénale à garantir la prise en compte dans le cadre du contentieux de la détention provisoire du caractère indigne des conditions de détention, elle a dû, dans le même temps, statuer sur la conformité de ce silence aux exigences de la Convention européenne des droits de l'homme, alors même que la France venait précisément d'être condamnée pour ce manquement par la Cour de Strasbourg. Elle a donc, sans attendre la décision du Conseil constitutionnel, modifié sa jurisprudence et imposé au juge saisi, à l'occasion d'une demande de mise en liberté, d'un moyen tenant au caractère indigne des conditions de détention, susceptible de constituer un traitement inhumain ou dégradant prohibé par la Convention, de l'examiner et après avoir, si nécessaire, fait procéder aux vérifications nécessaires, d'en tirer éventuellement les conséquences par une remise en liberté10.

Elle peut être également conduite à devancer le Conseil constitutionnel, même lorsqu'elle peut surseoir à statuer, lorsque celui-ci a différé les effets de sa déclaration d'inconstitutionnalité, en laissant un délai au législateur pour modifier la loi et en prévoyant que, pendant ce délai, aucune conséquence ne pourrait être tirée de cette inconstitutionnalité. Cependant, saisie d'un moyen parallèle d'inconventionnalité du texte, la Cour de cassation ne peut attendre et doit statuer, quitte à anticiper, au nom du droit européen, sur le calendrier voulu par le Conseil constitutionnel. C'est notamment ce qu'elle s'est résolue à faire en matière de garde à vue, en jugeant, par plusieurs arrêts du 15 avril 201111, que l'absence d'assistance d'un avocat dès le début de la mesure et pendant les interrogatoires entachait la procédure de nullité, alors même que le Conseil constitutionnel, qu'elle avait saisi de la question12 et qui était arrivé à la même conclusion, avait différé les effets de sa décision de non-conformité au 1er juillet 201113.

Par cette procédure, la Cour de cassation est donc, encore plus que par le passé, au coeur du contrôle du respect des droits fondamentaux. Ce qu'il est convenu d'appeler le dialogue des juges, qu'elle menait déjà avec les Cours européennes, Cour de justice de l'Union européenne et Cour européenne des droits de l'homme, elle le conduit désormais, à sa place de filtre, avec le Conseil constitutionnel. C'est passionnant, parfois complexe, pour le juge comme pour les justiciables, mais toujours au service de l'Etat de droit.

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