Numéro 11 - Novembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2023

BOURSE

Com., 8 novembre 2023, n° 21-18.318, (B), FS

Cassation partielle partiellement sans renvoi

Autorité des marchés financiers (AMF) – Voies de recours – Décision – Décision de la commission des sanctions – Recours principal de la personne sanctionnée – Délai – Principe de l'égalité des armes – Net désavantage

Autorité des marchés financiers (AMF) – Offre publique volontaire – Définition

A l'exclusion de celle faite par la société visée, toute offre faite volontairement et publiquement aux détenteurs d'instruments financiers par une personne, agissant seule ou de concert au sens des articles L. 233-10 ou L. 233-10-1 du code de commerce, pour acquérir tout ou partie de ces instruments financiers, constitue, dès lors qu'elle suit ou a pour objectif l'acquisition du contrôle de la société visée, une offre publique volontaire soumise aux dispositions d'ordre public du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (AMF) relatives aux offres publiques.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Prologue du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [L] et la société Le Quotidien de [Localité 4].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 avril 2021), par un communiqué du 2 octobre 2014, la société Prologue, dont les titres sont admis aux négociations sur le marché réglementé Euronext [Localité 4], a annoncé qu'elle étudiait un projet d'offre publique d'échange (OPE) portant sur les actions de la société O2i, admises aux négociations sur le système multilatéral de négociation Alternext [Localité 4], devenu Euronext Growth, sur la base d'une parité de trois actions Prologue pour deux actions O2i.

3. Le 9 décembre 2014, la société Prologue a déposé auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF) un projet d'OPE visant la totalité des actions, des obligations convertibles en actions et des bons de souscription et/ou d'acquisition d'actions remboursables de la société O2i.

Le 2 avril 2015, l'AMF a publié une décision de non-conformité de ce projet, fondée notamment sur le fait que l'expert indépendant désigné avait conclu que les conditions financières de ce projet, en particulier la parité d'échange proposée, n'étaient pas équitables pour les porteurs de titres O2i.

Le même jour, la société Prologue a publié un communiqué de presse dans lequel elle annonçait avoir pris connaissance de cette décision et avoir décidé de former un recours contre celle-ci, et rappelait « à tous les autres actionnaires et porteurs d'obligations convertibles en actions O2i qu'ils [avaie]nt la possibilité de signer avec elle des traités individuels d'apport en nature, et ce, conformément aux intentions affichées depuis le mois de novembre 2014 ».

4. Le 10 avril 2015, la société Prologue a publié sur son site internet un encart rappelant la possibilité pour les actionnaires de la société O2i « d'apporter leurs titres O2i à Prologue et de se voir attribuer des actions Prologue nouvelles à raison de 3 actions Prologue pour 2 titres O2i » et précisant « à toutes fins utiles que Prologue se réserv[ait] la faculté, le cas échéant, de ne pas donner suite à ces sollicitations, notamment si les participations dont l'apport lui [était] proposé [étaient] de petite taille ». Entre le 8 avril et le 25 septembre 2015, la société Prologue a signé dix-huit traités d'apport correspondant au total à environ 3,5 millions de titres O2i.

Au 25 septembre 2015, la société Prologue a déclaré détenir 45,95 % du capital social de la société O2i.

5. Le 18 septembre 2018, le collège de l'AMF a notifié trois griefs à la société Prologue, lui reprochant :

 - d'avoir, en méconnaissance des dispositions des articles L. 433-1 du code monétaire et financier et 231-13, 231-21, 231-23 et 231-32 du règlement général de l'AMF, porté atteinte aux règles de fonctionnement des offres publiques en mettant en oeuvre une offre publique dans des conditions de transaction identiques à celles contenues dans le projet d'offre soumis au visa de l'AMF, alors que l'offre ne pouvait être ouverte à défaut d'avoir obtenu une déclaration de conformité (premier grief) ;

 - d'avoir, en méconnaissance des dispositions des articles L. 433-1 du code monétaire et financier et 231-3 du règlement général de l'AMF, porté atteinte aux principes généraux des offres publiques d'acquisition en sollicitant publiquement, à compter du 2 avril 2015, les actionnaires de la société O2i afin de réaliser une offre dans des conditions de transaction pour lesquelles l'AMF avait, le même jour, rendu une décision de non-conformité et en ne prévoyant pas de limite de temps à cette offre qui a proposé au public un prix fixe liant les cours des actions Prologue et O2i sur une période d'environ six mois, s'étant ainsi sciemment affranchie du cadre réglementaire destiné à garantir les principes d'intégrité du marché et de loyauté des transactions, ainsi qu'en proposant publiquement, à compter du 10 avril 2015, des conditions d'offre permettant de faire une discrimination entre les actionnaires de la société O2i, portant ainsi atteinte au principe d'égalité de traitement entre ces actionnaires (deuxième grief) ;

 - d'avoir, en méconnaissance des dispositions des articles L. 412-1 du code monétaire et financier et 212-1 et 212-2 du règlement général de l'AMF, procédé à l'admission sur Euronext de ses titres, sans avoir préalablement établi un projet de prospectus et l'avoir soumis au visa de l'AMF au plus tard le 25 septembre 2015 (troisième grief).

6. Par une décision n° 20 du 31 décembre 2019, la commission des sanctions de l'AMF (la commission des sanctions) a considéré que les deux premiers griefs n'étaient pas établis et a prononcé, au titre du troisième, une sanction pécuniaire de 150 000 euros à l'encontre de la société Prologue.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. La société Prologue fait grief à l'arrêt de réformer la décision de la commission des sanctions n° 20 du 31 décembre 2019 en ce qu'elle a dit que les griefs formulés à son encontre relatifs à l'atteinte portée aux règles de fonctionnement des offres publiques et aux principes généraux des offres publiques d'acquisition n'étaient pas caractérisés et lui a infligé une sanction de 150 000 euros et, statuant à nouveau sur ces points, de dire établis ces deux griefs à son encontre et de prononcer une sanction pécuniaire de 750 000 euros, alors :

« 1°/ qu'en dehors de l'hypothèse d'une offre publique obligatoire, la proposition, non irrévocable, faite aux actionnaires d'une société cotée de conclure des transactions de gré à gré portant sur l'échange de leurs titres n'est pas soumise à la réglementation relative aux offres publiques, quand bien même elle serait présentée publiquement et comme une alternative à un projet d'offre publique déposé auprès de l'AMF et déclaré non conforme par cette dernière ; que la cour d'appel a constaté que le dépôt d'une offre publique par la société Prologue n'était pas obligatoire ; qu'en jugeant toutefois que la proposition faite aux actionnaires de la société O2i, par le communiqué de la société Prologue du 2 avril 2015, de signer des traités individuels d'apport en nature devait être soumise au régime des offres publiques, parce qu'elle revêtait un caractère public, répondait à la même finalité et reposait sur la même parité d'échange que l'offre publique d'échange déposée le 9 décembre 2014, déclarée non conforme par l'AMF, la cour d'appel a violé les articles L. 433-1 et L. 433-3 du code monétaire et financier et les articles 231-1 et suivants du règlement général de l'AMF ;

2°/ que l'offre publique d'échange, soumise à la réglementation boursière, est une procédure spécifique, dont la mise en oeuvre est subordonnée à l'autorisation préalable de l'AMF, dans le cadre de laquelle une personne s'engage publiquement, de manière irrévocable et pour une certaine durée, à échanger les titres des actionnaires d'une société cotée contre d'autres titres cotés, selon certaines modalités déterminées ; que la commission des sanctions avait ainsi jugé que les circonstances que, à la différence du projet d'offre publique d'échange déposé le 9 décembre 2014, la proposition présentée dans le communiqué de la société Prologue du 2 avril 2015 portait sur la conclusion de traités individuels librement négociés entre les parties signataires, et non sur un échange devant être réalisé de manière automatique par centralisation des ordres, et ne présentait pas un caractère irrévocable, la société Prologue s'étant au contraire expressément réservé la possibilité de ne pas donner suite à des sollicitations, excluaient que cette proposition constitue une offre publique ; qu'en retenant, au contraire, que « la circonstance que certaines modalités de mise en oeuvre de l'échange de titres litigieux ne respectent pas les contraintes auxquels était soumis le projet de note d'information relative au projet d'OPE soumis à l'AMF » ne pouvait suffire à « le faire échapper à une réglementation relevant d'un ordre public économique de direction » et que les motifs retenus par la commission des sanctions étaient donc inopérants, la cour d'appel, qui a à tort déduit l'applicabilité de la réglementation de sa prétendue méconnaissance, a violé l'article L. 433-1 du code monétaire et financier et les articles 231-1 et suivants du règlement général de l'AMF ;

3°/ que la proposition faite aux actionnaires d'une société cotée de conclure des transactions de gré à gré portant sur leurs titres ne peut être considérée comme visant à contourner la réglementation sur les offres publiques lorsqu'elle a été conçue et présentée, dès l'origine, comme une alternative au dépôt d'une offre publique volontaire ; que pour démontrer que la proposition figurant dans son communiqué du 2 avril 2015 avait toujours été conçue et présentée comme une alternative au projet d'offre publique d'échange déposé le 9 décembre 2014, la société Prologue s'appuyait non seulement sur le projet de note d'information relative à cette offre publique, mais également sur d'autres documents et communiqués de presse qui avaient été publiés en amont, parmi lesquels l'ordre du jour de son assemblée générale extraordinaire, publié au BALO le 12 décembre 2014, qui évoquait une potentielle augmentation de capital résultant d'un échange des titres O2i contre des actions de la société Prologue « dans le cadre d'apports en nature à la Société et/ou d'une offre publique d'échange initiée par la Société », le plafond de l'augmentation de capital envisagée dans l'un et l'autre cas étant identique, et un communiqué de presse du 30 mars 2015, qui annonçait l'approbation par les actionnaires de la société Prologue d'un projet de rapprochement avec la société O2i « dans le cadre d'une offre publique d'échange (OPE) ou bien par voie d'apports en nature résultant de la signature de traités individuels » ; que c'est notamment en se fondant sur ces éléments que la commission des sanctions de l'AMF avait jugé que le communiqué du 2 avril 2015 « manifestait la poursuite de la possibilité de conclure des traités d'apport de gré à gré, (...) annoncée publiquement dès l'origine » ; que pour décider, au contraire, que le communiqué du 2 avril 2015 « ne constituait pas un rappel de modalités préexistantes », la cour d'appel s'est bornée à retenir que le projet de note d'information relative à l'offre publique « n'avait nullement envisagé la possibilité de généraliser l'acquisition des autres titres O2i, indépendamment du projet d'OPE ou des engagements d'ores et déjà conclus, par le biais d'autres traités d'apport de gré-à-gré » ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si l'existence d'une modalité de rapprochement alternative par le biais de transactions de gré à gré ne ressortait pas d'autres documents et communiqués de presse qui avaient été publiés avant la décision de non-conformité de l'AMF, la cour d'appel a privé sa décision de base légale, au regard de l'article L. 433-1 du code monétaire et financier et des articles 231-1 et suivants du règlement général de l'AMF ;

4°/ que le projet de note d'information relative à l'offre publique d'échange, produit devant la cour d'appel, rappelait que deux actionnaires de la société O2i avaient conclu le 8 décembre 2014 des traités individuels avec la société Prologue en vue de lui apporter en nature l'intégralité des actions O2i qu'ils détenaient, puis indiquait que la société Prologue envisageait de « proposer la réalisation de tels Apports en Nature à l'ensemble des actionnaires d'O2i ayant conclu des Traités d'Apport et qui souhaiteraient lui transférer la propriété de leurs actions O2i, indépendamment de la question de savoir si le seuil de caducité visé à l'article 231-9 du règlement général de l'AMF serait atteint ou pas » ; qu'il était précisé que le terme conventionnellement défini d' « Apports en Nature » (initiales en majuscules), regroupait les apports consentis dans le cadre des traités du 8 décembre 2014, ainsi que « tout autre apport en nature résultant de la signature d'un Traité d'Apport par des actionnaires d'O2i » ; qu'il résultait donc des termes clairs et précis de ce projet de note d'information que la société Prologue y envisageait la conclusion de traités individuels avec l'ensemble des actionnaires de la société O2i, et non uniquement avec les deux personnes qui avaient déjà signé leurs contrats ; qu'en retenant, au contraire, qu'il se déduisait du projet de note d'information, dont le rapport du rapporteur avait rappelé les principaux termes de manière simplifiée, que le projet d'offre publique « n'avait nullement envisagé la possibilité de généraliser l'acquisition des autres titres O2i, indépendamment du projet d'OPE ou des engagements d'ores et déjà conclus, par le biais d'autres traités d'apport de gré à gré », la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce projet de note d'information et ainsi violé l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »

Réponse de la Cour

9. En premier lieu, aux termes de l'article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2004/25/CE du Parlement Européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d'acquisition, aux fins de cette directive, on entend par « offre publique d'acquisition » ou « offre » : « une offre publique (à l'exclusion d'une offre faite par la société visée elle-même) faite aux détenteurs des titres d'une société pour acquérir tout ou partie desdits titres, que l'offre soit obligatoire ou volontaire, à condition qu'elle suive ou ait pour objectif l'acquisition du contrôle de la société visée selon le droit national ».

10. Aux termes de l'article L. 433-1, I, du code monétaire et financier, issu de la loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 ayant transposé la directive susvisée, « [a]fin d'assurer l'égalité des actionnaires et la transparence des marchés, le règlement général de l'Autorité des marchés financiers fixe les règles relatives aux offres publiques portant sur des instruments financiers émis par une société dont le siège social est établi en France et qui sont admis aux négociations sur un marché réglementé français. »

11. Selon l'article 231-1, 1, du règlement général de l'AMF, le Titre III du Livre II de ce règlement, consacré aux offres publiques d'acquisition, s'applique notamment à toute offre faite publiquement aux détenteurs d'instruments financiers négociés sur un marché réglementé d'un État membre de l'Union européenne, y compris la France, pour laquelle l'AMF est l'autorité compétente dans le cas prévu au I de l'article L. 433-1 du code monétaire et financier, par une personne agissant seule ou de concert au sens des articles L. 233-10 ou L. 233-10-1 du code de commerce, en vue d'acquérir tout ou partie de ces instruments financiers.

12. En second lieu, les dispositions du règlement général de l'AMF relatives aux offres publiques, qui ont pour objectif, ainsi que l'énonce l'article L. 433-1 du code monétaire et financier, d'assurer l'égalité des actionnaires et la transparence des marchés financiers et poursuivent, dès lors, une finalité d'intérêt général, relèvent de l'ordre public économique de direction.

13. Il résulte des points 9 à 12 qu'à l'exclusion de celle faite par la société visée, toute offre faite volontairement et publiquement aux détenteurs d'instruments financiers par une personne, agissant seule ou de concert au sens des articles L. 233-10 ou L. 233-10-1 du code de commerce, pour acquérir tout ou partie de ces instruments financiers, constitue, dès lors qu'elle suit ou a pour objectif l'acquisition du contrôle de la société visée, une offre publique volontaire soumise aux dispositions d'ordre public du règlement général de l'AMF relatives aux offres publiques.

14. L'arrêt relève qu'après que l'AMF a publié sa décision de non-conformité de l'OPE déposée auprès de celle-ci le 9 décembre 2014 par la société Prologue pour acquérir la totalité des actions, obligations convertibles et bons de souscription et/ou d'acquisition d'actions remboursables de la société O2i, la société Prologue a publié le 2 avril 2015 un communiqué invitant les actionnaires et porteurs d'obligations convertibles de la société O2i qui ne lui avaient pas encore apporté leurs titres, à signer des traités individuels d'apport en nature « conformément aux intentions affichées depuis le mois de novembre 2014 ».

15. De ces constatations, dont il résulte que l'offre de la société Prologue émise publiquement le 2 avril 2015 et qui, visant à obtenir la totalité des instruments financiers de la société O2i ou, du moins, la majorité d'entre eux, avait nécessairement pour objet d'acquérir le contrôle de cette dernière, constituait une OPE volontaire qui, partant, relevait des dispositions d'ordre public du règlement général de l'AMF relatives aux offres publiques, la cour d'appel a exactement déduit que la société Prologue s'était affranchie des règles auxquelles cette OPE volontaire était soumise.

16. Le moyen, inopérant en ses troisième et quatrième branches en ce qu'elles critiquent des motifs surabondants de l'arrêt, n'est donc pas fondé pour le surplus.

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

17. La société Prologue fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son recours incident formé contre la décision de la commission des sanctions de l'AMF n° 20 du 31 décembre 2019, ayant pour objet son annulation concernant le grief tiré de la violation des dispositions des articles L. 412-1 du code monétaire et financier et 212-1 et 212-2 du règlement général de l'AMF et la sanction de 150 000 euros qui lui a été infligée, alors « que la circonstance que la personne sanctionnée ait disposé de quelques jours, après la notification du recours principal du président de l'AMF, pour déposer elle-même un recours principal contre la décision de la commission des sanctions ne saurait suffire à écarter l'atteinte au principe de l'égalité des armes résultant de ce que, à la différence du président de l'AMF, elle est privée de la possibilité de former un recours incident dans un délai de deux mois à compter de la notification du recours principal ; qu'en se fondant pourtant sur le fait que la société Prologue avait « accusé réception de la notification du recours du président de l'AMF le jeudi 5 mars 2020, alors que son propre délai expirait le lundi 9 mars 2020 », et qu'il n'existait donc pas d'obstacle à ce qu'elle dépose une déclaration de recours dans les délais impartis pour écarter une atteinte au principe de l'égalité des armes, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, en violation de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

18. Le principe de l'égalité des armes, tel qu'il résulte de l'exigence d'un procès équitable, au sens de ce texte, requiert que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (CEDH, arrêt du 24 février 1997, De Haes et Gijsels c. Belgique, n° 19983/92, § 53) et il doit en être ainsi, spécialement, du droit à l'exercice des voies de recours.

En matière pénale, les exigences du procès équitable sont plus strictes qu'en matière civile (CEDH, arrêt du 03 octobre 2006, Ben Naceur c. France, n° 63879/00, § 34 ; CEDH, arrêt du 27 octobre 1993, Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, n° 14448/88, § 32).

19. Les condamnations prononcées par la commission des sanctions de l'AMF relèvent de la matière pénale au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

20. Les dispositions de l'article L. 621-30 du code monétaire et financier prévoient la possibilité pour les personnes sanctionnées et le président de l'AMF d'exercer un recours contre les décisions de la commission des sanctions. Si elles ouvrent également au président de l'AMF la possibilité d'exercer un recours incident en cas de recours exercé par la personne sanctionnée, elles ne prévoient pas que celle-ci puisse, dans l'hypothèse d'un recours du président de l'AMF, former un recours incident. Or, le recours tant principal qu'incident du président de l'AMF peut, à la différence de celui de la personne sanctionnée, conduire à une aggravation de la sanction prononcée par la commission des sanctions. Il s'ensuit que lorsque le président de l'AMF exerce son recours peu de temps avant l'expiration du délai de deux mois à compter de la notification de la décision de la commission des sanctions, prévu à l'article R. 621-44 du code monétaire et financier, la personne sanctionnée peut ne plus être en mesure d'en tirer les conséquences quant à l'opportunité de son propre recours principal, en particulier dans l'hypothèse où la décision de la commission des sanctions n'a retenu qu'une partie des griefs notifiés et que le recours du président de l'AMF ne concerne que les griefs qui n'ont pas fait l'objet d'une sanction.

21. La faculté, pour la personne sanctionnée, de présenter, en cas de recours principal du président de l'AMF, des demandes reconventionnelles devant la cour d'appel de Paris, qui dépend des demandes formées par ce dernier dès lors qu'en application de l'article 70 du code de procédure civile les demandes reconventionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant, ne peut, dans ces conditions, à elle seule, suffire à garantir le caractère juste et équitable de la procédure ainsi que l'équilibre des droits des parties.

22. Il résulte des points 18 à 21 que, lorsque le recours principal du président de l'AMF se borne à contester la décision de la commission des sanctions en tant qu'elle a écarté certains griefs, la personne sanctionnée doit, afin que soit garanti le principe de l'égalité des armes, pouvoir encore disposer, à compter de la notification du recours principal du président de l'AMF, d'un délai raisonnable lui permettant d'exercer de manière concrète et efficiente son propre recours principal par lequel elle conteste la décision de la commission des sanctions en tant qu'elle a retenu des griefs à son encontre.

23. Pour déclarer irrecevable le recours formé le 13 mars 2020 et présenté comme incident par la société Prologue, l'arrêt retient que celle-ci a accusé réception de la notification du recours du président de l'AMF le jeudi 5 mars 2020, alors que le délai dont elle-même disposait encore expirait le lundi 9 mars 2020 et que le recours principal exercé par le président de l'AMF le 3 mars 2020 « portant sur les seules dispositions relatives aux griefs non retenus par la commission des sanctions et leur sanction » ne faisait donc pas, concrètement, obstacle au dépôt d'une déclaration de recours de la société Prologue dans les délais qui lui étaient impartis pour contester le bien-fondé des griefs retenus contre elle par la commission des sanctions.

24. En se déterminant ainsi, sans rechercher si l'obligation de former, dans le délai de quatre jours, comprenant un samedi et un dimanche, à compter de la notification du recours principal du président de l'AMF, son propre recours principal afin de contester le bien-fondé du grief retenu à son encontre par la commission des sanctions, ne plaçait pas la société Prologue dans une situation de net désavantage par rapport au président de l'AMF et si, par conséquent, le délai pour introduire ce recours ne devait pas être prolongé pour garantir le principe de l'égalité des armes, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

25. En premier lieu, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt qui déclarent irrecevable le recours présenté comme incident par la société Prologue et formé contre la décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers n° 20 du 31 décembre 2019, ayant pour objet son annulation concernant le grief tiré de la violation des dispositions des articles L. 412-1 du code monétaire et financier et 212-1 et 212-2 du règlement général de l'AMF et la sanction de 150 000 euros qui lui a été infligée, entraîne la cassation du chef de dispositif qui prononce une sanction pécuniaire de 750 000 euros à l'encontre de la société Prologue, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

26. En second lieu, après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

27. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond sur la recevabilité du recours formé le 13 mars 2020 par la société Prologue.

28. D'une part, le délai de quatre jours, comprenant un samedi et un dimanche, dont la société Prologue disposait à compter de la notification du recours principal du président de l'AMF pour former son propre recours principal et pouvoir contester le bien-fondé du grief retenu à son encontre par la commission des sanctions, privait cette société d'une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions ne la plaçant pas dans une situation de net désavantage par rapport au président de l'AMF.

29. D'autre part, le recours de la société Prologue formé le 13 mars 2020, soit huit jours seulement après que lui a été notifié le recours principal du président de l'AMF, est intervenu dans un délai raisonnable à compter de cette notification.

30. Il en résulte que ce recours est recevable.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable le recours formé par la société Prologue contre la décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers n° 20 du 31 décembre 2019, ayant pour objet son annulation concernant le grief tiré de la violation des dispositions des articles L. 412-1 du code monétaire et financier et 212-1 et 212-2 du règlement général de l'AMF et la sanction de 150 000 euros qui lui a été infligée, prononce une sanction pécuniaire de 750 000 euros à l'encontre de la société Prologue, et statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 22 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi du chef de la recevabilité du recours formé par la société Prologue le 13 mars 2020 ;

Déclare recevable le recours formé par la société Prologue le 13 mars 2020 contre la décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers n° 20 du 31 décembre 2019, ayant pour objet son annulation concernant le grief tiré de la violation des dispositions des articles L. 412-1 du code monétaire et financier et 212-1 et 212-2 du règlement général de l'AMF et la sanction de 150 000 euros qui lui a été infligée ;

Remet, sur la sanction pécuniaire de 750 000 euros prononcée à l'encontre de la société Prologue, sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Ducloz - Avocat général : M. Douvreleur - Avocat(s) : SCP Melka-Prigent-Drusch ; SCP Ohl et Vexliard -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles L. 233-10 et L. 233-10-1 du code de commerce.

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