Numéro 11 - Novembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2023

RESPONSABILITE DU FAIT DES PRODUITS DEFECTUEUX

1re Civ., 15 novembre 2023, n° 22-21.179, (B), FS

Cassation

Domaine d'application – Rapports avec les autres régimes de responsabilité – Invocation d'un autre régime de responsabilité – Possibilité – Responsabilité délictuelle – Condition – Faute distincte du défaut de sécurité du produit – Cas

Il résulte de l'article 1386-18, devenu 1245-17, du code civil, transposant la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, et de l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 25 avril 2002 (CJCE, arrêt du 25 avril 2002, González Sánchez, C-183/00, point 31), par lequel elle a dit pour droit que la référence, à l'article 13 de la directive, aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, doit être interprétée en ce sens que le régime mis en place par ladite directive n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute, que la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement de l'article 1240 du code civil si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle que le maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 juillet 2022), Mme [Y] [Z] à laquelle a été prescrit du Mediator de 2007 à 2009, a présenté des lésions cardiaques.

Le 7 octobre 2011, elle a saisi le collège d'experts de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) qui, par un avis du 24 avril 2014, a retenu que son dommage était imputable à ce médicament.

Par lettres du 17 juillet et 20 novembre 2014, la société Les Laboratoires Servier, producteur du Mediator (le producteur), a adressé à Mme [Z] des offres d'indemnisation qu'elle a refusées.

2. Les 7 et 8 juillet 2020, Mme [Z] a assigné sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux le producteur qui a opposé la prescription. Elle a mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie qui a sollicité le remboursement de ses débours. Elle a, ensuite, fondé son action sur l'article 1240 du code civil.

Examen du moyen

Sur le moyen pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Madame [Z] fait grief à l'arrêt de dire que son action, initialement fondée sur les articles 1245 et suivants du code civil, ne saurait être poursuivie sur le fondement de l'article 1240 du même code et de la déclarer irrecevable comme prescrite alors « que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, pourvu que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit litigieux, tels la garantie des vices cachés ou la faute ; qu'exposant les prétentions de Madame [Z], les juges du fond ont constaté que le reproche qu'elle adressait aux laboratoires Servier portait sur la carence dolosive du producteur qui, bien que connaissant la dangerosité du Médiator, s'était volontairement abstenu de toute mesure pour en suspendre la commercialisation et avait délibérément maintenu ce produit en circulation ; qu'il en résulte que Madame [Z] se prévalait, devant les juges du fond, d'une faute distincte du simple défaut de sécurité du produit ; qu'en jugeant cependant que tel n'était pas le cas pour lui fermer la voie de la responsabilité pour faute et retenir l'application exclusive de la responsabilité du fait des produits défectueux, les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations et ont, dès lors, violé les articles 1245-17, anciennement 1386-18, et 1240, anciennement 1382, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil :

4. Aux termes du premier de ces textes, transposant l'article 13 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, instaurant une responsabilité de plein droit du producteur au titre du dommage causé par un défaut de son produit, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité.

Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.

5. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la référence, à l'article 13 de la directive, aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle doit être interprétée en ce sens que le régime mis en place par ladite directive n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute (CJCE, arrêt du 25 avril 2002, González Sánchez, C-183/00, point 31).

6. Il en résulte que la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement du second de ces textes, si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle qu'un maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

7. Pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient, d'une part, que l'assignation a été délivrée le 7 juillet 2020, plus de trois ans après la connaissance du dommage acquise à la date de l'avis de l'ONIAM du 24 avril 2014, d'autre part, que la faute reprochée au laboratoire, prise d'un manquement au devoir de vigilance et de surveillance du fait de la commercialisation d'un produit dont il connaissait les risques ou de l'absence de retrait du produit du marché français contrairement à d'autres pays européens, n'est pas distincte du défaut de sécurité du produit, de sorte que la responsabilité délictuelle pour faute ne saurait se substituer au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme Bacache-Gibeili - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier -

Textes visés :

Articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 10 décembre 2014, pourvoi n° 13-14.314, Bull. 2014, I, n° 209 (rejet) ; 1re Civ., 17 mars 2016, pourvoi n° 13-18.876, Bull. 2016, I, n° 68 (rejet), et les arrêts cités.

1re Civ., 15 novembre 2023, n° 22-21.180, (B), FS

Cassation

Domaine d'application – Rapports avec les autres régimes de responsabilité – Invocation d'un autre régime de responsabilité – Possibilité – Responsabilité délictuelle – Condition – Faute distincte du défaut de sécurité du produit – Cas

Il résulte de l'article 1386-18, devenu 1245-17, du code civil, transposant la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, et de l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 25 avril 2002 (CJCE, arrêt du 25 avril 2002, González Sánchez, C-183/00, point 31), par lequel elle a dit pour droit que la référence, à l'article 13 de la directive, aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, doit être interprétée en ce sens que le régime mis en place par ladite directive n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute, que la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement de l'article 1240 du code civil si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle que le maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 juillet 2022), Mme [I] [V], épouse [Y], à laquelle a été prescrit du Mediator de 2004 à 2010, a présenté des lésions cardiaques.

Le 17 septembre 2012, elle a saisi le collège d'experts de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) qui, par un avis du 8 avril 2015, a retenu que son dommage était imputable à ce médicament.

Par lettre du 3 juillet 2015, la société Les Laboratoires Servier, producteur du Mediator (le producteur), a adressé à Mme [Y] une offre d'indemnisation qu'elle a refusée.

2. Le 7 juillet 2020, Mme [I] [Y] et son conjoint, M. [B] [Y], agissant tant en leur nom personnel qu'ès qualités de représentants légaux de leur fils mineur [C] [Y] (les consorts [Y]), ont assigné sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux le producteur qui a opposé la prescription. Ils ont mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie qui a sollicité le remboursement de ses débours. Ils ont, ensuite, fondé leur action sur l'article 1240 du code civil.

Examen du moyen

Sur le moyen pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Les consorts [Y] font grief à l'arrêt de dire que leur action, initialement fondée sur les articles 1245 et suivants du code civil, ne saurait être poursuivie sur le fondement de l'article 1240 du même code et de la déclarer irrecevable comme prescrite alors « que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, pourvu que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit litigieux, tels la garantie des vices cachés ou la faute ; qu'exposant les prétentions des consorts [Y], les juges du fond ont constaté que le reproche qu'ils adressaient aux laboratoires Servier portait sur la carence dolosive du producteur qui, bien que connaissant la dangerosité du Médiator, s'était volontairement abstenu de toute mesure pour en suspendre la commercialisation et avait délibérément maintenu ce produit en circulation ; qu'il en résulte que les consorts [Y] se prévalaient, devant les juges du fond, d'une faute distincte du simple défaut de sécurité du produit ; qu'en jugeant cependant que tel n'était pas le cas pour leur fermer la voie de la responsabilité pour faute et retenir l'application exclusive de la responsabilité du fait des produits défectueux, les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations et ont, dès lors, violé les articles 1245-17, anciennement 1386-18, et 1240, anciennement 1382, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil :

4. Aux termes du premier de ces textes, transposant l'article 13 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, instaurant une responsabilité de plein droit du producteur au titre du dommage causé par un défaut de son produit, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité.

Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.

5. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la référence, à l'article 13 de la directive, aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle doit être interprétée en ce sens que le régime mis en place par ladite directive n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute (CJCE, arrêt du 25 avril 2002, González Sánchez, C-183/00, point 31).

6. Il en résulte que la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement du second de ces textes, si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle qu'un maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

7. Pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient, d'une part, que l'assignation a été délivrée le 7 juillet 2020, plus de trois ans après la connaissance du dommage acquise à la date de l'avis de l'ONIAM du 8 avril 2015, d'autre part, que la faute reprochée au laboratoire, prise d'un manquement au devoir de vigilance et de surveillance du fait de la commercialisation d'un produit dont il connaissait les risques ou de l'absence de retrait du produit du marché français contrairement à d'autres pays européens, n'est pas distincte du défaut de sécurité du produit, de sorte que la responsabilité délictuelle pour faute ne saurait se substituer au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme Bacache-Gibeili - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier -

Textes visés :

Articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 10 décembre 2014, pourvoi n° 13-14.314, Bull. 2014, I, n° 209 (rejet) ; 1re Civ., 17 mars 2016, pourvoi n° 13-18.876, Bull. 2016, I, n° 68 (rejet), et les arrêts cités.

1re Civ., 15 novembre 2023, n° 22-21.174, (B), FS

Cassation

Domaine d'application – Rapports avec les autres régimes de responsabilité – Invocation d'un autre régime de responsabilité – Possibilité – Responsabilité délictuelle – Condition – Faute distincte du défaut de sécurité du produit – Cas

Il résulte de l'article 1386-18, devenu 1245-17, du code civil, transposant la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, et de l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 25 avril 2002 (CJCE, arrêt du 25 avril 2002, González Sánchez, C-183/00, point 31), par lequel elle a dit pour droit que la référence, à l'article 13 de la directive, aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, doit être interprétée en ce sens que le régime mis en place par ladite directive n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute, que la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement de l'article 1240 du code civil si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle que le maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 juillet 2022), Mme [M] [H], à laquelle a été prescrit du Mediator de 2006 à 2008, a présenté des lésions cardiaques.

Le 14 octobre 2011, elle a saisi le collège d'experts de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) qui, par un avis du 21 juillet 2015, a retenu que son dommage était imputable à ce médicament.

Par lettre du 16 octobre 2015, la société Les Laboratoires Servier, producteur du Mediator (le producteur), a adressé à Mme [H] une offre d'indemnisation qu'elle a refusée.

2. Le 7 juillet 2020, Mme [H], sa fille, Mme [G] [I], et sa petite-fille, Mme [P] [I] (les consorts [H]) ont assigné sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux le producteur qui a opposé la prescription. Ils ont mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, qui a sollicité le remboursement de ses débours. Ils ont, ensuite, fondé leur action sur l'article 1240 du code civil.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Les consorts [H] font grief à l'arrêt de dire que leur action ne saurait être poursuivie sur le fondement de l'article 1240 du code civil et de la déclarer irrecevable comme prescrite, alors « que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, pourvu que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit litigieux, tels la garantie des vices cachés ou la faute ; qu'exposant les prétentions des consorts [H], les juges du fond ont constaté que le reproche qu'ils adressaient aux laboratoires Servier portait sur la carence dolosive du producteur qui, bien que connaissant la dangerosité du Médiator, s'était volontairement abstenu de toute mesure pour en suspendre la commercialisation et avait délibérément maintenu ce produit en circulation ; qu'il en résulte que les consorts [H] se prévalaient, devant les juges du fond, d'une faute distincte du simple défaut de sécurité du produit ; qu'en jugeant cependant que tel n'était pas le cas pour leur fermer la voie de la responsabilité pour faute et retenir l'application exclusive de la responsabilité du fait des produits défectueux, les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations et ont, dès lors, violé les articles 1245-17, anciennement 1386-18, et 1240, anciennement 1382, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil :

4. Aux termes du premier de ces textes, transposant l'article 13 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, instaurant une responsabilité de plein droit du producteur au titre du dommage causé par un défaut de son produit, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité.

Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.

5. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la référence, à l'article 13 de la directive, aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle doit être interprétée en ce sens que le régime mis en place par ladite directive n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute (CJCE, 25 avril 2002, González Sánchez, C-183/00, point 31).

6. Il en résulte que la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement du second de ces textes, si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle qu'un maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

7. Pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient, d'une part, que l'assignation a été délivrée le 7 juillet 2020, plus de trois ans après la connaissance du dommage acquise à la date de l'avis de l'ONIAM du 21 juillet 2015, d'autre part, que la faute reprochée au laboratoire, prise d'un manquement au devoir de vigilance et de surveillance du fait de la commercialisation d'un produit dont il connaissait les risques ou de l'absence de retrait du produit du marché français contrairement à d'autres pays européens, n'est pas distincte du défaut de sécurité du produit, de sorte que la responsabilité délictuelle pour faute ne saurait se substituer au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme Bacache-Gibeili - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier -

Textes visés :

Articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 10 décembre 2014, pourvoi n° 13-14.314, Bull. 2014, I, n° 209 (rejet) ; 1re Civ., 17 mars 2016, pourvoi n° 13-18.876, Bull. 2016, I, n° 68 (rejet), et les arrêts cités.

1re Civ., 15 novembre 2023, n° 22-21.178, (B), FS

Cassation

Domaine d'application – Rapports avec les autres régimes de responsabilité – Invocation d'un autre régime de responsabilité – Possibilité – Responsabilité délictuelle – Condition – Faute distincte du défaut de sécurité du produit – Cas

Il résulte de l'article 1386-18, devenu 1245-17, du code civil, transposant la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, et de l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 25 avril 2002 (CJCE, arrêt du 25 avril 2002, González Sánchez, C-183/00, point 31), par lequel elle a dit pour droit que la référence, à l'article 13 de la directive, aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, doit être interprétée en ce sens que le régime mis en place par ladite directive n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute, que la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement de l'article 1240 du code civil si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle que le maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 juillet 2022), Mme [H] [E] à laquelle a été prescrit du Mediator de 2007 à 2009 a présenté des lésions cardiaques.

Le 17 juillet 2012, elle a saisi le collège d'experts de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) qui, par un avis du 8 octobre 2015, a retenu que son dommage était imputable à ce médicament.

Par lettre du 31 décembre 2015, la société Les Laboratoires Servier, producteur du Mediator (le producteur), a adressé à Mme [E] une offre d'indemnisation qu'elle a refusée.

2. Le 7 juillet 2020, Mme [E], son conjoint, M. [W] [E], et leur fille, Mme [S] [K] (les consorts [E]), ont assigné sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux le producteur qui a opposé la prescription. Ils ont mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie qui a sollicité le remboursement de ses débours. Ils ont, ensuite, fondé leur action sur l'article 1240 du code civil.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Les consorts [E] font grief à l'arrêt de dire que leur action, initialement fondée sur les articles 1245 et suivants du code civil, ne saurait être poursuivie sur le fondement de l'article 1240 du même code et de déclarer ainsi leur action irrecevable comme prescrite alors « que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, pourvu que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit litigieux, tels la garantie des vices cachés ou la faute ; qu'exposant les prétentions des consorts [E], les juges du fond ont constaté que le reproche qu'ils adressaient aux laboratoires Servier portait sur la carence dolosive du producteur qui, bien que connaissant la dangerosité du Médiator, s'était volontairement abstenu de toute mesure pour en suspendre la commercialisation et avait délibérément maintenu ce produit en circulation ; qu'il en résulte que les consorts [E] se prévalaient, devant les juges du fond, d'une faute distincte du simple défaut de sécurité du produit ; qu'en jugeant cependant que tel n'était pas le cas pour leur fermer la voie de la responsabilité pour faute et retenir l'application exclusive de la responsabilité du fait des produits défectueux, les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations et ont, dès lors, violé les articles 1245-17, anciennement 1386-18, et 1240, anciennement 1382, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil :

4. Aux termes du premier de ces textes, transposant l'article 13 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, instaurant une responsabilité de plein droit du producteur au titre du dommage causé par un défaut de son produit, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité.

Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.

5. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la référence, à l'article 13 de la directive, aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle doit être interprétée en ce sens que le régime mis en place par ladite directive n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute (CJCE, arrêt du 25 avril 2002, González Sánchez, C-183/00, point 31).

6. Il en résulte que la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement du second de ces textes, si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle qu'un maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

7. Pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient, d'une part, que l'assignation a été délivrée le 7 juillet 2020, plus de trois ans après la connaissance du dommage acquise à la date de l'avis de l'ONIAM du 8 octobre 2015, d'autre part, que la faute reprochée au laboratoire, prise d'un manquement au devoir de vigilance et de surveillance du fait de la commercialisation d'un produit dont il connaissait les risques ou de l'absence de retrait du produit du marché français contrairement à d'autres pays européens, n'est pas distincte du défaut de sécurité du produit, de sorte que la responsabilité délictuelle pour faute ne saurait se substituer au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme Bacache-Gibeili - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier -

Textes visés :

Articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 10 décembre 2014, pourvoi n° 13-14.314, Bull. 2014, I, n° 209 (rejet) ; 1re Civ., 17 mars 2016, pourvoi n° 13-18.876, Bull. 2016, I, n° 68 (rejet), et les arrêts cités.

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