Numéro 11 - Novembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2023

LOIS ET REGLEMENTS

Com., 15 novembre 2023, n° 22-19.952, (B), FS

Rejet

Acte administratif – Principe selon lequel le silence vaut acceptation – Liste des procédures publiée sur le site internet relevant du Premier ministre – Portée

Il résulte de l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration, que, sauf exception expressément prévue par un texte, le silence gardé pendant deux mois par l'administration sur une demande vaut décision d'acceptation.

La liste des procédures pour lesquelles le silence gardé sur une demande vaut décision d'acceptation est publiée sur un site internet relevant du Premier ministre, tel que prévu par l'article D. 231-2 du même code. Cette liste est de nature réglementaire, et n'est donnée, au regard de la généralité du principe énoncé par l'article L. 231-1 du code précité, qu'à titre indicatif.

Il s'en déduit que la circonstance que la demande de renouvellement de l'agrément prévu à l'article L. 3332-1-1 du code de la santé publique ne figure pas sur cette liste ne suffit pas à écarter le principe selon lequel le silence de l'administration vaut acceptation.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 juin 2022), la société Le moins cher en formation (la société LMCEF), soutenant que l'association [3] (l'[3]) ne disposait pas de l'agrément nécessaire à son activité professionnelle pour la période du 10 août au 8 décembre 2016, l'a assignée, sur le fondement de la concurrence déloyale, en réparation de son préjudice.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société LMCEF fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à la condamnation de l'[3], alors « que faute de figurer dans la liste prévue par l'article D. 231-2 du code des relations entre le public et l'administration, la demande de renouvellement de l'agrément prévu par l'article L. 3332-1-1 du code de la santé publique n'est pas au nombre des décisions pour lesquelles le silence de l'administration vaut acceptation ; qu'en retenant, pour écarter tout acte de concurrence déloyale de l'association [3] entre le 10 août 2016 et le 8 décembre suivant, que cette dernière pouvait se prévaloir, à compter du 30 août 2016, d'une décision implicite d'acceptation en raison du silence gardé par l'autorité compétente sur sa demande de renouvellement de son agrément et que la société LMCEF « n'invoqua[it] pas utilement le fait que l'article D. 231-2 ne vise que les décisions d'agrément et non-renouvellement des organismes de formation des débitants de boissons », cependant que la demande de renouvellement formée par l'association [3] ne pouvait faire l'objet d'aucune décision implicite d'acceptation, la cour d'appel a violé les articles L. 231-1 et D. 231-2 du code des relations entre le public et l'administration, ensemble l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte de l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration, que, sauf exception expressément prévue par un texte, le silence gardé pendant deux mois par l'administration sur une demande vaut décision d'acceptation.

5. Aux termes de l'article D. 231-2 du même code, la liste des procédures pour lesquelles le silence gardé sur une demande vaut décision d'acceptation est publiée sur un site internet relevant du Premier ministre. Elle mentionne l'autorité à laquelle doit être adressée la demande, ainsi que le délai au terme duquel l'acceptation est acquise.

6. Cette liste, de nature réglementaire, n'est donnée, au regard de la généralité du principe énoncé par l'article L. 231-1 du code précité, qu'à titre indicatif.

7. Il s'en déduit que la circonstance que la demande de renouvellement de l'agrément prévu à l'article L. 3332-1-1 du code de la santé publique ne figure pas sur cette liste ne suffit pas à écarter le principe selon lequel le silence de l'administration vaut acceptation.

8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Comte - Avocat général : Mme Texier - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles L. 231-1 et D. 231-2 du code des relations entre le public et l'administration ; article L. 3332-1-1 du code de la santé publique.

3e Civ., 16 novembre 2023, n° 22-14.091, (B), FRH

Cassation partielle

Application immédiate – Application aux contrats en cours – Cas – Clause faisant échec au droit au renouvellement – Clause réputée non écrite – Loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 25 janvier 2022, n° RG 20/01228), par un contrat de réservation du 10 décembre 2002, suivi d'un acte authentique de vente en l'état futur d'achèvement dressé le 31 octobre 2003 par M. [X] (le notaire), M. et Mme [E] (les propriétaires), préalablement démarchés par la société Lama (le promoteur), ont acquis une villa dans une résidence de tourisme exploitée par la société Gestion patrimoine loisirs.

2. Par acte sous seing privé du 10 décembre 2002, les propriétaires ont donné la villa à bail commercial à l'exploitante de la résidence de tourisme, aux droits de laquelle est venue la société [Localité 5] (la locataire), pour une durée de neuf années à compter du lendemain de l'achèvement de l'immeuble.

3. Le bail commercial comprenait une clause de renonciation de la locataire à son droit à une indemnité d'éviction.

4. Le 23 septembre 2014, les propriétaires ont délivré à la locataire un congé avec refus de renouvellement, à effet au 31 mars 2015, sans offre d'une indemnité d'éviction.

5. Le 5 avril 2015, les propriétaires ont repris possession de l'immeuble.

6. Le 7 décembre suivant, la locataire a assigné les propriétaires en annulation du congé, indemnisation du préjudice résultant de sa dépossession et restitution des locaux loués ou, subsidiairement, en paiement d'une indemnité d'éviction.

7. Le 3 octobre 2016, les propriétaires ont assigné en garantie le promoteur et le notaire.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en dommages-intérêts au titre des actes de concurrence déloyale et des agissements parasitaires, et sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, du pourvoi incident du notaire

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi incident des propriétaires, dont l'examen est préalable

Enoncé du moyen

9. Les propriétaires font grief à l'arrêt de réputer non écrite la clause de renonciation à l'indemnité d'éviction, d'ordonner une expertise sur la fixation de son montant et de les condamner au paiement d'une provision, alors « que la loi qui a pour effet d'allonger la durée d'une prescription est sans effet sur une prescription déjà acquise ; que la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 modifiant l'article L. 145-15 du code de commerce a substitué à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec au droit de renouvellement et d'indemnité d'éviction, soumise à la prescription biennale de l'article L. 145-60 du même code, leur caractère réputé non écrit, non soumis à prescription ; qu'il en résulte que la loi nouvelle susvisée édictant une sanction imprescriptible n'est applicable qu'aux actions dont le délai de prescription biennale n'était pas déjà expiré à la date de son entrée en vigueur ; qu'en jugeant que l'action engagée en 2015 par la société [Localité 5] en contestation de la clause de renonciation à l'indemnité d'éviction stipulée au bail conclu en 2002 n'était pas soumise à la prescription biennale de l'article L. 145-60 du code de commerce, ce au motif que la loi nouvelle régissait immédiatement les effets légaux des situations juridiques antérieures à son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, quand cette loi ne pouvait avoir d'effet sur la prescription de l'action définitivement acquise avant son entrée en vigueur, la cour d'appel a violé les articles 2 et 2222 du code civil. »

Réponse de la Cour

10. Il résulte de l'article 2 du code civil que la loi nouvelle régit les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées.

11. La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, qui, en ce qu'elle a modifié l'article L. 145-15 du code de commerce, a substitué, à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement, leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours et l'action tendant à voir réputée non écrite une clause du bail n'est pas soumise à prescription (3e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-20.405, Bull.).

12. Dès lors, quand bien même la prescription de l'action en nullité des clauses susvisées était antérieurement acquise, la sanction du réputé non écrit est applicable aux baux en cours.

13. Ayant constaté que le bail s'était tacitement prorogé et que le congé avait été valablement délivré par les propriétaires le 23 septembre 2014, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action tendant à voir réputer non écrite la clause de renonciation à l'indemnité d'éviction n'était pas soumise à la prescription biennale et était recevable.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

15. La locataire fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en indemnisation de son préjudice au titre de la dépossession des lieux, alors « que le juge ne peut méconnaître l'objet du litige tel qu'il est fixé par les conclusions des parties ; que dans leurs conclusions d'appel, les époux [E] ont soutenu, qu'après avoir obtenu la remise spontanée de leurs clefs à l'accueil de la résidence le 5 avril 2015, ils avaient récupéré la libre jouissance de leur résidence de vacances, avaient procédé au changement des serrures afin de sécuriser l'accès de leur propriété et avaient ainsi pu louer leur villa depuis la résiliation du bail en passant par le biais de sites de locations de particulier à particulier ; que pour débouter la société [Localité 5] de sa demande de dommages-intérêts au titre de la dépossession, l'arrêt attaqué retient qu'il n'était pas démontré que les époux [E] soient passés outre le refus de la société [Localité 5], exprimé dans une lettre AR datée du 4 mai 2015, de restituer les clefs en l'absence de règlement de l'indemnité d'éviction en changeant les serrures de la maison rendant ainsi impossible l'accès des lieux en vue de son exploitation commerciale conformément au bail ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et a violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

16. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

17. Pour rejeter les demandes indemnitaires au titre du préjudice né de la perte du droit au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, l'arrêt retient que si la locataire avait indiqué, par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 4 mai 2015, qu'elle entendait conserver la gestion du bien et ne restituerait pas les clés en l'absence de consensus sur le règlement de l'indemnité, elle ne démontrait pas que les propriétaires soient passés outre ce refus en changeant les serrures de la villa et en rendant ainsi impossible l'accès des lieux en vue de son exploitation commerciale.

18. En statuant ainsi, alors que dans leurs conclusions, les propriétaires affirmaient avoir repris possession de leur propriété et avoir procédé au changement des serrures afin d'en sécuriser l'accès, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

Et sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi incident du notaire

Enoncé du moyen

19. Le notaire fait grief à l'arrêt de dire qu'il a manqué à son devoir de conseil en omettant d'informer les propriétaires de la nullité de la clause de renonciation à l'indemnité d'éviction et de le condamner, in solidum avec le promoteur, à les garantir de toutes les condamnations prononcées à leur encontre, en appel, à hauteur de 70 %, alors « qu'en toute hypothèse, le notaire n'est pas tenu de vérifier la validité de la clause d'un acte, qu'il n'a pas été chargé de dresser, et qui ne détermine pas la validité ou l'efficacité de l'acte, distinct, auquel il prête son concours ; qu'en retenant que le notaire, rédacteur du seul acte de vente, aurait manqué à son devoir de conseil en s'abstenant de vérifier que les clauses d'un bail, rédigé par un agent immobilier, étaient conformes aux attentes d'investisseurs de M. et Mme [E], et d'attirer leur attention sur un risque d'annulation d'une clause de ce bail, et sur le risque de devoir payer une indemnité d'éviction au locataire en exécution de ce même acte, conclu sans son concours, au motif que cette clause pouvait avoir une incidence sur leurs projets concernant l'utilisation du bien au terme normal du bail, la cour d'appel, qui a ainsi statué par des motifs impropres à caractériser l'incidence que le risque d'annulation de la clause du bail pouvait avoir sur la validité ou l'efficacité de l'acte de vente, qui avait produit tous ses effets, a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

20. En application de ce texte, le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il prête son concours.

21. Pour accueillir l'appel en garantie des propriétaires contre le notaire, l'arrêt retient qu'il a manqué à son devoir de conseil en s'abstenant de vérifier que les principales clauses du bail commercial, qui constituait un élément fondamental dans l'ensemble contractuel, étaient conformes aux attentes d'investisseurs des acquéreurs et en omettant d'attirer leur attention les conséquences du risque d'annulation de la clause de renonciation du locataire au paiement d'une indemnité d'éviction stipulée dans ce bail, lequel pouvait avoir une incidence sur leurs projets concernant l'utilisation du bien au terme normal du bail.

22. En statuant ainsi, alors que le notaire n'était pas tenu d'une obligation de conseil concernant l'opportunité économique d'un bail commercial conclu par les acquéreurs sans son concours, ni de les mettre en garde sur le risque d'annulation d'une clause de ce bail qui était sans incidence sur la validité et l'efficacité de l'acte de vente qu'il instrumentait, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

23. La cassation des chefs de dispositif rejetant la demande de la locataire en dommages-intérêts pour dépossession, retenant un manquement du notaire à son obligation de conseil, et le condamnant à garantir les propriétaires des condamnations prononcées à leur encontre emporte celles des chefs du dispositif condamnant le promoteur à garantir le notaire et condamnant le notaire au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile.

24. En revanche, elle n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant les propriétaires et le promoteur au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société [Localité 5] en dommages-intérêts pour dépossession, qu'il déclare partiellement fondé le recours en garantie formé par M. et Mme [E] à l'encontre de M. [X], qu'il dit que M. [X] a manqué à son devoir de conseil et que cette faute les a privés d'une chance d'éviter une action en paiement d'une indemnité d'éviction, qu'il condamne M. [X] in solidum avec la société Lama à garantir M. et Mme [E] à concurrence de 70 %, de toutes les condamnations prononcées à leur encontre dans le cadre de la présente instance d'appel, du montant de la condamnation provisionnelle et de la condamnation prononcée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, qu'il condamne la société Lama à garantir M. [X] à concurrence de 50 % des condamnations prononcées à son encontre, et condamne M. [X] in solidum avec la société Lama à payer à M. et Mme [E] la somme de 6 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles, l'arrêt rendu le 25 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Aldigé - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon -

Textes visés :

Article 2 du code civil ; article L. 145-15 du code de commerce, dans sa version issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-20.405, Bull., (rejet).

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