Numéro 11 - Novembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2023

PRESCRIPTION CIVILE

Com., 14 novembre 2023, n° 21-19.146, (B), FRH

Rejet

Prescription quinquennale – Article 2224 du code civil – Domaine d'application – Responsabilité d'un dirigeant d'une société civile – Faute séparable de ses fonctions

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 15 avril 2021), après avoir sollicité de M. [H], notaire, l'évaluation d'un immeuble lui appartenant, la société civile immobilière du [Adresse 5] (la SCI), représentée par son gérant, M. [N], a, par acte du 29 novembre 2004 dressé par M. [G], notaire, vendu ce bien à la société par actions simplifiée Artois matériel, également représentée par M. [N], son dirigeant.

2. Contestant l'évaluation faite par M. [H] et invoquant des manoeuvres dolosives commises par M. [N] lors de la vente de l'immeuble, la société Bernard et [U] [M], liquidateur judiciaire de la société Artois matériel, a assigné MM. [N] et [H] en paiement de dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle.

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi principal et sur les premier et second moyens du pourvoi incident

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. M. [N] fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action, de le condamner, in solidum avec M. [H], à payer à M [M], de la société Bernard et [U] [M], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Artois matériel, la somme de 719 000 euros au titre de la réparation du préjudice lié à la surévaluation de l'ensemble immobilier et de dire que la contribution à la dette incombe à M. [N] à hauteur de 75 % et à M. [H] à hauteur de 25 %, alors « que l'action exercée contre le gérant d'une SARL auquel est reproché d'avoir commis une faute séparable de ses fonctions ou un dol est soumise à la prescription triennale de l'article L. 223-23 du code de commerce ; que la cour d'appel a constaté que M. [N] était à la fois dirigeant de la société venderesse et de la société acheteuse et qu'il avait à ce titre accompli des manoeuvres dolosives ; qu'en retenant, pour déclarer recevable l'action en responsabilité exercée à l'encontre de M. [N], que l'action était fondée sur la responsabilité délictuelle de l'article 1382 ancien du code civil et était soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 2224 du code civil et, par refus d'application, l'article L. 223-23 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte de l'article 1850 du code civil que la responsabilité personnelle d'un dirigeant de société civile ne peut être retenue à l'égard d'un tiers que s'il a commis une faute séparable de ses fonctions.

6. Après avoir relevé que les consentements réciproques des deux sociétés contractantes, toutes deux représentées par M. [N], leur dirigeant, ne pouvaient s'exprimer que par l'intermédiaire de ce dernier, l'arrêt retient qu'en prenant la décision de vendre un immeuble à la société Artois matériel à un prix dont il savait qu'il excédait très largement celui du marché, M. [N] a commis une faute dolosive engageant sa responsabilité civile envers cette société.

7. Ayant fait ainsi ressortir que M. [N] avait commis une faute séparable de ses fonctions de gérant de la SCI, venderesse, la cour d'appel a retenu à bon droit que l'action en responsabilité délictuelle exercée à son encontre par le liquidateur judiciaire de la société Artois matériel était soumise, en l'absence de disposition dérogatoire, au délai de prescription quinquennale de droit commun prévu à l'article 2224 du code civil.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois principal et incident.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Ducloz - Avocat général : M. Lecaroz - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 2224 du code civil.

Com., 8 novembre 2023, n° 22-12.978, (B), FRH

Cassation partielle

Prescription triennale – Société – Exclusion – Cas – Action en responsabilité exercée contre un commissaire à la transformation – Action exercée antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 janvier 2022), par un protocole du 31 mars 2011, MM. [I] et [X] [J] ont cédé à la société Brumes l'intégralité des actions qu'ils détenaient dans le capital de la société TDS.

2. Préalablement à la cession, les associés de la société TDS avaient, lors d'une assemblée générale du 31 décembre 2010, décidé sa transformation de société à responsabilité limitée en société par actions simplifiée.

3. Le 7 décembre 2015, invoquant plusieurs manquements à leur encontre, la société Brumes a assigné en responsabilité la société Bonifacio et associés, en sa qualité de commissaire à la transformation, et la société Compagnie française d'expertise comptable - CBSA (la société CFEC - CBSA), en sa qualité d'expert-comptable de la société TDS.

Examen des moyens

Sur le second moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société Brumes fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action contre la société Bonifacio et associés, alors « que le délai de prescription de trois ans prévu à l'article L. 224-254 du code de commerce, sur renvoi de l'article L. 822-18 du même code, s'applique aux actions en responsabilité engagées contre des commissaires aux comptes à l'occasion de toute mission légale de contrôle ; qu'en revanche, le délai de prescription applicable à l'action engagée contre le commissaire à la transformation désigné en application de l'article L. 224-3 du code de commerce, non pas en sa qualité de commissaire aux comptes d'une société qui en est dépourvue, mais en raison de son inscription sur la liste réglementaire des commissaires aux comptes, est celui de cinq ans prévu à l'article 2224 du code civil ; qu'en affirmant que l'intervention de la société Bonifacio et associés en qualité de commissaire à la transformation répondait aux exigences de l'article L. 224-3 du code de commerce en cas de transformation d'une société à responsabilité limitée en société par actions simplifiée et constituait donc une mission légale du commissaire aux comptes soumise à la prescription triennale, tandis que la prescription quinquennale était applicable, la cour d'appel a violé les articles L. 822-18 et L. 225-254 du code de commerce par fausse application et les articles L. 224-3 du code de commerce et 2224 du code civil par refus d'application. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 820-1, I, dans sa version antérieure à celle issue de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, L. 822-18 et L. 225-254 du code de commerce :

6. Selon le premier de ces textes, nonobstant toute disposition contraire, les dispositions du titre II du livre VIII du code de commerce sont applicables aux commissaires aux comptes nommés dans toutes les personnes et entités quelle que soit la nature de la certification prévue dans leur mission.

7. Aux termes du second, qui figure dans ce titre, les actions en responsabilité contre les commissaires aux comptes se prescrivent dans les conditions prévues à l'article L. 225-254.

8. Selon le troisième, l'action en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général, tant sociale qu'individuelle, se prescrit par trois ans, à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation.

9. Ce délai de prescription s'applique aux actions engagées contre des commissaires aux comptes à l'occasion de toute mission légale de contrôle.

10. Pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action de la société Brumes contre la société Bonifacio et associés, l'arrêt retient que l'intervention de cette dernière en qualité de commissaire à la transformation répond aux exigences de l'article L. 224-3 du code de commerce, de sorte qu'elle constitue une mission légale du commissaire aux comptes soumise à la prescription triennale.

11. En statuant ainsi, alors qu'en application de l'article L. 224-3 du code de commerce, la société Bonifacio et associés avait été désignée commissaire à la transformation non pas en sa qualité de commissaire aux comptes de la société TDS, qui en était dépourvue, mais en raison de son inscription sur la liste réglementaire des commissaires aux comptes, la cour d'appel a violé, par fausse application, les textes susvisés.

Mise hors de cause

12. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause, sur sa demande, la société CFEC - CBSA, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable comme prescrite l'action de la société Brumes contre la société Bonifacio et associés et en ce qu'il statue sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 6 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Met hors de cause la société Compagnie française d'expertise comptable - CBSA ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Lefeuvre - Avocat(s) : SCP Duhamel ; SCP Bénabent ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article L. 225-254 du code de commerce.

2e Civ., 30 novembre 2023, n° 22-10.088, (B), FS

Rejet

Renonciation – Renonciation tacite – Exclusion – Cas – Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) – Offre d'indemnisation après forclusion

Selon l'article 2220 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par les règles relatives à la prescription. Ni l'article R. 421-12 du code des assurances, ni aucune autre disposition ne prévoient l'application au délai de forclusion des articles 2250 et 2251 du code civil, relatifs à la renonciation à la prescription.

Ayant relevé qu'aucune proposition d'indemnisation du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages n'avait été acceptée par la victime dans le délai de cinq ans, imparti à peine de forclusion par l'article R. 421-12 du code des assurances, à compter de l'accident dont le responsable était inconnu, une cour d'appel en déduit exactement, sans avoir à rechercher si, en faisant des offres d'indemnisation à la victime alors que cette forclusion était acquise, le Fonds avait pu y renoncer, que l'action judiciaire en indemnisation dirigée contre lui plus de cinq ans après l'accident était irrecevable.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 13 octobre 2021) et les productions, le 30 août 2002, M. [H] a été victime d'un accident de la circulation impliquant un véhicule terrestre à moteur, dont le conducteur a pris la fuite et n'a pu être identifié.

2. Le 8 juillet 2005, le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (le FGAO) a adressé à M. [H] une proposition d'indemnisation de son préjudice qu'il n'a pas acceptée.

3. Par ordonnance du 31 octobre 2007, le juge des référés d'un tribunal de grande instance, saisi par une assignation du 26 septembre 2007, a ordonné une expertise médicale de M. [H] et condamné le FGAO à lui verser une provision. Après dépôt du rapport d'expertise, le FGAO lui a présenté, le 17 novembre 2010, une offre d'indemnisation qu'il a refusée.

4. Les 29 septembre, 1er et 17 octobre 2014, M. [H] a assigné devant un tribunal de grande instance le FGAO, son employeur et une caisse d'assurance maladie à fin d'indemnisation de son préjudice.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. M. [H] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme forclose son action exercée à l'encontre du FGAO, alors « que la renonciation tacite du FGAO à se prévaloir d'un délai de forclusion édicté par l'article R. 421-12 du code des assurances peut résulter de circonstances établissant sans équivoque sa volonté de ne pas se prévaloir de la forclusion ; qu'en l'espèce, en déclarant irrecevable comme forclose l'action exercée par la victime, faute d'avoir été engagée dans le délai de forclusion de cinq ans à compter de l'accident, sans rechercher, comme l'y invitaient pourtant les conclusions d'appel de la victime, si la formulation par le Fonds de garantie d'une offre d'indemnisation le 17 novembre 2010, soit après l'expiration du délai de forclusion ayant commencé à courir à la date de l'accident, le 30 août 2002, ne manifestait pas la volonté non équivoque du FGAO de renoncer à se prévaloir de la forclusion, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 421-12 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article R. 421-12 du code des assurances, lorsque le responsable des dommages est inconnu, la victime ou ses ayants droit doivent dans un délai de cinq ans à compter de l'accident, prévu à peine de forclusion, avoir réalisé un accord avec le FGAO ou engagé une action judiciaire contre lui.

7. S'agissant d'un délai de forclusion, il peut être invoqué en tout état de cause, en application des articles 122 et 123 du code de procédure civile.

8. Selon l'article 2220 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008 - 561 du 17 juin 2008 applicable au litige, les délais de forclusion ne sont pas régis par les règles relatives à la prescription, sauf dispositions contraires de la loi.

9. Ni l'article R. 421-12 du code des assurances, ni aucune autre disposition ne prévoient l'application au délai de forclusion des articles 2250 et 2251 du code civil, relatifs à la renonciation à la prescription.

10. Ce délai ne pouvant faire l'objet d'une renonciation, la cour d'appel n'avait pas à faire la recherche inopérante, prise de ce que, pour avoir présenté une offre à la victime après l'expiration de ce délai, le FGAO avait renoncé à se prévaloir de la forclusion.

11. Ayant relevé que l'accident était survenu le 30 août 2002 et qu'aucune proposition d'indemnisation n'avait été acceptée par M. [H], la cour d'appel en a exactement déduit que l'action judiciaire en indemnisation dirigée contre le FGAO, après l'expiration du délai de cinq ans, était irrecevable.

12. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : M. Martin - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SCP Vigand ; SARL Delvolvé et Trichet -

Textes visés :

Article 2220 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ; article R. 421-12 du code des assurances ; articles 2250 et 2251 du code civil.

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