Numéro 11 - Novembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2023

CONTRAT D'ENTREPRISE

3e Civ., 23 novembre 2023, n° 22-21.463, (B), FS

Rejet

Sous-traitant – Rapports avec l'entrepreneur principal – Paiement – Garanties obligatoires – Fourniture de caution ou délégation de paiement – Défaut – Sanction – Nullité relative du contrat de sous-traitance – Confirmation – Caractérisation

La violation des formalités de l'article 14, alinéa 1, de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, lesquelles ont pour finalité la protection des intérêts du sous-traitant, étant sanctionnée par une nullité relative, le sous-traité est susceptible de confirmation en application de l'article 1182 du code civil.

La confirmation de l'acte nul, qui ne peut résulter de la seule exécution des travaux, doit être caractérisée, à défaut d'une confirmation expresse, par leur exécution volontaire en connaissance de la cause du vice l'affectant.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 juin 2022) et les productions, le 27 mars 2017, la société Boistech, qui avait été chargée de travaux de construction, a sous-traité à la société Uni-Marbres des travaux de fourniture et pose de marbre.

2. La société Boistech n'a pas fourni de caution à la société Uni-Marbres lors de la conclusion du contrat de sous-traitance.

3. Se plaignant du non-paiement de surcoûts et travaux supplémentaires, la société Uni-Marbres a assigné la société Boistech en nullité du contrat de sous-traitance et indemnisation.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société Uni-Marbres fait grief à l'arrêt de dire que le contrat de sous-traitance est valide et de rejeter toutes ses demandes, alors « qu'il résulte de l'article 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance que le sous-traité est nul dès l'origine du fait de l'absence de fourniture d'une caution personnelle et solidaire obtenue par l'entrepreneur auprès d'un établissement agréé, sauf délégation du maître de l'ouvrage, lors de sa conclusion, sans qu'il importe que le sous-traitant ait rempli sa mission avant de contester la validité du sous-traité ; qu'en l'espèce la cour d'appel, qui a expressément constaté qu'aucune garantie de paiement des sommes dues à la société Uni-Marbres, sous-traitant, n'avait été donnée par caution, délégation de paiement ou tout autre moyen par la société Boistech, aurait dû en déduire qu'il y avait lieu de déclarer nul le contrat de sous-traitance ; qu'en le déclarant néanmoins valide, elle n'a pas déduit de ses propres constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient et a violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

5. La violation des formalités de l'article 14, alinéa 1, de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, lesquelles ont pour finalité la protection des intérêts du sous-traitant, étant sanctionnée par une nullité relative, le sous-traité est susceptible de confirmation en application de l'article 1182 du code civil.

6. La confirmation de l'acte nul, qui ne peut résulter de la seule exécution des travaux, doit être caractérisée, à défaut d'une confirmation expresse, par leur exécution volontaire en connaissance de la cause du vice l'affectant.

7. Ayant retenu que la société Uni-Marbres avait exécuté volontairement le contrat de sous-traitance en connaissance de la cause de nullité du contrat tenant à l'absence de délivrance de la caution, elle en a exactement déduit que le sous-traitant avait confirmé le contrat et ne pouvait dès lors plus se prévaloir de sa nullité.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Brun - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SARL Delvolvé et Trichet ; SCP Spinosi -

Textes visés :

Article 14, alinéa 1, de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ; article 1182 du code civil.

3e Civ., 23 novembre 2023, n° 22-17.027, (B), FS

Rejet

Sous-traitant – Sous-traitant du sous-traitant – Rapports avec l'entrepreneur principal – Paiement – Garanties obligatoires – Fourniture de caution ou délégation de paiement – Délégation de paiement – Caractérisation – Détermination – Portée

La convention par laquelle le sous-traitant de premier rang délègue au sous-traitant de second rang, non pas le maître de l'ouvrage, comme le prescrit l'article 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, mais l'entreprise principale, ne constitue pas la délégation de paiement au sens de ce texte.

La délégation de l'entreprise principale au paiement du sous-traitant est soumise aux seules dispositions supplétives de l'article 1275 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et désormais à celles de l'article 1338 de ce code, de sorte que les parties peuvent déroger à l'interdiction faite au délégué d'opposer au délégataire les exceptions tirées des rapports entre le délégant et le délégataire.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 8 mars 2022), la société Chartres développements immobiliers, agissant comme maître de l'ouvrage, a confié à la société Spie Batignolles Grand-Ouest (la société Spie Batignolles) des travaux de construction.

2. La société Spie Batignolles a sous-traité une partie de son marché à la société Atelier métallerie du golfe (la société AMG), qui a elle-même sous-traité la fourniture de menuiseries à la société Alf productions (la société Alf).

3. La société AMG, sous-traitante de premier rang, a délégué la société Spie Batignolles, entreprise principale, dans le paiement de la société Alf, sous-traitante de second rang.

4. Après la mise en liquidation judiciaire de la société AMG, la société Alf a mis en demeure la société Spie Batignolles de lui payer le solde de sa créance puis l'a assignée en paiement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

6. La société Alf fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes formées contre la société Spie Batignolles et de la condamner aux dépens de première instance et d'appel, alors :

« 2°/ que le délégué ne peut opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre le délégant et le délégataire ; qu'en l'espèce dès lors que l'acte de délégation de paiement pour la commande n° 0116 03320 stipulant un ordre irrévocable donné par la société AMG (entrepreneur délégant) à la société Spie Batignolles Grand-Ouest (maître d'ouvrage, débiteur délégué) de payer la société Alf productions (fournisseur sous-traitant, délégataire), la société Spie Batignolles Grand-Ouest (délégué) ne pouvait opposer à la société Alf productions (délégataire), aucune exception tirée de ses rapports avec la société AMG (entrepreneur délégant) ; qu'elle ne pouvait donc faire valoir que son obligation ne naissait qu'après acceptation de la facture par AMG ; qu'en statuant en sens contraire au motif que « Les factures dont le paiement est demandé par la société Alf n'ont pas (été) acceptées par la société AMG, en contradiction avec les dispositions de l'article 5 (sic en réalité article 4) de la délégation de paiement, qui prévoyait que le « maître de l'ouvrage » s'engageait à payer le fournisseur suivant « factures acceptées par l'entrepreneur ».

Le paiement en a été demandé directement par la société Alf à la société Spie Batignolles après le placement en liquidation judiciaire de la société AMG (...) Elle (la délégation de créances) ne peut dès lors être considérée comme une preuve de l'engagement de la société Spie Batignolles Grand-Ouest de payer à la société Alf des factures de menuiseries lui ayant été adressées directement par cette dernière. », la cour d'appel a violé ensemble les articles 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, 1134 et 1275 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, désormais respectivement articles 1103 et 1336, du code civil ;

3°/ que le maître d'ouvrage est celui envers lequel l'entrepreneur s'engage à fournir un ouvrage dans le cadre d'un contrat d'entreprise ; que la société Spie Batignolles Grand-Ouest qui avait entendu, par un courrier du 10 janvier 2017, formuler des réserves sur les menuiseries livrées par la société Alf productions, conformément à la commande n° 0116 02320, visée à la délégation de paiement, et pour laquelle la société Spie Batignolles Grand-Ouest s'était engagée irrévocablement en qualité de maître d'ouvrage à payer directement le fournisseur, avait la qualité de maître d'ouvrage à l'opération de construction exécutée à son profit ; qu'en statuant en sens contraire en disant que la délégation de créances « vise l'article 14 de la loi de 1975, alors que la société Spie Batignolles n'est pas maître de l'ouvrage,

- elle présente la société Spie Batignolles comme maître de l'ouvrage, ce qu'elle n'est pas (...)", la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, désormais article 1103 du code civil, ensemble l'article 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975. »

Réponse de la Cour

7. Pour l'application des dispositions de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, le maître de l'ouvrage est celui qui conclut le contrat d'entreprise ou le marché public avec l'entrepreneur principal, y compris à l'égard des sous-traitants de cet entrepreneur, quel que soit leur rang.

8. Dès lors, la convention par laquelle le sous-traitant de premier rang délègue au sous-traitant de second rang, non pas le maître de l'ouvrage, comme le prescrit l'article 14 de la loi précitée, mais l'entreprise principale, ne constitue pas la délégation de paiement au sens de ce texte.

9. La délégation de l'entreprise principale au paiement du sous-traitant est en conséquence soumise aux seules dispositions supplétives de l'article 1275 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et désormais à celles de l'article 1338 de ce code, de sorte que les parties peuvent déroger à l'interdiction faite au délégué d'opposer au délégataire les exceptions tirées des rapports entre le délégant et le délégataire.

10. La cour d'appel ayant relevé que le maître de l'ouvrage de l'opération de construction était la société Chartres développements immobiliers, qui avait confié l'exécution des travaux à la société Spie Batignolles, elle en a exactement déduit que celle-ci n'avait pas la qualité de maître de l'ouvrage, peu important la dénomination retenue dans l'acte de délégation.

11. Les dispositions impératives de la loi du 31 décembre 1975 n'étant pas applicables à la délégation litigieuse, elle a recherché si les conditions prévues par cette convention pour le paiement du délégataire étaient réunies et c'est par une interprétation souveraine de ses stipulations ambiguës que la cour d'appel a retenu que le délégué ne s'était pas engagé à payer les factures qui lui seraient adressées directement par le délégataire.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Zedda - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SARL Corlay -

Textes visés :

Article 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ; article 1275 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, devenu 1338, du code civil.

Rapprochement(s) :

Com., 7 décembre 2004, pourvoi n° 03-13.595, Bull. 2004, IV, n° 214 (rejet) ; 3e Civ., 7 juin 2018, pourvoi n° 17-15.981, Bull. 2018, III, n° 62 (cassation).

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