Numéro 11 - Novembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2023

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (loi du 26 juillet 2005)

Com., 22 novembre 2023, n° 22-18.795, (B), FRH

Cassation partielle

Liquidation judiciaire – Créanciers – Insaisissabilité de plein droit de la résidence principale du débiteur – Résidence principale – Preuve – Charge – Détermination

Il résulte de la combinaison des articles L. 526-1 du code de commerce et 1315, devenu 1353, du code civil, que celui qui se prévaut des dispositions du premier pour soustraire du droit de gage général des créanciers de la procédure collective d'une personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante un immeuble appartenant à celle-ci, doit apporter la preuve qu'à la date d'ouverture de cette procédure, cet immeuble constituait sa résidence principale et n'était donc pas entré dans le gage commun des créanciers.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 12 avril 2022) et les productions, le 3 février 2016, à la demande de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud-Rhône-Alpes (la banque), qui avait obtenu la condamnation de Mme [I] à lui payer le solde de deux prêts immobiliers consentis le 13 juillet 2010, un tribunal a ordonné la licitation-partage d'un immeuble dont elle détenait 99 % de l'indivision sur le fondement de l'article 815-17 du code civil et a ordonné une mesure d'expertise pour évaluer la valeur de l'immeuble.

2. Les 2 mai et 25 juillet 2016, Mme [I], qui exploitait un fonds de commerce, a été mise en redressement puis liquidation judiciaires, M. [U] étant désigné mandataire judiciaire puis liquidateur.

3. Après dépôt du rapport d'expertise, le liquidateur s'est associé à la demande de reprise de l'instance en licitation-partage et a demandé l'attribution du prix d'adjudication à concurrence de 99 %.

4. La banque s'est opposée à la demande en soutenant que l'immeuble constituant la résidence principale de Mme [I], il était insaisissable par l'application de l'article L. 526-1 du code de commerce.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de déclarer insaisissable le bien indivis et de rejeter sa demande d'attribution à hauteur de 99 % du prix d'adjudication, alors « que, par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, les droits d'une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de la personne ; qu'il incombe à qui se prévaut de cette insaisissabilité de démontrer que les conditions en sont remplies et, spécialement, que le bien en cause constituait réellement la résidence principale du débiteur ; que la cour d'appel a retenu que le [Adresse 4] constituait la résidence principale de Mme [I] au motif que le liquidateur ne démontrait pas que le [Adresse 6] constituât la résidence principale de la débitrice ; qu'en faisant ainsi peser la charge de la preuve, permettant de déterminer la résidence principale de Mme [I], sur le liquidateur, partie se prévalant du principe de l'unité du patrimoine du débiteur, droit de gage général des créanciers, et non pas sur la banque, partie se prévalant de l'exception à ce principe, tenant à l'insaisissabilité de la résidence principale du débiteur par ses créanciers au titre de dettes professionnelles, la cour d'appel a violé l'article 1315 ancien du code civil, devenu 1353, de ce code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 526-1 du code de commerce, et 1315, devenu 1353, du code civil :

6. Il résulte de la combinaison de ces textes que celui qui se prévaut des dispositions du premier pour soustraire du droit de gage général des créanciers de la procédure collective d'une personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante un immeuble appartenant à celle-ci doit rapporter la preuve qu'à la date d'ouverture de cette procédure, cet immeuble constituait sa résidence principale et n'était donc pas entré dans le gage commun des créanciers.

7. Pour rejeter la demande du liquidateur d'attribution du prix, l'arrêt, après avoir énoncé que le liquidateur avait intérêt à démontrer que le bien immobilier, appartenant à la débitrice, est saisissable, de façon à pouvoir l'appréhender au profit de la communauté des créanciers de la débitrice et non pas seulement de la banque, retient que les éléments apportés par le liquidateur ne suffisent pas à apporter cette preuve.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable l'action de M. [U], en qualité de liquidateur de Mme [I], dit qu'il a intérêt à agir et déclare son appel recevable, l'arrêt rendu le 12 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Vallansan - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Bouzidi et Bouhanna -

Textes visés :

Article L. 526-1 du code de commerce ; article 1315, devenu 1353, du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la charge de la preuve en matière d'insaisissabilité de la résidence principale du débiteur, à rapprocher : Com., 14 juin 2023, pourvoi n° 21-24.207, Bull., (rejet).

Com., 22 novembre 2023, n° 22-17.691, (B), FRH

Rejet

Liquidation judiciaire – Jugement – Effets – Dessaisissement du débiteur – Limites – Actions attachées à la personne du débiteur – Applications diverses – Retrait du sociétaire d'une caisse de crédit agricole

La faculté de retrait du sociétaire, en liquidation judiciaire, d'une caisse de crédit agricole, est strictement rattachée à sa personne et ne peut être exercée que par lui, tandis que les parts sociales font partie de son patrimoine, dont le liquidateur est recevable à demander le remboursement.

Doit être approuvée une cour d'appel qui, relevant qu'une action en retrait et remboursement des parts d'une société en liquidation judiciaire a été engagée conjointement par le liquidateur et le mandataire ad hoc de la société, lequel s'est associé, dès l'origine, à la démarche et a conclu dans le même sens que le liquidateur, écarte la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité du liquidateur pour exercer cette action.

Organes – Liquidateur – Qualité à agir – Applications diverses – Action en retrait et remboursement des parts d'une société

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 3 mars 2022), la société Conserves de Provence le cabanon (la société) est sociétaire de la Caisse locale de crédit agricole mutuel de Camaret (la caisse locale) dont elle détient 74 081 parts sociales d'une valeur nominale de 1,50 euros, en dépôt à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Alpes-Provence (la caisse régionale).

2. Le 5 février 2014, la société a été mise en liquidation judiciaire, M. [M] étant désigné liquidateur.

Les 22 septembre et 29 octobre 2014, la société Douhaire [W] a été désignée en qualité de mandataire ad hoc de la société avec pour mission de la représenter en justice et dans tous les actes autres que ceux dévolus au liquidateur judiciaire.

3. Le 18 avril 2019, le liquidateur et le mandataire ad hoc de la société ont assigné la caisse locale aux fins de retrait de la société et de remboursement de ses parts sociales.

La caisse régionale est intervenue à l'instance.

Examen des moyens

Sur le second moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La caisse locale et la caisse régionale font grief à l'arrêt de condamner la caisse locale à payer à la société Etude Balincourt, venant aux droits de M. [M], ès qualités, la somme principale de 111 121,50 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2017, la somme de 2 100,20 euros au titre des intérêts échus de l'année 2014, et le montant des intérêts échus au titre des années 2015 et suivantes jusqu'au jour du retrait effectif, alors :

« 1°/ que selon l'article L. 649-1 (lire L. 641-9) du code de commerce, si le liquidateur judiciaire a vocation à poursuivre les actions purement patrimoniales de son administrée, il est dépourvu de qualité à agir en remboursement des parts sociales appartenant à son administrée dés lors que cette demande, liée à la qualité de sociétaire du débiteur, est une procédure de retrait régie par l'article L. 512-31 du code de commerce et relève des droits attachés à la personne du débiteur liés à sa qualité de sociétaire ; qu'en retenant que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit dessaisissement du débiteur et que les parts sociales détenues par le débiteur dans le capital d'une société font partie de son patrimoine, pour en déduire que le liquidateur qui exerce toutes les actions patrimoniales du débiteur est de ce fait recevable à demander le remboursement desdites parts sociales, la cour d'appel qui ajoute que s'agissant de l'exercice du droit de retrait, cette faculté est rattachée strictement à la personne du sociétaire mais qu'en l'espèce l'assignation a été délivrée tant au nom du liquidateur qu'au nom du mandataire ad hoc de la société débitrice, que dès lors le liquidateur a qualité à agir, n'a pas tiré les conséquences légales s'évinçant de ses constatations dont il ressortait que seul l'administrateur ad hoc ayant qualité à agir, l'action en remboursement des parts sociales diligentée par le liquidateur était irrecevable et elle a violé les articles L. 649-1 (lire L. 641-9) du code de commerce et 31 du code de procédure civile ;

2°/ que selon l'article L. 649-1 (lire L. 641-9) du code de commerce, si le liquidateur judiciaire a vocation à poursuivre les actions purement patrimoniales de son administrée, il est dépourvu de qualité à agir en remboursement des parts sociales appartenant à son administrée dès lors que cette demande, liée à la qualité de sociétaire du débiteur, est une procédure de retrait régie par l'article L. 512-31 du code de commerce et relève des droits attachés à la personne du débiteur lié à sa qualité de sociétaire ; qu'ayant relevé que s'agissant de l'exercice du droit de retrait, cette faculté est rattachée strictement à la personne du sociétaire, qu'en l'espèce l'assignation a été délivrée tant au nom du liquidateur qu'au nom du mandataire ad hoc de la société débitrice, pour en déduire que le liquidateur a qualité à agir en remboursement des parts sociales quand le dessaisissement ne concernant que l'administration et la disposition des biens du débiteur, ce dernier a qualité pour intenter seul une action tendant à la constatation de son retrait du capital de la caisse locale, cette action étant attachée à sa personne, qui inclut le remboursement du capital investi dans l'acquisition de ces parts sociales et les accessoires attachés, sans préjudice de l'exercice par le liquidateur, qui entend rendre inopposable à la procédure collective le remboursement des parts sociales appartenant au débiteur qui serait décidé par le juge, de la tierce opposition contre cette disposition du jugement ou de l'exercice de toute autre voie de droit dans le cadre des actions patrimoniales relevant de sa compétence exclusive, la cour d'appel a violé les articles L. 649-1 (lire L. 641-9) du code de commerce et 31 du code de procédure civile ;

3°/ que selon l'article L. 649-1 (lire L. 641-9) du code de commerce, si le liquidateur judiciaire a vocation à poursuivre les actions purement patrimoniales de son administrée, il est dépourvu de qualité à agir en remboursement des parts sociales appartenant au débiteur dès lors que cette demande, liée à la qualité de sociétaire du débiteur, est une procédure de retrait régie par l'article L. 512-31 du code de commerce qui relève des droits attachés à la personne du débiteur lié à sa qualité de sociétaire ; qu'en retenant que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit dessaisissement du débiteur et que les parts sociales détenues par le débiteur dans le capital d'une société font partie de son patrimoine, pour retenir que le liquidateur qui exerce toutes les actions patrimoniales du débiteur est de ce fait recevable à demander le remboursement desdites parts sociales, puis que, s'agissant de l'exercice du droit de retrait, cette faculté est rattachée strictement à la personne du sociétaire mais qu'en l'espèce l'assignation a été délivrée tant au nom du liquidateur qu'au nom du mandataire ad hoc de la société débitrice, pour en déduire que le liquidateur a qualité à agir, quand l'association du mandataire ad hoc aux demandes faites par le liquidateur à son bénéfice, ès qualités exclusivement, ne saurait avoir pour effet de valider de telles demandes faites au mépris de la compétence exclusive du débiteur représenté par un mandataire ad hoc, la cour d'appel a violé les articles L. 649-1 (lire L. 641-9) du code de commerce et 31 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Ayant énoncé que la faculté de retrait proprement dite est rattachée strictement à la personne du sociétaire et ne peut être exercée que par ce dernier, tandis que les parts sociales détenues par un débiteur en liquidation judiciaire font partie de son patrimoine et que le liquidateur, qui exerce toutes les actions patrimoniales du débiteur, est recevable à en demander le remboursement, puis relevé, par motifs propres et adoptés, que l'action en retrait et en remboursement des parts détenues par la société en liquidation judiciaire avait été engagée conjointement contre la caisse locale par le liquidateur et le mandataire ad hoc de la société, lequel s'était associé, dès l'origine, à la démarche et a conclu dans le même sens que le liquidateur, l'arrêt en déduit exactement que la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité du liquidateur devait être écartée.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat(s) : SCP Bouzidi et Bouhanna ; SCP Gury et Maitre -

Textes visés :

Article L. 641-9 du code de commerce ; article 31 du code de procédure civile.

Com., 8 novembre 2023, n° 22-13.823, (B), FRH

Cassation partielle

Liquidation judiciaire – Patrimoine – Revendication – Restitution d'un bien objet d'un contrat publié – Défaut d'exercice de l'action en restitution – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 4 janvier 2022), rendu sur renvoi après cassation (Com., 10 mars 2021, pourvoi n° 19-18.320), par un acte du 22 août 2007, la société Vitassource a, en qualité de crédit-preneur, conclu avec la société Sogelease France (la société Sogelease) un contrat de crédit-bail, dont l'exécution a été garantie par les cautionnements solidaires de M. [P] et de Mme [N], son épouse (M. et Mme [P]), consentis par actes séparés du 7 septembre 2007.

2. La société Vitassource ayant été mise en liquidation judiciaire, le crédit-bailleur a assigné les cautions en paiement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.

Mais sur le moyen, pris en ses septième et huitième branches

Enoncé du moyen

4. M. et Mme [P] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes tendant au débouté de la société Sogelease aux motifs d'un défaut d'admission de la créance, de la disproportion manifeste de leur engagement et de l'exception de subrogation, de leur demande en dommages-intérêts et en compensation ainsi que de leur demande tendant à l'octroi d'un report, et de les condamner solidairement à payer à la société Sogelease la somme de 22 197 euros, alors :

« 7°/ que la caution est déchargée lorsque, par la faute du créancier, la subrogation ne peut plus s'opérer en sa faveur ; que si la demande de restitution d'un bien détenu par le débiteur faisant l'objet d'une procédure collective ne constitue, aux termes de l'article L. 624-10 du code de commerce, qu'une faculté pour le créancier, ce dernier, lorsqu'il est par ailleurs garanti par un cautionnement, commet une faute au sens de l'article 2314 du code civil si, en s'abstenant de demander cette restitution, il prive la caution d'un droit qui pouvait lui profiter ; qu'au cas présent, les époux [P] reprochaient à faute à la Sogelease de n'avoir pas obtenu la restitution des matériels litigieux et faisaient valoir que cette faute mettait en péril leurs droits de caution subrogées de sorte qu'ils devaient être déchargés ; que, pour écarter cette demande, la cour d'appel a d'abord relevé que, s'agissant d'un contrat publié, l'action en restitution n'était qu'une faculté ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'étant garantie par un cautionnement des époux [P], en s'abstenant de demander cette restitution, la société Sogelease avait commis une faute susceptible de priver les époux [P] d'un droit qui pouvait leur profiter, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2314 du code civil ;

8°/ que la caution est déchargée lorsque, par la faute du créancier, la subrogation ne peut plus s'opérer en sa faveur ; qu'au cas présent, les époux [P] reprochaient à faute à la société Sogelease de n'avoir pas obtenu la restitution des matériels litigieux et faisaient valoir que cette faute mettait en péril leurs droits de cautions subrogées de sorte qu'ils devaient être déchargés ; que, pour écarter cette demande, la cour d'appel a ensuite relevé que les courriers comportant déclaration de créances s'enquéraient des modalités de récupération des matériels en question ; qu'en statuant ainsi, par un motif manifestement inopérant, dès lors que l'objet du moyen était précisément de reprocher à la société Sogelease son inaction depuis plus de dix ans, qui était de nature à mettre en péril l'aptitude des époux [P] à exercer leurs droits de cautions subrogées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2314 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2314 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, et les articles L. 624-10 et R. 624-14 du code de commerce :

5. Aux termes du premier de ces textes, la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution.

6. Aux termes du deuxième, le propriétaire d'un bien est dispensé de faire reconnaître son droit de propriété lorsque le contrat portant sur ce bien a fait l'objet d'une publicité. Il peut réclamer la restitution de son bien dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

7. Selon le troisième, lorsque le contrat portant sur un bien a fait l'objet d'une publicité, le propriétaire de ce bien peut en demander la restitution par lettre recommandée avec demande d'avis de réception à l'administrateur, s'il en a été désigné, ou, à défaut, au débiteur. Une copie de cette demande est adressée au mandataire judiciaire. A défaut d'accord dans le délai d'un mois à compter de la réception de la demande ou en cas de contestation, le juge-commissaire peut être saisi à la diligence du propriétaire afin qu'il soit statué sur les droits de ce dernier.

8. Il en résulte que si la demande de restitution d'un bien, objet d'un contrat publié, fondée sur les articles L. 624-10 et R. 624-14 du code de commerce ne constitue qu'une faculté pour le propriétaire de ce bien, ce dernier, lorsque sa créance est par ailleurs garantie par un cautionnement, commet une faute, au sens de l'article 2314 du code civil, si, en s'abstenant d'exercer l'action en restitution, il prive la caution d'un droit qui pouvait lui profiter.

9. Pour rejeter la demande de décharge des cautions, sur le fondement de la perte du bénéfice de subrogation, l'arrêt retient qu'il est constant, au visa de l'article R. 624-14 du code de commerce, que l'action en restitution, prévue à l'article L. 624-10 du même code, n'est qu'une simple faculté ouverte au propriétaire dispensé de faire connaître son droit de propriété et qu'elle n'est soumise à aucun délai. Il relève que, dans ses lettres de déclaration de créance des 3 mars et 14 décembre 2009, la société Sogelease avait demandé au mandataire judiciaire puis au mandataire liquidateur de lui indiquer, conformément aux dispositions des articles L. 624-10 du code de commerce et 116 du décret n° 2005-1677 du 28 décembre 2005, « les modalités de récupération de nos matériels entre les mains de la société Vitassource ou de tout autre tiers, notre contrat ayant fait l'objet d'une publication auprès du greffe du tribunal de commerce de Nîmes, le 11 octobre 2007 sous le numéro d'inscription n° 2007C002218 ».

L'arrêt ajoute que M. et Mme [P] ne contestent pas utilement l'effectivité de cette publication et ne peuvent pas, en conséquence, soutenir une exception de subrogation quand la revendication doit être exercée faute de publication. Il ajoute que la demande en restitution n'était en l'espèce qu'une faculté et les deux lettres précitées tendaient au contraire à rappeler au mandataire judiciaire, devenu ultérieurement liquidateur judiciaire, que les matériels concernés étaient la propriété de la société Sogelease et qu'elle entendait les récupérer. Il en déduit que M. et Mme [P] ne démontrent aucune faute ni fait exclusif du créancier dans le défaut de restitution du matériel donné en crédit-bail.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, en omettant de poursuivre la restitution du matériel, objet du contrat de crédit-bail, dans les conditions prévues à l'article R. 624-14 du code de commerce, la société Sogelease n'avait pas fait perdre aux cautions un droit qui pouvait leur profiter, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

11. M. et Mme [P] font le même grief à l'arrêt, alors « que l'article L. 341-6 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable en la cause, selon lequel « le créancier professionnel est tenu de faire connaître à la caution personne physique, au plus tard avant le 31 mars de chaque année, le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation garantie, ainsi que le terme de cet engagement », est applicable à tout créancier professionnel et en faveur de toute caution ; qu'en écartant l'application de ce texte au motif qu'« il est constant que les dispositions de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier et L. 341-6 du code de la consommation ne sont pas applicables en faveur de la caution du crédit-preneur qui s'acquitte de loyers », la cour d'appel a violé l'article L. 341-6 du code de la consommation dans sa rédaction applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 341-6 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 :

12. Aux termes de ce texte, le créancier professionnel est tenu de faire connaître à la caution personne physique, au plus tard avant le 31 mars de chaque année, le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation garantie, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, il rappelle la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée. A défaut, la caution ne saurait être tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information.

13. Ces dispositions sont applicables à la caution du crédit-preneur qui s'acquitte de loyers.

14. Pour rejeter la demande de M. et Mme [P] tendant à ce que la société Sogelease, crédit-bailleur, soit déchue de tous droits à intérêts de retard et pénalités, l'arrêt retient que les dispositions de l'article L. 341-6 du code de la consommation ne sont pas applicables en faveur de la caution du crédit-preneur qui s'acquitte de loyers.

15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les demandes de Mme [N] et M. [P] tendant au débouté de la société Sogelease France aux motifs d'un défaut d'admission de la créance et de la disproportion manifeste de leurs engagements, l'arrêt rendu le 4 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Graff-Daudret - Avocat(s) : SAS Hannotin Avocats ; SCP Lévis -

Textes visés :

Article 2314 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 ; articles L. 624-10 et R. 624-14 du code de commerce.

Com., 22 novembre 2023, n° 22-17.894, (B), FRH

Rejet

Redressement judiciaire – Déroulement – Poursuite de l'activité au cours de la période d'observation – Fin du redressement judiciaire pour extinction du passif – Conditions – Pouvoirs des juges

La mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 631-16 du code de commerce relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 avril 2022), le 7 octobre 2019, à la suite d'une assignation de la société Bpifrance, la société JASSP a été mise en redressement judiciaire, la société Philippe Angel-Denis Hazane étant désignée mandataire judiciaire.

2. Le 5 juillet 2021, le tribunal a arrêté le plan de redressement de la société JASSP d'une durée de 6 ans, la société Philippe Angel-Denis Hazane étant désignée commissaire à l'exécution du plan.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société JASSP fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement et de rejeter sa demande de clôture du redressement judiciaire, alors :

« 1°/ que s'il apparaît, au cours de la période d'observation, que le débiteur dispose des sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers et acquitter les frais et les dettes afférents à la procédure, le tribunal peut mettre fin à celle-ci ; que pour effectuer cette appréciation, seules les créances exigibles doivent être prises en considération ; qu'en incluant au passif exigible l'honoraire proportionnel de répartition du mandataire « estimé entre 300 et 2 300 euros », pour évaluer ledit passif à la somme de 119 104,03 euros, et considérer que la somme de 117 104,03 euros séquestrée sur le compte du mandataire judiciaire serait inférieure au passif exigible, la cour d'appel a violé l'article L. 631-16 du code de commerce ;

2°/ qu'à l'exception des rémunérations prévues aux articles R. 663-4 et R. 663-18 à R. 663-20 du code de commerce et des provisions et acomptes autorisés, les rémunérations dues au mandataire ne sont perçues qu'après avoir été arrêtées ; qu'en incluant la simple estimation de l'honoraire proportionnel de répartition dans le passif exigible, la cour d'appel a violé l'article R. 663-34 du code de commerce ;

3°/ qu'en jugeant que l'honoraire proportionnel de répartition du mandataire « estimé entre 300 et 2300 euros », ajouté au passif déclaré de 116 804,03 euros, devrait conduire à évaluer le passif à la somme de 119 104,03 euros, tout en admettant que ledit honoraire pourrait n'être que de 300 euros, ce qui conduirait alors à un passif total de 117 104,03 euros égal à la somme de 117 104,03 euros séquestrée sur le compte du mandataire judiciaire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que la société JASSP exposait qu'au titre de ses actifs, devait être comprise la condamnation de la société ONEPOINT, par jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 février 2022 produit aux débats et assorti de l'exécution provisoire, à lui payer la somme de 109 632 euros, majorée des intérêts de retard au taux fixé par l'article L. 441-6 du code de commerce, outre la capitalisation des intérêts ; qu'en jugeant sans autre explication que « la condamnation de la société ONEPOINT par jugement du 23 février 2022 à verser à la société JASSP la somme de 109 632 euros ne saurait constituer un actif disponible », la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article L. 631-16 du code de commerce, le juge peut mettre fin à la période d'observation s'il apparaît que le débiteur dispose des sommes suffisantes, non seulement pour désintéresser les créanciers, mais aussi pour acquitter les frais et dettes afférents à la procédure collective.

5. Sous le couvert de griefs non fondés de violation des articles L. 631-16, R. 663-34 du code de commerce et 455 du code de procédure civile, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'exercice par la cour d'appel du pouvoir souverain qu'elle tient de l'article L. 631-16 précité de ne pas faire usage de la faculté offerte par ce texte de mettre fin au redressement judiciaire.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : Me Descorps-Declère ; SCP Caston ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article L. 631-16 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur le pouvoir souverain des juges du fond pour l'application de l'article L. 631-16 du code de commerce, à rapprocher : Com., 16 décembre 2008, pourvoi n° 07-22.033, Bull. 2008, IV, n° 212 (rejet).

Com., 22 novembre 2023, n° 22-17.798, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Redressement judiciaire – Ouverture – Demande – Débiteur ayant bénéficié d'un mandat ad hoc ou d'une conciliation – Confidentialité – Exception

En application des articles L. 621-1, alinéas 5 et 6, et L. 631-7 du code de commerce, un tribunal, saisi d'une demande d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard d'un débiteur qui bénéficie ou a bénéficié d'un mandat ad hoc ou d'une procédure de conciliation dans les dix-huit mois qui précèdent, peut, d'office ou à la demande du ministère public, obtenir communication des pièces et actes relatifs au mandat ad hoc ou à la conciliation, nonobstant les dispositions de l'article L. 611-15 du même code.

Prévention des difficultés – Procédure de conciliation ou de mandat ad hoc – Confidentialité – Exception – Cas – Demande d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 14 avril 2022), le 28 septembre 2021, la société Artis construction a déclaré son état de cessation des paiements et demandé sa mise en redressement judiciaire. A cette occasion, elle a déclaré qu'elle avait bénéficié, le 22 décembre 2020, d'une procédure de mandat ad hoc.

2. Par un jugement du 18 octobre 2021, le tribunal, avant de statuer sur l'ouverture de la procédure collective, a, à la demande du ministère public, ordonné la communication des pièces et actes relatifs au mandat ad hoc et renvoyé l'examen de l'affaire à une date ultérieure.

3. La société Artis construction a interjeté appel-nullité de ce jugement.

4. Par un jugement du 2 novembre 2021, la société Artis construction a été mise en redressement judiciaire, la société BCM étant désignée en qualité d'administrateur et la société Jérôme Allais, en celle de mandataire judiciaire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Artis construction fait grief à l'arrêt de déclarer son appel-nullité irrecevable et de confirmer le jugement, alors « que toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité ; que le tribunal de commerce ne peut lever cette confidentialité en ordonnant la communication des pièces et actes relatifs au mandat ad hoc tant qu'une procédure collective n'a pas été ouverte à l'égard du débiteur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le tribunal de commerce de Lyon, par jugement avant-dire droit du 18 octobre 2021, avait ordonné à la société Artis construction de communiquer les pièces et actes relatifs au mandat ad hoc dont elle bénéficiait, tandis qu'aucune procédure collective n'avait été ouverte à son égard ; que la société Artis construction a fait valoir que le tribunal avait ainsi commis un excès de pouvoir, de sorte que le jugement avant-dire droit du 18 octobre 2021 devait être annulé ; qu'en jugeant toutefois que la levée de la confidentialité d'un mandat ad hoc pouvait intervenir avant l'audience prononçant l'ouverture d'une procédure collective, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir, violant ainsi les articles L. 611-15 et L. 621-1, alinéas 5 et 6, du code de commerce. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte des articles L. 621-1, alinéas 5 et 6, et L. 631-7 du code de commerce, que le tribunal, saisi d'une demande d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard d'un débiteur qui bénéficie ou a bénéficié d'un mandat ad hoc ou d'une procédure de conciliation dans les dix-huit mois qui précèdent, peut, d'office ou à la demande du ministère public, obtenir communication des pièces et actes relatifs au mandat ad hoc ou à la conciliation, nonobstant les dispositions de l'article L. 611-15 du même code.

7. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

8. La société Artis construction fait le même grief à l'arrêt, alors « que la cour d'appel ne peut, après avoir déclaré l'appel irrecevable, confirmer le jugement déféré ; qu'ainsi, en confirmant le jugement du 18 octobre 2021 après avoir pourtant déclaré irrecevable l'appel-nullité de la société Artis construction, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir, violant ainsi l'article 562 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 562 du code de procédure civile :

9. Il résulte de ce texte qu'une cour d'appel qui décide que l'appel dont elle est saisie est irrecevable excède ses pouvoirs en confirmant le jugement qui a fait l'objet de cet appel.

10. Après avoir déclaré irrecevable l'appel-nullité formé par la société Artis construction, l'arrêt confirme le jugement.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement rendu le 18 octobre 2021, l'arrêt rendu le 14 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Riffaud - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Duhamel -

Textes visés :

Articles L. 611-15, L. 621-1, alinéas 5 et 6, et L. 631-7 du code de commerce.

Com., 22 novembre 2023, n° 22-18.766, (B), FRH

Cassation

Redressement judiciaire – Période d'observation – Créanciers – Arrêt des poursuites individuelles – Action contre une caution personne physique – Suspension – Fin de non-recevoir – Régularisation – Conditions – Tribunal se prononçant sur la demande contre la caution après l'adoption du plan

Si, selon l'article L. 622-28, alinéa 2, du code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par l'article L. 631-14, le jugement d'ouverture du redressement judiciaire suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation toute action contre les personnes physiques ayant consenti une sûreté personnelle, il résulte de l'article 126 du code de procédure civile que la fin de non-recevoir édictée par ces textes, dont la caution peut se prévaloir, peut être régularisée si le tribunal ne se prononce sur la demande formée contre la caution qu'après l'adoption du plan.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 11 mai 2022), le 4 juillet 2018, la société LVMT a été mise en redressement judiciaire.

Le 18 novembre suivant, la société Banque populaire Alsace-Lorraine-Champagne (la banque), qui avait consenti à la société LVMT l'ouverture d'un compte courant professionnel, a assigné M. [N], qui, en 2014, s'était porté caution des engagements de la société LVMT dont il était le gérant. Un plan de redressement a été arrêté le 3 juillet 2019.

2. Après vaine mise en demeure de M. [N], la banque l'a assigné en paiement au titre de son engagement de caution.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer sa demande irrecevable, alors « que l'action dirigée contre une caution personne physique et suspendue par l'effet du jugement d'ouverture du redressement judiciaire du débiteur principal peut être reprise, sans nouvelle assignation, après le jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation judiciaire ; que dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité est écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ; qu'en considérant que la demande de l'exposante, introduite le 18 novembre 2018, aurait été irrecevable, après avoir constaté, par motifs propres et adoptés, que la société LVMT avait été placée en redressement judiciaire le 4 juillet 2018 et que par jugement du 3 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Mulhouse avait arrêté le plan d'apurement du passif de la société LVMT, de sorte que l'action de l'exposante, suspendue en raison de l'ouverture du redressement judiciaire, pouvait être reprise après le jugement arrêtant le plan, et que la situation était régularisée au jour où elle statuait, la cour d'appel a violé les articles L. 622-28 du code de commerce et 126 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 622-28, alinéa 2, du code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par l'article L. 631-14 du même code, et l'article 126 du code de procédure civile :

4. Selon les deux premiers de ces textes, le jugement d'ouverture du redressement judiciaire suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation toute action contre les personnes physiques ayant consenti une sûreté personnelle.

5. La fin de non-recevoir édictée par ces textes, dont la caution peut se prévaloir, peut, en application du dernier de ces textes, être régularisée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.

6. Pour déclarer irrecevable la demande de la banque, l'arrêt relève que l'acte introductif d'instance a été enregistré au greffe pendant la période d'observation et que l'autorisation, qui avait été accordée à la banque par le juge de l'exécution d'inscrire une sûreté réelle sur les biens immobiliers de la caution, n'avait pas été suivie des diligences nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire dans le mois suivant cette autorisation. Il en déduit qu'aucune régularisation de la fin de non-recevoir n'est intervenue.

7. En statuant ainsi, tout en constatant que, si l'action en paiement contre la caution avait été engagée pendant la période d'observation du redressement judiciaire du débiteur principal, le tribunal ne s'était prononcé sur cette demande qu'après l'adoption du plan de redressement, de sorte que la cause de la fin de non-recevoir avait disparu, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Vallansan - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles L. 622-28, alinéa 2, et L. 631-14 du code de commerce ; article 126 du code de procédure civile.

Com., 22 novembre 2023, n° 22-16.362, (B), FRH

Rejet

Redressement judiciaire – Plan de redressement – Interprétation – Conclusions d'un administrateur judiciaire déclarées irrecevables – Possibilité pour le débiteur de les verser au débat

Les informations contenues dans les conclusions, devant une cour d'appel, d'un administrateur judiciaire, déclarées irrecevables pour tardiveté, peuvent être versées aux débats par le débiteur, sans mauvaise foi ni déloyauté de sa part, en vertu du principe du droit à la preuve et aux fins de permettre à la cour d'appel d'apprécier le sens d'une note d'actualisation de l'administrateur sur le plan de redressement dont le débiteur conteste l'interprétation qu'en a faite le tribunal.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 mars 2022), rendu en référé, et les productions, le capital de la société Fort royal, dirigée par la société Fort royal Holding, elle-même dirigée par M. [E], est divisé en 30 607 actions détenues par plus de 60 actionnaires, les deux principaux étant la société Fort royal Holding, qui détient 8 488 actions, et la société Finiva LLC, présidée par M. [X], qui détient 7 639 actions.

2. Le 15 janvier 2019, la société Fort royal a été mise en redressement judiciaire, la société Thévenot Partners étant désignée administrateur.

3. Par un jugement du 5 mai 2020, le tribunal a arrêté le plan de redressement de la société Fort royal, mis fin à la mission de l'administrateur et désigné la société Thévenot Partners commissaire à l'exécution du plan.

4. Une assemblée générale des actionnaires de la société du 29 décembre 2020 a rejeté les résolutions visant à mettre en oeuvre des mesures de restructuration financière consistant en une réduction du capital social à zéro, et une augmentation de ce capital, avec suppression du droit préférentiel de souscription, par l'émission de 100 000 actions ordinaires, au profit de la société Roi soleil Holding.

5. La société Fort royal a assigné devant le président du tribunal, statuant en référé, la société Finiva LLC, M. [X], M. [H], M. [Z], M. [B], Mme [C], la société Nantaise des eaux Holding, la société Financière Amenon, tous actionnaires opposants, et la société Thévenot Partners, ès qualités, aux fins de voir notamment juger que l'opposition de ces actionnaires aux résolutions visant à la bonne exécution du plan de redressement adopté par le jugement définitif du 5 mai 2020 constituait un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser et exposait la société Fort royal à un dommage imminent, et voir désigner un mandataire ad hoc chargé de voter aux lieu et place des actionnaires minoritaires, dans le sens que commande l'intérêt social lors de la prochaine assemblée générale extraordinaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La société Finiva LLC, M. [X], M. [H], M. [B], Mme [C], la société Nantaise des eaux Holding, et la société Financière Amenon font grief à l'arrêt de recevoir aux débats la pièce n° 22 de la société Fort royal à titre d'attestation de la société Thévenot Partners sur le sens de sa note d'actualisation du 24 février 2020 au plan de redressement de la société Fort royal, alors « que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense ; que l'exigence de loyauté procédurale interdit à une partie de contourner l'irrecevabilité de conclusions déposées tardivement par une autre partie avec laquelle elle présente un intérêt commun, en produisant à titre de pièce lesdites conclusions, aux fins d'emporter la conviction du juge sur le bien fondé de ses propres prétentions ; qu'en énonçant que si l'irrecevabilité prononcée des conclusions de la société Thévenot partners a pour effet de rendre irrecevables les prétentions que cette partie intimée forme devant la cour, les informations contenues dans ces conclusions peuvent être versées aux débats à titre de simple attestation par l'appelante, la cour d'appel a violé les articles 15 et 135 du code de procédure civile, ensemble le principe selon lequel le juge est tenu de respecter et de faire respecter la loyauté des débats. »

Réponse de la Cour

7. Après avoir relevé que les conclusions de la société Thévenot Partners, ès qualités, avaient été déclarées irrecevables pour tardiveté, l'arrêt retient exactement que les informations contenues dans ces conclusions pouvaient être versées aux débats par la société Fort royal, sans mauvaise foi ni déloyauté de sa part, en vertu du principe du droit à la preuve et aux fins de permettre à la cour d'appel d'apprécier le sens d'une note d'actualisation de l'administrateur sur le plan de redressement de la société Fort royal qui avait fait l'objet d'une interprétation par le tribunal qui était contestée par cette société.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. La société Finiva LLC, M. [X], M. [H], M. [B], Mme [C], la société Nantaise des eaux Holding, et la société Financière Amenon font grief à l'arrêt de désigner M. [G], en qualité de mandataire ad hoc, avec pour mission, pour une durée maximum de quatre mois de participer à l'assemblée générale extraordinaire de la société Fort royal qui sera convoquée avec notamment pour ordre du jour la réduction de capital de 979 424 euros motivée par des pertes, par voie d'annulation de l'ensemble des actions composant le capital social de la société, sous la condition suspensive de l'adoption d'une augmentation de capital en numéraire, l'augmentation du capital social, par l'émission de 100 000 actions ordinaires, au prix d'un euro chacune, avec suppression du droit préférentiel de souscription des associés au profit d'une personne dénommée, à savoir la société Roi soleil holding, la suppression du droit préférentiel de souscription aux 100 000 actions ordinaires nouvelles au profit d'une personne dénommée, la constatation de l'augmentation de capital, la modification des statuts et de représenter lors de cette assemblée générale M. [X], M. [H], M. [Z], M. [B], Mme [C], la société Nantaise des eaux holding, la société Financière Amenon et la société Finiva LLC, associés opposants, et voter en leur lieu et place, alors :

« 1°/ qu'aux termes de l'article L. 631-9-1 du code de commerce, si les capitaux propres n'ont pas été reconstitués dans les conditions prévues par l'article L. 626-3, l'administrateur a qualité pour demander la désignation d'un mandataire en justice chargé de convoquer l'assemblée compétente et de voter la reconstitution du capital, à concurrence du montant proposé par l'administrateur, à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à exécuter le plan ; qu'il s'évince d'une telle disposition que lorsque l'adoption du plan de redressement suppose une modification du capital, l'administrateur peut seulement demander la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de convoquer l'assemblée compétente pour voter la reconstitution du capital, à l'exclusion de toute opération d'accordéon ; qu'en considérant qu'il était possible d'obtenir en référé la désignation d'un mandataire aux fins de convoquer l'assemblée générale des actionnaires appelée à décider de la réduction et de l'augmentation du capital en faveur de la société Roi soleil holding, la cour d'appel a violé l'article L. 631-9-1 du code de commerce ;

2°/ qu'aux termes de l'article L. 631-9-1 du code de commerce, si les capitaux propres n'ont pas été reconstitués dans les conditions prévues par l'article L. 626-3, l'administrateur a qualité pour demander la désignation d'un mandataire en justice chargé de convoquer l'assemblée compétente et de voter la reconstitution du capital, à concurrence du montant proposé par l'administrateur, à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à exécuter le plan ; qu'il s'évince d'une telle disposition que lorsque l'adoption du plan de redressement suppose une modification du capital, l'administrateur peut seulement demander la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de convoquer l'assemblée compétente pour voter la reconstitution du capital, à l'exclusion de toute opération d'accordéon ; qu'en énonçant que « selon le plan de redressement, les mesures de restructuration qui ont été soumises au vote de l'assemblée générale des actionnaires s'inscrivent bien dans le cadre d'une reconstitution des capitaux propres, ces mesures ayant pour objet de réaliser cette reconstitution, et que conformément au texte susvisé, l'assemblée générale des actionnaires a été appelée à décider de la réduction et de l'augmentation du capital en faveur de la société Roi soleil holding », lorsqu'il était constant que la réduction du capital à zéro et l'augmentation de capital à hauteur de 100 000 euros ne permettait pas la reconstitution des capitaux propres de la société, compte tenu de ce que les capitaux propres avaient une valeur négative de 7 686 830 euros, la cour d'appel a violé l'article L. 631-9-1 du code de commerce ;

3°/ qu'avant toute restructuration du capital décidée par l'assemblée générale, si, du fait des pertes constatées dans les documents comptables, les capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social, l'assemblée est d'abord appelée à reconstituer ces capitaux à concurrence du montant proposé par l'administrateur et qui ne peut être inférieur à la moitié du capital social ; qu'en énonçant que « selon le plan de redressement, les mesures de restructuration qui ont été soumises au vote de l'assemblée générale des actionnaires s'inscrivent bien dans le cadre d'une reconstitution des capitaux propres, ces mesures ayant pour objet de réaliser cette reconstitution, et que conformément au texte susvisé, l'assemblée générale des actionnaires a été appelée à décider de la réduction et de l'augmentation du capital en faveur de la société Roi soleil holding », lorsqu'était requise, avant toute opération d'accordéon, que l'assemblée générale soit préalablement consultée sur la reconstitution des capitaux propres à concurrence du montant proposé par l'administration et qui ne peut être inférieur à la moitié du capital social, la cour d'appel a violé les articles L. 626-3 alinéa 2 du code de commerce et L. 631-9 du code de commerce ;

4°/ qu'avant toute restructuration du capital décidée par l'assemblée générale, si, du fait des pertes constatées dans les documents comptables, les capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social, l'assemblée est d'abord appelée à reconstituer ces capitaux à concurrence du montant proposé par l'administrateur et qui ne peut être inférieur à la moitié du capital social ; qu'en énonçant que « selon le plan de redressement, les mesures de restructuration qui ont été soumises au vote de l'assemblée générale des actionnaires s'inscrivent bien dans le cadre d'une reconstitution des capitaux propres, ces mesures ayant pour objet de réaliser cette reconstitution, et que conformément au texte susvisé, l'assemblée générale des actionnaires a été appelée à décider de la réduction et de l'augmentation du capital en faveur de la société Roi soleil holding », lorsqu'il était constant que la réduction du capital à zéro et l'augmentation de capital à hauteur de 100 000 euros ne permettait pas une reconstitution des capitaux propres à hauteur de la moitié du capital social, compte tenu de ce que les capitaux propres avaient une valeur négative de 7 686 830 euros, la cour d'appel a violé les articles L. 626-3 alinéa 2 du code de commerce et L. 631-9 du code de commerce ;

5°/ que les assemblées générales des titulaires de valeurs mobilières donnant accès à terme au capital sont appelées à autoriser toutes modifications au contrat d'émission et à statuer sur toute décision touchant aux conditions de souscription ou d'attribution de titres de capital déterminées au moment de l'émission ; que l'opération de réduction du capital à zéro et l'annulation consécutive des obligations convertibles en actions touchant aux conditions d'attribution de titres de capital déterminées au moment de l'émission, l'assemblée générale des obligataires aurait dû autoriser préalablement cette opération ; qu'en énonçant que les porteurs d'obligations convertibles en actions devaient seulement être consultés sur l'opération d'accordéon, la cour d'appel a violé les articles L. 228-103 et L. 626-3 du code de commerce ;

6°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'au cas présent, le contrat d'émission du 20 novembre 2015 prévoit en son article 2 de l'annexe 3, que la réduction du capital de la société était « soumise à l'accord préalable de la masse des titulaires d'obligations convertibles » ; qu'en énonçant que l'opération d'accordéon, qui implique une réduction de capital, pouvait être réalisée sans l'accord préalable de la masse des obligations convertibles, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 ;

7°/ que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif ; qu'en énonçant, pour établir l'existence d'un trouble manifestement illicite et d'un dommage imminent tirée du refus des actionnaires minoritaires de voter en faveur de l'opération d'accordéon, qu'il ne saurait être tiré de ce que cette opération n'est pas expressément reprise dans le dispositif du jugement du 5 mai 2020 ayant arrêté le plan de redressement pour en nier l'autorité de chose jugée de ce chef, la cour d'appel a violé les articles 480 et 873 du code de procédure civile ;

8°/ que seules les dispositions du plan arrêtées dans le dispositif du jugement sont opposables à tous ; qu'en estimant, pour établir l'existence d'un trouble manifestement illicite et d'un dommage imminent tirée du refus des actionnaires minoritaires de voter en faveur de l'opération d'accordéon, qu'il ne saurait être tiré de ce que la restructuration financière n'est pas expressément reprise dans le dispositif du jugement du 5 mai 2020 et qu'elle n'y serait pas incluse, aux motifs que selon l'article L. 621-65 du code de commerce, le jugement qui arrête le plan en rend les dispositions opposables à tous, si bien qu'arrêtées par le jugement du 5 mai 2020 dont le dispositif a autorité de chose jugée (autorité non discutée par les intimés), les mesures de restructuration du capital, en ce qu'elles sont incluses dans le redressement tel qu'arrêté par le tribunal de commerce, sont opposables à tous et notamment aux actionnaires qui les contestent, la cour d'appel a violé les articles L. 626-11 et L. 631-19 du code de commerce, ensemble les articles 480 et 873 du code de procédure civile ;

9°/ que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif ; qu'en énonçant, pour écarter l'existence d'une fraude attachée à la suppression du droit préférentiel de souscription, que la légalité des mesures de redressement telles qu'adoptées par le tribunal de commerce (qui les a jugées légales) serait à apprécier dans le cadre d'un recours formé contre le jugement du tribunal de commerce, recours qui manifestement n'a pas été exercé en l'espèce, les intimés ne discutant pas eux-mêmes le caractère définitif du jugement du 5 mai 2020, lorsque l'opération d'accordéon ne figurait pas dans le dispositif de la décision de sorte que le tribunal n'avait pas définitivement statué sur cette restructuration du capital, la cour d'appel a violé les articles 480 et 873 du code de procédure civile ;

10°/ que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif ; qu'en énonçant, pour établir l'existence d'un trouble manifestement illicite et d'un dommage imminent tirée du refus des actionnaires minoritaires de voter en faveur de l'opération d'accordéon, qu'un tel refus était abusif, en ce qu'il fait obstacle à la mise en oeuvre de mesures de restructuration qui ont été considérées, par jugement définitif du tribunal de commerce, comme étant indispensables au redressement de la société Fort royal et par suite à sa survie, exposant ainsi la société à un risque de liquidation judiciaire contraire à l'intérêt social, lorsque l'opération d'accordéon ne figurait pas dans le dispositif de la décision de sorte que le tribunal n'avait pas définitivement statué sur cette restructuration du capital, la cour d'appel a violé les articles 480 et 873 du code de procédure civile ;

11°/ que les exposants faisaient valoir que la suppression du droit préférentiel de souscription au profit de la société Roi Soleil Holding en lieu et place de la société Fort royal Holding, avait pour seul but de contourner l'interdiction de vote prévue par l'article L. 225-138, alinéa 1, du code de commerce ; qu'en effet, il était soutenu que la société Roi Soleil Holding, structure ad hoc contrôlée par M. [E], n'avait été créée par ce dernier que pour permettre à la société Fort royal Holding, qu'il contrôlait également, de prendre part au vote ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen qui conditionnait la légalité même des mesures qu'elle ordonnait, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

12°/ que l'abus de minorité, qui seul permet au juge de désigner un mandataire aux fins de représenter les associés minoritaires défaillants à une nouvelle assemblée et de voter en leur nom dans le sens des décisions conformes à l'intérêt social mais ne portant pas atteinte à l'intérêt légitime des minoritaires, suppose à la fois une attitude contraire à l'intérêt social, en ce qu'il interdit la réalisation d'une opération essentielle pour la société, et dans l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l'ensemble des autres associés ; qu'en énonçant, pour établir l'existence d'un abus de minorité, que l'opération « est fondée sur l'intérêt social en ce qu'elle tend à permettre à la société de retrouver de nouveaux investisseurs qui adhèrent à la poursuite de son activité, alors que son actionnariat actuel est divisé et que les actionnaires qui la financent sont opposés à la poursuite de son activité », sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée si les modalités concrètes de l'opération d'accordéon sur lesquelles les associés avaient été consultés étaient réellement conformes à l'intérêt social, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil, ensemble l'article 873 du code de procédure civile ;

13°/ que les exposants faisaient valoir que « n'est pas constitutif d'un abus de minorité le fait de refuser de voter une augmentation de capital dès lors que l'associé n'a pas eu à sa disposition les documents lui permettant d'émettre un vote éclairé permettant un débat nécessaire sur la confrontation entre l'intérêt social et les mesures opposées aux minoritaires » et qu'« en l'espèce, seules les informations financières concernant l'approbation des comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2019 ont été communiquées, à l'exclusion de toute information financière pour l'année 2020 (ni pour la société Fort royal, ni pour sa filiale JRS)" et encore qu'« il n'a pas été non plus communiqué aux minoritaires le Projet de plan de redressement présenté par la société Fort royal, le bilan économique et social comportant un projet de plan de redressement de l'administrateur judiciaire, ni même le jugement en date du 5 mai 2020 arrêtant le plan de redressement. Aucune information n'a été non plus communiquée concernant le mode de libération de la souscription projetée : soit au moyen de versement en espèce, soit par compensation avec des créances liquides et exigibles ; qu'en considérant que les minoritaires avaient commis un abus de minorité sans analyser ce moyen tiré du défaut d'information leur permettant d'émettre un vote éclairé, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

14°/ que le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer ; qu'en se bornant à considérer qu'il existait un risque de liquidation judiciaire de la société Fort royal si les mesures de restructuration du capital n'étaient pas mises en oeuvre, sans établir que la liquidation judiciaire se produirait sûrement si l'opération d'accordéon n'était pas votée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 873 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. En premier lieu, l'arrêt relève que le plan de redressement a été adopté le 5 mai 2020, avant la tenue de l'assemblée générale appelée à autoriser les mesures de restructuration financières litigieuses qui a eu lieu le 29 décembre suivant, et que le juge des référés a été saisi par la société Fort royal sur le fondement de l'article 873 du code de procédure civile. Il s'en évince que la demande n'était pas présentée par l'administrateur de manière à rendre possible l'adoption du plan de redressement et que les dispositions des articles L. 626-3 et L. 631-9-1 du code de commerce n'étaient pas applicables au litige.

11. Les première, deuxième, troisième et quatrième branches sont donc inopérantes.

12. En deuxième lieu, l'arrêt, qui n'a pas dénaturé le contrat d'émission, énonce à bon droit qu'il résulte de l'article L. 228-103 du code de commerce que si les porteurs d'obligations convertibles doivent autoriser les modifications du contrat d'émission des obligations, les décisions touchant aux conditions de souscription ou d'attribution des titres de capital déterminées au moment de l'émission ne sont soumises qu'à leur consultation.

13. Les cinquième et sixième branches ne sont donc pas fondées.

14. En dernier lieu, l'arrêt relève que si la restructuration financière n'est pas expressément reprise dans le dispositif du jugement ayant arrêté le plan, le jugement fait expressément état de la restructuration du capital telle que proposée dans le projet de plan, dont il reprend les modalités. Il retient que le refus des actionnaires minoritaires de voter en faveur des mesures de restructuration s'inscrit dans la poursuite du conflit qui oppose M. [E] à M. [X] sur la gestion et l'avenir de la société Fort royal depuis le mois de mai 2018, M. [X] ayant soutenu, en opposition au plan de redressement proposé par M. [E], une offre concurrente de cession des actifs non retenue, et que les actionnaires opposants n'ont présenté aucun plan de redressement alternatif à celui adopté par le tribunal. Il en déduit que leur opposition tend, dans leur intérêt exclusif, à une récupération de leurs actifs, et non au redressement de la société.

L'arrêt en déduit que, dans ces circonstances, l'usage que les actionnaires minoritaires ont fait de leur droit de vote apparaît abusif en ce qu'il fait obstacle à la mise en oeuvre de mesures de restructuration financières jugées indispensables au redressement de la société Fort royal et par suite à sa survie, en exposant la société à un risque de liquidation judiciaire contraire à l'intérêt social.

15. De ces seules constatations et appréciations, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les septième, huitième, neuvième et dixième branches, la cour d'appel a exactement déduit que se trouvait caractérisée l'existence d'un trouble manifestement illicite et d'un dommage imminent.

16. Le moyen, pour partie inopérant, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat(s) : SAS Hannotin Avocats ; SCP Boutet et Hourdeaux -

Textes visés :

Articles 15 et 135 du code de procédure civile ; article L. 228-103 du code de commerce.

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