Numéro 11 - Novembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2023

TRAVAIL REGLEMENTATION, SANTE ET SECURITE

Soc., 15 novembre 2023, n° 22-17.733, (B), FRH

Cassation partielle

Employeur – Obligations – Sécurité des salariés – Obligation de sécurité – Manquement – Cas – Travailleur expatrié – Protection de la santé du salarié – Défaut – Portée

Viole l'article L. 4121-1 du code du travail, en statuant par des motifs impropres à établir que l'employeur avait pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé du salarié, la cour d'appel qui, pour débouter un salarié de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, retient, d'une part que celui-ci reproche à l'employeur de lui avoir fait boire de l'eau de ville mal filtrée sans en apporter la preuve, d'autre part qu'il est notoire que l'eau de ville en Haïti n'étant pas potable, il convient de boire de l'eau minérale en bouteille, et que le salarié ne peut en imputer la faute à son employeur dès lors qu'il a manqué à cette obligation de prudence élémentaire.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 27 octobre 2021), M. [H] a été engagé en qualité de responsable de programme éducation en Haïti le 6 août 2012 par l'association Inter aide (l'association).

2. Il a été placé en arrêt maladie à compter du 28 septembre 2012 jusqu'au 24 avril 2013, après avoir contracté une amibiase, et a été rapatrié le 11 octobre 2012.

3. Le salarié a été déclaré apte à son poste le 8 juillet 2013 et a été licencié le 24 juillet suivant pour faute grave. Il a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir le paiement de diverses sommes au titre de la rupture du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le second moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour manquement de l'association à l'obligation de sécurité, alors :

« 1°/ que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; qu'il ne méconnaît pas cette obligation légale s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ; que, dans ses conclusions d'appel, le salarié reprochait à son employeur ses mauvaises conditions de travail et d'hébergement et de lui avoir fourni un matériel défectueux de filtration de l'eau, ce qui avait été à l'origine de la maladie tropicale qu'il avait contractée ; que, pour écarter tout manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, la cour d'appel a retenu que le salarié ne rapporte pas la preuve que son employeur lui a fait boire de l'eau de ville mal filtrée, qu'il est notoire que l'eau de ville en Haïti n'est pas potable et qu'il convient de boire de l'eau minérale en bouteille et que le salarié a manqué à cette obligation de prudence élémentaire ; qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à établir que l'employeur avait pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé du salarié, la cour d'appel a violé l'article L. 4121-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 ;

2°/ que dans ses conclusions d'appel, M. [H] reprochait également à son employeur de s'être abstenu de lui porter aide et assistance après qu'il eut contracté une maladie tropicale en Haïti ; qu'en laissant sans réponse ce moyen déterminant, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 4121-1 du code du travail et 455 du code de procédure civile :

6. Il résulte du premier de ces textes que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

7. Selon le second, tout jugement doit être motivé.

Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

8. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt retient, d'une part, que le salarié reproche à l'employeur de lui avoir fait boire de l'eau de ville mal filtrée sans toutefois en apporter la preuve, et d'autre part, qu'il est notoire que l'eau de ville en Haïti n'est pas potable et qu'il convient de boire de l'eau minérale en bouteille, et que si le salarié a manqué à cette obligation de prudence élémentaire, il ne peut en imputer la faute à son employeur.

9. En statuant ainsi, par des motifs impropres à établir que l'employeur avait pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé du salarié, et sans répondre aux conclusions du salarié qui soutenait que l'association ne lui avait apporté aucune aide ni assistance lorsqu'il avait contracté cette maladie tropicale, faute de matériel conforme, l'avait laissé livré à lui-même malade, et n'avait pas voulu organiser un rapatriement sanitaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

10. La cassation du chef de dispositif rejetant la demande au titre du manquement à l'obligation de sécurité n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci, non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande au titre du manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt rendu le 27 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Capitaine (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Chiron - Avocat(s) : Me Haas ; SCP Richard -

Textes visés :

Article L. 4121-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'étendue de l'obligation de sécurité de l'employeur, à rapprocher : Soc., 2 mars 2022, pourvoi n° 20-16.683, Bull., (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Soc., 29 novembre 2023, n° 22-15.794, (B), FS

Cassation partielle

Maternité – Licenciement – Nullité – Cas – Caractérisation de mesure préparatoire au licenciement – Conditions – Mesure prise pendant la période de protection – Convocation à l'entretien préalable au licenciement – Détermination – Portée

Il résulte de l'article L. 1225-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, interprété à la lumière de l'article 10 de la directive 92/85/CEE du Conseil du 19 octobre 1992, qu'il est interdit à un employeur, non seulement de notifier un licenciement, quel qu'en soit le motif, pendant la période de protection visée à ce texte, mais également de prendre des mesures préparatoires à une telle décision.

Ainsi, l'employeur ne peut engager la procédure de licenciement pendant la période de protection, notamment en envoyant la lettre de convocation à l'entretien préalable, un tel envoi constituant une mesure préparatoire au licenciement, peu important que l'entretien ait lieu à l'issue de cette période.

Maternité – Licenciement – Nullité – Cas – Caractérisation de mesure préparatoire au licenciement – Conditions – Mesure prise pendant la période de protection – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 mars 2022), Mme [X] a été engagée en qualité de chef de projet internet à compter du 7 octobre 2013, par la société Compamut, devenue Compassu, aux droits de laquelle vient la société Comparadise groupe.

La salariée exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable marketing.

2. Le contrat de travail de la salariée a été suspendu du 8 septembre 2017 au 24 janvier 2018, en raison de son congé maternité et des congés payés pris immédiatement après, la reprise effective du travail étant fixée au 25 janvier 2018.

3. Par lettre du 16 janvier 2018, l'employeur l'a convoquée à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé au 10 avril 2018.

L'intéressée a accepté le contrat de sécurisation professionnelle le 1er mai suivant.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes de nullité du licenciement pour motif économique et de réintégration ainsi que de ses demandes afférentes à la rupture, alors « qu'il est interdit non seulement de notifier une décision de licenciement pendant la période de protection visée à L. 1225-4 du code du travail, mais également de prendre des mesures préparatoires à une telle décision ; qu'au cas présent, la cour d'appel, après avoir relevé que la période de protection prenait fin le 6 avril 2018, a constaté qu'une convocation à entretien préalable au licenciement avait été adressée à Mme [X] le 16 janvier 2018 et que les délégués du personnel avaient été consulté le 12 janvier 2018 sur un projet de licenciement pour motif économique concernant le poste de responsable marketing attaché à l'établissement parisien de la société ; que pour débouter la salariée de ses demandes au titre de la nullité de son licenciement, la cour d'appel a cru pouvoir retenir que la société Comparadise n'avait accompli aucun acte préparatoire au licenciement pendant la période de protection ; qu'en statuant ainsi quant la matérialité des actes préparatoires était établie, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé l'article L. 1225-4 susvisé ensemble l'article 10 de la directive 92/85/CEE du Conseil du 19 octobre 1992 et de l'article 15 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1225-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

5. Il résulte de ce texte, interprété à la lumière de l'article 10 de la directive 92/85/CEE du Conseil du 19 octobre 1992, qu'il est interdit à un employeur, non seulement de notifier un licenciement, quel qu'en soit le motif, pendant la période de protection visée à ce texte, mais également de prendre des mesures préparatoires à une telle décision.

6. Ainsi, l'employeur ne peut engager la procédure de licenciement pendant la période de protection, notamment en envoyant la lettre de convocation à l'entretien préalable, un tel envoi constituant une mesure préparatoire au licenciement, peu important que l'entretien ait lieu à l'issue de cette période.

7. Pour dire que l'employeur n'a pas procédé à un acte préparatoire au licenciement pendant la période de protection et débouter en conséquence la salariée de sa demande de nullité de son licenciement, l'arrêt énonce que l'intéressée ne peut valablement se prévaloir de sa convocation à entretien préalable notifiée pendant sa période de protection, ni de la réunion des délégués du personnel le 12 janvier 2018, pour soutenir que la décision de la licencier était prise en l'absence de tout élément objectif venant caractériser cette volonté de l'employeur.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résultait que l'employeur avait engagé la procédure de licenciement pendant la période de protection dont bénéficiait la salariée à l'issue du congé de maternité, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

9. La cassation des chefs de dispositif déboutant la salariée de sa demande d'annulation de son licenciement et des demandes subséquentes n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société Comparadise groupe à payer à Mme [X] les sommes de 5 752 euros à titre de rappel de rémunération variable pour les années 2017 et 2018 et de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il déboute la société Comparadise groupe de sa demande sur ce fondement et la condamne aux dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 3 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Salomon - Avocat général : Mme Wurtz - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article L. 1225-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, interprété à la lumière de l'article 10 de la directive 92/85/CEE du Conseil du 19 octobre 1992.

Rapprochement(s) :

Sur la caractérisation des mesures préparatoires à un licenciement et la portée de leur prohibition au cours de la période de protection instituée par l'article L. 1225-4 du code du travail, à rapprocher : Soc., 10 février 2016, pourvoi n° 14-17.576, (cassation partielle) ; Soc., 14 septembre 2016, pourvoi n° 15-15.943, Bull. 2016, V, n° 163 (rejet), et l'arrêt cité ; Soc., 1er février 2017, pourvoi n° 15-26.250, (rejet) ; Soc., 23 mai 2017, pourvoi n° 16-13.621, (rejet) ; Soc., 6 novembre 2019, pourvoi n° 18-20.909, (rejet) ; Soc., 1er décembre 2021, pourvoi n° 20-13.339, Bull., (cassation partielle).

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