Numéro 11 - Novembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2023

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE

2e Civ., 30 novembre 2023, n° 22-16.820, (B), FRH

Cassation

Choses dont on a la garde – Exonération – Exonération totale – Cas de force majeure – Caractérisation – Défaut – Exonération partielle du gardien de la chose – Cas – Faute de la victime – Portée

La faute de la victime n'exonère totalement le gardien de sa responsabilité que si elle constitue un cas de force majeure.

N'est pas imprévisible pour les motards qui le suivent la chute d'un pilote sur un circuit.

Exonération – Cas – Force majeure – Critères – Imprévisibilité de l'événement – Caractérisation – Défaut – Exonération partielle du gardien de la chose – Cas – Faute de la victime – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 février 2022), le 23 août 2013, M. [E], alors qu'il pilotait une motocyclette au cours d'une séance de « roulage » sur un circuit fermé, a chuté au sol lors d'une manoeuvre de freinage, avant d'être percuté par la motocyclette conduite par M. [P].

2. M. [E] a assigné en indemnisation M. [P] et la société l'Equité, assureur du véhicule de ce dernier (l'assureur), en présence de la Caisse nationale militaire de sécurité sociale et de la mutuelle Unéo santé.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. M. [E] fait grief à l'arrêt de le débouter de toutes ses demandes indemnitaires dirigées contre M. [P] et son assureur, alors que « pour exonérer le gardien de la chose instrument du dommage, les juges doivent caractériser une faute de la victime et son lien de causalité avec le dommage dont cette dernière demande réparation ; qu'en l'espèce, pour exonérer le gardien de la moto ayant percuté la victime au sol au titre de la faute de cette dernière, la cour d'appel a retenu que « M. [E] avait connaissance des règles applicables sur le circuit et notamment de la signification du drapeau jaune imposant de ralentir et non de freiner brutalement » et que « le premier pilote ayant chuté près du muret à droite de la piste sans empiéter sur celle-ci, aucun obstacle soudain ne lui imposait de freiner brutalement d'autant qu'il était en phase de réaccélération après une sortie de virage », cependant qu'elle avait constaté que le chef de piste « était alors entré sur la piste en agitant un drapeau jaune », que s'il était un « habitué du circuit », il n'était pas licencié contrairement à M. [P], que leur commune appartenance au classement confirmé ne résultait que « des performances de temps réalisées au tour », et que seule une « séance d'information était réalisée notamment pour expliquer les couleurs des drapeaux et le comportement à observer » avant chaque séance de roulage ; que ce faisant, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en retenant sa faute et a ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles 1241 et 1242 alinéa 1er du code civil ; »

Réponse de la Cour

5. L'arrêt énonce que c'est après l'entrée sur la piste du responsable de la sécurité, agitant un drapeau jaune à la suite de la chute d'un premier motard n'empiétant pas sur la voie, que M. [E], qui arrivait en réaccélération à la sortie d'un virage, a brusquement freiné avant de chuter, puis d'être percuté au sol par M. [P].

6. Il retient, d'une part, que tant M. [E] que M. [P], qui participaient à une session réservée à des pilotes confirmés, étaient des « habitués » du circuit qu'ils connaissaient parfaitement, d'autre part, qu'une séance d'information était donnée avant chaque « roulage » sur les règles de comportement à observer sur la piste.

7. Il ajoute que M. [E] avait connaissance notamment de la signification du drapeau jaune, imposant simplement de ralentir, et qu'aucun obstacle soudain ne lui imposait de freiner brutalement.

8. Il en déduit que M. [E] a freiné brutalement sans nécessité, contrairement aux consignes données, alors qu'il était en pleine accélération après une sortie de virage, créant un risque de collision avec les motards qui le suivaient.

9. De ces constatations et énonciations procédant de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a pu déduire que M. [E] avait commis une faute de conduite en lien de causalité avec son dommage.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

11. M. [E] fait le même grief à l'arrêt, alors que « l'exonération totale du gardien de la chose instrument du dommage suppose que la faute de la victime revête les caractéristiques de la force majeure ; qu'en l'espèce, pour décider que la faute de la victime revêtait les caractéristiques de la force majeure, la cour d'appel a retenu que « M. [E] avait connaissance des règles applicables sur le circuit et notamment de la signification du drapeau jaune imposant de ralentir et non de freiner brutalement » et que « le premier pilote ayant chuté près du muret à droite de la piste sans empiéter sur celle-ci, aucun obstacle soudain ne lui imposait de freiner brutalement d'autant qu'il était en phase de réaccélération après une sortie de virage », de telle sorte que « M. [P] ne pouvait prévoir que durant une course consacrée aux pilotes de la catégorie " confirmé ", les consignes de sécurité ayant été au surplus rappelées avant le départ, M. [E] violerait ces règles et opérerait un freinage brutal, comportement qui l'a mis dans l'impossibilité d'éviter M. [E] compte tenu de leur proximité alors qu'ils se suivaient de près » ce dont il résultait que « les fautes imprévisibles et irrésistibles de M. [E] exonèrent ainsi totalement M. [P] de sa responsabilité », cependant qu'elle avait constaté que le chef de piste « était alors entré sur la piste en agitant un drapeau jaune », que s'il était un « habitué du circuit », il n'était pas licencié contrairement à M. [P], et que leur commune appartenance au classement confirmé ne résultait que « des performances de temps réalisées au tour » précédent, seule une « séance d'information [étant] réalisée notamment pour expliquer les couleurs des drapeaux et le comportement à observer » avant chaque séance de roulage ; qu'en conséquence, le freinage brutal d'un participant en cas d'accident lors d'une course de motocyclette, ne saurait être considéré comme un événement imprévisible ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1242, alinéa 1er, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1384, alinéa 1er, devenu 1242, alinéa 1er, du code civil :

12. La faute de la victime n'exonère totalement le gardien de sa responsabilité que si elle constitue un cas de force majeure.

13. Pour débouter M. [E] de toutes ses demandes, l'arrêt déduit de ses constatations que ses fautes imprévisibles et irrésistibles exonèrent totalement M. [P] de sa responsabilité de gardien, dès lors que ce dernier ne pouvait prévoir que, durant une course consacrée aux pilotes de la catégorie « confirmé » qui s'étaient vus rappeler les consignes de sécurité avant le départ, M. [E] violerait ces règles et opérerait un freinage brutal qui ne s'imposait pas.

14. En statuant ainsi, alors que la chute d'un pilote sur un circuit ne constitue pas un fait imprévisible pour les motards qui le suivent, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Cassignard - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SCP Bénabent ; SCP Gadiou et Chevallier -

1re Civ., 15 novembre 2023, n° 22-21.179, (B), FS

Cassation

Fondement de l'action – Article 1382 du code civil – Responsabilité du producteur d'un produit défectueux – Conditions – Faute distincte du défaut de sécurité du produit – Caractérisation – Cas

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 juillet 2022), Mme [Y] [Z] à laquelle a été prescrit du Mediator de 2007 à 2009, a présenté des lésions cardiaques.

Le 7 octobre 2011, elle a saisi le collège d'experts de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) qui, par un avis du 24 avril 2014, a retenu que son dommage était imputable à ce médicament.

Par lettres du 17 juillet et 20 novembre 2014, la société Les Laboratoires Servier, producteur du Mediator (le producteur), a adressé à Mme [Z] des offres d'indemnisation qu'elle a refusées.

2. Les 7 et 8 juillet 2020, Mme [Z] a assigné sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux le producteur qui a opposé la prescription. Elle a mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie qui a sollicité le remboursement de ses débours. Elle a, ensuite, fondé son action sur l'article 1240 du code civil.

Examen du moyen

Sur le moyen pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Madame [Z] fait grief à l'arrêt de dire que son action, initialement fondée sur les articles 1245 et suivants du code civil, ne saurait être poursuivie sur le fondement de l'article 1240 du même code et de la déclarer irrecevable comme prescrite alors « que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, pourvu que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit litigieux, tels la garantie des vices cachés ou la faute ; qu'exposant les prétentions de Madame [Z], les juges du fond ont constaté que le reproche qu'elle adressait aux laboratoires Servier portait sur la carence dolosive du producteur qui, bien que connaissant la dangerosité du Médiator, s'était volontairement abstenu de toute mesure pour en suspendre la commercialisation et avait délibérément maintenu ce produit en circulation ; qu'il en résulte que Madame [Z] se prévalait, devant les juges du fond, d'une faute distincte du simple défaut de sécurité du produit ; qu'en jugeant cependant que tel n'était pas le cas pour lui fermer la voie de la responsabilité pour faute et retenir l'application exclusive de la responsabilité du fait des produits défectueux, les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations et ont, dès lors, violé les articles 1245-17, anciennement 1386-18, et 1240, anciennement 1382, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil :

4. Aux termes du premier de ces textes, transposant l'article 13 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, instaurant une responsabilité de plein droit du producteur au titre du dommage causé par un défaut de son produit, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité.

Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.

5. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la référence, à l'article 13 de la directive, aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle doit être interprétée en ce sens que le régime mis en place par ladite directive n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute (CJCE, arrêt du 25 avril 2002, González Sánchez, C-183/00, point 31).

6. Il en résulte que la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement du second de ces textes, si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle qu'un maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

7. Pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient, d'une part, que l'assignation a été délivrée le 7 juillet 2020, plus de trois ans après la connaissance du dommage acquise à la date de l'avis de l'ONIAM du 24 avril 2014, d'autre part, que la faute reprochée au laboratoire, prise d'un manquement au devoir de vigilance et de surveillance du fait de la commercialisation d'un produit dont il connaissait les risques ou de l'absence de retrait du produit du marché français contrairement à d'autres pays européens, n'est pas distincte du défaut de sécurité du produit, de sorte que la responsabilité délictuelle pour faute ne saurait se substituer au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme Bacache-Gibeili - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier -

Textes visés :

Articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 10 décembre 2014, pourvoi n° 13-14.314, Bull. 2014, I, n° 209 (rejet) ; 1re Civ., 17 mars 2016, pourvoi n° 13-18.876, Bull. 2016, I, n° 68 (rejet), et les arrêts cités.

1re Civ., 15 novembre 2023, n° 22-21.180, (B), FS

Cassation

Fondement de l'action – Article 1382 du code civil – Responsabilité du producteur d'un produit défectueux – Conditions – Faute distincte du défaut de sécurité du produit – Caractérisation – Cas

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 juillet 2022), Mme [I] [V], épouse [Y], à laquelle a été prescrit du Mediator de 2004 à 2010, a présenté des lésions cardiaques.

Le 17 septembre 2012, elle a saisi le collège d'experts de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) qui, par un avis du 8 avril 2015, a retenu que son dommage était imputable à ce médicament.

Par lettre du 3 juillet 2015, la société Les Laboratoires Servier, producteur du Mediator (le producteur), a adressé à Mme [Y] une offre d'indemnisation qu'elle a refusée.

2. Le 7 juillet 2020, Mme [I] [Y] et son conjoint, M. [B] [Y], agissant tant en leur nom personnel qu'ès qualités de représentants légaux de leur fils mineur [C] [Y] (les consorts [Y]), ont assigné sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux le producteur qui a opposé la prescription. Ils ont mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie qui a sollicité le remboursement de ses débours. Ils ont, ensuite, fondé leur action sur l'article 1240 du code civil.

Examen du moyen

Sur le moyen pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Les consorts [Y] font grief à l'arrêt de dire que leur action, initialement fondée sur les articles 1245 et suivants du code civil, ne saurait être poursuivie sur le fondement de l'article 1240 du même code et de la déclarer irrecevable comme prescrite alors « que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, pourvu que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit litigieux, tels la garantie des vices cachés ou la faute ; qu'exposant les prétentions des consorts [Y], les juges du fond ont constaté que le reproche qu'ils adressaient aux laboratoires Servier portait sur la carence dolosive du producteur qui, bien que connaissant la dangerosité du Médiator, s'était volontairement abstenu de toute mesure pour en suspendre la commercialisation et avait délibérément maintenu ce produit en circulation ; qu'il en résulte que les consorts [Y] se prévalaient, devant les juges du fond, d'une faute distincte du simple défaut de sécurité du produit ; qu'en jugeant cependant que tel n'était pas le cas pour leur fermer la voie de la responsabilité pour faute et retenir l'application exclusive de la responsabilité du fait des produits défectueux, les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations et ont, dès lors, violé les articles 1245-17, anciennement 1386-18, et 1240, anciennement 1382, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil :

4. Aux termes du premier de ces textes, transposant l'article 13 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, instaurant une responsabilité de plein droit du producteur au titre du dommage causé par un défaut de son produit, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité.

Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.

5. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la référence, à l'article 13 de la directive, aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle doit être interprétée en ce sens que le régime mis en place par ladite directive n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute (CJCE, arrêt du 25 avril 2002, González Sánchez, C-183/00, point 31).

6. Il en résulte que la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement du second de ces textes, si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle qu'un maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

7. Pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient, d'une part, que l'assignation a été délivrée le 7 juillet 2020, plus de trois ans après la connaissance du dommage acquise à la date de l'avis de l'ONIAM du 8 avril 2015, d'autre part, que la faute reprochée au laboratoire, prise d'un manquement au devoir de vigilance et de surveillance du fait de la commercialisation d'un produit dont il connaissait les risques ou de l'absence de retrait du produit du marché français contrairement à d'autres pays européens, n'est pas distincte du défaut de sécurité du produit, de sorte que la responsabilité délictuelle pour faute ne saurait se substituer au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme Bacache-Gibeili - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier -

Textes visés :

Articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 10 décembre 2014, pourvoi n° 13-14.314, Bull. 2014, I, n° 209 (rejet) ; 1re Civ., 17 mars 2016, pourvoi n° 13-18.876, Bull. 2016, I, n° 68 (rejet), et les arrêts cités.

1re Civ., 15 novembre 2023, n° 22-21.178, (B), FS

Cassation

Fondement de l'action – Article 1382 du code civil – Responsabilité du producteur d'un produit défectueux – Conditions – Faute distincte du défaut de sécurité du produit – Caractérisation – Cas

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 juillet 2022), Mme [H] [E] à laquelle a été prescrit du Mediator de 2007 à 2009 a présenté des lésions cardiaques.

Le 17 juillet 2012, elle a saisi le collège d'experts de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) qui, par un avis du 8 octobre 2015, a retenu que son dommage était imputable à ce médicament.

Par lettre du 31 décembre 2015, la société Les Laboratoires Servier, producteur du Mediator (le producteur), a adressé à Mme [E] une offre d'indemnisation qu'elle a refusée.

2. Le 7 juillet 2020, Mme [E], son conjoint, M. [W] [E], et leur fille, Mme [S] [K] (les consorts [E]), ont assigné sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux le producteur qui a opposé la prescription. Ils ont mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie qui a sollicité le remboursement de ses débours. Ils ont, ensuite, fondé leur action sur l'article 1240 du code civil.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Les consorts [E] font grief à l'arrêt de dire que leur action, initialement fondée sur les articles 1245 et suivants du code civil, ne saurait être poursuivie sur le fondement de l'article 1240 du même code et de déclarer ainsi leur action irrecevable comme prescrite alors « que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, pourvu que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit litigieux, tels la garantie des vices cachés ou la faute ; qu'exposant les prétentions des consorts [E], les juges du fond ont constaté que le reproche qu'ils adressaient aux laboratoires Servier portait sur la carence dolosive du producteur qui, bien que connaissant la dangerosité du Médiator, s'était volontairement abstenu de toute mesure pour en suspendre la commercialisation et avait délibérément maintenu ce produit en circulation ; qu'il en résulte que les consorts [E] se prévalaient, devant les juges du fond, d'une faute distincte du simple défaut de sécurité du produit ; qu'en jugeant cependant que tel n'était pas le cas pour leur fermer la voie de la responsabilité pour faute et retenir l'application exclusive de la responsabilité du fait des produits défectueux, les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations et ont, dès lors, violé les articles 1245-17, anciennement 1386-18, et 1240, anciennement 1382, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil :

4. Aux termes du premier de ces textes, transposant l'article 13 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, instaurant une responsabilité de plein droit du producteur au titre du dommage causé par un défaut de son produit, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité.

Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.

5. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la référence, à l'article 13 de la directive, aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle doit être interprétée en ce sens que le régime mis en place par ladite directive n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute (CJCE, arrêt du 25 avril 2002, González Sánchez, C-183/00, point 31).

6. Il en résulte que la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement du second de ces textes, si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle qu'un maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

7. Pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient, d'une part, que l'assignation a été délivrée le 7 juillet 2020, plus de trois ans après la connaissance du dommage acquise à la date de l'avis de l'ONIAM du 8 octobre 2015, d'autre part, que la faute reprochée au laboratoire, prise d'un manquement au devoir de vigilance et de surveillance du fait de la commercialisation d'un produit dont il connaissait les risques ou de l'absence de retrait du produit du marché français contrairement à d'autres pays européens, n'est pas distincte du défaut de sécurité du produit, de sorte que la responsabilité délictuelle pour faute ne saurait se substituer au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme Bacache-Gibeili - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier -

Textes visés :

Articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 10 décembre 2014, pourvoi n° 13-14.314, Bull. 2014, I, n° 209 (rejet) ; 1re Civ., 17 mars 2016, pourvoi n° 13-18.876, Bull. 2016, I, n° 68 (rejet), et les arrêts cités.

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