Numéro 11 - Novembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2023

ASTREINTE (loi du 9 juillet 1991)

2e Civ., 9 novembre 2023, n° 22-15.810, (B), FRH

Cassation partielle

Liquidation – Juge en charge de la liquidation – Office – Etendue – Détermination – Portée

Viole l'article 16 du code de procédure civile le juge qui use de son pouvoir de vérifier d'office s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide une astreinte provisoire et l'enjeu du litige, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 3 mars 2022) et les productions, la société AS immobilier, propriétaire de locaux commerciaux pris à bail par la société Action peinture, a été condamnée, par une ordonnance d'un juge des référés du 17 octobre 2019, d'une part, à enlever certains éléments de bardage et des persiennes, installés en raison de travaux en cours, et à rétablir l'interphone ainsi que l'alarme des locaux, dans un délai de 15 jours suivant la signification de l'ordonnance, et ce, sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard, ladite astreinte courant pendant un délai de quatre mois, d'autre part, à remettre à la société Action peinture les avis d'échéance des loyers ainsi que les quittances correspondantes, dans un délai de huit jours à compter de la signification de l'ordonnance, et ce, sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard, ladite astreinte courant pendant un délai de quatre mois.

2. Invoquant l'inexécution par la société AS immobilier de ses obligations, la société Action peinture a saisi un juge de l'exécution à fin de liquidation de ces astreintes.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Action peinture fait grief à l'arrêt de liquider à la somme de 1 000 euros seulement l'astreinte provisoire liée à l'obligation pour la société AS immobilier de lui remettre les avis d'échéance des loyers ainsi que les quittances correspondantes, résultant de l'ordonnance du 17 octobre 2019 et de condamner la société AS immobilier à lui payer cette somme, alors « que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'au cas présent, pour réduire l'astreinte assortissant l'ordre du juge des référés adressé à la société AS immobilier de remettre à la société Action peinture les avis d'échéance et de quittances de loyer de 12 200 euros à 1 000 euros, l'arrêt attaqué relève qu'« il appartient au juge de l'exécution d'apprécier encore le caractère proportionné de l'atteinte portée par l'astreinte liquidée au droit de propriété du débiteur, au regard du but légitime qu'elle poursuit »; qu'en se prononçant ainsi quand il ne ressortait pas des conclusions des parties en cause d'appel que la question de la proportionnalité de l'atteinte au droit des biens de la société AS immobilier ait été évoquée par l'une d'elles et qu'il ne ressort pas plus de l'arrêt attaqué que les parties aient été appelées par la cour à présenter leurs observations sur cette question, la cour d'appel, qui a relevé d'office un moyen de droit sans mettre les parties en mesure de le discuter, a violé le principe de la contradiction ensemble l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

5. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui même le principe de la contradiction.

6. Pour liquider à la somme de 1 000 euros l'astreinte mise à la charge de la société AS immobilier, l'arrêt relève qu'il appartient au juge de l'exécution d'apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée par l'astreinte liquidée au droit de propriété du débiteur, au regard du but légitime qu'elle poursuit.

7. Ayant constaté que l'obligation inexécutée ne portait que sur la remise de cinq avis trimestriels d'échéance et les quittances correspondant aux deux règlements intervenus, il en déduit que la liquidation de l'astreinte à hauteur de 12 200 euros est manifestement disproportionnée au regard du but poursuivi et de l'absence de tout préjudice subi par la société Action peinture.

8. En statuant ainsi alors que, si le juge peut vérifier d'office qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l'astreinte et l'enjeu du litige, il lui appartient en ce cas de mettre les parties en mesure de s'expliquer sur ce moyen, de sorte que la cour d'appel, qui n'a pas invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen qu'elle relevait d'office, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il liquide à la somme de 1 000 euros l'astreinte provisoire liée à l'obligation pour la société AS immobilier de remettre à la société Action peinture les avis d'échéance des loyers ainsi que les quittances afférentes, résultant de l'ordonnance du juge des référés du 17 octobre 2019 et condamne la société AS immobilier à payer la somme de 1 000 euros à la société Action peinture, l'arrêt rendu le 3 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Philippart - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SAS Hannotin Avocats ; SCP Le Griel -

Textes visés :

Article 16 du code de procédure civile.

2e Civ., 9 novembre 2023, n° 21-25.582, (B), FRH

Cassation partielle

Liquidation – Juge en charge de la liquidation – Office – Etendue – Détermination – Portée

Il résulte de l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution, tel qu'interprété à la lumière de l'article 1 du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que le juge qui statue sur la liquidation d'une astreinte provisoire doit, lorsque la demande lui en est faite, apprécier, de manière concrète, s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l'astreinte et l'enjeu du litige.

Dès lors, viole ces dispositions la cour d'appel qui, pour liquider une astreinte provisoire à une certaine somme, retient qu'il n'y a pas lieu d'examiner l'existence d'un tel rapport de proportionnalité, alors qu'elle était saisie d'une demande en ce sens.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 6 octobre 2021), dans un litige opposant la société Les Sarcelles à ses voisins, M. et Mme [I], et à la société JBMEM, acquéreur du bien immobilier de ces derniers, un juge des référés a, par une décision du 3 juin 2015, confirmée par un arrêt du 2 février 2017, ordonné la régularisation par la société Les Sarcelles sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du jugement, de l'acte authentique portant rectification des limites cadastrales entre les deux propriétés contiguës.

2. Invoquant une inexécution de cette obligation, M. et Mme [I] et la société JBMEM ont assigné la société Les Sarcelles, ainsi que la société [L] [E], en qualité de mandataire judiciaire de cette dernière, devant un juge de l'exécution, aux fins de liquidation de cette astreinte et de fixation d'une astreinte définitive.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Les Sarcelles et la société [L] [E] font grief à l'arrêt de liquider l'astreinte à la somme de 379 400 euros, de fixer la créance de la société JBMEM et de M. et Mme [I] au passif de la procédure collective ouverte au nom de la société Les Sarcelles à cette somme, d'assortir l'obligation de faire prescrite par l'ordonnance du 3 juin 2015 d'une astreinte définitive de 500 euros par jour de retard passé un délai de 30 jours consécutifs à la signification de l'arrêt d'appel, de dire que cette astreinte définitive ne produira ses effets que durant une période maximale de trois mois et de fixer provisoirement la créance de la société JBMEM et de M. et Mme [I] au passif de la procédure collective ouverte au nom de la société Les Sarcelles à la somme de 45 000 euros correspondant à la liquidation de l'astreinte définitive susvisée, sous réserve d'actualisation en cas de disparition de l'obligation de faire prévue dans l'ordonnance du 3 juin 2015, alors « que le juge qui statue sur la liquidation de l'astreinte doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte qu'elle porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu'elle poursuit ; qu'il doit en conséquence apprécier de manière concrète s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l'astreinte et l'enjeu du litige ; qu'au cas présent, pour liquider l'astreinte à la somme de 379 400 euros, soit une somme très supérieure à la valeur de l'immeuble en litige, la cour d'appel s'est bornée à observer que l'obligation n'aurait pas été exécutée sans qu'une impossibilité puisse être établie, précisant que « la liquidation de l'astreinte fixée par un jugement n'est pas une indemnisation, de telle sorte qu'il n'y a pas à apprécier sa proportionnalité » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher de manière concrète s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l'astreinte et l'enjeu du litige, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution, interprété à la lumière de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution, tel qu'interprété à la lumière de l'article 1 du protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

5. Selon le premier de ces textes, l'astreinte provisoire est liquidée en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter. Elle est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.

6. Il résulte du second que le juge qui statue sur la liquidation d'une astreinte provisoire doit, lorsque la demande lui en est faite, apprécier, de manière concrète, s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l'astreinte et l'enjeu du litige.

7. Pour liquider l'astreinte provisoire à la somme de 379 400 euros, l'arrêt retient qu'il n'y a pas lieu d'apprécier la proportionnalité du montant de l'astreinte liquidée.

8. En statuant ainsi, en refusant d'examiner s'il existait un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel elle liquidait l'astreinte et l'enjeu du litige, alors qu'elle était saisie d'une demande en ce sens, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il liquide l'astreinte prévue par l'ordonnance du juge des référés du 3 juin 2015 à la somme de 379 400 euros, fixe la créance de la société JBMEM et de M. et Mme [I] au passif de la procédure collective ouverte au nom de la société Les Sarcelles à cette somme, l'arrêt rendu le 6 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Philippart - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SAS Hannotin Avocats ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution, tel qu'interprété à la lumière de l'article 1 du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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