Numéro 11 - Novembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2023

BAIL COMMERCIAL

3e Civ., 30 novembre 2023, n° 22-14.594, (B), FS

Cassation

Bailleur – Garantie de paiement des loyers ou des charges locatives – Mesures conservatoires – Mise en oeuvre – Interdiction – Mesures de police administrative prises dans le cadre de la crise sanitaire – Domaine d'application – Conditions – Détermination – Portée

Selon l'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, applicable à compter du 17 octobre 2020, jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d'être affectée par une mesure de police administrative prise en application des 2° ou 3° du I de l'article 1 de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ou du 5° du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, les personnes morales de droit privé satisfaisant à plusieurs critères d'éligibilité ne peuvent encourir toute action, sanction ou voie d'exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives dus pour une période, même antérieure au 17 octobre 2020, au cours de laquelle leur activité économique est affectée par l'une des mesures de police précitées.

Comprenant les dispositions réglementant l'ouverture au public, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou de plusieurs catégories d'établissements recevant du public, ces mesures de police incluent l'obligation, instituée par les articles 40 du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 et 40 du décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020, pour les établissements recevant du public de type N, restaurants et débits de boissons, de n'accueillir du public qu'à la condition que les personnes accueillies aient une place assise, qu'une même table ne regroupe que des personnes venant ensemble ou ayant réservé ensemble, dans la limite de dix personnes, et qu'une distance minimale d'un mètre soit garantie entre les tables occupées par chaque personne ou groupe de personnes venant ensemble ou ayant réservé ensemble, sauf si une paroi fixe ou amovible assure une séparation physique.

Dès lors, c'est à tort qu'une cour d'appel a retenu que les dispositions de l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 n'étaient pas applicables à des impayés de loyers échus à une période pendant laquelle l'activité de restauration du locataire à bail commercial était affectée par les mesures susvisées.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 février 2022) et les productions, le 15 janvier 2019, la société civile immobilière 81 (la bailleresse) a renouvelé un bail commercial consenti à la société Simple (la locataire), et portant sur des locaux à usage de restauration, salon de thé et accessoirement vente à emporter.

2. En raison de la crise sanitaire liée au virus covid-19 et des mesures gouvernementales interdisant la réception du public dans les restaurants, la locataire a, le 29 avril 2020, avisé la bailleresse de la suspension du paiement du loyer du deuxième trimestre 2020.

3. Une ordonnance de référé du 20 janvier 2021 a constaté l'acquisition, au 19 novembre 2020, de la clause résolutoire insérée au bail et a condamné la locataire au paiement d'une certaine somme à titre de provision à valoir sur l'arriéré de loyers, charges et indemnités d'occupation, y compris le quatrième trimestre 2020.

4. En exécution de cette décision, la bailleresse a, le 23 février 2021, fait dresser un procès-verbal de reprise des locaux loués puis, le 12 mars 2021, a procédé à la saisie-attribution d'un compte bancaire ouvert au nom de la locataire.

5. Le 16 mars 2021, la locataire a assigné la bailleresse en annulation du procès-verbal de reprise des locaux loués et mainlevée de la saisie-attribution.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La locataire fait grief à l'arrêt de rejeter toutes ses demandes, alors « qu'en application de l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020, applicable à compter du 17 octobre 2020, jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d'être affectée par une mesure de police administrative prise en application des textes relatifs à la crise sanitaire, les personnes morales de droit privé exerçant une activité économique ne peuvent encourir toute action, sanction ou voie d'exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où leur activité est ou était ainsi affectée ; que ces dispositions s'appliquent aux périodes de retard ou non-paiement des loyers et charges locatives antérieures au 17 octobre 2020, dès lors que l'activité de la personne morale était affectée par les mesures de police administrative précitées ; qu'en l'espèce, la société Simple faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que « l'autorisation de réouverture en salle à compter du 22 juin 2020 était subordonnée à la capacité, notamment pour les restaurateurs, de pouvoir respecter les mesures barrières imposées, et plus précisément la distanciation sociale (minimum de 2 mètres entre chaque table). Compte-tenu des caractéristiques et de la surface de son local d'exploitation, l'appelante ne pouvait en aucun cas satisfaire à ces obligations, ce qui la contraignit à rester purement et simplement fermée au-delà de cette date » ; qu'il résultait nécessairement de ces écritures que l'activité de la société Simple avait été affectée par les mesures de police administrative durant les 2ème et 3ème trimestres 2020, en raison de la configuration des locaux qui l'avait contrainte à garder le restaurant fermé postérieurement au 22 juin 2020, de sorte qu'elle devait bénéficier des dispositions de l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 ; qu'en retenant au contraire que « si l'exploitation des bars, restaurants et débits de boissons s'est trouvée interrompue à dater de l'arrêté du 14 mars 2020, le décret du 31 mai 2020 a autorisé les établissements accueillant du public à reprendre leur activité sous certaines conditions qu'il appartenait à l'appelante de respecter », que « les loyers impayés qui ont motivé la résiliation du bail correspondaient à tous ceux de l'année 2020 », de sorte qu'« une partie d'entre eux, à savoir ceux échus du mois d'août au mois d'octobre 2020, est devenue exigible alors même que l'activité de l'appelante n'était pas affectée par des mesures de police », la cour d'appel a violé l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, l'article 1, I, 2°, de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020, l'article L. 3131-15, I, 5°, du code de la santé publique, l'article 40 du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 et l'article 40 du décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 :

7. Selon le premier de ces textes, applicable à compter du 17 octobre 2020, jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d'être affectée par une mesure de police administrative prise en application des 2° ou 3° du I de l'article 1 de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ou du 5° du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, les personnes morales de droit privé satisfaisant à plusieurs critères d'éligibilité ne peuvent encourir toute action, sanction ou voie d'exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives dus pour une période, même antérieure au 17 octobre 2020, au cours de laquelle leur activité économique est affectée par l'une des mesures de police précitée.

8. Selon les deuxième et troisième de ces textes, le Premier ministre peut, par décret, réglementer l'ouverture au public, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou de plusieurs catégories d'établissements recevant du public.

9. Selon les deux derniers de ces textes, les établissements recevant du public de type N, restaurants et débits de boissons, ne peuvent accueillir du public qu'à la condition que les personnes accueillies aient une place assise, qu'une même table ne regroupe que des personnes venant ensemble ou ayant réservé ensemble, dans la limite de dix personnes, et qu'une distance minimale d'un mètre soit garantie entre les tables occupées par chaque personne ou groupe de personnes venant ensemble ou ayant réservé ensemble, sauf si une paroi fixe ou amovible assure une séparation physique.

10. Pour rejeter les demandes de la locataire, l'arrêt retient que le décret du 31 mai 2020 a autorisé les établissements accueillant du public à reprendre leur activité sous certaines conditions qu'il appartenait à la locataire de respecter.

11. Il en déduit qu'une partie des loyers impayés, à savoir ceux échus du mois d'août au mois d'octobre 2020, est devenue exigible alors que l'activité de la locataire n'était pas affectée par des mesures de police, de sorte que la reprise des lieux loués et la saisie-attribution du 12 mars 2021 étaient régulières.

12. En statuant ainsi, alors que l'obligation d'accueillir les personnes à une place assise, de ne recevoir que des personnes venant ensemble ou ayant réservé ensemble, dans la limite de dix personnes, et de respecter une distance minimale d'un mètre entre les tables, sauf installation d'une paroi fixe ou amovible assurant une séparation physique, constituait une mesure de police réglementant les conditions d'accès et de présence du public, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société civile immobilière 81 aux dépens.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. David - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Bénabent ; Me Brouchot -

Textes visés :

Article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ; article 1, I, 2°, de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ; article L. 3131-15, I, 5°, du code de la santé publique ; article 40 du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 ; article 40 du décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020.

3e Civ., 16 novembre 2023, n° 22-14.091, (B), FRH

Cassation partielle

Renouvellement – Clause faisant échec au droit au renouvellement – Clause réputée non écrite – Loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 – Application dans le temps – Portée

La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, qui, en ce qu'elle a modifié l'article L. 145-15 du code de commerce, a substitué à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement, leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours et l'action tendant à voir réputée non écrite une clause du bail n'est pas soumise à prescription.

Dès lors, l'action tendant à voir réputée non écrite une clause ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement, introduite après l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014 et relative à un bail en cours à cette date, est recevable quand bien même la prescription de l'action en nullité de cette même clause aurait été acquise au jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle.

Renouvellement – Clause faisant échec au droit au renouvellement – Clause réputée non écrite – Action en justice – Prescription – Prescription biennale – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 25 janvier 2022, n° RG 20/01228), par un contrat de réservation du 10 décembre 2002, suivi d'un acte authentique de vente en l'état futur d'achèvement dressé le 31 octobre 2003 par M. [X] (le notaire), M. et Mme [E] (les propriétaires), préalablement démarchés par la société Lama (le promoteur), ont acquis une villa dans une résidence de tourisme exploitée par la société Gestion patrimoine loisirs.

2. Par acte sous seing privé du 10 décembre 2002, les propriétaires ont donné la villa à bail commercial à l'exploitante de la résidence de tourisme, aux droits de laquelle est venue la société [Localité 5] (la locataire), pour une durée de neuf années à compter du lendemain de l'achèvement de l'immeuble.

3. Le bail commercial comprenait une clause de renonciation de la locataire à son droit à une indemnité d'éviction.

4. Le 23 septembre 2014, les propriétaires ont délivré à la locataire un congé avec refus de renouvellement, à effet au 31 mars 2015, sans offre d'une indemnité d'éviction.

5. Le 5 avril 2015, les propriétaires ont repris possession de l'immeuble.

6. Le 7 décembre suivant, la locataire a assigné les propriétaires en annulation du congé, indemnisation du préjudice résultant de sa dépossession et restitution des locaux loués ou, subsidiairement, en paiement d'une indemnité d'éviction.

7. Le 3 octobre 2016, les propriétaires ont assigné en garantie le promoteur et le notaire.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en dommages-intérêts au titre des actes de concurrence déloyale et des agissements parasitaires, et sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, du pourvoi incident du notaire

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi incident des propriétaires, dont l'examen est préalable

Enoncé du moyen

9. Les propriétaires font grief à l'arrêt de réputer non écrite la clause de renonciation à l'indemnité d'éviction, d'ordonner une expertise sur la fixation de son montant et de les condamner au paiement d'une provision, alors « que la loi qui a pour effet d'allonger la durée d'une prescription est sans effet sur une prescription déjà acquise ; que la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 modifiant l'article L. 145-15 du code de commerce a substitué à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec au droit de renouvellement et d'indemnité d'éviction, soumise à la prescription biennale de l'article L. 145-60 du même code, leur caractère réputé non écrit, non soumis à prescription ; qu'il en résulte que la loi nouvelle susvisée édictant une sanction imprescriptible n'est applicable qu'aux actions dont le délai de prescription biennale n'était pas déjà expiré à la date de son entrée en vigueur ; qu'en jugeant que l'action engagée en 2015 par la société [Localité 5] en contestation de la clause de renonciation à l'indemnité d'éviction stipulée au bail conclu en 2002 n'était pas soumise à la prescription biennale de l'article L. 145-60 du code de commerce, ce au motif que la loi nouvelle régissait immédiatement les effets légaux des situations juridiques antérieures à son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, quand cette loi ne pouvait avoir d'effet sur la prescription de l'action définitivement acquise avant son entrée en vigueur, la cour d'appel a violé les articles 2 et 2222 du code civil. »

Réponse de la Cour

10. Il résulte de l'article 2 du code civil que la loi nouvelle régit les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées.

11. La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, qui, en ce qu'elle a modifié l'article L. 145-15 du code de commerce, a substitué, à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement, leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours et l'action tendant à voir réputée non écrite une clause du bail n'est pas soumise à prescription (3e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-20.405, Bull.).

12. Dès lors, quand bien même la prescription de l'action en nullité des clauses susvisées était antérieurement acquise, la sanction du réputé non écrit est applicable aux baux en cours.

13. Ayant constaté que le bail s'était tacitement prorogé et que le congé avait été valablement délivré par les propriétaires le 23 septembre 2014, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action tendant à voir réputer non écrite la clause de renonciation à l'indemnité d'éviction n'était pas soumise à la prescription biennale et était recevable.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

15. La locataire fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en indemnisation de son préjudice au titre de la dépossession des lieux, alors « que le juge ne peut méconnaître l'objet du litige tel qu'il est fixé par les conclusions des parties ; que dans leurs conclusions d'appel, les époux [E] ont soutenu, qu'après avoir obtenu la remise spontanée de leurs clefs à l'accueil de la résidence le 5 avril 2015, ils avaient récupéré la libre jouissance de leur résidence de vacances, avaient procédé au changement des serrures afin de sécuriser l'accès de leur propriété et avaient ainsi pu louer leur villa depuis la résiliation du bail en passant par le biais de sites de locations de particulier à particulier ; que pour débouter la société [Localité 5] de sa demande de dommages-intérêts au titre de la dépossession, l'arrêt attaqué retient qu'il n'était pas démontré que les époux [E] soient passés outre le refus de la société [Localité 5], exprimé dans une lettre AR datée du 4 mai 2015, de restituer les clefs en l'absence de règlement de l'indemnité d'éviction en changeant les serrures de la maison rendant ainsi impossible l'accès des lieux en vue de son exploitation commerciale conformément au bail ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et a violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

16. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

17. Pour rejeter les demandes indemnitaires au titre du préjudice né de la perte du droit au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, l'arrêt retient que si la locataire avait indiqué, par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 4 mai 2015, qu'elle entendait conserver la gestion du bien et ne restituerait pas les clés en l'absence de consensus sur le règlement de l'indemnité, elle ne démontrait pas que les propriétaires soient passés outre ce refus en changeant les serrures de la villa et en rendant ainsi impossible l'accès des lieux en vue de son exploitation commerciale.

18. En statuant ainsi, alors que dans leurs conclusions, les propriétaires affirmaient avoir repris possession de leur propriété et avoir procédé au changement des serrures afin d'en sécuriser l'accès, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

Et sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi incident du notaire

Enoncé du moyen

19. Le notaire fait grief à l'arrêt de dire qu'il a manqué à son devoir de conseil en omettant d'informer les propriétaires de la nullité de la clause de renonciation à l'indemnité d'éviction et de le condamner, in solidum avec le promoteur, à les garantir de toutes les condamnations prononcées à leur encontre, en appel, à hauteur de 70 %, alors « qu'en toute hypothèse, le notaire n'est pas tenu de vérifier la validité de la clause d'un acte, qu'il n'a pas été chargé de dresser, et qui ne détermine pas la validité ou l'efficacité de l'acte, distinct, auquel il prête son concours ; qu'en retenant que le notaire, rédacteur du seul acte de vente, aurait manqué à son devoir de conseil en s'abstenant de vérifier que les clauses d'un bail, rédigé par un agent immobilier, étaient conformes aux attentes d'investisseurs de M. et Mme [E], et d'attirer leur attention sur un risque d'annulation d'une clause de ce bail, et sur le risque de devoir payer une indemnité d'éviction au locataire en exécution de ce même acte, conclu sans son concours, au motif que cette clause pouvait avoir une incidence sur leurs projets concernant l'utilisation du bien au terme normal du bail, la cour d'appel, qui a ainsi statué par des motifs impropres à caractériser l'incidence que le risque d'annulation de la clause du bail pouvait avoir sur la validité ou l'efficacité de l'acte de vente, qui avait produit tous ses effets, a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

20. En application de ce texte, le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il prête son concours.

21. Pour accueillir l'appel en garantie des propriétaires contre le notaire, l'arrêt retient qu'il a manqué à son devoir de conseil en s'abstenant de vérifier que les principales clauses du bail commercial, qui constituait un élément fondamental dans l'ensemble contractuel, étaient conformes aux attentes d'investisseurs des acquéreurs et en omettant d'attirer leur attention les conséquences du risque d'annulation de la clause de renonciation du locataire au paiement d'une indemnité d'éviction stipulée dans ce bail, lequel pouvait avoir une incidence sur leurs projets concernant l'utilisation du bien au terme normal du bail.

22. En statuant ainsi, alors que le notaire n'était pas tenu d'une obligation de conseil concernant l'opportunité économique d'un bail commercial conclu par les acquéreurs sans son concours, ni de les mettre en garde sur le risque d'annulation d'une clause de ce bail qui était sans incidence sur la validité et l'efficacité de l'acte de vente qu'il instrumentait, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

23. La cassation des chefs de dispositif rejetant la demande de la locataire en dommages-intérêts pour dépossession, retenant un manquement du notaire à son obligation de conseil, et le condamnant à garantir les propriétaires des condamnations prononcées à leur encontre emporte celles des chefs du dispositif condamnant le promoteur à garantir le notaire et condamnant le notaire au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile.

24. En revanche, elle n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant les propriétaires et le promoteur au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société [Localité 5] en dommages-intérêts pour dépossession, qu'il déclare partiellement fondé le recours en garantie formé par M. et Mme [E] à l'encontre de M. [X], qu'il dit que M. [X] a manqué à son devoir de conseil et que cette faute les a privés d'une chance d'éviter une action en paiement d'une indemnité d'éviction, qu'il condamne M. [X] in solidum avec la société Lama à garantir M. et Mme [E] à concurrence de 70 %, de toutes les condamnations prononcées à leur encontre dans le cadre de la présente instance d'appel, du montant de la condamnation provisionnelle et de la condamnation prononcée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, qu'il condamne la société Lama à garantir M. [X] à concurrence de 50 % des condamnations prononcées à son encontre, et condamne M. [X] in solidum avec la société Lama à payer à M. et Mme [E] la somme de 6 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles, l'arrêt rendu le 25 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Aldigé - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon -

Textes visés :

Article 2 du code civil ; article L. 145-15 du code de commerce, dans sa version issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-20.405, Bull., (rejet).

3e Civ., 30 novembre 2023, n° 22-17.505, (B), FS

Rejet

Vente de la chose louée – Droit de préemption du preneur à bail – Domaine d'application – Détermination – Portée

Les dispositions de l'article L. 145-46-1 du code de commerce relatives au droit de préférence du locataire à bail commercial, qui sont d'ordre public, trouvent application lorsque le propriétaire d'un local commercial ou artisanal envisage de le vendre, et ne sont pas applicables aux ventes faites d'autorité de justice.

Vente de la chose louée – Droit de préemption du preneur à bail – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Ventes faites d'autorité de justice

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 31 mars 2022), par jugement d'adjudication du 16 mai 2019, rendu sur des poursuites de saisie immobilière engagées par la société HSBC France, devenue la société HSBC Continental Europe, contre M. et Mme [O], propriétaires d'un local commercial donné à bail à la société Noo Wok (la locataire), le local loué a été adjugé à la société civile immobilière du Val (la SCI).

2. Le 29 mai 2019, la locataire a déclaré exercer son droit de « préemption » sur le local adjugé.

3. La commune de [Localité 4] ayant, le 6 juin 2019, déclaré exercer son droit de préemption urbain, la locataire a demandé au juge de l'exécution de juger irrégulière cette déclaration, intervenue postérieurement à la sienne, et d'être déclarée adjudicataire au lieu et place de la SCI.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La locataire fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à se voir déclarer adjudicataire du local commercial dont elle est locataire au lieu et place de la SCI et de la commune de [Localité 4], alors « que les dispositions de l'article L. 145-46-1 du code de commerce instituant un droit de préemption au bénéfice du locataire d'un local commercial en cas de vente de ce local, sont d'ordre public et s'appliquent à toute cession d'un local commercial sans distinction ; que la vente sur adjudication du bien objet d'un bail commercial n'exclut pas le locataire de cette protection légale d'ordre public ; qu'en considérant en l'espèce que les dispositions de ce texte sont parfaitement « incompatibles avec la procédure de saisie-immobilière au cours de laquelle le propriétaire de l'immeuble saisi n'a pas la qualité de vendeur », et qu'elles ne s'appliquent pas en cas de vente judiciaire sur saisie, ni en cas de cession globale d'un immeuble dont fait partie le local pour refuser à la société No Wok, locataire de l'intégralité du bien saisi, l'exercice de son droit de préemption, la cour d'appel a méconnu les dispositions d'ordre public de l'article L. 145-46-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

6. Les dispositions de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, qui sont d'ordre public, trouvent application lorsque le propriétaire d'un local commercial ou artisanal envisage de le vendre, et ne sont pas applicables aux ventes faites d'autorité de justice.

7. La cour d'appel a énoncé à bon droit que ces dispositions ne s'appliquent pas en cas de vente judiciaire sur saisie immobilière et en a exactement déduit que la locataire ne pouvait se prévaloir d'un droit de préférence sur le local adjugé.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Aldigé - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SARL Cabinet Briard ; SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix -

Textes visés :

Article L. 145-46-1 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 17 mai 2018, pourvoi n° 17-16.113, Bull. 2018, III, n° 51 (rejet) ; Com., 23 mars 2022, pourvoi n° 20-19.174, Bull., (cassation partielle sans renvoi).

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