Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2023

Partie I - Arrêts des chambres et ordonnances du Premier Président

APPEL CIVIL

2e Civ., 14 septembre 2023, n° 20-18.169, (B), FS

Rejet

Acte d'appel – Mentions nécessaires – Chefs du jugement critiqués – Etendue – Exigence de précision de ce que l'information ou l'annulation est sollicitée (non)

Lorsque la déclaration d'appel vise l'ensemble des chefs de dispositif du jugement, l'appelant a la faculté de solliciter dans ses conclusions, soit la réformation, soit l'annulation de cette décision.

Appelant – Conclusions – Dispositif – Annulation ou infirmation du jugement – Faculté – Cas – Déclaration d'appel mentionnant l'ensemble des chefs du jugement critiqués

Acte d'appel – Mentions nécessaires – Chefs du jugement critiqués – Défaut – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 mars 2020), la société [Localité 4] Hoche a été placée en redressement puis en liquidation judiciaires par jugement du 21 décembre 2017, la société BTSG² étant nommée en qualité de mandataire puis de liquidateur judiciaire.

2. Par lettres des 7 juillet et 22 août 2017, la société Banque Havilland a déclaré ses créances, déclaration qu'elle a réitérée le 29 janvier 2018 après le jugement de conversion.

3. La société [Localité 4] Hoche a contesté cette déclaration.

4. Par ordonnance du 5 décembre 2018, un juge-commissaire a admis la créance de prêt à hauteur de 2 569 093,85 euros à titre privilégié.

Par une autre ordonnance du même jour, il a admis la créance de solde débiteur du compte courant et de frais accessoires, à hauteur de 63 120,67 euros, à titre chirographaire.

5. La société [Localité 4] Hoche a relevé appel de la première ordonnance par déclaration du 18 décembre 2018 tendant à sa réformation et visant l'unique chef de dispositif critiqué.

Examen des moyens

Sur le second moyen

6. La chambre commerciale, financière et économique a délibéré sur ce moyen, après débats à l'audience publique du 7 février 2023 où étaient présents M. Vigneau, Président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen et Mme Mamou, greffier de chambre.

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. La société Banque Havilland fait grief à l'arrêt d'annuler l'ordonnance déférée, rendue par le juge-commissaire à la liquidation judiciaire de la société [Localité 4] Hoche, et statuant sur le fond par l'effet dévolutif de l'appel, de n'admettre sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société [Localité 4] Hoche au titre du prêt du 9 avril 2013 qu'à titre chirographaire, à hauteur de 2 000 000 euros au titre du principal de la créance, de 397 134,76 euros au titre des intérêts échus, et de 100 000 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de 5 %, et de la débouter de sa demande d'admission des intérêts à échoir et de l'indemnité d'exigibilité anticipée de 3 %, alors « que l'appel défère à la cour d'appel la connaissance des chefs du jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opérant pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ; qu'en outre, seul l'acte d'appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement de première instance ; qu'en l'espèce, la déclaration d'appel de la société [Localité 4] Hoche tendait uniquement « à réformer l'ordonnance n° 2008055855 rendue le 5 décembre 2018 par le juge-commissaire du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a admis la créance de la Banque Havilland SAM à titre hypothécaire à hauteur de 2 569 093,85 euros » ; que pour dire qu'elle était saisie de la demande d'annulation de l'ordonnance entreprise formulée par la société [Localité 4] Hoche dans ses conclusions d'appel, la cour d'appel a retenu que si l'article 562 du code de procédure civile définit l'étendue de l'effet dévolutif de l'appel en considération des chefs de jugement critiqués par l'appel ou de son objet tendant à l'annulation du jugement, il n'a ni pour objet ni pour effet de délimiter les demandes dont est saisie la cour une fois la dévolution opérée, ces demandes étant celles déterminées par le dispositif des conclusions de l'appelant ; qu'elle en a déduit qu'elle était saisie de la demande d'annulation de l'ordonnance du juge-commissaire formée par la société [Localité 4] Hoche par voie de conclusions, cette demande n'encourant aucune fin de non-recevoir sur le fondement des articles 562 et 901 du code de procédure civile dès lors que lui ont été dévolus par la déclaration d'appel l'ensemble des chefs de l'ordonnance critiquée ayant tranché un litige dont l'objet est indivisible ; qu'en statuant de la sorte, quand elle n'était saisie que d'un appel réformation de l'ordonnance du juge-commissaire du 5 décembre 2018, de sorte qu'elle ne pouvait que confirmer ou réformer cette décision, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir en annulant cette ordonnance puis en statuant sur les contestations de la débitrice, en violation des articles 562 et 901 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

9. En premier lieu, il résulte des articles 562 et 901, 4°, du code de procédure civile que la déclaration d'appel défère à la cour d'appel la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opérant pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

10. En second lieu, il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que l'appelant doit, dans le dispositif de ses conclusions, mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ou l'annulation du jugement.

11. Il en résulte que la déclaration d'appel qui mentionne les chefs de dispositif du jugement critiqués délimite l'étendue de l'effet dévolutif de l'appel quand les conclusions, par l'énoncé dans leur dispositif, de la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement déterminent, quant à elles, la finalité de l'appel, qui tend à l'annulation ou à la réformation du jugement, dans les limites de la dévolution opérée par la déclaration d'appel.

12. Il en découle que lorsque la déclaration d'appel vise l'ensemble des chefs de dispositif du jugement, l'appelant a la faculté de solliciter dans ses conclusions, soit la réformation, soit l'annulation de cette décision.

13. Ayant relevé qu'elle était saisie par voie de conclusions d'une demande d'annulation de l'ordonnance d'un juge-commissaire et que la déclaration d'appel visait l'ensemble des chefs de dispositif de l'ordonnance critiquée, c'est sans excéder ses pouvoirs que la cour d'appel a statué sur la demande d'annulation de l'ordonnance figurant dans les conclusions de l'appelant.

14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Rejette le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Martinel (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Vendryes - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; Me Bertrand ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Rapprochement(s) :

2e Civ., 25 mai 2023, pourvoi n° 21-15.842, Bull. (cassation partielle) ; 2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, Bull. (rejet) ; 2e Civ., 13 janvier 2022, pourvoi n° 20-17.516, Bull. (rejet).

2e Civ., 21 septembre 2023, n° 20-20.563, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Appel incident – Appel incident formé à l'encontre d'un co-intimé – Délai – Détermination

Doit être considéré comme membre de l'enseignement au sens de l'article L. 911-4 du code de l'éducation, l'enseignant d'un établissement privé ayant conclu un contrat d'association avec l'Etat, qui encadre une activité sportive au sein de cet établissement, même hors temps scolaire.

Il résulte de l'article 910 du code de procédure civile, interprété à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'est recevable, dans le délai de trois mois à compter de la notification des conclusions portant appel incident, l'appel incidemment relevé par un intimé contre un autre intimé, en réponse à l'appel incident de ce dernier, qui modifie l'étendue de la dévolution résultant de l'appel principal et tend à aggraver la situation de ce dernier.

Viole ces textes la cour d'appel qui déclare recevable l'appel incident d'un intimé, formé plus de trois mois après la notification des conclusions des appelants en l'absence de modification de l'étendue de la dévolution résultant de l'appel principal et d'aggravation de la situation de cet appelant incident.

Faits et procédure

1. Selon les arrêts attaqués (Douai, 24 octobre 2019 et 25 juin 2020), M. [I] [C] [O], alors collégien au sein du collège [8], établissement d'enseignement privé, a été blessé à l'oeil lors d'une séance de hockey organisée par ce collège et sous la surveillance de M. [G], professeur de musique.

2. Mme [V] [H], mère de la victime, agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale des mineurs [I] [C] [O] et [S] [D], ainsi que Mme [B] [O], soeur de la victime, ont assigné M. [G], le collège [8], la société Mutuelle Saint-Christophe assurances, l'Etat français et la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 7] (la caisse) devant un tribunal de grande instance aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.

3. Mmes [V] [H] et [B] [O] et M. [I] [C] [O], devenu majeur, ont interjeté appel du jugement rendu qui a condamné le collège [8] et la société Mutuelle Saint-Christophe assurances à réparer leurs préjudices et ont notifié, le 13 avril 2018, leurs conclusions d'appel dans lesquelles ils ont sollicité la condamnation de l'Etat français.

4. Par conclusions du 12 juillet 2018, la caisse a sollicité la confirmation du jugement.

5. Par conclusions du 16 juillet 2018, M. [G], le collège [8], la société Mutuelle Saint-Christophe assurances, également intimés, ont formé appel incident pour obtenir leur mise hors de cause et, à titre subsidiaire, la condamnation de l'Etat français.

6. La caisse a notifié le 16 août 2018 de nouvelles conclusions par lesquelles elle a formé un appel incident à l'encontre de l'Etat français.

7. L'Etat français a soulevé l'irrecevabilité de l'appel incident de la caisse.

8. Par un arrêt du 24 octobre 2019, rendu sur déféré, cet appel a été déclaré recevable.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal, dirigé contre l'arrêt du 25 juin 2020

Enoncé du moyen

9. L'Etat français fait grief à l'arrêt de dire recevable l'action dirigée à son encontre par M. [I] [C] [O], Mme [V] [H], agissant en son nom personnel et en sa qualité de représentante légale de sa fille [S] [D], et Mme [B] [O], et de les condamner, en conséquence, à leur payer différentes sommes en réparation de leurs préjudices alors que « la responsabilité de l'État ne se substitue à celle d'un établissement privé sous contrat d'association que si le dommage subi par l'un de ses élèves a été causé à l'occasion d'une activité scolaire, réalisée à des fins pédagogiques sous la supervision d'un enseignant dûment habilité, ce qui exclut les activités récréatives réalisées après les cours ; qu'en jugeant cependant que le dommage subi par M. [I] [C] [O] durant un jeu de hockey, organisé après les cours à des fins exclusivement récréatives et en dehors de la supervision d'un professeur d'éducation physique et sportive, au sein du collège [8], établissement privé sous contrat d'association, était de nature à engager la responsabilité de l'État aux motifs que le professeur de musique qui y avait participé « avait les qualités requises pour encadrer cette activité puisqu'au moment de l'accident il exerçait déjà depuis sept années l'activité de coach de l'équipe 3 du club de Lille Métropole hockey club et avait antérieurement suivi un cursus de joueur de hockey au niveau national », la cour d'appel, qui s'est fondée sur un motif inopérant, a violé l'article L. 911-4 du code de l'éducation ».

Réponse de la Cour

10. L'arrêt rappelle que, par application de l'article L. 911-4 du code de l'éducation, la responsabilité de l'Etat se substitue à celle des membres de l'enseignement public pour les faits commis au détriment des élèves qui leur sont confiés à raison de leurs fonctions, que ces faits interviennent tant pendant la scolarité qu'en dehors de celle-ci et que le collège [8] ayant conclu un contrat d'association avec l'Etat, ses enseignants bénéficient du même texte.

11. Il relève ensuite que l'activité de hockey a été organisée au sein du collège et encadrée par un enseignant de celui-ci, M. [G], dans un but d'éducation physique.

12. Il ajoute qu'il importe peu que M. [G], ne soit pas professeur d'éducation physique dès lors qu'il a la qualité d'enseignant dans le collège.

13. De ces énonciations et constatations, la cour d'appel a exactement déduit que la responsabilité de l'Etat était engagée en application de l'article L. 911-4 du code de l'éducation.

14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le moyen du pourvoi additionnel, dirigé contre l'arrêt du 24 octobre 2019

Enoncé du moyen

15. L'Etat français fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir déclarer irrecevable l'appel incident formé par la caisse dans ses conclusions notifiées le 16 août 2018, alors « qu'en jugeant recevable l'appel incident de la caisse, formé plus de trois mois après la notification des conclusions d'appel de M. [I] [C] [O], Mme [V] [H] et Mme [B] [O], appelants principaux, la cour d'appel a violé l'article 909 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 909 et 910 du code de procédure civile :

16. Selon le premier de ces textes, l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour former le cas échéant appel incident.

17. Il résulte du second, interprété à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'est recevable dans le délai de trois mois à compter de la notification des conclusions portant appel incident l'appel incidemment relevé par un intimé contre un autre intimé en réponse à l'appel incident de ce dernier qui modifie l'étendue de la dévolution résultant de l'appel principal et tend à aggraver la situation de ce dernier (2e Civ., 14 avril 2022, pourvoi n° 20-22.362).

18. Pour déclarer recevable l'appel incident de la caisse formé contre l'Etat français, l'arrêt retient que celle-ci a relevé appel incident dans le délai de trois mois de la notification des conclusions d'autres intimés portant appel incident.

19. En statuant ainsi, alors que l'appel incident de la caisse avait été formé plus de trois mois après la notification des conclusions des appelants et que l'appel incident formé par M. [G], le collège [8] et la société Mutuelle Saint-Christophe assurances n'avait pas modifié l'étendue de la dévolution résultant de l'appel principal ni aggravé la situation de la caisse, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

20. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

21. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie en effet, que la Cour de cassation statue sur le fond, après la cassation de l'arrêt du 24 octobre 2019.

22. Il résulte de ce qui est dit au paragraphe 19 que l'appel incident formé par la caisse à l'encontre de l'Etat français est irrecevable.

23. En application de l'article 625, alinéa 2, du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt du 24 octobre 2019 entraîne, par voie de conséquence, celle des dispositions de l'arrêt du 25 juin 2020, condamnant l'Etat français à payer à la caisse diverses sommes et une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et ordonnant la capitalisation des intérêts sur les sommes à payer à la caisse dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

24. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

25. La cassation de l'arrêt du 25 juin 2020 prononcée par voie de retranchement n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi principal, la Cour :

REJETTE le pourvoi formé par l'Etat français dirigé contre l'arrêt du 25 juin 2020 ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare irrecevable l'appel incident formé par la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 7].

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Leroy-Gissinger (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Chauve - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SCP Boutet et Hourdeaux -

Textes visés :

Article L. 911-4 du code de l'éducation ; article 910 du code de procédure civile ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 14 avril 2022, pourvoi n° 20-22.362, Bull. (cassation).

Soc., 27 septembre 2023, n° 21-22.937, (B), FS

Cassation partielle

Demande nouvelle – Définition – Accessoire, conséquence ou complément des demandes ou défenses soumises au premier juge par une autre partie – Applications diverses – Instance en nullité d'un licenciement – Demande de réintégration et de dommages-intérêts par le salarié

Selon l'article 566 du code de procédure civile, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire. Dès lors que le salarié dont le licenciement est nul est en droit de demander sa réintégration, cette demande et la demande de dommages-intérêts pour violation de la protection de l'article L. 1225-4-1 du code du travail, qui sont la conséquence de la demande de nullité du licenciement présentée en première instance, sont recevables en appel.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 juin 2021), la société Delta route a engagé M. [X] en qualité de responsable commercial le 4 juillet 2016.

2. Le salarié a été licencié le 24 janvier 2018 pour cause réelle et sérieuse.

3. Estimant que son licenciement était intervenu pendant la période de protection prévue à l'article L. 1225-4-1 du code du travail, faisant suite à la naissance de son enfant le 10 janvier 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le pourvoi incident, qui est préalable

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief l'arrêt de dire que le licenciement du salarié est nul, et de le condamner à lui payer diverses sommes à titre de complément d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, de rappel d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement nul, alors :

« 1°/ que l'employeur peut rompre le contrat de travail d'un salarié pendant les dix semaines suivant la naissance de son enfant, s'il justifie de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'arrivée de l'enfant ; qu'en l'espèce, dans ses écritures, la société Delta route offrait de démontrer en quoi elle se trouvait dans l'impossibilité de maintenir le contrat de M. [X] pour des motifs liés à des manquements professionnels objectifs, sans aucun lien avec la naissance de son enfant ; qu'elle expliquait notamment que les manquements reprochés à M. [X] n'étaient pas compatibles avec ses fonctions de responsable commercial, statut cadre, et qu'ils étaient de nature à causer un préjudice commercial à l'entreprise, raison pour laquelle celui-ci avait été dispensé de l'exécution de son préavis, quand bien même son licenciement n'était pas motivé par une faute grave ; qu'en se bornant à affirmer que la société Delta route « ne pouvait valablement licencier le salarié sans attendre l'écoulement du délai de 10 semaines en l'absence de faute grave ou d'impossibilité de maintenir le contrat de travail » sans examiner même sommairement cette offre de preuve, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L.1225-4-1 du code du travail ;

2°/ qu'en se bornant à affirmer l'absence d'une impossibilité de maintenir le contrat de travail de M. [X] sans examiner les moyens et explications de la société Delta route dans ses écritures d'appel, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article L. 1225-4-1 du code du travail, aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'un salarié pendant les dix semaines suivant la naissance de son enfant. Toutefois, l'employeur peut rompre le contrat s'il justifie d'une faute grave de l'intéressé ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'arrivée de l'enfant.

6. La cour d'appel, qui a relevé, par motifs propres et adoptés, que les griefs énoncés dans la lettre de licenciement ne caractérisaient pas l'impossibilité de maintenir le contrat de travail, a, par une décision motivée, sans avoir à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, légalement justifié sa décision.

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche, et sur le second moyen du pourvoi principal, réunis

Enoncé des moyens

7. Le salarié fait grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable en ses demandes de complément de sommes dans le solde de tous comptes déduites à tort, de réintégration et d'indemnité d'éviction, alors « qu'aux termes de l'article 566 du code de procédure civile, les parties peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ; qu'est ainsi recevable en appel toute demande qui présente un lien suffisant avec la demande originaire ; que la demande de réintégration, conséquence normale de la nullité d'un licenciement réputé n'avoir jamais existé, présente par nature un lien suffisant avec la demande d'annulation du licenciement prononcée en méconnaissance des dispositions d'ordre public relatives à la parentalité ; qu'en déclarant irrecevable, car présentée pour la première fois en cause d'appel, la demande de réintégration de M. [X] formulée en conséquence d'un licenciement dont il avait invoqué en première instance la nullité, la cour d'appel a violé les articles 564 et 566 du code de procédure civile. »

8. Il fait également grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable en sa demande de dommages-intérêts pour violation de la protection de l'article L. 1225-4-1 du code du travail, alors « qu'aux termes de l'article 566 du code de procédure civile, les parties peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ; que sont ainsi recevables en appel les demandes qui présentent un lien suffisant avec la demande originaire ; que la demande de dommages-intérêts pour violation de la protection de l'article L. 1225-4-1 du code du travail est la conséquence ou le complément nécessaire de la demande d'annulation du licenciement prononcé en méconnaissance de ce texte ; qu'en déclarant irrecevable, car présentée pour la première fois en cause d'appel, la demande de dommages-intérêts de M. [X] alors qu'elle complétait la demande d'annulation de son licenciement formulée en première instance, la cour d'appel a violé les articles 564 et 566 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 564 et 566 du code de procédure civile :

9. Aux termes du premier de ces textes, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

10. Selon le second, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

11. Pour déclarer irrecevables les demandes de réintégration et d'indemnité d'éviction et de dommages-intérêts pour violation de la protection de l'article L. 1225-4-1 du code du travail, l'arrêt retient qu'une demande de réintégration ne constitue nullement l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de la nullité du licenciement, dès lors que le salarié dispose d'une faculté de choix lui permettant de solliciter, soit la réparation de la rupture abusive du contrat de travail, soit sa poursuite accompagnée d'une indemnité d'éviction, les deux actions ne poursuivant pas la même fin de réparation du préjudice, même si elles partagent un fondement commun dans la nullité du licenciement, et qu'en l'espèce, le salarié a choisi de ne solliciter que la réparation des conséquences de la rupture du contrat de travail en première instance.

12. En statuant ainsi, alors que le salarié dont le licenciement est nul est en droit de demander sa réintégration, ce dont il résulte que cette demande et la demande de dommages-intérêts pour violation de la protection de l'article L. 1225-4-1 du code du travail sont la conséquence de la demande de nullité du licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

13. Le premier moyen ne formulant aucune critique contre les motifs de l'arrêt au soutien de la décision déclarant le salarié irrecevable en sa demande de complément de sommes dans le solde de tous comptes déduites à tort, la cassation ne peut s'étendre à cette disposition de l'arrêt qui n'est pas dans un lien de dépendance nécessaire avec les dispositions de l'arrêt critiquées par ce moyen.

14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation sur les moyens du pourvoi principal entraîne la cassation par voie de conséquence des chefs de dispositif condamnant l'employeur à payer au salarié un complément d'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, un rappel d'indemnité de licenciement, des dommages-intérêts pour licenciement nul, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

15. La cassation des chefs de dispositif déclarant le salarié irrecevable en ses demandes de réintégration, d'indemnité d'éviction et de dommages-intérêts pour violation de la protection de l'article L. 1225-4-1 du code du travail n'emporte pas la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare M. [X] irrecevable en ses demandes de réintégration, d'indemnité d'éviction et de dommages-intérêts pour violation de la protection de l'article L. 1225-4-1 du code du travail, et condamne la société Delta route à payer à M. [X] les sommes de 7 344,83 euros à titre de complément d'indemnité compensatrice de préavis et 734,48 euros au titre des congés payés afférents, 368,53 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement et 24 492,48 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, l'arrêt rendu le 11 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Chiron - Avocat général : M. Juan - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 1225-4-1 du code du travail ; article 566 du code de procédure civile.

2e Civ., 14 septembre 2023, n° 21-22.783, (B), FRH

Cassation

Procédure avec représentation obligatoire – Déclaration d'appel – Déclarations d'appel successives – Second appel – Régularisation de la première déclaration d'appel – Portée

Acte d'appel – Nullité – Vice de forme – Régularisation – Conditions – Régularisation antérieure à l'expiration du délai imparti pour conclure

Effet dévolutif – Portée – Chefs de jugement expressément critiqués

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 décembre 2020), Mme [C] a relevé appel, le 13 mars 2020, d'un jugement d'un conseil de prud'hommes du 13 février 2020, qui, dans l'instance l'opposant à M. [J], mandataire liquidateur de M. [T], et l'Unedic délégation AGS CGEA, l'a déboutée de ses demandes.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Mme [C] fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à statuer en l'absence d'effet dévolutif de l'appel principal et en l'absence d'appel incident, alors « que la déclaration d'appel, nulle, erronée ou incomplète, peut être régularisée par une nouvelle déclaration d'appel, dans le délai pour conclure ; que la seconde déclaration d'appel s'incorpore à la première, de sorte que la cour d'appel, valablement saisie par la première déclaration d'appel, est saisie de la critique des chefs du jugement mentionnés dans la seconde ; qu'en considérant qu'elle n'aurait pas été saisie et qu'il n'y aurait pas eu lieu à statuer, après avoir constaté que l'exposante avait transmis un document par le réseau RPVA le même jour que sa déclaration d'appel, intitulé « déclaration d'appel devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence » et indiquant que l'objet de l'appel était la réformation de la décision en ce qu'elle avait débouté Mme [C] de l'ensemble de ses demandes et l'avait condamnée aux entiers dépens, la cour d'appel a violé les articles 901 et 562 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article 901, 4°, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la déclaration d'appel est faite, à peine de nullité, par acte contenant notamment les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

En application des articles 748-1 et 930-1 du même code, cet acte est accompli et transmis par voie électronique.

5. En application de l'article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, seul l'acte d'appel emporte dévolution des chefs critiqués du jugement.

6. Il en résulte que les mentions prévues par l'article 901, 4°, du code de procédure civile doivent figurer dans la déclaration d'appel, laquelle est un acte de procédure se suffisant à lui seul.

7. Pour constater l'absence d'effet dévolutif de l'appel principal, l'arrêt relève que la déclaration d'appel ne précise pas les chefs de jugement critiqués mais procède par renvoi implicite à une annexe en indiquant uniquement que « l'appel est limité aux chefs du jugement expressément critiqués » sans plus de développement ni indication sur ceux-ci ni viser une quelconque annexe et transmettant, par le réseau virtuel privé avocat, le même jour un document intitulé « déclaration d'appel devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence » indiquant que l'objet de l'appel est la réformation de la décision en ce qu'elle a débouté Mme [C] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux entiers dépens.

8. L'arrêt ajoute que l'appelante ne démontre pas avoir été dans l'impossibilité de faire figurer ces mentions dans la déclaration elle-même, laquelle pouvait contenir l'intégralité des chefs de jugement critiqués.

9. En statuant ainsi, alors qu'à la suite d'une première déclaration d'appel qui ne mentionnait pas les chefs de dispositif critiqués, une nouvelle déclaration d'appel a été adressée au greffe le même jour, dans le délai d'appel, par le réseau virtuel privé avocat, comportant les mentions énumérées à l'article 901 du code de procédure civile, dont l'indication des chefs de dispositif expressément critiqués, et se suffisant ainsi à elle-même, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Durin-Karsenty - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Articles 562, 748-1, 901 et 901, 4°, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.