Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2023

CONTRATS ET OBLIGATIONS CONVENTIONNELLES

3e Civ., 14 septembre 2023, n° 22-18.642, (B), FS

Rejet

Modalités – Conditions – Condition suspensive – Délai – Délai non spécifié – Effets – Maintien des stipulations contractuelles – Faculté de résiliation unilatérale – Possibilité – Portée

La règle suivant laquelle l'engagement affecté d'une condition suspensive sans terme fixe subsiste aussi longtemps que la condition n'est pas défaillie et ne peut prendre fin par la volonté unilatérale de l'une des parties ne prive pas celles-ci du bénéfice des stipulations du contrat prévoyant une faculté de résiliation unilatérale. Dans ce cas, le sort de la condition s'apprécie à la date de la résiliation.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 12 mai 2022), par contrat du 24 octobre 2017, Mme [O] a confié à la société Damien Clara architecture (la société DCA) une mission de maîtrise d'oeuvre portant sur l'aménagement de son domicile personnel et sur la mise en conformité d'un cabinet médical aux normes d'accessibilité des personnes à mobilité réduite.

2. Le 12 juin 2018, la société DCA a indiqué à Mme [O] qu'elle entendait mettre fin au contrat.

3. Soutenant que le contrat d'architecte méconnaissait les dispositions des articles L. 313-1 et suivants du code de la consommation et devait être considéré comme conclu sous la condition suspensive d'obtention d'un prêt destiné à financer les travaux et faisant valoir que celle-ci ne s'était pas réalisée à la date de la résiliation, Mme [O] a sollicité le remboursement des sommes versées à titre d'honoraires et le rejet des demandes de la société DCA.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société DCA fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme à Mme [O] au titre des honoraires versés et de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ que l'engagement affecté d'une condition suspensive sans terme fixe

ne peut prendre fin par la volonté unilatérale de l'une des parties et subsiste jusqu'à la défaillance de la condition, qui peut être retenue seulement quand il est certain que l'événement érigé en condition n'aura pas lieu ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande de la société DCA en paiement d'honoraires dirigée contre Mme [O], la cour a retenu que le contrat d'architecte qui les liait était conclu sous condition suspensive de l'obtention d'un prêt, lequel n'avait été obtenu qu'en 2020, soit postérieurement à la résiliation du contrat d'architecte par la société DCA le 12 juin 2018, de sorte que la condition suspensive de l'obtention du prêt n'était pas réalisée ; qu'en statuant de la sorte, alors que les engagements issus du contrat d'architecte n'avaient pu prendre fin du seul fait de la volonté de la société DCA et que le fait que Mme [O] soit parvenue ultérieurement à obtenir un financement excluait que la condition suspensive de l'obtention d'un prêt soit regardée comme défaillie, la cour d'appel a violé les articles 1304 et 1304-6 du code civil, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ qu'en considérant que la condition suspensive relative à l'obtention d'un prêt était défaillie, en ce que Mme [O] n'avait obtenu son emprunt qu'après la résiliation du contrat d'architecte, sans pour autant constater qu'elle s'était vu opposer un refus à sa demande de prêt avant que le contrat n'ait été résilié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1304 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel a retenu que le contrat d'architecte, qui méconnaissait les dispositions des articles L. 312-2 et suivants du code de la consommation relatives à la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier, devait, par application de l'article L. 313-42 du même code, être considéré comme conclu sous la condition suspensive d'obtention du prêt destiné au financement de l'opération.

6. La règle suivant laquelle l'engagement affecté d'une condition suspensive sans terme fixe subsiste aussi longtemps que la condition n'est pas défaillie et ne peut prendre fin par la volonté unilatérale de l'une des parties ne prive pas celles-ci du bénéfice des stipulations du contrat prévoyant une faculté de résiliation unilatérale. Dans ce cas, le sort de la condition s'apprécie à la date de la résiliation.

7. Ayant retenu que la société DCA avait résilié le contrat le 12 juin 2018 et qu'à cette date la condition suspensive d'obtention du prêt immobilier ne s'était pas réalisée, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, sans être tenue de procéder à une recherche sur une éventuelle défaillance de la condition prise du comportement du débiteur en ayant empêché la réalisation, que ses constatations rendaient inopérante, que les honoraires versés par le maître de l'ouvrage devaient être remboursés et la demande en paiement d'un solde d'honoraires rejetée.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Boyer - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Article 1304 du code civil.

Rapprochement(s) :

Com., 6 mars 2007, pourvoi n° 05-17.546, Bull. 2007, IV, n° 78 (cassation), et l'arrêt cité.

Com., 20 septembre 2023, n° 21-25.386, (B), FS

Cassation partielle

Objet – Détermination – Prix – Article 1165 du code civil – Application – Exclusion – Cas – Honoraires d'un expert-comptable

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal de commerce de Versailles, 19 novembre 2021), rendu en dernier ressort, par un acte du 8 juillet 2021 transformé en procès-verbal de recherches infructueuses, la société Effigest, expert-comptable, a assigné la société C and B aux fins de la voir condamner à lui payer, d'une part, la somme de 756 euros, correspondant à trois factures émises pour des frais de domiciliation, d'autre part, la somme de 2 910 euros, correspondant à neuf factures mensuelles émises entre avril et décembre 2019 pour des interventions comptables, outre la somme de 645,66 euros au titre de frais de recouvrement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La société Effigest fait grief au jugement de ne condamner la société C and B à lui payer que les sommes de 756 euros, majorée des intérêts de retard calculés au taux de l'intérêt légal à compter du 28 janvier 2021, et de 120 euros, pour frais de recouvrement, alors « que, dans les contrats de prestation de service, à défaut d'accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d'en motiver le montant en cas de contestation ; qu'en cas d'abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d'une demande tendant à obtenir des dommages-intérêts et, le cas échéant, la résolution du contrat ; qu'en déboutant, alors même qu'elle n'était saisie d'aucune contestation ou demande de la partie adverse dont il avait constaté l'absence, la société Effigest de sa demande de condamnation de sa cliente au paiement de prestations de tenue de comptabilité au motif qu'elle ne produisait ni tarif horaire ni feuille de temps passé sur ces travaux qui justifierait le quantum de sa facturation, le tribunal a violé l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018. »

Réponse de la Cour

3. Selon l'article 1165 du code civil, dans les contrats de prestation de service, à défaut d'accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d'en motiver le montant en cas de contestation.

4. Selon l'article 1105, alinéa 3, du code civil, les règles générales relatives à la formation, à l'interprétation et aux effets des contrats s'appliquent sous réserve des règles particulières propres à certains contrats.

5. Selon l'article 151, alinéa 1, du décret n° 2012-432 du 30 mars 2012 relatif à l'exercice de l'activité d'expertise comptable, l'expert-comptable passe avec son client un contrat écrit définissant sa mission et précisant les droits et obligations de chacune des parties.

6. Il en résulte que les dispositions de l'article 1165 du code civil ne sont, conformément à l'article 1105, alinéa 3, du même code, pas applicables.

7. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

8. La société Effigest fait le même grief au jugement, alors « qu'en matière de louage d'ouvrage, il appartient au juge de fixer la rémunération due au prestataire compte tenu des éléments de la cause ; que le juge est ainsi tenu de fixer le montant d'honoraires dont il ressort de ses constatations qu'ils sont fondés en leur principe ; que le montant des honoraires dus à l'expert-comptable doit être déterminé en fonction du travail fourni et du service rendu ; qu'en déboutant la société d'expertise-comptable Effigest de sa demande de condamnation de sa cliente au paiement de prestations de tenue de comptabilité, dont il a constaté la réalisation, au motif qu'elle ne produisait ni tarif horaire ni feuille de temps passé sur ces travaux qui justifierait le quantum de sa facturation, quand il lui revenait d'évaluer le montant des honoraires dus, le tribunal a violé les articles 4 et 1787 du code civil, ensemble l'article 24 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code civil et l'article 24 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 :

9. Il résulte du premier de ces textes que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies et est, par suite, tenu d'évaluer une créance dont il a constaté l'existence en son principe.

10. Selon le second de ces textes, les honoraires de l'expert-comptable doivent constituer la juste rémunération du travail fourni comme du service rendu.

11. Pour rejeter les demandes en paiement des factures correspondant aux prestations comptables, le jugement, après avoir constaté que la société Effigest ne produit aux débats aucune lettre de mission la liant à la société C and B, retient que s'il n'est pas contestable que des prestations ont bien été réalisées par la société Effigest, celle-ci ne produit ni tarif horaire ni feuille de temps passé sur ces travaux qui justifierait le quantum de sa facturation.

12. En statuant ainsi, en refusant d'évaluer le montant des honoraires dus à la société Effigest, alors qu'il résultait de ses propres constatations que les prestations avaient été réalisées et que ces honoraires étaient fondés en leur principe, le tribunal, qui devait en fixer le montant, a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société C and B à payer à la société Effigest les sommes de 756 euros, majorée des intérêts de retard calculés au taux de l'intérêt légal à compter du 28 janvier 2021, avec capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil, 120 euros au titre des frais de recouvrement et 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, le jugement rendu le 19 novembre 2021, entre les parties, par le tribunal de commerce de Versailles ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant le tribunal de commerce de Nanterre.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Ponsot - Avocat général : M. Lecaroz - Avocat(s) : Me Bardoul -

Textes visés :

Articles 1105, alinéa 3, et 1165 du code civil ; article 151, alinéa 1, du décret n° 2012-432 du 30 mars 2012.

Com., 20 septembre 2023, n° 22-15.878, (B), FRH

Rejet

Résiliation – Résiliation unilatérale – Préavis – Concours à durée déterminée (non)

Tacite reconduction – Effets – Nouveau contrat

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 15 mars 2022), par convention du 26 juillet 2006, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Méditerranée (la banque) a consenti à la société Odyssée immobilier (la société) une ouverture de crédit en compte courant pour une durée de vingt-quatre mois, à l'expiration de laquelle le contrat a été tacitement reconduit pour une durée indéterminée.

2. Le 3 mai 2018, la banque a notifié à la société que son concours serait résilié à l'expiration du délai de soixante jours prévu à l'article L. 313-12 du code monétaire et financier.

3. Le 13 juin 2018, la banque a envoyé une seconde lettre à la société, par laquelle elle l'informait qu'en application de l'article 16 de la convention initiale, elle prononçait la déchéance du terme en raison du dépassement du plafond du découvert autorisé, et exigeait le paiement des sommes dues dans un délai de huit jours.

4. La banque a assigné la société ainsi que MM. [X] et [O], qui s'étaient portés cautions, en paiement du solde débiteur du compte courant.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La banque fait grief à l'arrêt de dire qu'elle n'a pas respecté les conditions légales de résiliation d'un concours bancaire, de prononcer la nullité de la résiliation de l'ouverture de crédit et de la déchéance du terme décidée le 13 juin 2018 et de rejeter son action en paiement dirigée contre la société et les cautions, alors « que le renouvellement du contrat d'ouverture de crédit par tacite reconduction donne naissance à un nouveau contrat dont le contenu est identique au précédent, mais dont la durée est indéterminée ; qu'il s'ensuit, dans le cas où, conformément à l'article L. 313-12 du code monétaire et financier, le contrat d'ouverture de crédit renouvelé est interrompu et où le préavis de soixante jours est en cours, ce qui a pour effet de métamorphoser, pour la durée du préavis, le contrat à durée indéterminée en contrat à durée déterminée, que la clause du contrat d'origine qui prévoit que le bénéficiaire de l'ouverture de crédit devra rembourser, dans les huit jours d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au banquier dispensateur du crédit le montant des sommes dont il est alors redevable envers lui lorsque le compte de l'emprunteur enregistre un découvert non autorisé, est pleinement applicable ; qu'en décidant le contraire au motif que la banque « ne peut valablement se prévaloir de son courrier du 13 juin 2018 prononçant la déchéance du terme en application » de l'article 16 de la convention d'ouverture de crédit d'origine, « la seule possibilité de dénonciation d'un découvert à durée indéterminée résidant dans la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 313-12 du code », la cour d'appel a violé ledit article L. 313-12, ensemble les articles 1214 et 1215 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. La notification par une banque, en application de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier, de la résiliation d'un concours à durée indéterminée à l'expiration d'un délai de préavis ne le transforme pas en concours à durée déterminée.

7. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Calloch - Avocat(s) : SCP Capron ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article L. 312-12 du code monétaire et financier.

Rapprochement(s) :

Sur la distinction entre prorogation et renouvellement par tacite reconduction, à rapprocher : Com., 13 mars 1990, pourvoi n° 88-18.251, Bull. 1990, IV, n° 77 (cassation partielle).

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.