Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2023

VENTE

3e Civ., 28 septembre 2023, n° 22-15.236, (B), FS

Rejet

Garantie – Eviction – Fait du tiers – Conditions – Trouble de fait ou de droit – Caractérisation – Exclusion – Cas – Transfert d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) vers un autre lieu d'exploitation

Ayant retenu que l'autorisation d'exploiter un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) n'était attachée ni à l'immeuble ni à son propriétaire et que l'acte de vente ne comportait aucun engagement du vendeur quant au maintien des autorisations administratives existantes au jour de la vente, une cour d'appel en a exactement déduit que le transfert de l'EHPAD vers un autre lieu d'exploitation ne constituait pas un fait d'éviction dont le vendeur devait garantie.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 24 janvier 2022), la société Twinkyco a acquis, d'une part, de la société civile immobilière de L'Etang du manoir (la SCI), suivant contrat de réservation du 6 février 2006, des chambres et leur quote-part des parties communes dans une résidence pour personnes âgées dépendantes, d'autre part, de la société [Adresse 7], les biens mobiliers destinés à les garnir, cette opération bénéficiant d'un régime de défiscalisation.

2. Le même jour, la société Twinkyco a donné les biens à bail commercial à la société [Adresse 7] pour une durée de onze années et neuf mois, celle-ci étant chargée de la gestion de l'établissement et de la sous-location des chambres à des résidents.

3. L'acte authentique de vente a été établi le 18 octobre 2006.

4. Un second bail a été conclu le 1er janvier 2009 jusqu'au 30 septembre 2020.

5. Le 21 octobre 2013, les copropriétaires de la résidence ont été informés de la décision de la société [Adresse 7] de transférer l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) dans une nouvelle construction à [Localité 3], seule capable d'abriter des lits supplémentaires.

6. Soutenant que l'utilisation de la résidence en EHPAD était une condition essentielle de son acquisition, la société Twinkyco, a assigné la SCI et la société [Adresse 7] en résiliation des ventes immobilière et mobilière aux torts des vendeurs, sur le fondement principal de la garantie d'éviction, ainsi qu'en paiement de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

8. La société Twinkyco fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en garantie d'éviction, alors :

« 1°/ que le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu ; qu'il doit en ce sens s'abstenir de tout acte remettant en cause la destination du bien telle qu'elle a été contractuellement fixée par les parties ; qu'en l'espèce, il résulte des différents contrats de vente que les biens acquis par la société Twinkyco l'ont été pour être exploités dans un EHPAD et il est constant que le transfert de l'autorisation d'exploitation de l'EHPAD vers un autre site résulte d'une décision volontaire des vendeurs ; que dès lors, en affirmant que le transfert de l'EHPAD ne constituait pas un trouble de droit ou de fait à la propriété des biens cédés à la société Twinkyco déclenchant le jeu de la garantie d'éviction du fait personnel, cependant que la destination des biens contractuellement fixée par les parties avait été unilatéralement modifiée par les vendeurs entraînant l'éviction, au moins partielle, de l'acquéreur, la cour d'appel a violé les articles 1625 et 1626 du code civil, ensemble l'article 1134 du même code dans sa rédaction applicable à la cause ;

2°/ que tout jugement doit être motivé et que la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; qu'en affirmant, d'une part, que « la vente ne portait que sur les droits immobiliers et mobiliers dont les vendeurs étaient propriétaires, et n'emportait nullement cession au profit de l'acquéreur de l'autorisation d'exploiter un EHPAD » (arrêt, p. 8), tout en constatant, d'autre part, que le fait que les biens soient situés dans un ensemble immobilier destiné à un EHPAD constituait une condition essentielle de la vente (arrêt, p. 10), la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

9. La cour d'appel a relevé que l'acte authentique de vente mentionnait que les biens et droits immobiliers objet de la vente étaient destinés à l'activité commerciale de loueur en meublé dans une résidence d'habitation avec services, et comportait l'énonciation des autorisations administratives existantes relatives à l'exploitation de l'immeuble, dont l'arrêté de la préfecture d'Indre-et-Loire du 17 décembre 2001 autorisant la transformation d'un établissement existant en EHPAD, l'arrêté du conseil général du même jour autorisant l'exploitation de quarante-cinq lits, et deux arrêtés du maire de la commune du 21 janvier 2004 et du 1er mars 2005 maintenant l'autorisation d'ouverture au public.

10. Elle en a déduit que la société Twinkyco avait acquis des lots de copropriété dans un groupe d'immeubles à destination de maison de retraite, aux fins de louer des chambres en meublé.

11. Ayant retenu à bon droit que l'autorisation d'exploiter un EHPAD n'était attachée ni à l'immeuble ni à son propriétaire, mais à l'établissement médico-social exploité par la société [Adresse 7], et constaté que l'acte de vente ne comportait aucun engagement du vendeur quant au maintien des autorisations administratives existantes au jour de la vente, elle en a exactement déduit, sans contradiction, que le transfert de l'EHPAD [Adresse 7] ne constituait pas un trouble de fait ou de droit à la propriété des biens cédés à la société Twinkyco.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

13. La société Twinkyco fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts pour manquement des venderesses à leur obligation pré-contractuelle d'information, alors :

« 1°/ que le vendeur est tenu d'expliquer clairement ce à quoi il s'oblige et que l'intervention d'un mandataire chargé de commercialiser le bien au nom et pour le compte du vendeur ne dispense pas ce dernier de son obligation d'information ; qu'en affirmant, pour juger que les sociétés venderesses n'avaient pas méconnu leur obligation d'information, qu'elles n'avaient pas procédé elles-mêmes à la promotion et à la commercialisation d'une opération d'optimisation fiscale, réalisée par des professionnels de ce secteur, la cour d'appel a violé l'article 1602 du code civil ;

2°/ que le vendeur est tenu d'expliquer clairement ce à quoi il s'oblige et que celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ; qu'en l'espèce, les sociétés venderesses avaient l'obligation d'appeler l'attention de l'acquéreur non professionnel sur la nécessité du maintien de l'autorisation administrative et donc sur la durée possiblement limitée de l'exploitation de L'EHPAD ; qu'en affirmant que les sociétés venderesses n'avaient pas méconnu leur obligation précontractuelle d'information sans rechercher, ainsi qu'il le lui était demandé, si les acquéreurs avaient été informés du caractère temporaire de l'exploitation de l'immeuble en EHPAD, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1602 du code civil ;

3°/ que le vendeur est tenu d'expliquer clairement ce à quoi il s'oblige et que celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ; qu'en l'espèce, les sociétés venderesses avaient l'obligation d'appeler l'attention de l'acquéreur non professionnel sur la nécessité du maintien de l'autorisation administrative et donc sur la durée possiblement limitée de l'exploitation de l'EHPAD ; qu'en affirmant péremptoirement que ne pèse pas sur les vendeurs une obligation de conseil et d'information de l'acquéreur sur la rentabilité ou la pérennité de son investissement immobilier et sur les risques précisément encourus en cas de retrait de l'autorisation d'exploitation de l'EHPAD ou de congé délivré par le preneur, lorsque la loyauté contractuelle obligeait le vendeur à attirer l'attention de l'acquéreur sur le caractère temporaire de l'autorisation administrative, la cour d'appel a violé l'article 1602. »

Réponse de la Cour

14. La cour d'appel a relevé que l'acte authentique de vente stipulait que les biens devaient être loués par l'acquéreur au profit de la société [Adresse 7], qui assurerait la gestion de la maison de retraite, et énumérait les décisions administratives relatives à cette exploitation.

15. Elle a constaté que le contrat de bail commercial, conclu en même temps que la vente des biens immobiliers, pour une durée de onze ans et neuf mois à compter du 18 octobre 2006, stipulait que le preneur devrait se conformer aux prescriptions administratives et autres concernant l'activité de maison de retraite médicalisée et qu'il ferait son affaire de l'obtention et du maintien, pendant toute la durée du bail et ses éventuelles reconductions, de toutes les autorisations légales, administratives et réglementaires requises par la réglementation régissant les EHPAD, et mentionnait l'arrêté du 17 décembre 2001 autorisant l'exploitation, par la société [Adresse 7] de quarante-cinq lits dans le cadre d'un EHPAD.

16. Elle a pu en déduire que l'acquéreur était informé, lors de la vente, que seul l'exploitant était titulaire d'une autorisation d'exploitation en EHPAD, qu'il avait la possibilité de délivrer congé à l'issue de la période convenue et de quitter les lieux avec l'autorisation administrative dont il bénéficiait pour l'exploitation de l'établissement médico-social.

17. Elle a exactement retenu, abstraction faite d'un motif surabondant relatif à l'intervention d'autres professionnels du secteur, sans être tenue de procéder à une recherche relative à l'information donnée sur le caractère temporaire de l'exploitation en EHPAD que ses constatations rendaient inopérante, que les venderesses n'avaient pas manqué à leur obligation pré-contractuelle d'information ni à la loyauté contractuelle.

18. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident, qui n'est qu'éventuel, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Abgrall - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Spinosi -

Textes visés :

Articles 1625 et 1626 du code civil.

3e Civ., 28 septembre 2023, n° 22-15.576, (B), FS

Cassation partielle

Propriété classée au cadastre en nature de bois et forêts – Propriétaire d'une parcelle boisée contiguë – Droit de préférence – Exercice – Effets – Renonciation du vendeur à la vente – Possibilité

L'exercice, par son bénéficiaire, du droit de préférence prévu à l'article L. 331-19 du code forestier ne prive pas le vendeur de la liberté de renoncer à la vente.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 22 juin 2021), par acte sous-seing privé des 7 et 14 juillet 2016, Mme [W] a promis de vendre à M. [I] et Mme [L] une parcelle en nature de taillis.

2. A la suite de la notification de l'intention de vendre qui lui avait été adressée par le notaire, M. [D], propriétaire d'une parcelle boisée contiguë a, par lettre recommandée du 31 août 2016, déclaré exercer son droit de préférence, en application de l'article L. 331-19 du code forestier.

3. Mme [W] ayant exprimé son refus de vendre son bien à M. [D] et n'ayant pas répondu à la sommation d'assister à la vente qui lui avait été délivrée, le notaire a dressé un procès-verbal de carence.

4. M. et Mme [D] l'ont assignée en vente forcée de la parcelle et paiement de dommages-intérêts.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

5. Mme [W] fait grief à l'arrêt de la condamner à régulariser la vente de sa parcelle au profit de M. [D], alors « que le seul questionnement du bénéficiaire du droit de préférence prévu pour la vente de parcelle en état de taillis ne vaut pas offre de vente, de sorte qu'en l'absence de promesse le vendeur est libre de renoncer à la vente initialement envisagée ; qu'en déclarant que, dès lors que ni la SAFER ni la commune n'avaient souhaité exercer leur droit de préemption, le droit de préférence du voisin avait produit plein et entier effet par la rencontre des consentements, dès la date du 31 août 2016 à laquelle l'intéressé avait exprimé son intention de s'en prévaloir, la venderesse ne pouvant dès lors se rétracter de son intention de vendre après l'exercice de ce droit, la cour d'appel a violé l'article L. 331-19 du code forestier dans sa rédaction applicable en la cause et l'article 1589 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 331-19 du code forestier, dans sa rédaction applicable en la cause, et l'article 1589, alinéa 1, du code civil :

6. Selon le premier de ces textes, en cas de vente d'une propriété classée au cadastre en nature de bois et forêts et d'une superficie totale inférieure à quatre hectares, les propriétaires d'une parcelle boisée contiguë bénéficient d'un droit de préférence.

Le vendeur est tenu de leur notifier le prix et les conditions de la cession projetée, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou, lorsque le nombre de notifications est égal ou supérieur à dix, par voie d'affichage en mairie durant un mois et de publication d'un avis dans un journal d'annonces légales. Tout propriétaire d'une parcelle boisée contiguë dispose d'un délai de deux mois à compter de la notification pour faire connaître au vendeur, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par remise contre récépissé, qu'il exerce son droit de préférence aux prix et conditions qui lui sont indiqués par le vendeur. Lorsque plusieurs propriétaires de parcelles contiguës exercent leur droit de préférence, le vendeur choisit librement celui auquel il souhaite céder son bien.

Le droit de préférence n'est plus opposable au vendeur en l'absence de réalisation de la vente résultant d'une défaillance de l'acheteur dans un délai de quatre mois à compter de la réception de la déclaration d'exercice de ce droit. Ce droit de préférence s'exerce sous réserve du droit de préemption, et de la rétrocession qui en découle, prévu au bénéfice de personnes morales chargées d'une mission de service public par le code rural et de la pêche maritime ou par le code de l'urbanisme.

7. Aux termes du second, la promesse de vente vaut vente, lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix.

8. À défaut de disposition législative le précisant, la notification ou l'affichage du prix et des conditions de la vente projetée ne vaut pas offre ferme de vente au profit du bénéficiaire du droit de préférence, de sorte que l'exercice de ce droit par le propriétaire d'une parcelle boisée contiguë ne prive pas le vendeur de la liberté de renoncer à la vente.

9. Pour condamner Mme [W] à régulariser, au profit de M. [D], la vente de sa parcelle boisée, l'arrêt retient que, dès lors que ni la SAFER ni la commune n'ont souhaité exercer leur droit de préemption, le droit de préférence de M. [D] a produit plein et entier effet par la rencontre des consentements, dès la date à laquelle il a exprimé son intention de s'en prévaloir, la venderesse ne pouvant, dès lors, se rétracter de son intention de vendre après l'exercice de ce droit et que, par conséquent, M. [D] est fondé à voir reconnaître plein et entier effet à la vente intervenue entre Mme [W] et lui-même par l'exercice de son droit de préférence.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il infirme partiellement le jugement et, statuant à nouveau et y ajoutant, condamne Mme [W] à régulariser par acte notarié au profit de M. [D] la vente de la parcelle, dans les conditions précisées dans la réquisition d'instrumenter en date des 7 juillet et 14 juillet 2016 valant accord entre Mme [W] et M. [I] et Mme [L] ainsi que dans le courrier de notification à M. [D] du notaire en date du 29 août 2016, dans le délai de quatre mois à compter de la signification de l'arrêt, sous astreinte, rejette toutes les autres demandes et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 22 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Djikpa - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SARL Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Leduc et Vigand -

Textes visés :

Article L. 331-19 du code forestier.

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