Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2023

PRESCRIPTION CIVILE

Soc., 13 septembre 2023, n° 22-10.529, n° 22-11.106, (B) (R), FP

Cassation partielle

Délai – Point de départ – Contrat de travail – Action en paiement d'indemnité de congés payés

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-10.529 et 22-11.106 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 26 novembre 2021), Mme [G] a collaboré au sein de l'Institut des métiers du notariat d'[Localité 3] devenu l'Institut national des formations notariales (l'Institut).

3. La relation contractuelle a été rompue par lettre du 20 juin 2018.

4. S'estimant liée avec l'Institut par un contrat de travail, l'intéressée a saisi, le 28 septembre 2018, la juridiction prud'homale de diverses demandes à caractère salarial et indemnitaire.

Examen des moyens

Sur les trois moyens du pourvoi n° 22-10.529 et les quatrième à huitième moyens du pourvoi n° 22-11.106

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les cinquième à huitième moyens du pourvoi n° 22-11.106, qui sont irrecevables, et sur les trois moyens du pourvoi n° 22-10.529 et le quatrième moyen du pourvoi n° 22-11.106 qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi n° 22-11.106

Enoncé du moyen

6. La salariée fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation de l'employeur au titre des congés payés pour les périodes 2015-2016 et 2016-2017, alors « que le congé annuel prévu à l'article L. 3141-3 du code du travail ouvre droit à une indemnité égale au dixième de la rémunération brute totale perçue par le salarié au cours de la période de référence et, pour la détermination de la rémunération brute totale, il est tenu compte de l'indemnité de congé de l'année précédente ; que les corrections des copies d'examen, des mémoires et des rapports de stage des étudiants de la licence professionnelle et leur soutenance constituent des tâches occasionnelles nécessitant, pour l'enseignant désigné, un travail effectif accompli sur un temps de travail supplémentaire qui a pour contrepartie un salaire brut supplémentaire, mentionnée dans les bulletins de salaire des mois concernés, en sus du salaire brut de base auquel il s'additionne pour le calcul du salaire brut mensuel ; qu'en retenant que les corrections de copies et « soutenances LP » ne devaient pas être intégrées dans le calcul de l'indemnité de congés payés, cependant que ces tâches occasionnelles rétribuaient un travail effectif accompli sur un temps de travail supplémentaire justifiant qu'elles soient intégrées dans le calcul de l'indemnité de congés payés, la cour d'appel a violé l'article L. 3141-24 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3141-22 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 et L. 3141-24 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

7. Selon ces textes, la rémunération à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de congé payé est la rémunération totale du salarié, incluant les primes et indemnités versées en complément du salaire si elles sont versées en contrepartie ou à l'occasion du travail.

8. Pour limiter à certaines sommes la condamnation de l'employeur au paiement de rappels d'indemnité de congé payé, l'arrêt retient que la correction de copies et « soutenances LP » ne doivent pas être intégrées dans le calcul de l'indemnité de congé payé.

9. En statuant ainsi, alors que la rémunération de la correction des copies et des « soutenances LP » est versée en contrepartie ou à l'occasion du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° 22-11.106

Enoncé du moyen

10. La salariée fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation de l'employeur au titre des congés payés pour les périodes 2015-2016 et 2016-2017 et de la débouter de ses demandes en paiement des indemnités de congés payés pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015, alors « que le salarié tire son droit aux congés payés directement de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne et de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et que la CJUE a dit pour droit que ces dispositions s'opposent à ce que puisse être opposé au salarié l'extinction de son droit aux congés payés dès lors que l'employeur n'établit pas avoir tout mis en oeuvre pour mettre le salarié en mesure d'exercer ses droits aux congés payés, que dans le cas où la relation de travail a pris fin, le droit aux congés payés acquis par le salarié mais non pris du fait de l'employeur prend la forme d'une indemnité financière de congés payés ; que la cour d'appel s'est bornée à énoncer, pour débouter Mme [G] de sa demande en paiement de l'indemnité financière correspondant aux congés payés pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015 inclus, introduite après que l'employeur ait mis fin à leur relation, que l'action en paiement de l'indemnité de congés payés était soumise à la prescription triennale, applicable aux salaires ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si l'employeur avait démontré avoir accompli toutes diligences pour mettre la salariée en mesure d'exercer son droit aux congés payés et l'avoir informée des droits s'y rapportant, bien qu'elle ait constaté que, conformément aux textes supranationaux et nationaux, Mme [G], en sa qualité de salariée en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, avait un droit au repos et au paiement d'une indemnité dont elle n'avait pas bénéficié, a privé sa décision de base légale au regard du principe de primauté et d'effectivité du droit de l'Union Européenne, de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 tels qu'interprétés par la CJUE concernant les congés payés, l'article 55 de la Constitution qui pose le principe de la supériorité du traité sur la loi, et de l'article L. 3141-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 143-14, devenu L. 3245-1, du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, 21-V de cette même loi, L. 223-11, devenu L. 3141-22, du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 et L. 3141-24 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

11. Selon le premier de ces textes, l'action en paiement du salaire se prescrivait par cinq ans conformément à l'article 2277 du code civil.

12. Selon le deuxième, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrivait par cinq ans conformément à l'article 2244 du code civil.

13. Aux termes du troisième, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

14. Selon le quatrième, les dispositions de l'article L. 3245-1 du code du travail s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq ans.

15. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation le point de départ du délai de prescription de l'indemnité de congé payé, qui est de nature salariale, doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris (Soc., 14 novembre 2013, n° 12-17.409, Bull. 2013, V, n° 271).

16. Toutefois, le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union (CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C-570/16, point 80).

17. La Cour de justice de l'Union européenne juge que la perte du droit au congé annuel payé à la fin d'une période de référence ou d'une période de report ne peut intervenir qu'à la condition que le travailleur concerné ait effectivement eu la possibilité d'exercer ce droit en temps utile. Elle ajoute qu'il ne saurait être admis, sous prétexte de garantir la sécurité juridique, que l'employeur puisse invoquer sa propre défaillance, à savoir avoir omis de mettre le travailleur en mesure d'exercer effectivement son droit au congé annuel payé, pour en tirer bénéfice dans le cadre du recours de ce travailleur au titre de ce même droit, en excipant de la prescription de ce dernier (CJUE, arrêt du 22 septembre 2022, LB, C-120/21, points 45 et 48).

18. Dès lors, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, et l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur au titre d'une période de référence est prescrit à l'issue d'un délai de trois ans qui commence à courir à la fin de l'année au cours de laquelle ce droit est né, lorsque l'employeur n'a pas effectivement mis le travailleur en mesure d'exercer ce droit (même arrêt).

19. Par ailleurs, la Cour de cassation juge qu'il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombaient légalement (Soc., 13 juin 2012, pourvoi n° 11-10.929, Bull. V, n° 187 ; Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-18.898, Bull. V, n° 159).

20. Il y a donc lieu de juger désormais que, lorsque l'employeur oppose la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le point de départ du délai de prescription de l'indemnité de congés payés doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l'employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé.

21. Pour rejeter la demande en paiement d'indemnité de congé payé pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015, l'arrêt retient que l'action en paiement de l'indemnité de congé payé est soumise à la prescription triennale, applicable aux salaires et que, dès lors, la demande en paiement de la salariée n'est recevable que pour partie.

22. En statuant ainsi, sans constater que l'employeur justifiait avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d'assurer à la salariée la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen du pourvoi n° 22-11.106

Enoncé du moyen

23. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en paiement d'une indemnité de congé payé pour les périodes de référence courant du 1er juin 2018 à la date de sa réintégration effective, alors « que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail ; qu'en retenant, pour rejeter la demande en paiement des indemnités pour la période de référence courant du 1er juin 2018 à la date de sa réintégration effective, que l'indemnité d'éviction ayant la nature d'une réparation et non d'une remise en état, la période d'éviction n'ouvrait pas droit à congés payés, la cour d'appel a violé les articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1152-1, L. 1152-2, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, et L. 1152-3 du code du travail :

24. Aux termes du premier de ces textes, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

25. Aux termes du deuxième de ces textes, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir de tels agissements ou les avoir relatés.

26. Aux termes du dernier, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

27. Le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail, sauf lorsqu'il a occupé un autre emploi durant cette période.

28. Pour débouter la salariée de sa demande en paiement d'indemnité de congé payé pour les périodes de référence courant du 1er juin 2018 à la date de sa réintégration effective, l'arrêt, après avoir jugé que le licenciement était nul en application de l'article L. 1152-3 du code du travail, retient que l'indemnité d'éviction ayant la nature d'une réparation et non d'une remise en état, la période d'éviction n'ouvre pas droit à congé payé.

29. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

30. La cassation des chefs de dispositif relatifs aux demandes en paiement de rappels d'indemnité de congé payé n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'Institut national des formations notariales aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° 22-10.529 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite à 6 042,77 euros bruts, 7 088 euros bruts et 6 939,50 euros bruts la condamnation de l'Institut national des formations notariales au paiement de rappels d'indemnité de congé payé pour les années 2015/2016 à 2016/2018 et rejette les autres demandes au titre des indemnités de congé payé, l'arrêt rendu le 26 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : Mme Berriat (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Articles L. 223-11, devenu L. 3141-22, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, et L. 3141-24, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail ; article L. 143-14, devenu L. 3245-1, dans ses rédactions issues de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, des lois n° 2008-561 du 17 juin 2008 et n° 2013-504 du 14 juin 2013, du code du travail ; articles L. 1152-3, L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination des primes et indemnités entrant dans l'assiette de calcul de l'indemnité de congés payés, à rapprocher : Soc., 7 septembre 2017, pourvoi n° 16-16.643, Bull. 2017, V, n° 126 (2) (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Soc., 3 juillet 2019, pourvoi n° 18-16.351, Bull., (cassation partielle). Sur la détermination du point de départ du délai de prescription d'une demande en paiement d'une indemnité de congés payés, évolution par rapport à : Soc., 14 novembre 2013, pourvoi n° 12-17.409, Bull. 2013, V, n° 271 (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Sur l'obligation de l'employeur d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, à rapprocher : Soc., 23 octobre 2013, pourvoi n° 11-16.032, Bull. 2013, V, n° 247 (2) (cassation partielle) ; Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-18.898, Bull. 2017, V, n° 159 (rejet), et l'arrêt cité ; Sur l'obligation de l'employeur d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, cf. : CJUE, arrêt du 22 septembre 2022, LB, C-120/21, points 45 et 48. Sur l'ouverture du droit à congés payés durant la période d'éviction précédant la réintégration du salarié dont le licenciement est nul, à rapprocher : Soc., 21 septembre 2022, pourvoi n° 21-13.552, Bull., (cassation partielle), et les arrêts cités ; Soc., 1er mars 2023, pourvoi n° 21-16.008, Bull., (cassation), et l'arrêt cité.

2e Civ., 28 septembre 2023, n° 21-22.501, (B), FRH

Cassation

Interruption – Acte interruptif – Securité sociale – Demande de remboursement de prestations indûment versées – Demande par lettre recommandée

Aux termes de l'article L. 355-3 du code de la sécurité sociale, toute demande de remboursement de trop-perçu en matière de prestations de vieillesse et d'invalidité est prescrite par un délai de deux ans à compter du paiement desdites prestations dans les mains du bénéficiaire, sauf en cas de fraude ou de fausse déclaration.

Il résulte de l'article L. 133-4-6 du même code que la prescription est interrompue par une des causes prévues par le code civil et que l'interruption de la prescription peut, en outre, résulter de l'envoi, à l'adresse du destinataire, d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, quels qu'en aient été les modes de délivrance.

Viole ces textes la cour d'appel qui déclare irrecevable comme prescrite l'action de la caisse alors qu'elle constatait que celle-ci avait adressé par lettre recommandée deux mises en demeure à l'assuré qui les avaient reçues, de sorte que le délai de prescription avait été interrompu.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 16 juillet 2021), à la suite d'un contrôle ayant révélé des revenus et avantages non déclarés et donné lieu à révision de la pension de réversion servie à Mme [Z] (l'assurée), la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail Midi-Pyrénées (la caisse) a notifié à l'assurée un indu au titre de la période du 1er février 2013 au 31 janvier 2015, puis deux mises en demeure des 9 octobre 2015 et 17 février 2016.

2. La caisse a saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale d'une action en recouvrement de l'indu.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal de la caisse, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La caisse fait grief à la cour d'appel de la dire irrecevable en son action en recouvrement de l'indu de pension de réversion pour la période antérieure au mois de novembre 2014, alors « que le cours de la prescription applicable à l'action en répétition du trop-perçu en matière de prestation de vieillesse est interrompu, outre par les causes prévues par le code civil, par l'envoi d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception valant mise en demeure, quels qu'en aient été les modes de délivrance ; qu'en l'espèce, il est constant et non contesté que la caisse a réclamé à l'assurée les prestations de vieillesse indûment versées par deux mises en demeure des 9 octobre 2015 et 17 février 2016, adressées par lettres recommandées avec accusé de réception et réceptionnées respectivement les 12 octobre 2015 et 26 février 2016 ; qu'en énonçant qu'il résultait de l'article 1345 alinéa 3 du code civil qu'une mise en demeure n'interrompt pas la prescription, pour dire l'action en recouvrement partiellement prescrite, la cour d'appel a violé les articles L. 133-4-6 et L. 355-3 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 2241 du code civil ».

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. L'assurée conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau.

5. Cependant le moyen n'est pas nouveau, la caisse ayant fait valoir devant la cour d'appel que la prescription avait été interrompue par l'envoi des mises en demeure.

6. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 133-4-6 et L. 355-3 du code de la sécurité sociale :

7. Aux termes du second de ces textes, toute demande de remboursement de trop-perçu en matière de prestations de vieillesse et d'invalidité est prescrite par un délai de deux ans à compter du paiement desdites prestations dans les mains du bénéficiaire, sauf en cas de fraude ou de fausse déclaration.

8. Il résulte du premier que la prescription est interrompue par une des causes prévues par le code civil et que l'interruption de la prescription peut, en outre, résulter de l'envoi, à l'adresse du destinataire, d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, quels qu'en aient été les modes de délivrance.

9. Pour dire la caisse irrecevable en son action en recouvrement de l'indu portant sur la période antérieure au mois de novembre 2014, l'arrêt relève que l'action de la caisse en paiement de l'indu porte sur la période du 1er février 2013 au 30 janvier 2015. Il retient qu'il résulte de l'article 2241 du code civil qu'une demande en justice interrompt le délai de prescription et de l'article 1345, alinéa 3, du code civil qu'une mise en demeure n'interrompt pas la prescription, de sorte que seule la saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale le 29 novembre 2016 constituant un acte interruptif de la prescription biennale, la prescription était acquise pour les arrérages de pension de réversion indûment versés avant le mois de novembre 2014.

10. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la caisse avait adressé, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, deux mises en demeure à l'assurée qui les avait reçues les 12 octobre 2015 et 26 février 2016, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le moyen du pourvoi incident de l'assurée, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

11. L'assurée fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable en sa demande indemnitaire, alors « que les parties peuvent soumettre à la cour d'appel des nouvelles prétentions pour opposer compensation ; que dans ses conclusions, l'assurée sollicitait la condamnation de la caisse à lui payer une somme de 6 000 euros de dommages et intérêts, ainsi que la compensation de cette somme avec celle réclamée par la caisse ; qu'en déclarant cette demande irrecevable comme nouvelle, la cour d'appel a violé l'article 564 du code de procédure civile ».

Réponse de la Cour

Vu l'article 564 du code de procédure civile :

12. Selon ce texte, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou la survenance ou la révélation d'un fait.

13. Pour déclarer irrecevable la demande indemnitaire en raison d'une faute imputée à la caisse dans la mise en œuvre de son action en recouvrement d'indu de pension de réversion, l'arrêt retient que formulée pour la première fois en cause d'appel par l'assurée, elle constitue une demande nouvelle en cause d'appel.

14. En statuant ainsi, alors qu'elle était saisie par l'assurée d'une demande de compensation de la somme allouée à titre de dommages-intérêts avec celle réclamée par l'assurée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Taillandier-Thomas (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Cassignard - Avocat général : Mme Tuffreau - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SARL Cabinet Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Articles L. 133-4-6 et L. 355-3 du code de la sécurité sociale.

Rapprochement(s) :

Soc., 6 janvier 2000, pourvoi n° 97-15.528, Bull. 2000, V, n° 11 (cassation).

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