Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2023

TRAVAIL REGLEMENTATION, REMUNERATION

Soc., 13 septembre 2023, n° 22-11.338, (B), FRH

Cassation partielle

Salaire – Egalité des salaires – Atteinte au principe – Défaut – Conditions – Eléments objectifs justifiant la différence de traitement – Présomption – Cas – Différence de traitement – Différence résultant de la qualification lors de l'embauche de deux salariés – Portée

Prive sa décision de base légale la cour d'appel qui, pour débouter un salarié de sa demande de rappel de salaire fondée sur le principe d'égalité de traitement, retient que la différence de qualification lors de l'embauche des deux salariés constitue une raison objective à la différence de salaire, sans préciser en quoi la différence de qualification des salariés, lors de leur engagement en 1999, respectivement en qualité d'assistant journaliste reporter d'images stagiaire et d'assistant journaliste reporter d'images, constituait une raison objective et pertinente justifiant la disparité de traitement dans l'exercice des mêmes fonctions de grand reporter groupe 9 entre juillet 2014 et juin 2015.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 18 novembre 2021), M. [C] a été engagé en qualité d'assistant journaliste reporter stagiaire par la société Sesi le 18 juin 1999. Il a été promu en qualité de journaliste reporter d'images le 1er juillet 2000.

2. Le contrat de travail a été transféré le 1er janvier 2008 à la Société d'édition de Canal plus.

3. Le salarié a été nommé chef de service le 1er juillet 2015.

4. Après avoir pris acte, le 8 mars 2017, de la rupture de son contrat de travail, le salarié a saisi, le 16 mars 2017, la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de diverses sommes.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident de l'employeur, qui est préalable, et le deuxième moyen du pourvoi principal du salarié

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'un rappel de salaire pour régularisation de la période de juillet 2014 à juin 2015, alors « que l'expérience professionnelle acquise auprès d'un précédent employeur comme la qualification à l'embauche ne peuvent justifier une différence de salaire qu'au moment de l'embauche et pour autant qu'elles soient en relation avec les exigences du poste et les responsabilités effectivement exercées ; qu'en l'espèce, pour débouter le salarié de sa demande au titre de la méconnaissance du principe d'égalité de traitement, et après avoir relevé que sur la période allant de juillet 2014 à juin 2015, le salarié avait perçu une rémunération inférieure à celle de M. [L] pourtant placé dans une situation similaire, la cour d'appel a retenu que cette différence était justifiée objectivement dès lors que les deux salariés n'avaient pas la même qualification ni la même expérience professionnelle lors de leur embauche en 1999 ; qu'en statuant par un tel motif inopérant, la cour d'appel a violé le principe « A travail égal, salaire égal ». »

Réponse de la Cour

Vu le principe d'égalité de traitement :

7. En application de ce principe, si des mesures peuvent être réservées à certains salariés, c'est à la condition que tous ceux placés dans une situation identique, au regard de l'avantage en cause, aient la possibilité d'en bénéficier, à moins que la différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives et pertinentes.

8. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'un rappel de salaire pour régularisation de la période de juillet 2014 à juin 2015, l'arrêt, après avoir relevé que le salarié avait perçu une rémunération inférieure à celle du salarié de comparaison pour un poste équivalent de grand reporter groupe 9, retient qu'il résulte de la comparaison des contrats de travail que le salarié a été engagé en qualité d'assistant journaliste reporter d'images stagiaire, le 18 juin 1999, alors que le salarié de comparaison avait été engagé en qualité de journaliste reporter d'images le 22 mars 1999.

L'arrêt en déduit que cette différence de qualification entre les deux salariés lors de leur embauche constitue une raison objective à la différence de salaire dont se plaint le salarié pour la période de juillet 2014 à juin 2015, antérieure à sa promotion en qualité de chef de service.

9. En se déterminant ainsi, sans préciser en quoi la différence de qualification des salariés lors de leur engagement en 1999, respectivement en qualité d'assistant journaliste reporter d'images stagiaire et d'assistant journaliste reporter d'images, constituait une raison objective et pertinente justifiant la disparité de traitement dans l'exercice des mêmes fonctions de grand reporter groupe 9 entre juillet 2014 et juin 2015, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

10. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'une démission et de le débouter de ses demandes au titre de la rupture, alors « que par application de l'article 624 du code de procédure civile, la censure, qui ne manquera pas d'intervenir du chef du premier et/ou du second moyen emportera la censure de l'arrêt en ce qu'il a dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail du salarié produisait les effets d'une démission et débouté le salarié de ses demandes subséquentes. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

11. La cassation sur le premier moyen, du chef de la demande en paiement d'un rappel de salaire pour régularisation de la période de juillet 2014 à juin 2015 entraîne, par voie de conséquence, la cassation des chefs de dispositif critiqués par le troisième moyen, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [C] de sa demande en paiement de 4 432,56 euros à titre de rappel de salaire pour régularisation de la période de juillet 2014 à juin 2015, dit que la prise d'acte produit les effets d'une démission et déboute M. [C] de ses demandes financières au titre de la rupture, l'arrêt rendu le 18 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Monge (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Flores - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Principe d'égalité de traitement.

Rapprochement(s) :

Sur la justification par l'expérience professionnelle acquise d'une différence de traitement au moment de l'embauche : Soc., 11 janvier 2012, pourvoi n° 10-19.438, (cassation).

Soc., 13 septembre 2023, n° 22-10.529, n° 22-11.106, (B) (R), FP

Cassation partielle

Salaire – Indemnités – Indemnité de congés payés – Paiement – Prescription – Délai – Point de départ – Détermination

Lorsque l'employeur oppose la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le point de départ du délai de prescription de l'indemnité de congés payés doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l'employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-10.529 et 22-11.106 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 26 novembre 2021), Mme [G] a collaboré au sein de l'Institut des métiers du notariat d'[Localité 3] devenu l'Institut national des formations notariales (l'Institut).

3. La relation contractuelle a été rompue par lettre du 20 juin 2018.

4. S'estimant liée avec l'Institut par un contrat de travail, l'intéressée a saisi, le 28 septembre 2018, la juridiction prud'homale de diverses demandes à caractère salarial et indemnitaire.

Examen des moyens

Sur les trois moyens du pourvoi n° 22-10.529 et les quatrième à huitième moyens du pourvoi n° 22-11.106

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les cinquième à huitième moyens du pourvoi n° 22-11.106, qui sont irrecevables, et sur les trois moyens du pourvoi n° 22-10.529 et le quatrième moyen du pourvoi n° 22-11.106 qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi n° 22-11.106

Enoncé du moyen

6. La salariée fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation de l'employeur au titre des congés payés pour les périodes 2015-2016 et 2016-2017, alors « que le congé annuel prévu à l'article L. 3141-3 du code du travail ouvre droit à une indemnité égale au dixième de la rémunération brute totale perçue par le salarié au cours de la période de référence et, pour la détermination de la rémunération brute totale, il est tenu compte de l'indemnité de congé de l'année précédente ; que les corrections des copies d'examen, des mémoires et des rapports de stage des étudiants de la licence professionnelle et leur soutenance constituent des tâches occasionnelles nécessitant, pour l'enseignant désigné, un travail effectif accompli sur un temps de travail supplémentaire qui a pour contrepartie un salaire brut supplémentaire, mentionnée dans les bulletins de salaire des mois concernés, en sus du salaire brut de base auquel il s'additionne pour le calcul du salaire brut mensuel ; qu'en retenant que les corrections de copies et « soutenances LP » ne devaient pas être intégrées dans le calcul de l'indemnité de congés payés, cependant que ces tâches occasionnelles rétribuaient un travail effectif accompli sur un temps de travail supplémentaire justifiant qu'elles soient intégrées dans le calcul de l'indemnité de congés payés, la cour d'appel a violé l'article L. 3141-24 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3141-22 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 et L. 3141-24 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

7. Selon ces textes, la rémunération à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de congé payé est la rémunération totale du salarié, incluant les primes et indemnités versées en complément du salaire si elles sont versées en contrepartie ou à l'occasion du travail.

8. Pour limiter à certaines sommes la condamnation de l'employeur au paiement de rappels d'indemnité de congé payé, l'arrêt retient que la correction de copies et « soutenances LP » ne doivent pas être intégrées dans le calcul de l'indemnité de congé payé.

9. En statuant ainsi, alors que la rémunération de la correction des copies et des « soutenances LP » est versée en contrepartie ou à l'occasion du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° 22-11.106

Enoncé du moyen

10. La salariée fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation de l'employeur au titre des congés payés pour les périodes 2015-2016 et 2016-2017 et de la débouter de ses demandes en paiement des indemnités de congés payés pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015, alors « que le salarié tire son droit aux congés payés directement de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne et de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et que la CJUE a dit pour droit que ces dispositions s'opposent à ce que puisse être opposé au salarié l'extinction de son droit aux congés payés dès lors que l'employeur n'établit pas avoir tout mis en oeuvre pour mettre le salarié en mesure d'exercer ses droits aux congés payés, que dans le cas où la relation de travail a pris fin, le droit aux congés payés acquis par le salarié mais non pris du fait de l'employeur prend la forme d'une indemnité financière de congés payés ; que la cour d'appel s'est bornée à énoncer, pour débouter Mme [G] de sa demande en paiement de l'indemnité financière correspondant aux congés payés pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015 inclus, introduite après que l'employeur ait mis fin à leur relation, que l'action en paiement de l'indemnité de congés payés était soumise à la prescription triennale, applicable aux salaires ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si l'employeur avait démontré avoir accompli toutes diligences pour mettre la salariée en mesure d'exercer son droit aux congés payés et l'avoir informée des droits s'y rapportant, bien qu'elle ait constaté que, conformément aux textes supranationaux et nationaux, Mme [G], en sa qualité de salariée en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, avait un droit au repos et au paiement d'une indemnité dont elle n'avait pas bénéficié, a privé sa décision de base légale au regard du principe de primauté et d'effectivité du droit de l'Union Européenne, de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 tels qu'interprétés par la CJUE concernant les congés payés, l'article 55 de la Constitution qui pose le principe de la supériorité du traité sur la loi, et de l'article L. 3141-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 143-14, devenu L. 3245-1, du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, 21-V de cette même loi, L. 223-11, devenu L. 3141-22, du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 et L. 3141-24 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

11. Selon le premier de ces textes, l'action en paiement du salaire se prescrivait par cinq ans conformément à l'article 2277 du code civil.

12. Selon le deuxième, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrivait par cinq ans conformément à l'article 2244 du code civil.

13. Aux termes du troisième, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

14. Selon le quatrième, les dispositions de l'article L. 3245-1 du code du travail s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq ans.

15. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation le point de départ du délai de prescription de l'indemnité de congé payé, qui est de nature salariale, doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris (Soc., 14 novembre 2013, n° 12-17.409, Bull. 2013, V, n° 271).

16. Toutefois, le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union (CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C-570/16, point 80).

17. La Cour de justice de l'Union européenne juge que la perte du droit au congé annuel payé à la fin d'une période de référence ou d'une période de report ne peut intervenir qu'à la condition que le travailleur concerné ait effectivement eu la possibilité d'exercer ce droit en temps utile. Elle ajoute qu'il ne saurait être admis, sous prétexte de garantir la sécurité juridique, que l'employeur puisse invoquer sa propre défaillance, à savoir avoir omis de mettre le travailleur en mesure d'exercer effectivement son droit au congé annuel payé, pour en tirer bénéfice dans le cadre du recours de ce travailleur au titre de ce même droit, en excipant de la prescription de ce dernier (CJUE, arrêt du 22 septembre 2022, LB, C-120/21, points 45 et 48).

18. Dès lors, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, et l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur au titre d'une période de référence est prescrit à l'issue d'un délai de trois ans qui commence à courir à la fin de l'année au cours de laquelle ce droit est né, lorsque l'employeur n'a pas effectivement mis le travailleur en mesure d'exercer ce droit (même arrêt).

19. Par ailleurs, la Cour de cassation juge qu'il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombaient légalement (Soc., 13 juin 2012, pourvoi n° 11-10.929, Bull. V, n° 187 ; Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-18.898, Bull. V, n° 159).

20. Il y a donc lieu de juger désormais que, lorsque l'employeur oppose la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le point de départ du délai de prescription de l'indemnité de congés payés doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l'employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé.

21. Pour rejeter la demande en paiement d'indemnité de congé payé pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015, l'arrêt retient que l'action en paiement de l'indemnité de congé payé est soumise à la prescription triennale, applicable aux salaires et que, dès lors, la demande en paiement de la salariée n'est recevable que pour partie.

22. En statuant ainsi, sans constater que l'employeur justifiait avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d'assurer à la salariée la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen du pourvoi n° 22-11.106

Enoncé du moyen

23. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en paiement d'une indemnité de congé payé pour les périodes de référence courant du 1er juin 2018 à la date de sa réintégration effective, alors « que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail ; qu'en retenant, pour rejeter la demande en paiement des indemnités pour la période de référence courant du 1er juin 2018 à la date de sa réintégration effective, que l'indemnité d'éviction ayant la nature d'une réparation et non d'une remise en état, la période d'éviction n'ouvrait pas droit à congés payés, la cour d'appel a violé les articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1152-1, L. 1152-2, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, et L. 1152-3 du code du travail :

24. Aux termes du premier de ces textes, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

25. Aux termes du deuxième de ces textes, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir de tels agissements ou les avoir relatés.

26. Aux termes du dernier, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

27. Le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail, sauf lorsqu'il a occupé un autre emploi durant cette période.

28. Pour débouter la salariée de sa demande en paiement d'indemnité de congé payé pour les périodes de référence courant du 1er juin 2018 à la date de sa réintégration effective, l'arrêt, après avoir jugé que le licenciement était nul en application de l'article L. 1152-3 du code du travail, retient que l'indemnité d'éviction ayant la nature d'une réparation et non d'une remise en état, la période d'éviction n'ouvre pas droit à congé payé.

29. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

30. La cassation des chefs de dispositif relatifs aux demandes en paiement de rappels d'indemnité de congé payé n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'Institut national des formations notariales aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° 22-10.529 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite à 6 042,77 euros bruts, 7 088 euros bruts et 6 939,50 euros bruts la condamnation de l'Institut national des formations notariales au paiement de rappels d'indemnité de congé payé pour les années 2015/2016 à 2016/2018 et rejette les autres demandes au titre des indemnités de congé payé, l'arrêt rendu le 26 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : Mme Berriat (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Articles L. 223-11, devenu L. 3141-22, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, et L. 3141-24, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail ; article L. 143-14, devenu L. 3245-1, dans ses rédactions issues de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, des lois n° 2008-561 du 17 juin 2008 et n° 2013-504 du 14 juin 2013, du code du travail ; articles L. 1152-3, L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination des primes et indemnités entrant dans l'assiette de calcul de l'indemnité de congés payés, à rapprocher : Soc., 7 septembre 2017, pourvoi n° 16-16.643, Bull. 2017, V, n° 126 (2) (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Soc., 3 juillet 2019, pourvoi n° 18-16.351, Bull., (cassation partielle). Sur la détermination du point de départ du délai de prescription d'une demande en paiement d'une indemnité de congés payés, évolution par rapport à : Soc., 14 novembre 2013, pourvoi n° 12-17.409, Bull. 2013, V, n° 271 (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Sur l'obligation de l'employeur d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, à rapprocher : Soc., 23 octobre 2013, pourvoi n° 11-16.032, Bull. 2013, V, n° 247 (2) (cassation partielle) ; Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-18.898, Bull. 2017, V, n° 159 (rejet), et l'arrêt cité ; Sur l'obligation de l'employeur d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, cf. : CJUE, arrêt du 22 septembre 2022, LB, C-120/21, points 45 et 48. Sur l'ouverture du droit à congés payés durant la période d'éviction précédant la réintégration du salarié dont le licenciement est nul, à rapprocher : Soc., 21 septembre 2022, pourvoi n° 21-13.552, Bull., (cassation partielle), et les arrêts cités ; Soc., 1er mars 2023, pourvoi n° 21-16.008, Bull., (cassation), et l'arrêt cité.

Soc., 20 septembre 2023, n° 22-12.293, (B), FS

Rejet

Salaire – Participation aux résultats de l'entreprise – Réserve spéciale de participation – Accord de participation – Répartition de l'intéressement – Montant – Calcul – Assiette – Cas – Période pendant laquelle un salarié a travaillé selon un mi-temps thérapeutique – Portée

Il résulte de la combinaison de l'article L. 1132-1 du code du travail et des articles L. 3322-1 et L. 3324-5 du même code, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, que la période pendant laquelle un salarié, en raison de son état de santé, travaille selon un mi-temps thérapeutique doit être assimilée à une période de présence dans l'entreprise, de sorte que le salaire à prendre en compte pour le calcul de l'assiette de la participation due à ce salarié est le salaire perçu avant le mi-temps thérapeutique et l'arrêt de travail pour maladie l'ayant, le cas échéant, précédé.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (conseil de prud'hommes de Paris, 16 décembre 2021), Mme [Y], engagée le 2 mai 2001 par la société Rail restauration province par un contrat de travail qui a été transféré en dernier lieu à la société Newrest wagons-lits France (la société), exerce les fonctions de commerciale de bord.

2. Victime le 4 mai 2015 d'un accident du travail, elle a été placée en arrêt de travail du 4 mai au 6 décembre 2015. Elle a repris le travail en mi-temps thérapeutique du 6 décembre 2015 au 8 août 2016.

3. Le 5 juin 2019, la salariée a saisi la juridiction prud'homale en demandant le paiement d'un rappel de prime de participation au titre de sa période de travail à mi-temps thérapeutique en exécution de l'accord de participation de la société du 2 février 2015.

4. Le syndicat CFDT Restauration ferroviaire trains de nuit (le syndicat) est intervenu volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La société fait grief au jugement de la condamner à payer à la salariée des sommes à titre de rappel sur prime « d'intéressement » 2015-2106 et de dommages-intérêts et de la condamner à payer au syndicat une somme à titre de dommages-intérêts, alors « qu'aux termes de l'article 5.2 de l'accord de participation du 2 février 2015, « seules les heures de travail effectif et/ou assimilées du salarié » sont prises en compte pour le calcul du droit individuel de chaque salarié ; que cet article ne mentionne pas, parmi les heures devant être assimilées, au sens de l'accord de participation, à des heures de travail effectif, les heures non travaillées dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique ; qu'en décidant pourtant qu'il y avait lieu de tenir compte de ces heures pour le calcul de la prime de participation, les juges du fond ont violé l'article L. 3322-2 du code du travail, ensemble l'article 5 de l'accord de participation du 2 février 2015. »

Réponse de la Cour

7. En application de l'article L. 1132-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014, aucune personne ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions en raison notamment de son état de santé.

8. Selon l'article 1 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement notamment de son état de santé, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable et constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un de ces motifs, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.

9. Selon l'article L. 3322-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, la participation a pour objet de garantir collectivement aux salariés le droit de participer aux résultats de l'entreprise.

10. Aux termes de l'article L. 3324-5 du code du travail, dans sa version antérieure à la même loi, la répartition de la réserve spéciale de participation entre les bénéficiaires est calculée proportionnellement au salaire perçu dans la limite de plafonds déterminés par décret. Pour les bénéficiaires visés au deuxième alinéa de l'article L. 3323-6 et au troisième alinéa de l'article L. 3324-2, la répartition est calculée proportionnellement à la rémunération annuelle ou au revenu professionnel imposé à l'impôt sur le revenu au titre de l'année précédente, plafonnés au niveau du salaire le plus élevé versé dans l'entreprise, et dans les limites de plafonds de répartition individuelle déterminés par le même décret. Toutefois, l'accord de participation peut décider que cette répartition entre les bénéficiaires est uniforme, proportionnelle à la durée de présence dans l'entreprise au cours de l'exercice, ou retenir conjointement plusieurs de ces critères.

L'accord peut fixer un salaire plancher servant de base de calcul à la part individuelle.

Le plafond de répartition individuelle déterminé par le décret prévu au premier alinéa ne peut faire l'objet d'aucun aménagement, à la hausse ou à la baisse, y compris par un accord mentionné à l'article L. 3323-1.

11. Il résulte de la combinaison de ces textes que la période pendant laquelle un salarié, en raison de son état de santé, travaille selon un mi-temps thérapeutique doit être assimilée à une période de présence dans l'entreprise, de sorte que le salaire à prendre en compte pour le calcul de l'assiette de la participation due à ce salarié est le salaire perçu avant le mi-temps thérapeutique et l'arrêt de travail pour maladie l'ayant, le cas échéant, précédé.

12. Le conseil de prud'hommes a constaté que la salariée, victime le 4 mai 2015 d'un accident du travail, après un arrêt de travail du 4 mai au 6 décembre 2015, a travaillé du 6 décembre 2015 au 8 août 2016 en mi-temps thérapeutique.

13. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision, qui a condamné l'employeur à payer à la salariée un rappel de prime de participation 2015-2016 au titre de la période de travail en mi-temps thérapeutique, se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Ott - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SARL Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 1132-1, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014, L. 3322-1 et L. 3324-5 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019.

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