Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2023

ASSURANCE (règles générales)

2e Civ., 21 septembre 2023, n° 21-19.776, n° 21-19.801, (B), FS

Cassation partielle

Garantie – Exclusion – Exclusion formelle et limitée – Définition

Est formelle, au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances, la clause excluant de la garantie responsabilité civile professionnelle d'une entreprise « les dommages corporels, matériels et immatériels (consécutifs ou non), causés par l'amiante et ses dérivés ».

Désistement partiel

1. Il est donné acte aux sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Helvetia assurances.

2. Il est donné acte à la société Allianz IARD de ce qu'elle renonce à la deuxième branche du moyen de son pourvoi.

Jonction

3. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-19.801 et 21-19.776 sont joints.

Faits et procédure

4. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 20 mai 2021), la société ACH construction navale (la société ACH), qui avait pour activité principale la construction et la réparation navales, a été en activité du 31 décembre 1970 au 31 juillet 2000, date de sa dissolution anticipée.

5. La société ACH a souscrit plusieurs contrats d'assurances garantissant sa responsabilité civile : deux contrats auprès de la société Helvetia assurances (la société Helvetia), dont le second a pris fin le 31 décembre 1999 ; un contrat auprès de la société Allianz IARD (la société Allianz), à effet du 1er janvier 2000 au 21 janvier 2008, et un contrat auprès de la société Covea Risks, aux droits de laquelle se trouvent les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA), à effet du 3 mars 2008.

6. Se prévalant de l'inscription, par arrêté du 7 juillet 2000 publié au Journal officiel du 22 juillet 2000, sur le fondement de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, de la société ACH sur la liste des établissements ouvrant droit au versement de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) aux salariés et anciens salariés y ayant travaillé pendant des périodes où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, 150 anciens salariés de la société ACH ont engagé, à compter du 6 juillet 2009, plusieurs procédures à son encontre, afin d'être indemnisés de leur préjudice spécifique d'anxiété.

7. Plusieurs arrêts irrévocables ont condamné la société ACH à verser, à chacun d'entre eux, une certaine somme en réparation de ce préjudice.

8. La société ACH a ensuite assigné les sociétés Allianz, Covea Risks et Helvetia devant un tribunal de grande instance afin qu'elles la garantissent des condamnations mises à sa charge.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal n° 21-19.801 de la société Allianz et sur le moyen du pourvoi n° 21-19.776 des sociétés MMA, pris en sa première branche

9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen du pourvoi n° 21-19.776 des sociétés MMA, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

10. Les sociétés MMA font grief à l'arrêt de les condamner, in solidum avec la société Allianz, à payer à la société ACH la somme de 2 115 794,45 euros au titre des garanties responsabilité civile et frais de défense, alors « qu'est formelle et limitée la clause d'exclusion qui permet à l'assuré de déterminer clairement quels dommages sont placés hors du champ de la garantie ; qu'en jugeant que la clause visant « les dommages corporels, matériels et immatériels (consécutifs ou non), causés par l'amiante et ses dérivés » ne serait pas formelle et limitée et nécessiterait d'être interprétée, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :

11. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.

12. Une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.

13. Pour dire que la clause excluant de la garantie « les dommages corporels, matériels et immatériels (consécutifs ou non), causés par l'amiante et ses dérivés » ne peut recevoir application, l'arrêt énonce que la seule lecture de cette clause ne permet pas de connaître avec certitude son étendue et, notamment, si elle vise seulement les maladies causées par l'amiante.

14. Il retient que les sociétés MMA, qui recourent à la notion de « cause technique », à savoir l'exposition des salariés à l'amiante, sont contraintes d'interpréter la clause et d'expliquer la nature du lien de causalité qui relie le préjudice spécifique d'anxiété subi par les anciens salariés de la société ACH à l'amiante.

15. En statuant ainsi, alors que la clause, qui excluait de la garantie, de façon claire et précise, tous les dommages corporels causés par l'amiante, ne requérait pas interprétation, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen du pourvoi n° 21-19.776 des sociétés MMA, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

16. Les sociétés MMA font le même grief à l'arrêt, alors « qu'on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation ; qu'en jugeant que « la clause d'exclusion [?] ne pourrait recevoir effet que pour les dommages causés directement par l'amiante, puisqu'elle ne vise pas les cas où l'amiante serait indirectement à l'origine du préjudice indemnisable », cependant que cette clause claire et précise excluait les dommages « causés par l'amiante », sans distinguer entre les dommages directs et indirects, de sorte que tous étaient exclus, la cour d'appel l'a dénaturée, violant les articles 1134, devenu 1103 et 1192 du code civil, ensemble le principe interdisant au juge de dénaturer les documents de la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

17. Pour dire que la clause d'exclusion ne peut recevoir application et que les sociétés MMA sont tenues à garantie, l'arrêt énonce encore, qu'à supposer cette clause d'exclusion formelle et limitée au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances, elle ne pourrait recevoir application que pour les dommages directement causés par l'amiante puisqu'elle ne vise pas les cas où l'amiante est indirectement à l'origine du préjudice.

18. Il ajoute que le préjudice spécifique d'anxiété ne se rattache à l'amiante que par un lien de causalité indirect, puisque le lien de causalité direct ne relie ce préjudice qu'au fait d'inscription de l'établissement sur la liste de l'arrêté du 7 juillet 2000 matérialisant, à lui seul, le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

19. En statuant ainsi, alors que la clause d'exclusion précitée excluait tous les dommages qu'elle énumérait, causés par l'amiante, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles et sur le pourvoi incident de la société Helvetia assurances, qui n'est qu'éventuel, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° H 21-19.801 formé par la société Allianz IARD ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société MMA IARD et la société MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la société Covea Risks à payer à la société ACH construction navale la somme de 2 115 794,45 euros au titre des garanties responsabilité civile et frais de défense, l'arrêt rendu le 20 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Leroy-Gissinger (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Ittah - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SARL Ortscheidt ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article L. 113-1 du code des assurances.

2e Civ., 21 septembre 2023, n° 22-10.872, (B), FRH

Cassation partielle

Prescription – Prescription biennale – Point de départ – Assurance mutuelle – Cotisation supplémentaire – Décision du conseil d'administration

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 14 décembre 2021), la société First location automobiles a souscrit auprès de la société Mutuelle des transports assurances (la société MTA), société d'assurance mutuelle à cotisations variables, trois contrats qu'elle a résiliés les 31 décembre 2011, 31 janvier 2013 et 31 décembre 2013.

2. La société MTA a été placée sous administration provisoire par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et, le 15 décembre 2015, son administrateur provisoire a procédé à des appels de cotisations complémentaires au titre des exercices 2011 à 2013.

3. M. [J], désigné mandataire liquidateur de la société MTA, a saisi un tribunal de grande instance afin d'obtenir le paiement de ces cotisations par la société First location automobiles.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [J], en qualité de liquidateur de la société MTA, fait grief à l'arrêt de déclarer prescrites ses demandes du chef des contrats d'assurance n° 75108/600657 et n° 75108/604040 et de le débouter de ses demandes à ce titre, alors « qu'il résulte de l'article R. 322-71 du code des assurances que les sociétés mutuelles à cotisations variables peuvent appeler, sur décision du conseil d'administration, des compléments de cotisation dans la limite d'un montant maximal qui doit figurer sur la police et qui ne peut être inférieur à une fois et demie le montant de la cotisation normale nécessaire pour faire face aux charges probables résultant des sinistres et frais de gestion ; que cette faculté, qui est destinée à sauvegarder le juste coût de l'assurance auquel doivent tendre les sociétés mutuelles d'assurances, suppose pour sa mise en oeuvre que la société, qui entend en faire usage et qui doit justifier du bien-fondé de sa décision, ait connaissance du montant des sinistres qu'elle sera tenue de garantir au titre de l'exercice considéré et donc des éventuelles réclamations tardives et de leurs montants ; que dès lors, la décision du conseil d'administration, qui peut, sous réserve d'un éventuel abus, être prise à tout moment, constitue le point de départ de la prescription prévue par l'article L. 114-1 du code des assurances ; que pour déclarer prescrite l'action de M. [J], en qualité de liquidateur judiciaire de la société MTA, en recouvrement des cotisations complémentaires appelées au titre des contrats n° 75108/60067 et n° 75108/604040, l'arrêt attaqué retient que la décision du 15 décembre 2015, réclamant des cotisations complémentaires à la société First Location Auto, était intervenue trop tardivement concernant ces deux polices résiliées respectivement les 31 janvier 2013 et 31 décembre 2011 pour lesquelles le délai de deux années imparti pour réclamer des cotisations complémentaires était expiré au 31 janvier 2015 et 1er janvier 2014 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles R. 322-71 et L. 114-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 114-1, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2021-1837 du 28 décembre 2021, et R. 322-71 du code des assurances :

5. Selon le second de ces textes, le sociétaire d'une société d'assurance mutuelle ne peut être tenu au-delà du montant maximal de cotisation indiqué dans sa police dans le cas d'une société à cotisations variables. Ce montant maximal ne peut être inférieur à une fois et demie le montant de la cotisation normale nécessaire pour faire face aux charges probables résultant des sinistres et aux frais de gestion.

Les fractions du montant maximal de cotisation que les sociétaires peuvent, le cas échéant, avoir à verser en sus de la cotisation normale, sont fixées par le conseil d'administration.

6. Il en résulte que la cotisation appelée pour un exercice n'étant que provisoire, le conseil d'administration d'une société à cotisations variables peut user de la faculté qui lui est ainsi reconnue pour les exercices antérieurs à la résiliation du contrat (1re Civ., 25 mars 1991, pourvoi n° 89-19.782, Bull. 1991, I, n° 104).

7. La décision du conseil d'administration, qui peut être prise à tout moment, constitue le point de départ de la prescription biennale de l'action en paiement de la cotisation complémentaire prévue par le premier de ces textes, la date de résiliation du contrat d'assurance étant indifférente (1re Civ., 15 janvier 2002, pourvoi n° 99-11.704, Bull. 2002, I, n° 10).

8. Pour déclarer prescrites les demandes présentées par M. [J] au titre des contrats n° 75108/60067 et n° 75108/604040, l'arrêt, après avoir relevé que ces deux contrats avaient été résiliés les 31 janvier 2013 et 31 décembre 2011 et constaté que les appels de cotisations complémentaires au titre des exercices 2011 à 2013 avaient été décidés le 15 décembre 2015, retient que si la prescription court à compter de la décision de procéder à des appels complémentaires, cette solution n'exclut pas la prise en considération de la situation particulière de la société First location automobiles qui n'était plus adhérente au 15 décembre 2015, qui ne faisait plus partie de groupements sociétaires et dont les contrats avaient été antérieurement résiliés.

9. Il retient encore que la décision d'appeler des cotisations complémentaires est intervenue trop tardivement pour les deux contrats résiliés, pour lesquels le délai de deux années imparti pour décider et réclamer quelques cotisations complémentaires que ce soit était expiré aux 31 janvier 2015 et 1er janvier 2014, dès lors que la réclamation doit avoir lieu dans le délai de deux ans courant à compter de la résiliation du contrat, puisque les cotisations complémentaires résultent du contrat d'assurance dont elles dérivent.

10. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la décision du conseil d'administration d'appeler des cotisations complémentaires, au titre des exercices 2011 à 2013, avait été prise le 15 décembre 2015 et que l'assignation en paiement de ces cotisations avait été délivrée à la société First location automobiles le 25 juillet 2017, dans le délai de la prescription biennale, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables comme prescrites les demandes présentées au titre des contrats n° 75108/60067 et n° 75108/604040 par M. [J] en qualité de liquidateur de la société Mutuelle des transports assurances, l'arrêt rendu le 14 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Leroy-Gissinger (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Brouzes - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SAS Hannotin Avocats -

Textes visés :

Article R. 322-71 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 15 janvier 2002, pourvoi n° 99-11.704, Bull. 2002, I, n° 10 (rejet).

3e Civ., 14 septembre 2023, n° 22-21.493, (B), FS

Cassation partielle

Prescription – Prescription biennale – Point de départ – Recours d'un tiers contre l'assuré – Définition – Assignation en référé en vue de la nomination d'un expert – Portée

Déchéance partielle du pourvoi examinée d'office

1. Après avis donné aux parties conformément à l'article 16 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 978 du même code.

Vu l'article 978 du code de procédure civile :

2. Il résulte de ce texte qu'à peine de déchéance du pourvoi, le demandeur à la cassation doit, au plus tard dans le délai de cinq mois à compter du pourvoi, signifier aux parties n'ayant pas constitué avocat le mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée.

3. Il résulte du procès-verbal du commissaire de justice que le mémoire contenant les moyens de droit invoqués par la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand-Est (la société Groupama Grand-Est) contre la décision attaquée a été signifié à des personnes qui n'avaient plus qualité pour représenter la société Eurotoiture Franche-Comté, qui avait pris fin le 8 novembre 2016 par suite de la clôture de sa liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif.

4. A défaut de signification régulière du mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée dans le délai fixé à l'article 978 du code de procédure civile, la déchéance du pourvoi doit être constatée en tant qu'il est dirigé contre la société Eurotoiture Franche-Comté.

Faits et procédure

5. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 25 janvier 2022), M. [W] a confié à la société Eurotoiture Franche-Comté, assurée auprès de la société Groupama Grand-Est, des travaux de réfection de la toiture d'un bâtiment.

6. La réception de l'ouvrage est intervenue tacitement le 4 juillet 2006.

7. Se plaignant de désordres, M. [W] a assigné la société Eurotoiture Franche-Comté en référé-expertise le 4 avril 2012, puis au fond le 3 février 2016.

La société Groupama Grand-Est est intervenue volontairement à l'instance le 9 mars 2016.

8. M. [W] a formé des demandes contre la société Groupama Grand-Est par conclusions notifiées le 2 mars 2017.

9. La société Eurotoiture Franche-Comté a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 10 mai 2016 et M. [J] a été désigné en qualité de liquidateur.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

10. La société Groupama Grand-Est fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir fondée sur la prescription des demandes à son encontre et de la condamner à garantir la totalité des sommes mises à la charge de la société Eurotoiture Franche-Comté hormis la somme de 480 euros par mois à compter du 1er juillet 2018 jusqu'à la réalisation des travaux nécessaires à la remise en location des appartements, alors « que selon l'article 1792-4-1 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du code civil est déchargée des garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après 10 ans à compter de la réception des travaux ; que selon l'article L. 114-1 du code des assurances, toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'évènement qui y donne naissance et, quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, le délai de la prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier ; qu'enfin, l'action du maître de l'ouvrage contre l'assureur d'un locateur d'ouvrage, qui se prescrit par le délai décennal fixé par le premier texte, ne peut être exercé au-delà de ce délai que tant que l'assureur reste exposé au recours de son assuré en application du second ; qu'en retenant, pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée par Groupama Grand-Est, que dans le cadre d'une garantie décennale, le tiers lésé, dispose, comme le responsable assuré d'un délai de 12 ans à compter de la réception pour agir en condamnation contre l'assureur du responsable, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1792-4-1 et 1792-4-3 du code civil, L. 124-3 et L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances :

11. En application des deux premiers de ces textes, les actions du maître de l'ouvrage contre le constructeur en réparation des désordres affectant l'ouvrage doivent être exercées, à peine de forclusion, dans le délai de dix ans à compter de sa réception.

12. Si l'action de la victime contre l'assureur de responsabilité, instituée par le troisième de ces textes, trouve son fondement dans le droit de celle-ci à obtenir réparation de son préjudice et obéit, en principe, au même délai de prescription que son action contre le responsable, elle peut cependant être exercée contre l'assureur, tant que celui-ci est encore exposé au recours de son assuré.

13. Selon le dernier de ces textes, quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, la prescription biennale ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier.

14. Il résulte d'une jurisprudence constante que toute action en référé est une action en justice au sens de l'article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances (1re Civ., 10 mai 2000, pourvoi n° 97-22.651, Bull. 2000, I, n° 133 ; 2e Civ., 3 septembre 2009, pourvoi n° 08-18.092, Bull. 2009, II, n° 202).

15. La qualification d'action en justice au sens de l'article L. 114-1 du code des assurances n'étant pas subordonnée à la présentation d'une demande indemnitaire chiffrée, une action en référé-expertise fait courir la prescription biennale de l'action de l'assuré contre l'assureur.

16. Pour déclarer recevable l'action directe exercée par M. [W] contre la société Groupama Grand-Est, l'arrêt énonce que l'article L. 114-1 du code des assurances soumettant à la prescription biennale toutes les actions qui dérivent du contrat d'assurance, il autorise une prolongation du délai de prescription tant que l'assuré peut exercer un recours à l'encontre de l'assureur.

17. Il s'en déduit, au titre de la garantie décennale, que le tiers lésé dispose, comme le responsable assuré, d'un délai de douze ans à compter de la réception pour agir contre l'assureur du responsable et que l'action exercée par M. [W] contre la société Groupama Grand-Est par conclusions du 2 mars 2017, dans un délai de douze ans à compter de la réception du 4 juillet 2006, n'est pas prescrite.

18. En statuant ainsi, sans constater qu'à la date de l'assignation délivrée par M. [W], la société Groupama Grand-Est était encore soumise au recours de son assurée, qui avait été assignée en référé-expertise le 4 avril 2012, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CONSTATE la déchéance du pourvoi en tant qu'il est dirigé contre la société Eurotoiture Franche-Comté ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

 - rejette la fin de non-recevoir fondée sur la prescription des demandes à l'encontre et de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand-Est,

 - condamne la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand-Est à garantir la totalité des sommes mises à la charge de la société Eurotoiture Franche-Comté,

 - condamne la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand-Est à garantir la société Eurotoiture Franche-Comté des dépens de première instance,

 - condamne la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand-Est à payer à M. [W] la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

 - condamne la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand-Est aux dépens d'appel,

l'arrêt rendu le 25 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Colmar.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Zedda - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Ohl et Vexliard ; Me Bardoul -

Textes visés :

Articles 1792-4-1 et 1792-4-3 du code civil ; articles L. 124-3 et L.114-1, alinéa 3, du code des assurances.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 13 février 1996, pourvoi n° 93-16.005, Bull. 1996, I, n° 76 (cassation), et l'arrêt cité ; 1re Civ.,10 mai 2000, pourvoi n° 97-22.651, Bull. 2000, I, n° 133 (cassation partielle sans renvoi), et l'arrêt cité ; 2e Civ., 3 septembre 2009, pourvoi n° 08-18.092, Bull. 2009, II, n° 202 (rejet), et l'arrêt cité ; 3e Civ., 15 mai 2013, pourvoi n° 12-18.027, Bull. 2013, III, n° 58 (rejet).

2e Civ., 21 septembre 2023, n° 20-22.915, (B), FRH

Cassation partielle

Société d'assurance – Liquidation – Retrait d'agrément – Recouvrement des cotisations et primes – Paiement des cotisations et primes échues avant la date de la décision prononçant le retrait – Nécessité

Viole l'article L. 326-12, alinéa 1er, du code des assurances, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013, la cour d'appel qui rejette la demande en paiement de cotisations échues avant la date de la décision prononçant le retrait d'agrément d'une entreprise d'assurances au motif que l'incapacité, pour cette dernière, de satisfaire à son obligation d'assurance rend sans objet le règlement des primes correspondantes, alors que les primes échues et non payées avant la décision prononçant le retrait de l'agrément sont dues en totalité à l'entreprise, même si elles ne sont définitivement acquises à celle-ci que proportionnellement à la période garantie jusqu'au jour de la résiliation.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 17 novembre 2020) et les productions, la société Transports Conan a souscrit auprès de la société Mutuelle des transports assurances (la société MTA) un contrat d'assurance automobile pour son activité de transport, à effet au 1er janvier 2012 et reconductible tacitement, prévoyant un paiement de la cotisation annuelle fractionné par trimestre.

Les conditions générales précisaient qu'en cas de non-paiement d'une fraction de cotisation, toutes les fractions non encore payées de l'année d'assurance en cours devenaient immédiatement exigibles.

2. Le 23 août 2016, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a retiré ses agréments à la société MTA. Cette décision a été publiée au Journal officiel le 1er septembre 2016.

Sur saisine de l'ACPR, un tribunal de grande instance a prononcé le 1er décembre 2016 l'ouverture des opérations de liquidation judiciaire de la société MTA et désigné M. [F] en qualité de liquidateur.

3. À la demande de la société MTA agissant par son liquidateur, un juge d'instance a délivré une ordonnance enjoignant à la société Transports Conan de payer à celle-ci une certaine somme au titre de primes d'assurances impayées, contre laquelle l'assurée a formé opposition.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [F], en qualité de liquidateur de la société MTA, fait grief à l'arrêt de mettre à néant l'ordonnance d'injonction de payer n° 17/1045 et de limiter à la somme de 903,74 euros le montant que la société Transports Conan a été condamnée à lui payer au titre des cotisations impayées, alors « que selon l'article L. 326-12 du code des assurances, dans sa rédaction applicable au litige, en cas de retrait de l'agrément administratif accordé à une entreprise mentionnée au 2°, et au 3°, de l'article L. 310-1, tous les contrats souscrits par elle cessent de plein droit d'avoir effet le quarantième jour à midi, à compter de la publication au Journal officiel de la décision de l'ACPR prononçant le retrait ; que les primes ou cotisations échues avant la date de la décision de l'ACPR prononçant le retrait d'agrément, et non payées à cette date, sont dues en totalité à l'entreprise, mais elles ne sont définitivement acquises à celle-ci que proportionnellement à la période garantie jusqu'au jour de la résiliation, la restitution se faisant dans la limite de l'actif disponible après la liquidation ; qu'en l'espèce, la société Transports Conan a souscrit auprès de la société MTA un contrat d'assurance automobile renouvelable par tacite reconduction dont l'échéance principale était fixée au 1er janvier de chaque année, la cotisation annuelle bénéficiant d'un paiement fractionné par trimestre ; qu'en retenant que l'incapacité pour la société MTA de satisfaire à son obligation d'assurance à partir de la résiliation de plein droit du contrat intervenue le 10 octobre 2016 rendait sans objet le règlement des primes correspondant à une période postérieure alors que la cotisation annuelle, échue avant la décision de retrait de l'agrément datée du 23 août 2016, était due en totalité à l'entreprise, la cour d'appel a violé l'article précité. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 326-12, alinéa 1er, du code des assurances, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 :

5. Selon ce texte, en cas de retrait de l'agrément administratif accordé à une entreprise mentionnée au 2° et au 3° de l'article L. 310-1 du code des assurances, tous les contrats souscrits par elle cessent de plein droit d'avoir effet le quarantième jour à midi, à compter de la publication au Journal officiel de la décision de l'ACPR prononçant le retrait.

Les primes ou cotisations échues avant la date de la décision de l'ACPR prononçant le retrait d'agrément, et non payées à cette date, sont dues en totalité à l'entreprise, mais elles ne sont définitivement acquises à celle-ci que proportionnellement à la période garantie jusqu'au jour de la résiliation.

Les primes ou cotisations venant à échéance entre la date de la décision de l'ACPR prononçant le retrait d'agrément et la date de résiliation de plein droit des contrats ne sont dues que proportionnellement à la période garantie.

6. Pour juger que la créance de la société MTA s'élevait à la somme de 903,74 euros, l'arrêt, après avoir constaté que celle-ci produisait un historique sommaire du règlement des primes et deux mises en demeure des 22 septembre et 21 novembre 2016 qui, en l'absence des appels de fonds correspondants, étaient peu explicites, ajoute que le décompte est contestable en ce qu'il mentionne des primes réclamées pour la période du 1er septembre au 31 décembre 2016 alors qu'à partir du 10 octobre 2016, le contrat passé entre l'assurée et la société MTA en liquidation était résilié de plein droit.

7. Il en déduit que l'incapacité pour la société MTA de satisfaire à son obligation d'assurance à partir de cette date rendait sans objet le règlement des primes correspondant à une période postérieure et qu'il ne s'agissait pas, contrairement à ce qu'elle soutenait, de considérer que le règlement des primes était dû par avance, mais de vérifier l'adéquation contractuelle entre le prix payé et le service rendu, alors que la résiliation du contrat ne résultait pas d'une faute de l'assurée.

8. En statuant ainsi, alors que les primes échues avant la décision prononçant le retrait de l'agrément sont dues en totalité à l'entreprise, même si elles ne sont définitivement acquises à celle-ci que proportionnellement à la période garantie jusqu'au jour de la résiliation, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare la société Transports Conan recevable en son opposition qui met à néant l'ordonnance d'injonction de payer n° 17/1045, l'arrêt rendu le 17 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Leroy-Gissinger (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Brouzes - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article L. 326-12, alinéa 1er, du code des assurances, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 29 mai 2013, pourvoi n° 11-28.819, Bull. 2013, I, n° 108 (rejet).

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