Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2023

DOUANES

Com., 20 septembre 2023, n° 21-10.763, (B), FRH

Cassation

Droits – Recouvrement – Action civile – Prescription – Délai – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 24 novembre 2020) et les productions, la société Sagem défense sécurité (la société Sagem), devenue la société Safran Electronics & Défense (la société Safran), importe des composants électroniques depuis les États-Unis.

La société SDV Logistique International (la société SDV LI), devenue la société Bolloré Logistics (la société Bolloré), est le commissaire en douane qui s'occupe des opérations de dédouanement des produits importés par la société Safran.

2. Le 11 juillet 2011, l'administration des douanes a engagé un contrôle des opérations d'importation effectuées entre le 1er janvier 2009 et le 27 mai 2011.

3. Considérant que les marchandises importées par la société Safran avaient été déclarées sous des positions tarifaires erronées et que les déclarations d'importation comportaient des irrégularités quant à la valeur déclarée des marchandises, l'administration des douanes, après avoir notifié l'avis de résultat d'enquête à la société Sagem, le 12 juin 2014, et à la société SDV LI, le 2 mars 2015, leur a notifié, respectivement les 3 mars et 10 juin 2015, des infractions de fausses déclarations d'espèce et de valeur, puis a émis à leur encontre, respectivement les 16 mars et 11 juin 2015, des avis de mise en recouvrement (AMR) au titre des droits de douane et de la taxe sur la valeur ajoutée à l'importation éludés.

4. Après le rejet de leurs contestations, les sociétés Safran et Bolloré ont assigné l'administration des douanes en annulation des décisions de rejet et des AMR.

Examen des moyens

Enoncé du moyen

5. L'administration des douanes fait grief à l'arrêt d'annuler l'AMR émis le 11 juin 2015 contre la société SDV LI, devenue Bolloré, et d'annuler la décision de la direction régionale des douanes et droits indirects d'Auvergne du 27 septembre 2016 ayant rejeté la contestation formée par cette société, alors « qu'en relevant, pour écarter l'application à la dette douanière due par la société SDV LI de la prescription trentenaire prévue par l'article 355, 2, du code des douanes, que seule une décision de poursuite ou de condamnation de la société SDV LI émanant d'une juridiction d'ordre pénal pouvait caractériser l'existence d'un acte frauduleux ayant empêché l'administration des douanes de connaître l'existence du fait générateur de son droit, quand cette prescription trentenaire devait s'appliquer en présence d'un acte frauduleux seulement passible de poursuites judiciaires répressives, sans qu'il soit nécessaire que l'auteur de cet acte ait été effectivement poursuivi devant les juridictions pénales ou qu'il ait été effectivement déclaré coupable par ces mêmes juridictions, la cour d'appel a violé les articles 3 du règlement (CEE) n° 1697/79 du Conseil du 24 juillet 1979 et 355, 2, du code des douanes. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 221, paragraphe 4, du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire, tel que modifié par le règlement (CE) n° 2700/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 novembre 2000 (le code des douanes communautaire), et l'article 355, 2, du code des douanes, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 :

6. Selon le premier de ces textes, lorsque la dette douanière résulte d'un acte qui était, au moment où il a été commis, passible de poursuites judiciaires répressives, la communication au débiteur peut être effectuée, dans les conditions prévues par les dispositions en vigueur, après l'expiration d'un délai de trois ans à compter de la date de la naissance de la dette douanière.

7. La Cour de justice de l'Union européenne juge que l'article 221, paragraphe 4, du code des douanes communautaire, en ne prévoyant lui-même aucun délai de prescription, pas plus que les motifs de suspension ou d'interruption de la prescription applicable, et en se bornant à se référer aux « conditions prévues par les dispositions en vigueur », opère un renvoi au droit national pour le régime de la prescription de la dette douanière, lorsque celle-ci résulte d'un acte qui était, au moment où il a été commis, passible de poursuites judiciaires répressives. Elle en déduit que, pour autant que le droit de l'Union ne comporte pas en la matière de règles communes, il appartient à chaque État membre de déterminer le régime de la prescription des dettes douanières qui n'ont pas pu être constatées en raison d'un fait passible de poursuites judiciaires répressives (arrêt du 17 juin 2010, Agra, C-75/09, points 33 à 36).

8. Interprétant, dans son arrêt du 18 décembre 2007, ZF Zefeser (C-62/06), la notion d' « acte passible de poursuites judiciaires répressives » figurant à l'article 3, premier alinéa, du règlement (CEE) n° 1697/79 du Conseil du 24 juillet 1979 concernant le recouvrement « a posteriori » des droits à l'importation ou des droits à l'exportation qui n'ont pas été exigés du redevable pour des marchandises déclarées pour un régime douanier comportant l'obligation de payer de tels droits, la Cour de justice a dit pour droit que la qualification d'un acte d' « acte passible de poursuites judiciaires répressives » au sens du code des douanes communautaire relève de la compétence des autorités douanières appelées à déterminer le montant exact des droits à l'importation ou à l'exportation en cause. Elle a précisé par ailleurs qu'une telle qualification n'exige pas que des poursuites judiciaires répressives soient effectivement engagées par les autorités pénales d'un État membre et aboutissent à une condamnation des auteurs de l'acte en cause ni, a fortiori, que de telles poursuites ne soient pas prescrites (point 25). Elle a ajouté que la qualification, par les autorités douanières, d'un acte d' « acte passible de poursuites judiciaires répressives » est opérée sans préjudice du contrôle que les juridictions des États membres peuvent exercer sur les décisions des autorités douanières et sans porter nullement atteinte à l'ensemble des conséquences, y compris en ce qui concerne l'éventuel remboursement de droits indûment exigés par ces autorités, que le droit national applicable peut faire découler des décisions desdites juridictions, et notamment de celles constatant l'abandon des poursuites ou prononçant la relaxe des prévenus (point 29).

9. Il ressort de son arrêt du 16 juillet 2009, Snauwaert e.a. et Deschaumes (C-124/08 et C-125/08, point 26), que cette analyse reste pertinente aux fins d'interpréter l'article 221, paragraphe 4, du code des douanes communautaires, applicable ratione temporis.

10. Il résulte du second texte visé que la prescription triennale du droit de reprise de l'administration, prévue à l'article 354 du code des douanes, est écartée lorsque c'est par un acte frauduleux du redevable que l'administration a ignoré l'existence du fait générateur de son droit et n'a pu exercer l'action qui lui compétait pour en poursuivre l'exécution.

11. L'article 355, 2, du code des douanes constitue la disposition nationale à laquelle renvoie l'article 221, paragraphe 4, du code des douanes communautaire pour définir la prescription de la dette douanière se substituant à la prescription triennale.

12. Pour retenir que le délai de prescription triennal prévu à l'article 221, paragraphe 3, du code des douanes communautaire est applicable et que la dette résultant du procès-verbal de constat porté à la connaissance de la société SDV LI le 10 juin 2015, concernant des faits remontant entre le 1er janvier 2009 et le 27 mai 2011, est prescrite, l'arrêt retient que seule une décision de poursuite ou de condamnation de la société SDV LI émanant d'une juridiction d'ordre pénal pourrait caractériser l'existence d'un acte frauduleux ayant empêché l'administration des douanes de connaître l'existence du fait générateur de son droit.

13. En se déterminant ainsi, en considérant que, faute d'une décision de poursuite ou de condamnation de la société SDV LI émanant d'une juridiction d'ordre pénal, l'administration fiscale ne caractérisait pas l'existence d'un acte passible de poursuites judiciaires répressives, quand il lui appartenait de rechercher si un tel acte avait été commis, peu important qu'aucune poursuite pénale n'ait été engagée à l'encontre de cette société, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Tostain - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 221, § 4, du code des douanes communautaire ; article 355, 2, du code des douanes, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008.

Rapprochement(s) :

Sur l'interversion de la prescription en droit des douanes communautaire, à rapprocher : Com., 7 juin 1994, pourvoi n° 90-21.975, Bull. 1994, IV, n° 204 (cassation).

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