Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2023

ASSURANCE RESPONSABILITE

3e Civ., 14 septembre 2023, n° 22-13.107, (B), FS

Rejet

Action directe de la victime – Conditions – Réalisation du risque – Définition – Condamnation de l'assuré à raison de sa responsabilité – Cas – Portée

La décision judiciaire condamnant l'assuré à raison de sa responsabilité constitue pour l'assureur de cette responsabilité la réalisation, tant dans son principe que dans son étendue, du risque couvert et lui est opposable, à moins de fraude à son encontre.

La fraude, qui rend recevable la tierce opposition de l'assureur à l'encontre de la décision judiciaire condamnant son assuré à réparation, peut être le fait de l'assuré ou du tiers victime, mais ne peut pas être déduite de la seule absence d'appel en la cause de l'assureur dans l'instance opposant le tiers lésé à l'assuré.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 13 janvier 2022), M. [W] et Mme [L] ont confié à la société Les Maisons Nema, assurée en responsabilité décennale auprès de la société Areas dommages (société Areas), la maîtrise d'oeuvre complète de la construction d'une maison avec un garage en limite de voirie, les travaux ayant été réceptionnés sans réserve le 10 septembre 2013.

2. Se plaignant d'une erreur altimétrique de la construction les privant d'accès à leur garage, ils ont saisi, par lettre du 15 novembre 2015, l'assureur du constructeur, qui a décliné sa garantie, puis ont assigné, le 3 mars 2016, la société Les Maisons Nema en réparation, laquelle n'a pas constitué avocat.

3. Par un jugement du 30 mai 2017, la société Les Maisons Nema a été condamnée à payer diverses sommes aux maîtres de l'ouvrage.

4. Après la radiation de cette société du registre du commerce et des sociétés, M. [W] et Mme [L] ont mis en demeure la société Areas de payer le montant des condamnations prononcées à l'encontre de son assurée puis l'ont assignée en paiement.

5. La société Areas a formé une tierce opposition incidente au jugement du 30 mai 2017.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

7. M. [W] et Mme [L] font grief à l'arrêt de déclarer recevable la tierce opposition de la société Areas, de réformer le jugement du 30 mai 2017 à l'égard de celle-ci et de rejeter leurs demandes, alors :

« 3°/ que la décision condamnant l'assuré à raison de sa responsabilité constitue pour l'assureur la preuve de la réalisation du risque garanti, de sorte que cette décision lui est opposable même s'il n'a pas été partie au procès opposant le tiers lésé à l'assuré et qu'il ne peut ni discuter les éléments de responsabilité retenus par la décision ni le montant du dommage qu'elle a arrêté, sauf en cas de fraude ; que la fraude s'apprécie dans le chef de l'assuré, même si la décision retenant sa responsabilité est réputée contradictoire à son égard qu'en affirmant au contraire que la fraude pouvait émaner du tiers lésé et en estimant qu'une telle fraude avait été commises par M. [W] et Mme [L], rendant recevable la tierce opposition de la société Areas dommages contre le jugement du 30 mai 2017, réputé contradictoire à l'égard de la société Les maisons Nema, la cour d'appel a violé l'article L. 113-5 du code des assurances ;

4°/ que l'arrêt attaqué a jugé que M. [W] et Mme [L] avaient commis une fraude envers la société Areas dommages pour n'avoir pas mis en cause celle-ci lors de l'instance ayant donné lieu au jugement du 30 mai 2017 de sorte qu'elle n'avait pu faire valoir que la société Les Maisons Nema ne devait pas sa garantie décennale parce que les désordres étaient apparents et non réservés à la réception ; qu'en ne caractérisant pas ainsi la fraude, dès lors qu'en raison de la défaillance de la société Les Maisons Nema le juge avait été tenu de vérifier d'office le bien-fondé de la demande en garantie décennale formée contre elle, et en particulier vérifier si les désordres n'étaient pas apparents et non réservés à la réception, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 113-5 du code des assurances, ensemble l'article 472 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. La décision judiciaire condamnant l'assuré à raison de sa responsabilité constitue pour l'assureur de cette responsabilité la réalisation, tant dans son principe que dans son étendue, du risque couvert et lui est opposable, à moins de fraude à son encontre (1re Civ., 29 octobre 2014, pourvoi n° 13-23.506, Bull. 2014, I, n° 177).

9. La fraude, qui rend recevable la tierce opposition de l'assureur à l'encontre de la décision judiciaire condamnant son assuré à réparation, peut être le fait de l'assuré ou du tiers victime (1re Civ., 27 avril 1994, pourvoi n° 92-10.905), mais ne peut pas être déduite de la seule absence d'appel en la cause de l'assureur dans l'instance opposant le tiers lésé à l'assuré (1re Civ., 2 juillet 1991, pourvoi n° 89-21.622 ; 2e Civ., 22 octobre 2020, pourvoi n° 19-21.854).

10. La cour d'appel a relevé que l'assureur de responsabilité décennale du constructeur avait opposé, par une lettre du 12 novembre 2015, un refus de garantie aux maîtres de l'ouvrage au motif que le désordre d'altimétrie rendant impossible l'accès des véhicules aux garages, situés 45 cm plus haut que la voirie achevée, était apparent à la réception et n'avait fait l'objet d'aucune réserve, que les maîtres de l'ouvrage avaient ensuite assigné en réparation le seul constructeur, lequel n'avait pas constitué avocat, faisant ainsi ressortir que leurs demandes n'avaient été examinées qu'au vu de leurs seules pièces, avant de mettre l'assureur en demeure de payer le montant des condamnations prononcées contre le constructeur.

11. Ayant souverainement retenu que les maîtres de l'ouvrage, qui connaissaient la position de non-garantie de l'assureur en raison du caractère apparent du désordre, avaient délibérément omis de l'informer de l'instance engagée contre le constructeur ou de l'attraire dans la cause pour le mettre devant le fait accompli, elle a, par ce seul motif, caractérisé la fraude aux droits de l'assureur et en a exactement déduit que sa tierce opposition était recevable.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Boyer - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

Textes visés :

Article L. 113-5 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 18 mars 2021, pourvoi n° 20-13.915, Bull., (rejet), et l'arrêt cité.

3e Civ., 14 septembre 2023, n° 22-21.493, (B), FS

Cassation partielle

Action directe de la victime – Prescription – Action dirigée contre l'assureur – Délai – Détermination – Portée

L'action de la victime contre l'assureur de responsabilité, qui obéit, en principe, au même délai de prescription que son action contre le responsable, ne peut être exercée contre l'assureur au-delà de ce délai que tant que celui-ci est encore exposé au recours de son assuré.

Une action en référé-expertise du tiers lésé faisant, en principe, courir la prescription biennale du recours de l'assuré contre l'assureur, une cour d'appel ne peut déclarer recevable l'action du tiers lésé contre l'assureur après l'expiration de la forclusion décennale et plus de deux ans après l'assignation en référé-expertise délivrée à l'assuré, sans constater qu'à cette date l'assureur était encore exposé au recours de l'assuré.

Déchéance partielle du pourvoi examinée d'office

1. Après avis donné aux parties conformément à l'article 16 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 978 du même code.

Vu l'article 978 du code de procédure civile :

2. Il résulte de ce texte qu'à peine de déchéance du pourvoi, le demandeur à la cassation doit, au plus tard dans le délai de cinq mois à compter du pourvoi, signifier aux parties n'ayant pas constitué avocat le mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée.

3. Il résulte du procès-verbal du commissaire de justice que le mémoire contenant les moyens de droit invoqués par la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand-Est (la société Groupama Grand-Est) contre la décision attaquée a été signifié à des personnes qui n'avaient plus qualité pour représenter la société Eurotoiture Franche-Comté, qui avait pris fin le 8 novembre 2016 par suite de la clôture de sa liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif.

4. A défaut de signification régulière du mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée dans le délai fixé à l'article 978 du code de procédure civile, la déchéance du pourvoi doit être constatée en tant qu'il est dirigé contre la société Eurotoiture Franche-Comté.

Faits et procédure

5. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 25 janvier 2022), M. [W] a confié à la société Eurotoiture Franche-Comté, assurée auprès de la société Groupama Grand-Est, des travaux de réfection de la toiture d'un bâtiment.

6. La réception de l'ouvrage est intervenue tacitement le 4 juillet 2006.

7. Se plaignant de désordres, M. [W] a assigné la société Eurotoiture Franche-Comté en référé-expertise le 4 avril 2012, puis au fond le 3 février 2016.

La société Groupama Grand-Est est intervenue volontairement à l'instance le 9 mars 2016.

8. M. [W] a formé des demandes contre la société Groupama Grand-Est par conclusions notifiées le 2 mars 2017.

9. La société Eurotoiture Franche-Comté a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 10 mai 2016 et M. [J] a été désigné en qualité de liquidateur.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

10. La société Groupama Grand-Est fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir fondée sur la prescription des demandes à son encontre et de la condamner à garantir la totalité des sommes mises à la charge de la société Eurotoiture Franche-Comté hormis la somme de 480 euros par mois à compter du 1er juillet 2018 jusqu'à la réalisation des travaux nécessaires à la remise en location des appartements, alors « que selon l'article 1792-4-1 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du code civil est déchargée des garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après 10 ans à compter de la réception des travaux ; que selon l'article L. 114-1 du code des assurances, toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'évènement qui y donne naissance et, quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, le délai de la prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier ; qu'enfin, l'action du maître de l'ouvrage contre l'assureur d'un locateur d'ouvrage, qui se prescrit par le délai décennal fixé par le premier texte, ne peut être exercé au-delà de ce délai que tant que l'assureur reste exposé au recours de son assuré en application du second ; qu'en retenant, pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée par Groupama Grand-Est, que dans le cadre d'une garantie décennale, le tiers lésé, dispose, comme le responsable assuré d'un délai de 12 ans à compter de la réception pour agir en condamnation contre l'assureur du responsable, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1792-4-1 et 1792-4-3 du code civil, L. 124-3 et L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances :

11. En application des deux premiers de ces textes, les actions du maître de l'ouvrage contre le constructeur en réparation des désordres affectant l'ouvrage doivent être exercées, à peine de forclusion, dans le délai de dix ans à compter de sa réception.

12. Si l'action de la victime contre l'assureur de responsabilité, instituée par le troisième de ces textes, trouve son fondement dans le droit de celle-ci à obtenir réparation de son préjudice et obéit, en principe, au même délai de prescription que son action contre le responsable, elle peut cependant être exercée contre l'assureur, tant que celui-ci est encore exposé au recours de son assuré.

13. Selon le dernier de ces textes, quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, la prescription biennale ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier.

14. Il résulte d'une jurisprudence constante que toute action en référé est une action en justice au sens de l'article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances (1re Civ., 10 mai 2000, pourvoi n° 97-22.651, Bull. 2000, I, n° 133 ; 2e Civ., 3 septembre 2009, pourvoi n° 08-18.092, Bull. 2009, II, n° 202).

15. La qualification d'action en justice au sens de l'article L. 114-1 du code des assurances n'étant pas subordonnée à la présentation d'une demande indemnitaire chiffrée, une action en référé-expertise fait courir la prescription biennale de l'action de l'assuré contre l'assureur.

16. Pour déclarer recevable l'action directe exercée par M. [W] contre la société Groupama Grand-Est, l'arrêt énonce que l'article L. 114-1 du code des assurances soumettant à la prescription biennale toutes les actions qui dérivent du contrat d'assurance, il autorise une prolongation du délai de prescription tant que l'assuré peut exercer un recours à l'encontre de l'assureur.

17. Il s'en déduit, au titre de la garantie décennale, que le tiers lésé dispose, comme le responsable assuré, d'un délai de douze ans à compter de la réception pour agir contre l'assureur du responsable et que l'action exercée par M. [W] contre la société Groupama Grand-Est par conclusions du 2 mars 2017, dans un délai de douze ans à compter de la réception du 4 juillet 2006, n'est pas prescrite.

18. En statuant ainsi, sans constater qu'à la date de l'assignation délivrée par M. [W], la société Groupama Grand-Est était encore soumise au recours de son assurée, qui avait été assignée en référé-expertise le 4 avril 2012, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CONSTATE la déchéance du pourvoi en tant qu'il est dirigé contre la société Eurotoiture Franche-Comté ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

 - rejette la fin de non-recevoir fondée sur la prescription des demandes à l'encontre et de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand-Est,

 - condamne la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand-Est à garantir la totalité des sommes mises à la charge de la société Eurotoiture Franche-Comté,

 - condamne la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand-Est à garantir la société Eurotoiture Franche-Comté des dépens de première instance,

 - condamne la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand-Est à payer à M. [W] la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

 - condamne la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles du Grand-Est aux dépens d'appel,

l'arrêt rendu le 25 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Colmar.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Zedda - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Ohl et Vexliard ; Me Bardoul -

Textes visés :

Articles 1792-4-1 et 1792-4-3 du code civil ; articles L. 124-3 et L.114-1, alinéa 3, du code des assurances.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 13 février 1996, pourvoi n° 93-16.005, Bull. 1996, I, n° 76 (cassation), et l'arrêt cité ; 1re Civ.,10 mai 2000, pourvoi n° 97-22.651, Bull. 2000, I, n° 133 (cassation partielle sans renvoi), et l'arrêt cité ; 2e Civ., 3 septembre 2009, pourvoi n° 08-18.092, Bull. 2009, II, n° 202 (rejet), et l'arrêt cité ; 3e Civ., 15 mai 2013, pourvoi n° 12-18.027, Bull. 2013, III, n° 58 (rejet).

2e Civ., 21 septembre 2023, n° 21-16.796, (B), FRH

Cassation partielle

Garantie – Conditions – Mise en oeuvre

Viole l'article L. 124-5, alinéa 3, du code des assurances la cour d'appel qui retient qu'est déclenchée par la réclamation une garantie applicable « aux réclamations formulées entre les dates de prise d'effet et de cessation des effets du présent contrat dans la mesure où elles se rattachent à des faits dommageables survenus pendant la même période », alors qu'il ressortait de ses constatations que le fait dommageable était susceptible de déclencher la garantie s'il survenait entre la prise d'effet initiale de la garantie et sa date de résiliation ou d'expiration, ce dont il résultait que la garantie était déclenchée par le fait dommageable.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 11 mars 2021), les 26 et 27 janvier 2012, Mme [V], viticultrice, a confié à M. [Y] l'embouteillage de sa récolte.

2. M. [Y], qui était assuré au titre de sa responsabilité civile auprès de la société Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Groupama Centre Atlantique (la société Groupama), ayant transféré son activité à la société Atlantique embouteillage mobile (la société AEM), a résilié ce contrat à compter du 30 novembre 2012.

La société AEM a souscrit un contrat garantissant sa responsabilité civile professionnelle auprès de la société Allianz à effet au 1er décembre 2012.

3. Le 31 janvier 2013, Mme [V] a informé M. [Y] de défauts affectant le vin embouteillé par ses soins, puis l'a assigné ainsi que les sociétés AEM et Groupama devant un tribunal afin d'être indemnisée de son préjudice.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident de la société AEM, pris en sa première branche, qui est préalable

Enoncé du moyen

4. La société AEM fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en garantie formée contre la société Groupama, alors « que la garantie est, selon le choix des parties, déclenchée soit par le fait dommageable, soit par la réclamation ; que l'article 27 des conditions générales du contrat d'assurance stipulait que « cette garantie s'applique aux réclamations formulées entre les dates de prise d'effet et de cessation des effets du présent contrat dans la mesure où elles se rattachent à des faits dommageables survenus pendant la même période » ; qu'en jugeant qu'il instaurait une « garantie déclenchée par la réclamation » pour en déduire que l'assureur ne devait pas sa garantie, faute pour l'assuré de démontrer que son nouveau contrat d'assurance n'était pas applicable au sinistre litigieux, la cour d'appel a violé l'article L124-5 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 124-5, alinéa 3, du code des assurances :

5. Aux termes de ce texte, la garantie déclenchée par le fait dommageable couvre l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres, dès lors que le fait dommageable survient entre la prise d'effet initiale de la garantie et sa date de résiliation ou d'expiration, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs du sinistre.

6. Pour débouter la société AEM de sa demande de garantie formée contre la société Groupama, l'arrêt relève que, contrairement à ce que prévoit l'alinéa 2 de l'article L. 124-5 du code des assurances, les conditions particulières du contrat d'assurance souscrit entre M. [Y] et la société Groupama ne précisent pas si la garantie est déclenchée par le fait dommageable ou si elle l'est par la réclamation. Il rappelle ensuite qu'aux termes de l'article 27 des conditions générales de ce contrat, la garantie « responsabilité civile contractuelle » s'applique « aux réclamations formulées entre les dates de prise d'effet et de cessation des effets du présent contrat dans la mesure où elles se rattachent à des faits dommageables survenus pendant la même période ».

7. Il en déduit qu'il s'agit d'une garantie déclenchée par la réclamation et que cette disposition est corroborée par une lettre adressée par l'assureur à M. [Y] aux termes de laquelle, lorsque la garantie couvre la responsabilité civile d'une personne morale ou physique agissant dans l'exercice de son activité professionnelle, la garantie est déclenchée par la réclamation.

8. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations que le fait dommageable était susceptible de déclencher la garantie s'il survenait entre la prise d'effet initiale de la garantie et sa date de résiliation ou d'expiration, ce dont il résultait que la garantie était déclenchée par le fait dommageable, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

9. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition de l'arrêt déboutant la société AEM de toutes ses demandes formées à l'encontre de la société Groupama entraîne la cassation du chef de dispositif déboutant Mme [V] de toutes ses demandes formées à l'encontre de la société Groupama, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi principal ni sur l'autre grief du pourvoi incident, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute la société Atlantique embouteillage mobile et Mme [V] de toutes leurs demandes formées à l'encontre de la société Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Groupama Centre Atlantique, l'arrêt rendu le 11 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Leroy-Gissinger (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Brouzes - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Alain Bénabent ; SCP Ohl et Vexliard -

Textes visés :

Article L. 124-5, alinéa 3, du code des assurances.

2e Civ., 21 septembre 2023, n° 21-19.776, n° 21-19.801, (B), FS

Cassation partielle

Garantie – Exclusion – Exclusion formelle et limitée – Préjudice spécifique d'anxiété

Dénature cette clause la cour d'appel qui retient qu'elle ne peut recevoir application que pour les dommages causés directement par l'amiante et que tel n'est pas le cas du préjudice d'anxiété subi par les salariés d'une entreprise inscrite sur la liste des établissements ouvrant droit au versement de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.

Désistement partiel

1. Il est donné acte aux sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Helvetia assurances.

2. Il est donné acte à la société Allianz IARD de ce qu'elle renonce à la deuxième branche du moyen de son pourvoi.

Jonction

3. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-19.801 et 21-19.776 sont joints.

Faits et procédure

4. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 20 mai 2021), la société ACH construction navale (la société ACH), qui avait pour activité principale la construction et la réparation navales, a été en activité du 31 décembre 1970 au 31 juillet 2000, date de sa dissolution anticipée.

5. La société ACH a souscrit plusieurs contrats d'assurances garantissant sa responsabilité civile : deux contrats auprès de la société Helvetia assurances (la société Helvetia), dont le second a pris fin le 31 décembre 1999 ; un contrat auprès de la société Allianz IARD (la société Allianz), à effet du 1er janvier 2000 au 21 janvier 2008, et un contrat auprès de la société Covea Risks, aux droits de laquelle se trouvent les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA), à effet du 3 mars 2008.

6. Se prévalant de l'inscription, par arrêté du 7 juillet 2000 publié au Journal officiel du 22 juillet 2000, sur le fondement de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, de la société ACH sur la liste des établissements ouvrant droit au versement de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) aux salariés et anciens salariés y ayant travaillé pendant des périodes où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, 150 anciens salariés de la société ACH ont engagé, à compter du 6 juillet 2009, plusieurs procédures à son encontre, afin d'être indemnisés de leur préjudice spécifique d'anxiété.

7. Plusieurs arrêts irrévocables ont condamné la société ACH à verser, à chacun d'entre eux, une certaine somme en réparation de ce préjudice.

8. La société ACH a ensuite assigné les sociétés Allianz, Covea Risks et Helvetia devant un tribunal de grande instance afin qu'elles la garantissent des condamnations mises à sa charge.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal n° 21-19.801 de la société Allianz et sur le moyen du pourvoi n° 21-19.776 des sociétés MMA, pris en sa première branche

9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen du pourvoi n° 21-19.776 des sociétés MMA, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

10. Les sociétés MMA font grief à l'arrêt de les condamner, in solidum avec la société Allianz, à payer à la société ACH la somme de 2 115 794,45 euros au titre des garanties responsabilité civile et frais de défense, alors « qu'est formelle et limitée la clause d'exclusion qui permet à l'assuré de déterminer clairement quels dommages sont placés hors du champ de la garantie ; qu'en jugeant que la clause visant « les dommages corporels, matériels et immatériels (consécutifs ou non), causés par l'amiante et ses dérivés » ne serait pas formelle et limitée et nécessiterait d'être interprétée, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :

11. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.

12. Une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.

13. Pour dire que la clause excluant de la garantie « les dommages corporels, matériels et immatériels (consécutifs ou non), causés par l'amiante et ses dérivés » ne peut recevoir application, l'arrêt énonce que la seule lecture de cette clause ne permet pas de connaître avec certitude son étendue et, notamment, si elle vise seulement les maladies causées par l'amiante.

14. Il retient que les sociétés MMA, qui recourent à la notion de « cause technique », à savoir l'exposition des salariés à l'amiante, sont contraintes d'interpréter la clause et d'expliquer la nature du lien de causalité qui relie le préjudice spécifique d'anxiété subi par les anciens salariés de la société ACH à l'amiante.

15. En statuant ainsi, alors que la clause, qui excluait de la garantie, de façon claire et précise, tous les dommages corporels causés par l'amiante, ne requérait pas interprétation, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen du pourvoi n° 21-19.776 des sociétés MMA, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

16. Les sociétés MMA font le même grief à l'arrêt, alors « qu'on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation ; qu'en jugeant que « la clause d'exclusion [?] ne pourrait recevoir effet que pour les dommages causés directement par l'amiante, puisqu'elle ne vise pas les cas où l'amiante serait indirectement à l'origine du préjudice indemnisable », cependant que cette clause claire et précise excluait les dommages « causés par l'amiante », sans distinguer entre les dommages directs et indirects, de sorte que tous étaient exclus, la cour d'appel l'a dénaturée, violant les articles 1134, devenu 1103 et 1192 du code civil, ensemble le principe interdisant au juge de dénaturer les documents de la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

17. Pour dire que la clause d'exclusion ne peut recevoir application et que les sociétés MMA sont tenues à garantie, l'arrêt énonce encore, qu'à supposer cette clause d'exclusion formelle et limitée au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances, elle ne pourrait recevoir application que pour les dommages directement causés par l'amiante puisqu'elle ne vise pas les cas où l'amiante est indirectement à l'origine du préjudice.

18. Il ajoute que le préjudice spécifique d'anxiété ne se rattache à l'amiante que par un lien de causalité indirect, puisque le lien de causalité direct ne relie ce préjudice qu'au fait d'inscription de l'établissement sur la liste de l'arrêté du 7 juillet 2000 matérialisant, à lui seul, le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

19. En statuant ainsi, alors que la clause d'exclusion précitée excluait tous les dommages qu'elle énumérait, causés par l'amiante, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles et sur le pourvoi incident de la société Helvetia assurances, qui n'est qu'éventuel, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° H 21-19.801 formé par la société Allianz IARD ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société MMA IARD et la société MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la société Covea Risks à payer à la société ACH construction navale la somme de 2 115 794,45 euros au titre des garanties responsabilité civile et frais de défense, l'arrêt rendu le 20 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Leroy-Gissinger (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Ittah - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SARL Ortscheidt ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article L. 113-1 du code des assurances.

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