Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2023

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 20 septembre 2023, n° 22-12.293, (B), FS

Rejet

Employeur – Discrimination fondée sur l'état de santé ou le handicap – Prohibition – Effets – Réserve spéciale de participation – Répartition de l'intéressement – Montant – Calcul – Assiette – Cas – Période pendant laquelle un salarié a travaillé selon un mi-temps thérapeutique – Portée

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (conseil de prud'hommes de Paris, 16 décembre 2021), Mme [Y], engagée le 2 mai 2001 par la société Rail restauration province par un contrat de travail qui a été transféré en dernier lieu à la société Newrest wagons-lits France (la société), exerce les fonctions de commerciale de bord.

2. Victime le 4 mai 2015 d'un accident du travail, elle a été placée en arrêt de travail du 4 mai au 6 décembre 2015. Elle a repris le travail en mi-temps thérapeutique du 6 décembre 2015 au 8 août 2016.

3. Le 5 juin 2019, la salariée a saisi la juridiction prud'homale en demandant le paiement d'un rappel de prime de participation au titre de sa période de travail à mi-temps thérapeutique en exécution de l'accord de participation de la société du 2 février 2015.

4. Le syndicat CFDT Restauration ferroviaire trains de nuit (le syndicat) est intervenu volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La société fait grief au jugement de la condamner à payer à la salariée des sommes à titre de rappel sur prime « d'intéressement » 2015-2106 et de dommages-intérêts et de la condamner à payer au syndicat une somme à titre de dommages-intérêts, alors « qu'aux termes de l'article 5.2 de l'accord de participation du 2 février 2015, « seules les heures de travail effectif et/ou assimilées du salarié » sont prises en compte pour le calcul du droit individuel de chaque salarié ; que cet article ne mentionne pas, parmi les heures devant être assimilées, au sens de l'accord de participation, à des heures de travail effectif, les heures non travaillées dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique ; qu'en décidant pourtant qu'il y avait lieu de tenir compte de ces heures pour le calcul de la prime de participation, les juges du fond ont violé l'article L. 3322-2 du code du travail, ensemble l'article 5 de l'accord de participation du 2 février 2015. »

Réponse de la Cour

7. En application de l'article L. 1132-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014, aucune personne ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions en raison notamment de son état de santé.

8. Selon l'article 1 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement notamment de son état de santé, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable et constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un de ces motifs, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.

9. Selon l'article L. 3322-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, la participation a pour objet de garantir collectivement aux salariés le droit de participer aux résultats de l'entreprise.

10. Aux termes de l'article L. 3324-5 du code du travail, dans sa version antérieure à la même loi, la répartition de la réserve spéciale de participation entre les bénéficiaires est calculée proportionnellement au salaire perçu dans la limite de plafonds déterminés par décret. Pour les bénéficiaires visés au deuxième alinéa de l'article L. 3323-6 et au troisième alinéa de l'article L. 3324-2, la répartition est calculée proportionnellement à la rémunération annuelle ou au revenu professionnel imposé à l'impôt sur le revenu au titre de l'année précédente, plafonnés au niveau du salaire le plus élevé versé dans l'entreprise, et dans les limites de plafonds de répartition individuelle déterminés par le même décret. Toutefois, l'accord de participation peut décider que cette répartition entre les bénéficiaires est uniforme, proportionnelle à la durée de présence dans l'entreprise au cours de l'exercice, ou retenir conjointement plusieurs de ces critères.

L'accord peut fixer un salaire plancher servant de base de calcul à la part individuelle.

Le plafond de répartition individuelle déterminé par le décret prévu au premier alinéa ne peut faire l'objet d'aucun aménagement, à la hausse ou à la baisse, y compris par un accord mentionné à l'article L. 3323-1.

11. Il résulte de la combinaison de ces textes que la période pendant laquelle un salarié, en raison de son état de santé, travaille selon un mi-temps thérapeutique doit être assimilée à une période de présence dans l'entreprise, de sorte que le salaire à prendre en compte pour le calcul de l'assiette de la participation due à ce salarié est le salaire perçu avant le mi-temps thérapeutique et l'arrêt de travail pour maladie l'ayant, le cas échéant, précédé.

12. Le conseil de prud'hommes a constaté que la salariée, victime le 4 mai 2015 d'un accident du travail, après un arrêt de travail du 4 mai au 6 décembre 2015, a travaillé du 6 décembre 2015 au 8 août 2016 en mi-temps thérapeutique.

13. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision, qui a condamné l'employeur à payer à la salariée un rappel de prime de participation 2015-2016 au titre de la période de travail en mi-temps thérapeutique, se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Ott - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SARL Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 1132-1, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014, L. 3322-1 et L. 3324-5 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019.

Soc., 6 septembre 2023, n° 22-13.783, (B), FRH

Rejet

Employeur – Pouvoir de direction – Contrôle et surveillance des salariés – Procédés de contrôle – Dispositif du « client mystère » – Validité – Conditions – Information préalable du salarié – Portée

Il résulte de l'article L. 1222-3 du code du travail que si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés pendant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas été porté préalablement à leur connaissance.

Doit être approuvé l'arrêt qui, après avoir constaté que le salarié avait été préalablement informé de la mise en oeuvre au sein de l'entreprise d'un dispositif dit du « client mystère » permettant l'évaluation professionnelle et le contrôle de l'activité des salariés, en déduit la licéité des éléments de preuve issus de l'intervention d'un client mystère, produits par l'employeur pour établir la matérialité des faits invoqués à l'appui du licenciement disciplinaire.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 1er juillet 2021), M. [Y] a été engagé en qualité d'employé de restaurant libre service, le 1er novembre 2006, par la société Autogrill aéroports.

2. Contestant le bien-fondé de son licenciement, notifié le 22 août 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, en particulier celles tendant à l'annulation de la mise à pied disciplinaire du 7 avril 2016 et à juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, alors :

« 1°/ que l'employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve ; que, pour juger le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a considéré que la preuve du non-respect par le salarié des procédures d'encaissement mises en place au sein de l'entreprise était rapportée ; qu'en jugeant recevable cette preuve, dont elle constatait qu'elle avait été recueillie au moyen d'un « client-mystère », la cour d'appel a violé les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code de procédure civile, ensemble le principe de loyauté dans l'administration de la preuve ;

2°/ que l'employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve ; que, par ailleurs, le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en oeuvre, des méthodes et techniques d'évaluation professionnelles mises en oeuvre à son égard ; qu'en considérant, pour refuser d'écarter la preuve recueillie au moyen d'un « client-mystère », que les salariés avaient été informés de la mise en oeuvre de ce système d'investigation et de « l'objectif de ce dispositif », sans vérifier quel était précisément l'objectif déclaré aux salariés, alors que les conclusions du salarié l'y invitaient, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code de procédure civile et L. 1222-3 du code du travail, ensemble le principe de loyauté dans l'administration de la preuve. »

Réponse de la Cour

5. D'une part, il ne résulte ni de l'arrêt ni des pièces de la procédure que le salarié a soutenu devant la cour d'appel un moyen pris de la violation des articles 9 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou du principe de loyauté dans l'administration de la preuve.

6. Le moyen pris en sa première branche, nouveau et mélangé de fait et de droit, est dès lors irrecevable.

7. D'autre part, l'arrêt constate d'abord que l'employeur produit une fiche d'intervention d'une société, mandatée par lui pour effectuer des contrôles en tant que « client mystère », dont il résulte qu'aucun ticket de caisse n'a été remis après l'encaissement de la somme demandée.

8. Il retient ensuite, par une appréciation souveraine de la valeur et la portée des éléments de preuve produits, que l'employeur établit avoir préalablement informé le salarié de l'existence de ce dispositif d'investigation comme en atteste la production, d'une part, d'un compte-rendu de réunion du comité d'entreprise du 18 octobre 2016, faisant état de la visite de « clients mystères » avec mention du nombre de leurs passages, et, d'autre part, d'une note d'information des salariés sur le dispositif dit du « client mystère », qui porte la mention « pour affichage septembre 2015 » et qui explique son fonctionnement et son objectif.

9. Il en déduit enfin que, la méthode utilisée par l'employeur pour établir la matérialité des faits litigieux étant licite, celle-ci est démontrée par la production de la fiche d'intervention de la société mandatée par l'employeur de sorte que le grief formulé par ce dernier dans la lettre de licenciement est prouvé.

10. Ayant ainsi constaté que le salarié avait été, conformément aux dispositions de l'article L. 1222-3 du code du travail, expressément informé, préalablement à sa mise en oeuvre, de cette méthode d'évaluation professionnelle mise en oeuvre à son égard par l'employeur, ce dont il résultait que ce dernier pouvait en utiliser les résultats au soutien d'une procédure disciplinaire, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Barincou - Avocat(s) : Me Haas ; SARL Delvolvé et Trichet -

Textes visés :

Articles L. 1222-3 et L. 1222-4 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'obligation pour l'employeur d'informer les salariés préalablement à l'utilisation d'un dispositif de contrôle de leur activité, à rapprocher : Soc., 23 novembre 2005, pourvoi n° 03-41.401, Bull. 2005, V, n° 333 (cassation), et l'arrêt cité ; Soc., 3 novembre 2011, pourvoi n° 10-18.036, Bull. 2011, V, n° 247 (rejet) ; Soc., 10 novembre 2021, pourvoi n° 20-12.263, Bull., (cassation), et l'arrêt cité.

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