Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2023

SEPARATION DES POUVOIRS

3e Civ., 21 septembre 2023, n° 22-16.945, (B), FS

Rejet

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Litige relatif à un service public géré par un organisme de droit privé – Conditions – Exercice de prérogatives de puissance publique – Applications diverses – Appréciation de la légalité des décisions des associations communales de chasse agréées

Si l'appréciation de la légalité des décisions prises par les associations communales de chasse agréées, qui sont des personnes morales de droit privé, peut relever de la compétence des juridictions de l'ordre administratif, lorsqu'elles traduisent l'exercice de prérogatives de puissance publique, en revanche, celles ayant trait aux décisions portant sur la délivrance des cartes de membre, relatives aux rapports de droit privé entre l'association et ses membres, relèvent de la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire.

En cas de fusion de communes, il résulte des dispositions de l'article L. 422-21 du code de l'environnement que l'adhésion à l'association intercommunale de chasse agréée ayant son siège sur le territoire de la nouvelle commune ne peut être refusée au titulaire d'un permis de chasser y ayant également son domicile, peu important que ce dernier soit situé en dehors du périmètre de chasse de l'association.

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige relatif à un service public géré par un organisme de droit privé – Applications diverses – Associations communales et intercommunales de chasse agréées – Décisions portant sur la délivrance des cartes de membres

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 8 mars 2022), par arrêté préfectoral du 4 juillet 2016, la commune de [Localité 3] a été fusionnée avec trois autres municipalités voisines, pour constituer la commune nouvelle de [Localité 5].

2. Sur son territoire, a été constituée une association intercommunale de chasse agréée fusionnée des Trois ruisseaux (l'AICAF des Trois ruisseaux), par regroupement de plusieurs associations de chasse préexistantes, à l'exclusion de celle de la commune de [Localité 3], qui avait choisi de fusionner avec d'autres pour constituer l'AICAF de l'Amicale des chasseurs du vignoble.

3. Après refus de son adhésion, M. [T], habitant la commune de [Localité 5], sur le territoire de l'ancienne commune de [Localité 3], a assigné l'AICAF des Trois ruisseaux en délivrance d'une carte de membre.

4. En appel, l'Association nationale des fédérations départementales des chasseurs à associations communales de chasse agréées est intervenue volontairement au soutien des prétentions de M. [T].

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. L'AICAF des Trois ruisseaux fait grief à l'arrêt de la condamner à recevoir l'adhésion de M. [T] et à lui délivrer une carte ou tout autre justificatif de son admission, et à lui payer une certaine somme à titre de dommages et intérêts, alors :

« 1°/ qu'il n'appartient qu'à la juridiction administrative de se prononcer sur la légalité de la décision par laquelle une association intercommunale de chasse agréée refuse de délivrer une carte de chasse au motif que le demandeur n'est pas domicilié dans son périmètre ; que lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre Ier du livre III du code de justice administrative et elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle ; que pour statuer comme elle l'a fait, la cour d'appel affirme que M. [T] étant domicilié dans la commune de [Localité 5], dont l'unique association de chasse est celle des trois ruisseaux, les statuts de celle-ci ne peuvent faire obstacle à son adhésion ; qu'en se prononçant ainsi, quand la question de légalité de la décision de refuser à M. [T] d'adhérer à l'association en cause au motif qu'il ne relevait pas du périmètre de celle-ci présentait une difficulté sérieuse dont dépendait la solution du litige et impliquait de saisir la juridiction administrative d'une question préjudicielle, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et l'article 49, alinéa 2, du code de procédure civile ;

2°/ qu'il n'appartient qu'à la juridiction administrative de se prononcer sur la légalité des statuts d'une association intercommunale de chasse agréée par arrêté préfectoral ; que lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre Ier du livre III du code de justice administrative et elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle ; que pour condamner l'association des trois ruisseaux à recevoir l'adhésion de M. [T], la cour d'appel énonce que l'application de l'article 6 des statuts de l'association exclurait cette adhésion, si elle n'était primée par les dispositions légales, supérieures et impératives, de « l'article L. 422-1 » [lire : L. 422-21] du code de l'environnement et que « écarter au profit de la norme légale supérieure la norme statutaire contractuelle, même agréée par l'autorité préfectorale, ne comporte aucune atteinte à la puissance publique exclusive de la compétence du juge judiciaire » ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il résultait de ses constatations que la question de la légalité des statuts de l'association des trois ruisseaux présentait une difficulté sérieuse dont dépendait la solution du litige et impliquait de saisir la juridiction administrative d'une question préjudicielle, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et l'article 49, alinéa 2, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. En premier lieu, si l'appréciation de la légalité des décisions prises par les associations communales de chasse agréées, qui sont des personnes morales de droit privé, peut relever de la compétence des juridictions de l'ordre administratif, lorsqu'elles traduisent l'exercice de prérogatives de puissance publique, celles ayant trait aux décisions portant sur la délivrance des cartes de membre, relatives à la gestion interne de l'association et aux rapports de droit privé entre l'association et ses membres, relèvent de la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire.

7. En second lieu, si la légalité de l'arrêté portant agrément d'une association communale de chasse peut être contestée devant le juge administratif, l'appréciation de la conformité des statuts d'une telle association agréée, qui demeurent un acte de droit privé en dépit de leur approbation initiale par une autorité administrative, aux dispositions impératives fixant les conditions pour en devenir membre, relève de la seule compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire.

8. Après avoir constaté que M. [T] résidait désormais sur la commune de [Localité 5], puis relevé que l'article 6 des statuts de l'AICAF des Trois ruisseaux, sur lequel celle-ci s'était fondée pour refuser son adhésion, stipulait que seules les personnes domiciliées dans le périmètre de chasse de l'association pouvaient en devenir membre, la cour d'appel a retenu, à bon droit, d'une part, que ces stipulations étaient contraires aux dispositions impératives de l'article L. 422-21 du code de l'environnement, qui confèrent aux habitants d'une commune la qualité de membre de droit de l'association communale agréée qui y a son siège, d'autre part, qu'il lui revenait d'écarter une norme statutaire contractuelle, peu important l'agrément de l'association par l'autorité préfectorale.

9. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, c'est sans méconnaître l'étendue de ses pouvoirs ni violer le principe de séparation des pouvoirs, que la cour d'appel a statué comme elle l'a fait.

10. Le moyen, qui manque en droit en sa première branche, n'est donc pas fondé pour le surplus.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

11. L'AICAF des Trois ruisseaux fait encore le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que le juge ne peut pas méconnaître les termes du litige tels qu'ils résultent des conclusions des parties ; qu'en l'espèce, celles-ci s'accordaient sur le fait qu'à la suite de la création de la commune nouvelle de [Localité 5], deux associations intercommunales de chasse se partageaient désormais son territoire, à savoir l'association des trois ruisseaux et l'Amicale des chasseurs du vignoble, cette dernière incluant l'ancienne association communale de chasse de [Localité 3] où est domicilié M. [T], ainsi que l'a relevé l'arrêt attaqué ; que, dès lors, en affirmant, pour statuer comme elle l'a fait, que l'association est l'unique association de chasse de la commune de [Localité 5] et que M. [T] est domicilié dans cette commune, pour en déduire que les statuts de celle-ci ne peuvent faire obstacle à l'adhésion de M. [T] à l'association des Trois ruisseaux, la cour d'appel a modifié les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; que pour condamner l'association des Trois ruisseaux à délivrer une carte de chasse à M. [T], la cour d'appel retient que celui-ci étant domicilié dans la commune de [Localité 5] dont l'unique association de chasse est celle des trois ruisseaux, les statuts de celle-ci ne peuvent pas faire obstacle à son adhésion ; qu'en statuant ainsi, tout en retenant que le domicile de M. [T] est situé sur le territoire de l'ancienne commune de [Localité 3] qui, bien qu'ayant été fusionnée dans la commune nouvelle de [Localité 5], n'appartient pas au périmètre de l'association des Trois ruisseaux mais à celui de l'association des Amis du vignoble, la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ qu'aux termes de l'article L. 422-4, alinéa 2, du code de l'environnement, la fusion de communes n'entraîne ni la dissolution ni la fusion des associations communales de chasse agréées préalablement constituées dans les communes concernées, sauf décision contraire de ces associations ; qu'il en résulte qu'en cas de fusion de communes n'ayant pas donné lieu à la fusion des associations de chasse existantes sur le territoire des communes concernées, le titulaire d'un permis de chasser domicilié dans le périmètre de l'une de ces associations ne peut contraindre une autre à recevoir son adhésion au seul motif qu'il est domicilié sur le territoire de la commune nouvelle ; qu'en l'espèce, il ressort de l'arrêt attaqué et il n'était d'ailleurs pas contesté que la création de la commune nouvelle de [Localité 5] n'avait pas entraîné la fusion de l'AICAF des trois ruisseaux et de l'amicale des chasseurs du vignoble qui se partageaient donc désormais des périmètres de chasse distincts sur le territoire de cette commune nouvelle ; que la cour d'appel a écarté les stipulations de l'article 6 des statuts de l'AICAF des trois ruisseaux selon lesquelles est admis à adhérer le titulaire du permis de chasser domicilié dans l'une des communes du périmètre de l'association ou y résidant sous les conditions qu'ils prévoient, motif pris que l'article « L. 422-1 » [lire : l'article L. 422-21] du code de l'environnement dispose que les statuts de chaque association doivent prévoir l'admission dans celle-ci des titulaires du permis de chasser domiciliés dans la commune et que M. [T] étant domicilié dans la commune de [Localité 5], même s'il ne l'est pas dans le périmètre de l'AICAF des Trois ruisseaux, la norme légale doit l'emporter sur la norme statutaire contractuelle ; qu'en statuant ainsi, quand l'article L. 422-21 précité doit être interprété à la lumière de l'article L. 422-4, alinéa 2, du même code, de sorte que les statuts de l'AICAF des trois ruisseaux n'avaient pas à obliger celle-ci à prévoir l'adhésion du titulaire d'un permis de chasser, tel que M. [T], qui n'était pas domicilié dans son périmètre, la cour d'appel a violé les articles L. 422-4, alinéa 2, et L. 422-21 du code de l'environnement. »

Réponse de la Cour

12. Selon l'article L. 422-21 du code de l'environnement, les statuts de chaque association communale de chasse agréée doivent prévoir l'admission des titulaires du permis de chasser validé domiciliés dans la commune ou y ayant une résidence pour laquelle ils figurent, l'année de leur admission, pour la quatrième année sans interruption, au rôle d'une des quatre contributions directes.

13. Aux termes de l'article L. 422-4 du même code, il ne peut y avoir qu'une association communale agréée par commune.

La fusion de communes n'entraîne ni la dissolution ni la fusion des associations communales de chasse agréées préalablement constituées dans les communes concernées, sauf décision contraire de ces associations.

14. S'il résulte du second de ces textes qu'en cas de fusion de communes, une association communale de chasse agréée, préalablement constituée, peut coexister avec l'association intercommunale de chasse agréée créée, par union ou fusion, de celles préexistantes sur son territoire, il résulte du premier que l'adhésion à l'association intercommunale créée ne peut être refusée à une personne domiciliée sur la commune, peu important que ce domicile soit en dehors du périmètre de chasse de la nouvelle association.

15. La cour d'appel a, d'abord, constaté que M. [T] résidait sur le territoire de l'ancienne commune de [Localité 3], faisant désormais partie de la commune de [Localité 5], puis, a relevé que l'AICAF des Trois ruisseaux était la seule à y avoir son siège, l'association communale de chasse agréée de l'ancienne commune de [Localité 3] ayant choisi de fusionner avec d'autres, pour devenir l'AICAF de l'Amicale des chasseurs du vignoble.

16. Elle a retenu, ensuite, à bon droit, que les dispositions de l'article L. 422-21 du code de l'environnement imposaient que les statuts de l'association intercommunale de chasse agréée des Trois ruisseaux prévoient l'adhésion des titulaires du permis de chasser domiciliés dans la commune de son siège.

17. Elle en a exactement déduit, sans se contredire, ni modifier l'objet du litige, que l'article 6 des statuts de l'AICAF des Trois ruisseaux ne pouvait faire obstacle à l'adhésion de M. [T], qui, domicilié dans la commune, était, à ce titre, membre de droit de l'association.

18. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Baraké - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Poupet et Kacenelenbogen ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; article 49, alinéa 2, du code de procédure civile ; articles L. 422-4 et L. 422-21 du code de l'environnement.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 26 janvier 1982, pourvoi n° 80-17.063, Bull. 1982, I, n° 44 (rejet) ; Tribunal des conflits, 9 juillet 2012, Bull. 2012, T. conflits, n° 22.

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