Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2023

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE

Soc., 13 septembre 2023, n° 22-12.970, (B), FRH

Rejet

Licenciement – Cause – Accident du travail ou maladie professionnelle – Inaptitude physique du salarié – Avis du médecin du travail – Mention expresse d'une inaptitude à tout emploi dans l'entreprise – Effets – Obligation de reclassement – Exclusion – Détermination – Portée

Selon l'article L. 1226-2-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Il s'ensuit que lorsque l'avis d'inaptitude du médecin du travail mentionne que tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé et non pas que tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé, l'employeur n'est pas dispensé de son obligation de procéder à des recherches de reclassement.

Licenciement – Cause – Accident du travail ou maladie professionnelle – Inaptitude physique du salarié – Avis du médecin du travail – Mention expresse d'une inaptitude à tout emploi dans l'entreprise – Défaut – Obligation de reclassement – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 6 janvier 2022), M. [R] a été engagé le 21 avril 2011 par l'Etablissement public de sécurité ferroviaire en qualité d'administrateur de base de données incidents.

2. Placé en arrêt de travail pour maladie non professionnelle à compter du 5 janvier 2015, il a été déclaré inapte suivant avis du médecin du travail du 23 août 2017 rédigé en ces termes : « Inapte. Étude de poste, étude des conditions de travail et échanges entre le médecin du travail et l'employeur réalisés le 16 août 2017. Tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ».

3. Licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 18 septembre 2017, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes relatives à la rupture de son contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal et sur le moyen du pourvoi incident

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer au salarié des sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, alors « qu'aux termes de l'article L. 1226-2-1 du code du travail, l'employeur peut rompre le contrat de travail s'il justifie, notamment, de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ; que ce texte concerne le maintien du salarié dans un emploi au sein de l'entreprise employeur et n'implique pas que le médecin du travail fasse mention de ce que le maintien du salarié dans un emploi, quel qu'il soit, même en dehors de l'entreprise, serait gravement préjudiciable à sa santé ; que l'avis d'inaptitude concernant M. [R] émis par le médecin du travail mentionnait que « tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé » ; qu'en retenant que, dans la mesure où les termes employés par le médecin du travail n'impliquaient pas l'éloignement du salarié de toute situation de travail, ils ne dispensaient pas l'employeur de procéder à des recherches de reclassement et de consulter les délégués du personnel, et que, par suite, le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé l'article L. 1226-2-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de l'article L. 1226-2-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 que l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

7. Il s'ensuit que, lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, l'employeur n'est pas tenu de rechercher un reclassement.

8. L'arrêt constate que l'avis d'inaptitude du médecin du travail mentionne que tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé et non pas que tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.

9. La cour d'appel en a exactement déduit que l'employeur n'était pas dispensé de procéder à des recherches de reclassement et de consulter les délégués du personnel et qu'il avait ainsi manqué à son obligation de reclassement.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois, tant principal qu'incident.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Capitaine (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Van Ruymbeke - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article L. 1226-2-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la portée de la mention expresse, dans l'avis du médecin du travail, que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi, à rapprocher : Soc., 8 février 2023, pourvoi n° 21-19.232, Bull., (rejet), et les arrêts cités.

Soc., 20 septembre 2023, n° 22-13.494, n° 22-13.495, n° 22-13.496, n° 22-13.500, n° 22-13.501, (B), FS

Cassation partielle

Licenciement économique – Cause – Cause réelle et sérieuse – Motif économique – Appréciation – Exclusion – Cas – Salarié protégé – Licenciement pour motif économique – Autorisation administrative

Le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de licenciement devenue définitive, apprécier le caractère réel et sérieux du motif de licenciement au regard de la cause économique. Il peut seulement se prononcer, lorsqu'il en est saisi, sur la responsabilité de l'employeur et la demande du salarié en réparation des préjudices que lui aurait causés une faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité, y compris le préjudice résultant de la perte de son emploi.

Doit en conséquence être censuré l'arrêt qui déclare le licenciement d'un salarié protégé sans cause réelle et sérieuse et lui alloue des dommages-intérêts à ce titre, alors que par une décision devenue définitive ce licenciement avait été autorisé par l'inspection du travail.

Licenciement – Salarié protégé – Mesures spéciales – Autorisation administrative – Faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité – Demande de dommages-intérêts du salarié – Préjudice découlant de la perte de l'emploi – Appréciation – Compétence – Détermination

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-13.494, 22-13.495, 22-13.496, 22-13.500 et 22-13.501 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Versailles, 20 janvier 2022) et les productions, M. [M] et quatre autres salariés protégés ont été engagés par la société Aptalis Pharma (la société), exerçant une activité de commercialisation de produits pharmaceutiques, devenue la société TA, aux droits de laquelle vient la société TW.

3. La société, alors filiale du groupe Allergan et dont l'associé unique était la société Axcan Invest, a été rachetée par le groupe Teva, le 2 août 2016, avec cession d'une partie majoritaire de ses produits à celui-ci et rétrocession préalable de produits au groupe Allergan, dans le cadre d'un contrat de distribution transitoire prévoyant la poursuite par la société de ses activités sur les produits exclus du périmètre de l'acquisition jusqu'au 31 décembre 2016. Ce projet de cession entraînant un déséquilibre immédiat de fonctionnement de la société, la cessation d'activité avec transfert au groupe Teva des cinq produits génériques demeurant dans son portefeuille était prévue au cours du premier trimestre 2017.

4. Un accord collectif majoritaire portant sur le projet de licenciement collectif incluant un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) a été signé, le 14 novembre 2016, entre la société et les organisations syndicales représentatives. Cet accord prévoyait le licenciement résultant de la suppression des cinquante-et-un postes existants.

5. Cet accord a été validé, le 30 novembre 2016, par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE).

6. Les salariés ont été licenciés pour motif économique en raison de la cessation complète et définitive de l'activité de la société par lettres notifiées les 6, 10, 11 et 13 avril 2017, après autorisation de l'inspection du travail par décisions des 30 mars, 6 et 11 avril 2017. Ces autorisations ont été contestées devant un tribunal administratif, lequel a rejeté les recours par jugements définitifs du 14 janvier 2020.

7. Contestant leur licenciement, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale.

Sur le moyen relevé d'office

8. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu le principe de séparation des pouvoirs, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :

9. Le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de licenciement devenue définitive, apprécier le caractère réel et sérieux du motif de licenciement au regard de la cause économique. Il peut seulement se prononcer, lorsqu'il en est saisi, sur la responsabilité de l'employeur et la demande du salarié en réparation des préjudices que lui aurait causés une faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité, y compris le préjudice résultant de la perte de son emploi.

10. Les arrêts, après avoir retenu que la cessation d'activité de la société Aptalis Pharma n'était pas effective et définitive lors des licenciements et que celle-ci, notamment par le biais de son associé unique, avait participé à la stratégie du groupe visant son démantèlement au détriment de ses intérêts ce qui traduisait une légèreté blâmable, en déduisent que les licenciements ne sont pas fondés et allouent à chacun des salariés une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que par décisions des 30 mars, 6 et 11 avril 2017, l'inspection du travail avait autorisé les licenciements pour motif économique des salariés, la cour d'appel a violé le principe et les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'ils mettent hors de cause la société Téva santé, les arrêts rendus le 20 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Prieur - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie ; SARL Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III.

Rapprochement(s) :

Sur le principe selon lequel, en cas d'autorisation administrative de licenciement le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, apprécier le caractère réel et sérieux du motif de licenciement au regard de la cause économique du licenciement, à rapprocher : Soc., 22 janvier 2014, pourvoi n° 12-22.546, Bull. 2014, V, n° 32 (cassation).

Soc., 20 septembre 2023, n° 22-13.485, n° 22-13.486, n° 22-13.487, n° 22-13.488, n° 22-13.489, n° 22-13.490, n° 22-13.491, n° 22-13.492, n° 22-13.493, n° 22-13.497 et suivants, (B), FS

Cassation partielle

Licenciement économique – Définition – Suppression d'emploi – Domaine d'application – Cessation d'activité de l'entreprise – Cessation d'activité totale et définitive – Modalités – Détermination

Il résulte de l'article L. 1233-3, 4°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, que la cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise constitue en soi un motif économique de licenciement.

Doit en conséquence être censuré l'arrêt qui, pour dire les licenciements dépourvus de motif économique, retient que la cessation d'activité n'était pas effective au moment du licenciement et qu'elle n'était pas complète au sein du groupe, alors, d'une part, que la seule circonstance qu'une autre entreprise du groupe ait poursuivi une activité de même nature ne faisait pas par elle-même obstacle à ce que la cessation d'activité de la société soit regardée comme totale et définitive et, d'autre part, qu'il résultait de ses constatations que la cessation d'activité de l'entreprise était irrémédiablement engagée lors du licenciement, le maintien d'une activité résiduelle jusqu'au 31 mars 2017, nécessaire à l'achèvement de l'exploitation de certains produits avant leur cession à cette autre entreprise du groupe, ne caractérisant pas une poursuite d'activité.

Licenciement économique – Cause – Cause réelle et sérieuse – Motif économique – Appréciation – Cessation d'activité de l'entreprise – Cessation irrémédiablement engagée – Caractérisation – Maintien d'une activité résiduelle – Possibilité – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-13.485 à 22-13.493, 22-13.497 à 22-13.499 et 22-13.502 à 22-13.512 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Versailles, 20 janvier 2022), Mme [ZT] et vingt-deux autres salariés ont été engagés par la société Aptalis Pharma (la société), exerçant une activité de commercialisation de produits pharmaceutiques, devenue la société TA, aux droits de laquelle vient la société TW.

3. La société, alors filiale du groupe Allergan et dont l'associé unique était la société Axcan Invest, a été rachetée par le groupe Teva, le 2 août 2016, avec cession d'une partie majoritaire de ses produits à celui-ci et rétrocession préalable de produits au groupe Allergan, dans le cadre d'un contrat de distribution transitoire prévoyant la poursuite par la société de ses activités sur les produits exclus du périmètre de l'acquisition jusqu'au 31 décembre 2016. Ce projet de cession entraînant un déséquilibre immédiat de fonctionnement de la société, la cessation d'activité avec transfert au groupe Teva des cinq produits génériques demeurant dans son portefeuille était prévue au cours du premier trimestre 2017.

4. Un accord collectif majoritaire portant sur le projet de licenciement collectif incluant un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) a été signé, le 14 novembre 2016, entre la société et les organisations syndicales représentatives. Cet accord prévoyait le licenciement résultant de la suppression des cinquante-et-un postes existants.

5. Cet accord a été validé, le 30 novembre 2016, par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE).

6. Les salariés ont été licenciés pour motif économique, par lettres notifiées du 16 janvier 2017 au 12 mai 2017, en raison de la cessation complète et définitive de l'activité de la société.

7. Contestant leur licenciement, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

8. La société fait grief aux arrêts de dire les licenciements sans cause réelle et sérieuse et de la condamner à payer à chaque salarié une certaine somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'ordonner le remboursement par la société à Pôle emploi des indemnités de chômage versées dans la limite de trois mois et de la condamner à leur payer une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 1°/ que la cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise constitue en soi un motif économique de licenciement, qu'elle soit déjà effective au moment du licenciement ou qu'elle soit irrémédiablement engagée et intervienne dans un délai proche du licenciement ; qu'en l'espèce, l'arrêt constate que la cession d'une partie du portefeuille de produits de la société Aptalis Pharma au groupe Allergan a été opérée en juin 2016 et qu'un contrat de distribution transitoire le 2 août 2016 a organisé les modalités d'exploitation des produits ayant vocation à rejoindre le groupe Allergan pour une période du 2 août au 31 décembre 2016 ; que le « projet de cessation des activités de la société Aptalis Pharma remis aux membres du comité d'entreprise le 1er septembre 2016 » indique que « pendant toute la durée du contrat, les salariés de la société Aptalis Pharma poursuivent leurs activités opérationnelles, les équipes commerciales continuant à promouvoir/commercialiser l'ensemble du portefeuille de produits et les équipes support continuant à fournir des services habituels au soutien de ses activités » ; que s'agissant des activités de la société Aptalis Pharma portant sur les produits non cédés, selon document d'information remis au comité d'entreprise le 1er septembre 2016, « la cessation de facto des activités de la société liées aux produits transférés au groupe Allergan entraîne un certain nombre de conséquences opérationnelles et organisationnelles qui aboutissent à la nécessité pour la société Aptalis Pharma de cesser l'exploitation des produits (non cédés) au cours du premier trimestre 2017 » ; que les activités de la société Aptalis Pharma portant sur les produits non cédés « n'ont vu cesser leur exploitation au sein de cette société que dans le courant du premier trimestre 2017, l'activité pharmaceutique de la société cessant le 31 mars 2017 » ; qu'en décidant que le licenciement du 16 janvier 2017 était sans cause réelle et sérieuse, sans tirer les conséquences légales de ses propres constatations dont il ressortait que si la cessation complète et définitive d'activité de la société Aptalis Pharma n'était pas encore effective au moment du licenciement, le processus devant conduire à cette cessation d'activité était toutefois irrémédiablement engagé avant celui-ci et que la cessation complète et définitive d'activité était intervenue moins de trois mois plus tard, de sorte que le licenciement reposait bien sur cette cessation d'activité complète et définitive, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail ;

2°/ que la cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise constituant en soi un motif économique de licenciement, la seule circonstance que d'autres entreprises du groupe aient poursuivi une activité de même nature ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que la cessation d'activité de l'employeur soit regardée comme totale et définitive, la cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise s'appréciant au seul niveau de l'entreprise et non au sein du groupe auquel elle appartient ; qu'en retenant que la société Aptalis Pharma avait cédé deux produits à la société Teva Santé, filiale du groupe Teva qui devait en poursuivre une exploitation dépassant la simple gestion d'une fin de cycle de vie pour au moins deux d'entre eux (Colobreathe et Flutter) et que la cession au sein du groupe de ses produits Delursam, Transulose, Transitol, Colobreathe et Flutter s'était accompagnée d'une « continuation active de leur exploitation » pour au moins deux d'entre eux avec transfert de plusieurs salariés, pour en déduire l'existence d'un « maintien pour le moins partiel de son activité au sein du groupe en contravention avec les termes de l'article L. 1233-3 du code du travail », cependant que la société Aptalis Pharma ayant cessé toute activité en mars 2017, il importait peu que certains de ses produits aient continué à être exploités par une autre société du groupe auquel elle appartenait, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1233-3, 4°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

9. Il résulte de ce texte que la cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise constitue en soi un motif économique de licenciement.

10. Pour juger les licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse, les arrêts relèvent, d'abord, que la cession de 100 % des titres de la société Axcan Invest au profit du groupe Teva a été opérée le 2 août 2016 pour 56,8 millions d'euros et que la cession d'une partie du portefeuille de produits de la société Aptalis Pharma au groupe Allergan (produits princeps) a été opérée en juin 2016 tandis que le contrat de distribution transitoire conclu entre la société Aptalis Pharma et la société APIL (Allergan Pharmaceuticals Ireland Limited) le 2 août 2016 a organisé les modalités d'exploitation des produits ayant vocation à rejoindre le groupe Allergan durant une période s'étendant entre le 2 août 2016 et le 31 décembre 2016. Ils ajoutent que, s'agissant des activités de la société Aptalis Pharma portant sur les produits non cédés, soit les produits Delursam, Transulose, Transitol, Colobreathe et Flutter, il ressort du document d'information remis aux membres du comité d'entreprise le 1er septembre 2016 que « la cessation de facto des activités de la société liées aux produits transférés au groupe Allergan entraîne un certain nombre de conséquences opérationnelles et organisationnelles qui aboutissent à la nécessité pour la société Aptalis Pharma de cesser l'exploitation des produits Delursam, Transulose, Transitol, Colobreathe et Flutter au cours du premier trimestre 2017. »

11. Ils retiennent, ensuite, qu'il découle de ces éléments que les activités de la société Aptalis Pharma portant sur les produits demeurés non cédés n'ont vu cesser leur exploitation au sein de cette société que dans le courant du premier trimestre 2017, l'activité pharmaceutique de la société cessant le 31 mars 2017 dans les termes du procès verbal des décisions de l'associé unique du 17 mai 2017 ce, alors même que le licenciement des salariés a été notifié le 16 janvier 2017.

12. Ils ajoutent, encore, que ces produits ont été cédés à la société Teva santé, société filiale du groupe Teva laquelle devait, dans les termes susvisés, en poursuivre une exploitation dépassant la simple gestion d'une fin de cycle de vie pour au moins deux d'entre eux (Colobreathe et Flutter).

13. Ils concluent, enfin, que sachant que la société Aptalis Pharma faisait partie intégrante du groupe Teva depuis le 2 août 2016 et que la cession au sein du groupe de ses produits Delursam, Transulose, Transitol, Colobreathe et Flutter s'est accompagnée d'une continuation active de leur exploitation pour au moins deux d'entre eux avec un transfert de plusieurs salariés, il doit être retenu le maintien pour le moins partiel de son activité au sein du groupe en contravention avec les termes de l'article L. 1233-3 du code du travail.

14. En statuant ainsi, alors, d'une part, que la seule circonstance qu'une autre entreprise du groupe ait poursuivi une activité de même nature ne faisait pas par elle-même obstacle à ce que la cessation d'activité de la société soit regardée comme totale et définitive et, d'autre part, qu'il résultait de ses constatations que la cessation d'activité de l'entreprise était irrémédiablement engagée lors du licenciement, le maintien d'une activité résiduelle jusqu'au 31 mars 2017, nécessaire à l'achèvement de l'exploitation de certains produits avant leur cession à la société Teva santé, ne caractérisant pas une poursuite d'activité, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen, pris en ses troisième à cinquième branches

Enoncé du moyen

15. La société fait le même grief aux arrêts, alors :

« 3°/ que la cessation totale et définitive d'activité constituant un motif économique autonome de licenciement, il n'est pas nécessaire de rechercher la cause de cette cessation d'activité ni de la justifier par l'existence de mutations technologiques, de difficultés économiques ou de menaces pesant sur la compétitivité de l'entreprise ; que la légèreté blâmable à l'origine de la cessation d'activité de la société ne saurait donc être déduite de l'absence de difficultés économiques ou menaces pesant sur sa compétitivité ; qu'en l'espèce, en retenant que l'acquisition de la société, la rétrocession de différents actifs au groupe Allergan, le transfert partiel de ses activités au profit d'une filiale « puis sa fermeture », visaient à améliorer la rentabilité du groupe Teva au détriment de la situation économique et de la stabilité de l'emploi de l'entreprise « sans justification de difficultés économiques de cette dernière ni d'une menace sur sa compétitivité au sein du groupe », cependant que la cessation d'activité complète et définitive et la fermeture de la société Aptalis Pharma constituaient une cause autonome de licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail ;

4°/ que la cessation complète de l'activité de l'employeur constitue une cause de licenciement, quand elle n'est pas due à une faute ou à une légèreté blâmable de ce dernier ; que ne commet aucune faute ou légèreté blâmable la société contrainte économiquement de cesser ses activités ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations, selon lesquelles les cessions d'activités en 2015 et 2016 devaient conduire à « une baisse du chiffre d'affaires de 66 % en 2017 par rapport à 2015 et logiquement à une structure de coûts déséquilibrés impliquant des pertes d'exploitation évaluées à 2 M euros en 2017 pour un chiffre d'affaires de 16,1 M euros ce qui ne permet[tait] pas de pérenniser son organisation sous sa forme actuelle » et que le démantèlement du portefeuille de produits de la société Aptalis Pharma créait un déséquilibre immédiat de fonctionnement de celle-ci, qui « n'est plus en mesure de s'appuyer sur un portefeuille de produits interdépendants permettant des interactions et des synergies et par conséquent, l'emploi d'un personnel mixte et multi produits », ce dont il résultait que la société Aptalis Pharma n'avait d'autre choix que de cesser son activité et qu'aucune faute ou légèreté blâmable de l'employeur n'était à l'origine de cette cessation, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail ;

5°/ que la faute ou légèreté blâmable de l'employeur doit résulter d'un comportement qui lui soit personnellement imputable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'acquisition de la société Aptalis Pharma, la rétrocession de ses actifs au groupe Allergan, le transfert partiel de ses activités dans une filiale puis sa fermeture visaient à améliorer la rentabilité du groupe Teva au détriment de la situation économique et de la stabilité de l'emploi de l'entreprise sans justifier de difficultés économiques de cette dernière ou d'une menace sur sa compétitivité au sein du groupe ; qu'il ressort des procès-verbaux des réunions de la délégation unique du personnel et de la direction d'Aptalis Pharma que ses dirigeants se sont limités, le 13 octobre 2016, à observer que la cessation de l'activité ne relevait pas de leur choix sans répondre aux arguments du comité visant que la société a signé les contrats de cession de ses produits et de son usine, le procès-verbal des décisions du président du 24 juin 2016 permettant de relever que la société Axcan France, associée unique de la société Aptalis Pharma, a bénéficié du produit de la cession de la vente des médicaments au groupe Allergan (soit 41,4 M euros) au détriment de l'entreprise ; que la société Aptalis Pharma, notamment par le biais de son associé unique, a participé à la stratégie du groupe visant son démantèlement au détriment de ses intérêts ; qu'en statuant par des motifs impropres à caractériser une faute imputable personnellement à la société Aptalis Pharma, qui n'était responsable ni des décisions de son associé ni des choix stratégiques arrêtés au niveau du groupe mondial auquel elle appartenait, sur lesquels elle n'avait aucune prise, la faute de la société Aptalis Pharma étant d'autant plus exclue qu'elle s'était attachée à obtenir du nouvel actionnaire, le groupe Teva, les conditions d'un PSE amélioré et particulièrement avantageux pour ses salariés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1233-3, 4°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

16. La cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise constitue en soi un motif économique de licenciement, sans qu'il soit nécessaire de rechercher la cause de cette cessation d'activité quand elle n'est pas due à une faute de l'employeur.

17. Pour juger les licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse, les arrêts relèvent également, d'une part, que la société Aptalis Pharma présente depuis 2015 des résultats fortement bénéficiaires et une marge opérationnelle de 3,8 M euros sur les huit premiers mois de l'année 2016 et, d'autre part, que le démantèlement du portefeuille de ses produits crée un déséquilibre immédiat de fonctionnement puisqu'elle n'est plus en mesure de s'appuyer sur un portefeuille de produits interdépendants permettant des intéractions et des synergies et, par conséquent, l'emploi d'un personnel mixte et multi-produits.

18. Ils constatent ensuite que l'acquisition de la société Aptalis Pharma apportera 6 Mds d'euros de ventes supplémentaires à la société Teva et une hausse mécanique de 30 % de son chiffre d'affaires entre 2015 et 2017, sa marge opérationnelle devant bondir de près de 50 % pour atteindre 9 Mds de dollars en 2018.

19. Ils retiennent que par l'acquisition de la société, la rétrocession de différents de ses actifs au groupe Allergan, le transfert partiel de ses activités au profit d'une de ses filiales puis sa fermeture, il a été uniquement recherché à améliorer la propre rentabilité du groupe Teva au détriment de la situation économique et de la stabilité de l'emploi de l'entreprise sans justification ni de difficultés économiques de cette dernière ni d'une menace sur sa compétitivité au sein du groupe.

20. Ils ajoutent qu'il ressort des procès-verbaux des réunions entre les membres de la délégation unique du personnel et la direction de la société Aptalis Pharma, que les dirigeants de cette dernière se sont limités, le 13 octobre 2016, à observer que la cessation de l'activité ne relevait pas de leur choix sans répondre aux arguments du comité visant que la société a néanmoins signé les contrats de cession de ses produits et de son usine, le procès-verbal des décisions du président en date du 24 juin 2016 permettant aussi de relever que la société Axcan France, associée unique de la société Aptalis Pharma, a été rendue en outre bénéficiaire du produit de la cession de la vente des médicaments au groupe Allergan (soit 41,4 M euros) au détriment même de l'entreprise.

21. Ils en déduisent que la société Aptalis Pharma, notamment par le biais de son associé unique, a participé à la stratégie du groupe visant son démantèlement au détriment de ses intérêts, ce qui traduit une légèreté blâmable et conduit également à retenir le défaut de cause réelle et sérieuse de la rupture.

22. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une faute de la société à l'origine de la cessation d'activité, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'ils mettent hors de cause la société Téva santé, les arrêts rendus le 20 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Prieur - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie ; SARL Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 1233-3, 4°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la cessation complète d'activité de l'employeur comme motif de licenciement économique, à rapprocher : Soc., 23 mars 2017, pourvoi n° 15-21.183, Bull. 2017, V, n° 56 (rejet), et les arrêts cités.

Soc., 6 septembre 2023, n° 22-11.661, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Licenciement – Formalités légales – Entretien préalable – Convocation – Délai séparant la convocation de l'entretien – Délai de cinq jours – Computation – Modalités – Détermination

Selon l'article L.1232-2 du code du travail, l'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou de la remise en main propre de la lettre de convocation.

Doit en conséquence être censuré l'arrêt qui condamne l'employeur au paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts pour procédure irrégulière aux motifs que la lettre recommandée de convocation à l'entretien préalable avait été retirée par la salariée moins de cinq jours ouvrables avant l'entretien, alors que le délai avait commencé à courir le jour suivant la présentation de la lettre recommandée au domicile de la salariée absente, ce dont il résultait qu'à la date de l'entretien préalable, elle avait bénéficié d'un délai de cinq jours ouvrables.

Licenciement – Formalités légales – Entretien préalable – Convocation – Délai séparant la convocation de l'entretien – Délai de cinq jours – Point de départ – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 9 décembre 2021), Mme [P] a été engagée en qualité d'employée de réserve par la société Mango France, le 12 juillet 2012.

2. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 janvier 2018, présentée en vain à son domicile le 12 janvier 2018 et qu'elle a finalement réceptionnée le 22 janvier 2018, elle a été convoquée à un entretien préalable qui s'est tenu le 24 janvier 2018.

3. Licenciée pour cause réelle et sérieuse le 15 février 2018, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, alors « que le délai de cinq jours ouvrables qui doit séparer la convocation du salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement et cet entretien court à compter de la date de première présentation de la lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) convoquant le salarié à l'entretien ; qu'en l'espèce, pour juger que la procédure de licenciement était irrégulière et inclure la réparation du préjudice né de l'irrégularité de la procédure dans l'indemnité allouée en vertu de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, la cour d'appel a retenu que « l'entretien préalable à un licenciement ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation en application de l'article L. 1232-2 du code du travail, qu'« au cas d'espèce, le courrier LRAR adressé par l'employeur le 10 janvier 2018 de convocation de Mme [P] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 24 janvier 2018 a été retiré le 22 janvier 2018 » et que « le délai de cinq jours ouvrables n'a, dès lors, pas été respecté » ; qu'en statuant ainsi quand le délai de cinq jours ouvrables avait commencé à courir à la date de la première présentation de la lettre de convocation, le 12 janvier 2019, soit neuf jours ouvrables avant la date de l'entretien préalable prévu le 24 janvier 2018, la cour d'appel a violé l'article L.1232-2 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1232-2 du code du travail :

6. Selon ce texte, l'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou de la remise en main propre de la lettre de convocation.

7. Pour condamner l'employeur à payer à la salariée des dommages-intérêts pour licenciement nul prenant en compte une indemnité au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement suivie, l'arrêt retient que la lettre recommandée avec accusé de réception adressée par l'employeur le 10 janvier 2018 de convocation de la salariée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 24 janvier 2018 a été retirée le 22 janvier 2018 et que le délai de cinq jours ouvrables n'a dès lors pas été respecté.

8. En statuant ainsi, alors que le délai de cinq jours avait commencé à courir le 13 janvier 2018, le jour suivant la présentation de la lettre recommandée, en sorte qu'à la date de l'entretien fixé au 24 janvier suivant, la salariée avait bénéficié d'un délai de cinq jours ouvrables pleins, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

9. Après avis donné aux parties tel que suggéré par la salariée, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond, par retranchement de la somme allouée de 37 100 euros au titre de l'évaluation globale du préjudice résultant de la nullité du licenciement de l'indemnité pour irrégularité de procédure de licenciement correspondant à un mois de salaire que la cour d'appel a fixé au montant non contesté de 2 098,77 euros.

11. Il convient en conséquence de condamner l'employeur à payer à la salariée la somme de 35 001, 23 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Mango France à payer à Mme [P] la somme de 37 100 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, l'arrêt rendu le 9 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne la société Mango France à payer à Mme [P] la somme de 35 001,23 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Douxami - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 1232-2 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur les modalités de computation du délai de 5 jours ouvrables entre l'entretien préalable au licenciement et la convocation, à rapprocher : Soc., 9 juin 1999, pourvoi n° 97-41.349, Bull. 1999, V, n° 273 (cassation).

Soc., 13 septembre 2023, n° 22-10.529, n° 22-11.106, (B) (R), FP

Cassation partielle

Licenciement – Nullité – Effets – Réintégration – Réparation du préjudice subi au cours de la période d'éviction – Etendue – Droit à congés payés – Nouvel emploi pendant la période d'éviction – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-10.529 et 22-11.106 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 26 novembre 2021), Mme [G] a collaboré au sein de l'Institut des métiers du notariat d'[Localité 3] devenu l'Institut national des formations notariales (l'Institut).

3. La relation contractuelle a été rompue par lettre du 20 juin 2018.

4. S'estimant liée avec l'Institut par un contrat de travail, l'intéressée a saisi, le 28 septembre 2018, la juridiction prud'homale de diverses demandes à caractère salarial et indemnitaire.

Examen des moyens

Sur les trois moyens du pourvoi n° 22-10.529 et les quatrième à huitième moyens du pourvoi n° 22-11.106

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les cinquième à huitième moyens du pourvoi n° 22-11.106, qui sont irrecevables, et sur les trois moyens du pourvoi n° 22-10.529 et le quatrième moyen du pourvoi n° 22-11.106 qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi n° 22-11.106

Enoncé du moyen

6. La salariée fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation de l'employeur au titre des congés payés pour les périodes 2015-2016 et 2016-2017, alors « que le congé annuel prévu à l'article L. 3141-3 du code du travail ouvre droit à une indemnité égale au dixième de la rémunération brute totale perçue par le salarié au cours de la période de référence et, pour la détermination de la rémunération brute totale, il est tenu compte de l'indemnité de congé de l'année précédente ; que les corrections des copies d'examen, des mémoires et des rapports de stage des étudiants de la licence professionnelle et leur soutenance constituent des tâches occasionnelles nécessitant, pour l'enseignant désigné, un travail effectif accompli sur un temps de travail supplémentaire qui a pour contrepartie un salaire brut supplémentaire, mentionnée dans les bulletins de salaire des mois concernés, en sus du salaire brut de base auquel il s'additionne pour le calcul du salaire brut mensuel ; qu'en retenant que les corrections de copies et « soutenances LP » ne devaient pas être intégrées dans le calcul de l'indemnité de congés payés, cependant que ces tâches occasionnelles rétribuaient un travail effectif accompli sur un temps de travail supplémentaire justifiant qu'elles soient intégrées dans le calcul de l'indemnité de congés payés, la cour d'appel a violé l'article L. 3141-24 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3141-22 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 et L. 3141-24 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

7. Selon ces textes, la rémunération à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de congé payé est la rémunération totale du salarié, incluant les primes et indemnités versées en complément du salaire si elles sont versées en contrepartie ou à l'occasion du travail.

8. Pour limiter à certaines sommes la condamnation de l'employeur au paiement de rappels d'indemnité de congé payé, l'arrêt retient que la correction de copies et « soutenances LP » ne doivent pas être intégrées dans le calcul de l'indemnité de congé payé.

9. En statuant ainsi, alors que la rémunération de la correction des copies et des « soutenances LP » est versée en contrepartie ou à l'occasion du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° 22-11.106

Enoncé du moyen

10. La salariée fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation de l'employeur au titre des congés payés pour les périodes 2015-2016 et 2016-2017 et de la débouter de ses demandes en paiement des indemnités de congés payés pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015, alors « que le salarié tire son droit aux congés payés directement de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne et de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et que la CJUE a dit pour droit que ces dispositions s'opposent à ce que puisse être opposé au salarié l'extinction de son droit aux congés payés dès lors que l'employeur n'établit pas avoir tout mis en oeuvre pour mettre le salarié en mesure d'exercer ses droits aux congés payés, que dans le cas où la relation de travail a pris fin, le droit aux congés payés acquis par le salarié mais non pris du fait de l'employeur prend la forme d'une indemnité financière de congés payés ; que la cour d'appel s'est bornée à énoncer, pour débouter Mme [G] de sa demande en paiement de l'indemnité financière correspondant aux congés payés pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015 inclus, introduite après que l'employeur ait mis fin à leur relation, que l'action en paiement de l'indemnité de congés payés était soumise à la prescription triennale, applicable aux salaires ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si l'employeur avait démontré avoir accompli toutes diligences pour mettre la salariée en mesure d'exercer son droit aux congés payés et l'avoir informée des droits s'y rapportant, bien qu'elle ait constaté que, conformément aux textes supranationaux et nationaux, Mme [G], en sa qualité de salariée en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, avait un droit au repos et au paiement d'une indemnité dont elle n'avait pas bénéficié, a privé sa décision de base légale au regard du principe de primauté et d'effectivité du droit de l'Union Européenne, de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 tels qu'interprétés par la CJUE concernant les congés payés, l'article 55 de la Constitution qui pose le principe de la supériorité du traité sur la loi, et de l'article L. 3141-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 143-14, devenu L. 3245-1, du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, 21-V de cette même loi, L. 223-11, devenu L. 3141-22, du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 et L. 3141-24 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

11. Selon le premier de ces textes, l'action en paiement du salaire se prescrivait par cinq ans conformément à l'article 2277 du code civil.

12. Selon le deuxième, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrivait par cinq ans conformément à l'article 2244 du code civil.

13. Aux termes du troisième, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

14. Selon le quatrième, les dispositions de l'article L. 3245-1 du code du travail s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq ans.

15. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation le point de départ du délai de prescription de l'indemnité de congé payé, qui est de nature salariale, doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris (Soc., 14 novembre 2013, n° 12-17.409, Bull. 2013, V, n° 271).

16. Toutefois, le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union (CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C-570/16, point 80).

17. La Cour de justice de l'Union européenne juge que la perte du droit au congé annuel payé à la fin d'une période de référence ou d'une période de report ne peut intervenir qu'à la condition que le travailleur concerné ait effectivement eu la possibilité d'exercer ce droit en temps utile. Elle ajoute qu'il ne saurait être admis, sous prétexte de garantir la sécurité juridique, que l'employeur puisse invoquer sa propre défaillance, à savoir avoir omis de mettre le travailleur en mesure d'exercer effectivement son droit au congé annuel payé, pour en tirer bénéfice dans le cadre du recours de ce travailleur au titre de ce même droit, en excipant de la prescription de ce dernier (CJUE, arrêt du 22 septembre 2022, LB, C-120/21, points 45 et 48).

18. Dès lors, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, et l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur au titre d'une période de référence est prescrit à l'issue d'un délai de trois ans qui commence à courir à la fin de l'année au cours de laquelle ce droit est né, lorsque l'employeur n'a pas effectivement mis le travailleur en mesure d'exercer ce droit (même arrêt).

19. Par ailleurs, la Cour de cassation juge qu'il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombaient légalement (Soc., 13 juin 2012, pourvoi n° 11-10.929, Bull. V, n° 187 ; Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-18.898, Bull. V, n° 159).

20. Il y a donc lieu de juger désormais que, lorsque l'employeur oppose la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le point de départ du délai de prescription de l'indemnité de congés payés doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l'employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé.

21. Pour rejeter la demande en paiement d'indemnité de congé payé pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015, l'arrêt retient que l'action en paiement de l'indemnité de congé payé est soumise à la prescription triennale, applicable aux salaires et que, dès lors, la demande en paiement de la salariée n'est recevable que pour partie.

22. En statuant ainsi, sans constater que l'employeur justifiait avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d'assurer à la salariée la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen du pourvoi n° 22-11.106

Enoncé du moyen

23. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en paiement d'une indemnité de congé payé pour les périodes de référence courant du 1er juin 2018 à la date de sa réintégration effective, alors « que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail ; qu'en retenant, pour rejeter la demande en paiement des indemnités pour la période de référence courant du 1er juin 2018 à la date de sa réintégration effective, que l'indemnité d'éviction ayant la nature d'une réparation et non d'une remise en état, la période d'éviction n'ouvrait pas droit à congés payés, la cour d'appel a violé les articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1152-1, L. 1152-2, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, et L. 1152-3 du code du travail :

24. Aux termes du premier de ces textes, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

25. Aux termes du deuxième de ces textes, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir de tels agissements ou les avoir relatés.

26. Aux termes du dernier, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

27. Le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail, sauf lorsqu'il a occupé un autre emploi durant cette période.

28. Pour débouter la salariée de sa demande en paiement d'indemnité de congé payé pour les périodes de référence courant du 1er juin 2018 à la date de sa réintégration effective, l'arrêt, après avoir jugé que le licenciement était nul en application de l'article L. 1152-3 du code du travail, retient que l'indemnité d'éviction ayant la nature d'une réparation et non d'une remise en état, la période d'éviction n'ouvre pas droit à congé payé.

29. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

30. La cassation des chefs de dispositif relatifs aux demandes en paiement de rappels d'indemnité de congé payé n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'Institut national des formations notariales aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° 22-10.529 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite à 6 042,77 euros bruts, 7 088 euros bruts et 6 939,50 euros bruts la condamnation de l'Institut national des formations notariales au paiement de rappels d'indemnité de congé payé pour les années 2015/2016 à 2016/2018 et rejette les autres demandes au titre des indemnités de congé payé, l'arrêt rendu le 26 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : Mme Berriat (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Articles L. 223-11, devenu L. 3141-22, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, et L. 3141-24, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail ; article L. 143-14, devenu L. 3245-1, dans ses rédactions issues de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, des lois n° 2008-561 du 17 juin 2008 et n° 2013-504 du 14 juin 2013, du code du travail ; articles L. 1152-3, L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination des primes et indemnités entrant dans l'assiette de calcul de l'indemnité de congés payés, à rapprocher : Soc., 7 septembre 2017, pourvoi n° 16-16.643, Bull. 2017, V, n° 126 (2) (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Soc., 3 juillet 2019, pourvoi n° 18-16.351, Bull., (cassation partielle). Sur la détermination du point de départ du délai de prescription d'une demande en paiement d'une indemnité de congés payés, évolution par rapport à : Soc., 14 novembre 2013, pourvoi n° 12-17.409, Bull. 2013, V, n° 271 (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Sur l'obligation de l'employeur d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, à rapprocher : Soc., 23 octobre 2013, pourvoi n° 11-16.032, Bull. 2013, V, n° 247 (2) (cassation partielle) ; Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-18.898, Bull. 2017, V, n° 159 (rejet), et l'arrêt cité ; Sur l'obligation de l'employeur d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, cf. : CJUE, arrêt du 22 septembre 2022, LB, C-120/21, points 45 et 48. Sur l'ouverture du droit à congés payés durant la période d'éviction précédant la réintégration du salarié dont le licenciement est nul, à rapprocher : Soc., 21 septembre 2022, pourvoi n° 21-13.552, Bull., (cassation partielle), et les arrêts cités ; Soc., 1er mars 2023, pourvoi n° 21-16.008, Bull., (cassation), et l'arrêt cité.

Soc., 27 septembre 2023, n° 21-25.973, (B), FS

Cassation

Résiliation judiciaire – Action intentée par le salarié – Manquements reprochés à l'employeur – Appréciation – Griefs invoqués – Ancienneté – Absence d'influence – Portée

L'action en résiliation judiciaire du contrat de travail peut être introduite tant que ce contrat n'a pas été rompu, quelle que soit la date des faits invoqués au soutien de la demande.

Résiliation judiciaire – Action intentée par le salarié – Fondement – Griefs invoqués – Date des faits – Prescription – Absence d'opposabilité – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 avril 2021), Mme [E] a été engagée en qualité de conseiller clientèle le 20 août 1990 par la société Le Crédit lyonnais.

2. A compter du 23 juin 2000, le contrat de travail de la salariée a été suspendu.

Le 2 février 2009, la salariée a été placée en invalidité deuxième catégorie, puis en invalidité première catégorie à compter du 1er mai 2011, mais par jugement du 5 janvier 2012, le tribunal du contentieux de l'incapacité a reconnu son incapacité à exercer une profession et son classement en invalidité deuxième catégorie rétroactivement à compter du 1er mai 2011.

3. Le 26 mars 2015, la salariée a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme étant prescrite la demande en résiliation judiciaire du contrat de travail conclu entre les parties et de la débouter de l'intégralité de ses demandes, alors « que l'action en résiliation judiciaire du contrat de travail peut être introduite pendant toute la durée d'exécution du contrat de travail, quelle que soit la date des faits invoqués à l'appui de la demande ; qu'aussi, en déclarant irrecevable l'action introduite par l'exposante le 26 mars 2015 au prétexte que le point de départ de l'action en résiliation judiciaire du contrat de travail fondée sur l'absence d'organisation, par son employeur, d'une visite de reprise devant le médecin du travail après avoir été informé de son classement en invalidité de deuxième catégorie était constitué par le courrier adressé à la salarié le 23 février 2009 par lequel l'employeur indiquait avoir connaissance de son classement en invalidité, quand le contrat de travail de l'exposante n'ayant jamais été rompu l'action en résiliation judiciaire du contrat pouvait être introduite, peu important la date des faits invoqués à l'appui de la demande, la cour d'appel a violé l'article L. 1231-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1231-1 du code du travail :

5. Selon ce texte, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou d'un commun accord.

6. Le salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison des manquements de son employeur à ses obligations, suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

7. La Cour de cassation juge que, saisi d'une telle demande, le juge doit examiner l'ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté (Soc., 30 juin 2021, pourvoi n° 19-18.533, Bull.).

8. Il en résulte que l'action en résiliation judiciaire du contrat de travail peut être introduite tant que ce contrat n'a pas été rompu, quelle que soit la date des faits invoqués au soutien de la demande.

9. Pour déclarer irrecevable comme étant prescrite l'action en résiliation judiciaire du contrat de travail formée par la salariée, l'arrêt retient que l'employeur est tenu d'organiser la visite de reprise devant le médecin du travail dès lors que le salarié l'informe de son classement en invalidité de deuxième catégorie, sans manifester l'intention de ne pas reprendre le travail. Il ajoute qu'il résulte du courrier adressé à la salariée le 23 février 2009 que l'employeur avait connaissance du classement en invalidité de deuxième catégorie, de sorte qu'à compter de cette date il était tenu à l'obligation d'organiser la visite de reprise, qui constitue le point de départ du délai de prescription. Il en déduit que, par application des dispositions transitoires de la loi du 14 juin 2013, la durée totale de la prescription ne peut pas excéder le délai de cinq années en vigueur au moment du point de départ du délai, de sorte que le délai a effectivement expiré le 23 février 2014 et que la prescription était acquise lors de l'introduction de l'instance le 26 mars 2015.

10. En statuant ainsi, alors qu'elle devait examiner le bien-fondé de la demande de résiliation judiciaire, peu important la date des griefs invoqués au soutien de cette demande, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Salomon - Avocat général : M. Juan - Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier -

Textes visés :

Article L. 1231-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'absence d'effet de l'ancienneté des faits invoqués par le salarié sur le bien-fondé de la demande en résiliation judiciaire du contrat de travail, à rapprocher : Soc., 30 juin 2021, pourvoi n° 19-18.533, Bull., (cassation partielle).

Soc., 27 septembre 2023, n° 21-14.773, (B), FS

Rejet

Retraite – Départ à la retraite – Acte unilatéral du salarié – Manifestation de volonté claire et non équivoque – Cas – Notification à l'entreprise utilisatrice – Date – Départ antérieur au terme du contrat de mission – Détermination – Portée

Le départ à la retraite d'un salarié est un acte unilatéral par lequel celui-ci manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

Il en résulte que, lorsque le salarié notifie à l'entreprise utilisatrice, de façon claire et non équivoque, sa décision de prendre sa retraite avant le terme du contrat de mission, la relation de travail requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée prend fin au jour de la notification du départ volontaire à la retraite du salarié et non à raison d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 22 janvier 2021), M. [X] a été mis à la disposition de la société Ortec industrie, en qualité de nettoyeur industriel - conducteur d'engins, par plusieurs contrats de mission, le terme du dernier contrat étant fixé au 6 mars 2015.

2. Par lettre du 5 mars 2015, le salarié a informé l'entreprise utilisatrice de ce que, admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 23 mars 2015, il « quittait son travail » et retournait dans son pays natal.

3. Le 13 avril 2015, il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en requalification de ses contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée et de demandes relatives à l'exécution et à la rupture de la relation de travail.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que la rupture de la relation contractuelle procède du départ à la retraite et non d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le débouter de ses demandes concernant la rupture du contrat de travail, alors :

« 1°/ qu'à défaut de respecter la procédure de licenciement, la rupture de la relation contractuelle par la survenance du terme du dernier contrat de mission temporaire requalifié en contrat de travail à durée indéterminée, constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que la cour d'appel, qui a elle-même constaté que le terme du dernier contrat de mission était fixé au 6 mars 2015 et que le salarié ne serait admis à faire valoir ses droits à la retraite qu'à compter du 23 mars 2015, ce que l'employeur reconnaissait lui-même, ne pouvait retenir que « la relation de travail, même requalifiée en un contrat de travail à durée indéterminée, a pris fin par le départ à la retraite du salarié et non à raison d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse » quand il ressortait de ses propres constatations que le départ à la retraite du salarié était survenu postérieurement au terme de sa dernière mission qui, en l'absence de lettre de licenciement, constituait un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'en déboutant le salarié de ses demandes de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et de la requalification des contrats de missions temporaires en contrat à durée indéterminée, a violé les articles L. 1232-1, L. 1245-1 et L. 1245-5 du code du travail ;

2°/ que le juge ne peut dénaturer les pièces soumises à son examen ; qu'en l'espèce, pour juger que « la relation de travail, même requalifiée en un contrat de travail à durée indéterminée, a pris fin par le départ à la retraite du salarié et non à raison d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse », la cour d'appel a retenu qu'« aux termes de sa lettre du 5 mars 2015 par laquelle, à la veille du terme du dernier contrat de mission, [le salarié] informait [l'employeur] qu'il prenait sa retraite » en occultant que le salarié y avait précisé : « admis à faire valoir mes droits à la retraite à compter du 23 mars 2015 prochain », soit à une date postérieure au terme, fixé au 6 mars 2015, du dernier contrat de mission temporaire requalifié en contrat à durée indéterminée ; en statuant ainsi, la cour d'appel a dénaturé par omission les termes de la lettre du 5 mars 2015 soumise à son examen, en violation du principe susvisé ;

3°/ le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motif ; qu'en l'espèce, le salarié avait pertinemment fait valoir que, dès le 3 mars 2015, l'employeur lui avait demandé de ne plus venir travailler, ce que ce dernier avait lui-même reconnu, de sorte que la lettre du 5 mars 2015 devait être replacée dans ce contexte d'un contrat à durée déterminée expirant le 6 mars 2015 mais qui avait - de fait - déjà pris fin, ce qui excluait que la lettre du 5 mars, qui précisait que le départ à la retraite s'effectuerait « à compter du 23 mars 2015 prochain » puisse constituer une lettre de rupture à l'initiative du salarié ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte de l'article L. 1237-9 du code du travail que le départ à la retraite du salarié est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

6. Ayant, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, retenu, hors dénaturation, que, par sa lettre du 5 mars 2015, le salarié avait, à la veille du terme du dernier contrat de mission, notifié à l'employeur sa décision de prendre sa retraite et ce, sans jamais imputer son départ à la retraite à un manquement de l'employeur, y compris dans ses dernières écritures, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre à une allégation dépourvue d'offre de preuve, en a exactement déduit que la relation de travail requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée avait pris fin au jour de la notification du départ à la retraite du salarié et non à raison d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Lecaplain-Morel - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SARL Cabinet Munier-Apaire ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 1237-9 du code du travail.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.