Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2023

TRAVAIL REGLEMENTATION, DUREE DU TRAVAIL

Soc., 13 septembre 2023, n° 22-14.043, (B), FP

Cassation sans renvoi

Repos et congés – Congés payés – Droit au congé – Exercice – Prise des congés payés annuels – Moment – Report à l'issue d'un congé parental – Fondement – Portée

Il résulte des articles L. 3141-1 et L. 1225-55 du code du travail, interprétés à la lumière de la directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010 portant application de l'accord-cadre révisé sur le congé parental, que lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l'année de référence en raison de l'exercice de son droit au congé parental, les congés payés acquis à la date du début du congé parental doivent être reportés après la date de reprise du travail.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (conseil de prud'hommes de Chambéry, 8 mars 2022), rendu en dernier ressort, Mme [S] a été engagée, le 6 mars 2017, par la société CGR.

2. Le contrat de travail a été suspendu pour cause de maladie, puis de congé pathologique et prénatal du 1er au 19 août 2018.

La salariée a ensuite pris un congé maternité du 20 août 2018 au 16 février 2019, puis un congé parental d'éducation à compter du 17 février 2019.

3. Le contrat de travail a pris fin le 31 octobre 2020 à la suite d'une rupture conventionnelle.

4. Le 25 mars 2021, la salariée a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La salariée fait grief au jugement de la débouter de sa demande en paiement d'une certaine somme à titre d'indemnité compensatrice de congé payé, alors « que les droits acquis ou en cours d'acquisition par le travailleur à la date du début du congé parental sont maintenus dans leur état jusqu'à la fin du congé parental ; qu'en considérant que les congés payés acquis par Mme [S] avant le début de son congé parental ne pouvaient être reportés à l'issue de ce congé au motif que la salariée n'avait pas été empêchée de les prendre à l'issue de la période de référence, ayant elle-même choisi sa date de départ en congé parental, le conseil de prud'hommes a violé les articles L. 3141-1, L. 3141-3 et L. 3141-28 du code du travail, interprétés à la lumière de la clause 5 de l'accord-cadre révisé sur le congé parental figurant à l'annexe de la directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3141-1 et L. 1225-55 du code du travail, interprétés à la lumière de la directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010, portant application de l'accord-cadre révisé sur le congé parental :

6. Aux termes du premier de ces textes, tout salarié a droit chaque année à un congé payé à la charge de l'employeur.

7. Selon le second de ces textes, à l'issue du congé parental d'éducation, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente.

8. La Cour de cassation a jugé que la décision du salarié de bénéficier d'un congé parental d'éducation s'impose à l'employeur, ce dont il résulte que l'intéressé, qui a lui-même rendu impossible l'exercice de son droit à congé payé, ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés (Soc., 28 janvier 2004, pourvoi n° 01-46.314, Bull. 2004, V, n° 32).

9. Toutefois, le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C-570/16, point 80).

10. Aux termes de la clause 5, point 2, de l'accord-cadre révisé sur le congé parental figurant à l'annexe de la directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010, les droits acquis ou en cours d'acquisition par le travailleur à la date du début du congé parental sont maintenus en l'état jusqu'à la fin du congé parental. Ces droits s'appliquent à l'issue du congé parental, tout comme les modifications apportées à la législation, aux conventions collectives et/ou à la pratique nationales.

11. La Cour de justice de l'Union européenne juge qu'il ressort tant du libellé de la clause 2, point 6, de l'accord-cadre sur le congé parental, conclu le 14 décembre 1995, qui figure en annexe de la directive 96/34/CE du Conseil du 3 juin 1996, concernant l'accord-cadre sur le congé parental, telle que modifiée par la directive 97/75/CE du Conseil du 15 décembre 1997, dont les termes ont été repris par la clause 5, point 2, de l'accord-cadre révisé sur le congé parental figurant à l'annexe de la directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010, que du contexte dans lequel elle s'insère, que cette disposition a pour but d'éviter la perte ou la réduction des droits dérivés de la relation de travail, acquis ou en cours d'acquisition, auxquels le travailleur peut prétendre lorsqu'il entame un congé parental et de garantir que, à l'issue de ce congé, il se retrouvera, s'agissant de ces droits, dans la même situation que celle dans laquelle il était antérieurement audit congé (CJUE, arrêt du 16 juillet 2009, Gómez-Limón Sánchez-Camacho, C-537/07, point 39 ; CJUE, arrêt du 22 octobre 2009, Meerts, C-116/08, point 39).

12. De même, la Cour de justice (CJUE, arrêt du 22 avril 2010, Land Tirol, C-486/08) a dit pour droit : « La clause 2, point 6, de l'accord-cadre sur le congé parental, conclu le 14 décembre 1995, qui figure à l'annexe de la directive 96/34/CE du Conseil du 3 juin 1996, concernant l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES, telle que modifiée par la directive 97/75/CE du Conseil du 15 décembre 1997, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une disposition nationale telle que l'article 60, dernière phrase, de la loi du Land du Tyrol relative aux agents contractuels du 8 novembre 2000, dans sa version en vigueur jusqu'au 1er février 2009, selon laquelle les travailleurs, faisant usage de leur droit au congé parental de deux ans, perdent, à l'issue de ce congé, des droits à congés annuels payés acquis durant l'année précédant la naissance de leur enfant. »

13. Par ailleurs, la Cour de cassation juge qu'il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement (Soc., 13 juin 2012, pourvoi n° 11-10.929, Bull. 2012, V, n° 187 ; Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-18.898, Bull. 2017, V, n° 159).

14. Il y a donc lieu de juger désormais qu'il résulte des articles L. 3141-1 et L. 1225-55 du code du travail, interprétés à la lumière de la directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010, portant application de l'accord-cadre révisé sur le congé parental, que lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l'année de référence en raison de l'exercice de son droit au congé parental, les congés payés acquis à la date du début du congé parental doivent être reportés après la date de reprise du travail.

15. Pour débouter la salariée de sa demande en paiement d'une somme à titre d'indemnité compensatrice de congé payé, le jugement constate que le bulletin de paie de juin 2020 faisait mention de quarante-trois jours de congés payés alors que le bulletin du mois suivant n'en mentionnait aucun.

Le jugement retient que les droits à congés payés ayant été reportés à l'issue du congé maternité, la salariée a été parfaitement en mesure de prendre ses congés avant son congé parental d'éducation et n'a pas été placée dans l'impossibilité de le faire. Il ajoute que la situation des salariés en arrêt maladie ou accident de travail n'est pas comparable à celle des salariés en congé parental et que la salariée n'a pas été empêchée de prendre ses congés payés à l'issue de la période de référence ayant choisi elle-même sa date de départ en congé parental.

16. En statuant ainsi, le conseil de prud'hommes a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

17. Tel que suggéré en demande, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

18. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

19. La salariée, qui avait acquis quarante-trois jours de congés payés lors de la prise de son congé parental, peut prétendre, à la suite de la rupture du contrat de travail, à une indemnité compensatrice de congé payé de 2 722,04 euros brut.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 8 mars 2022, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Chambéry ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : Mme Berriat (premier avocat général) - Avocat(s) : Me Haas ; SCP Boullez -

Textes visés :

Articles L. 1225-55 et L. 3141-1 du code du travail ; directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010 portant application de l'accord-cadre révisé sur le congé parental, clause 5, point 2.

Rapprochement(s) :

Sur l'obligation d'assurer au salarié l'exercice effectif de son droit à congé, cf. : CJUE, arrêt du 16 juillet 2009, Gomez-Limon Sanchez-Camacho, C-537/07, point 39 ; CJUE, arrêt du 22 octobre 2009, Meerts, C-116/08, points 37-38-39 ; CJUE, arrêt du 22 avril 2010, Land Tirol, C-486/08, points 50 et s. ; Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-18.898, Bull. 2017, V, n° 159 (rejet), et l'arrêt cité. Sur l'obligation de maintenir le droit à congé, en sens contraire : Soc., 28 janvier 2004, pourvoi n° 01-46.314, Bull. 2004, V, n° 32 (cassation partielle sans renvoi).

Soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.638, (B) (R), FP

Cassation partielle

Repos et congés – Congés payés – Indemnité – Attribution – Conditions – Exécution d'un travail effectif – Exclusion – Cas – Période de suspension du contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle – Portée

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat.

S'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause d'accident de travail ou de maladie professionnelle, au-delà d'une durée ininterrompue d'un an, le droit interne ne permet pas une interprétation conforme au droit de l'Union.

Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale.

Il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-5 du code du travail en ce qu'elles limitent à une durée ininterrompue d'un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congé payé et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.

Repos et congés – Congés payés – Indemnité – Attribution – Conditions – Périodes relevant de l'article L. 3141-5 du code du travail – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Suspension du contrat de travail – Suspension pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle – Suspension d'une durée ininterrompue supérieure à un an – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 février 2022), le 26 avril 2007, M. [B] a été engagé en qualité de conducteur receveur par la société Transports Daniel Meyer.

2. Le 21 février 2014, le salarié a été victime d'un accident du travail. Il a fait l'objet d'un arrêt de travail jusqu'au 8 octobre 2015.

3. Après la délivrance par le médecin du travail d'un avis d'inaptitude définitive, le salarié a été licencié le 19 novembre 2015 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

4. Le 4 novembre 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes relatives à l'exécution du contrat de travail.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme le rappel d'indemnité de congés payés, alors « que tout travailleur doit bénéficier d'un congé payé annuel ; que les salariés absents du travail en vertu d'un congé maladie au cours de la période de référence sont assimilés à ceux ayant effectivement travaillé au cours de cette période ; qu'il s'en infère que le salarié dont le contrat de travail est suspendu pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle, assimilé au travailleur ayant effectivement travaillé, acquiert des droits à congés payés pendant la totalité de la période de suspension du contrat ; qu'en retenant que le salarié, placé en congé maladie le 21 février 2014, ne pouvait prétendre à une indemnité de congés payés pour la période postérieure au 21 février 2015, la cour d'appel a violé l'article L. 3141-5 du code du travail interprété à la lumière de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE, arrêt du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff, C- 350/06, point 41 ; CJUE, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).

7. La Cour de Justice de l'Union européenne juge qu'il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10).

8. Aux termes de l'article L. 3141-3 du code du travail, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.

9. Selon l'article L. 3141-5 du code du travail, sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé, les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle.

10. Il résulte des dispositions combinées des articles L. 3141-1 et L. 3141-5 du code du travail que les périodes pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle, ne permettent pas d'acquérir des droits à congés payés au-delà d'une durée ininterrompue d'un an.

11. Le moyen, qui propose une interprétation de la loi, à la lumière de la directive 2003/88/CE, contraire aux termes des articles L. 3141-1 et L. 3141-5 du code du travail, n'est pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

12. Le salarié fait le même grief à l'arrêt, alors « que, subsidiairement, lorsqu'il n'est pas possible d'interpréter la réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, la juridiction nationale doit laisser la réglementation nationale inappliquée ; que les dispositions précitées doivent être interprétées comme imposant que les périodes au cours desquelles le salarié est placé en congé maladie soient, pour la détermination du droit à congé annuel, prises en compte pour la totalité de leur durée ; qu'à supposer qu'il ne soit pas possible d'interpréter l'article L. 3141-5 du code du travail de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, il appartenait à la cour, en application du second de ces textes, de laisser cet article inappliqué ; qu'en faisant toutefois application de ce texte pour rejeter la demande d'indemnité de congés payés présentée par le salarié en tant qu'elle portait sur la période postérieure au 21 février 2015, la cour d'appel a violé l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, et, par fausse application, l'article L. 3141-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, L. 1132-1, L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail :

13. Aux termes du premier de ces textes, tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés.

14. En application du deuxième de ces textes, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison notamment de son état de santé.

15. Aux termes du troisième de ces textes, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.

16. Selon le dernier de ces textes, sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé, les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle.

17. Le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C- 570/16, point 80).

18. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE, arrêt du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff, C- 350/06, point 41 ; CJUE, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).

19. La Cour de Justice de l'Union européenne juge qu'il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10).

20. Par arrêt du 6 novembre 2018 (CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C- 570/16), la Cour de Justice de l'Union européenne a jugé qu'en cas d'impossibilité d'interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE et l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée.

La Cour de Justice de l'Union européenne précise que cette obligation s'impose à la juridiction nationale en vertu de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne lorsque le litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité d'autorité publique et en vertu de la seconde de ces dispositions lorsque le litige oppose le bénéficiaire à un employeur ayant la qualité de particulier.

21. La Cour de cassation a jugé que la directive 2003/88/CE ne pouvant permettre, dans un litige entre des particuliers, d'écarter les effets d'une disposition de droit national contraire, un salarié ne peut, au regard de l'article L. 3141-3 du code du travail, prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés au titre d'une période de suspension du contrat de travail ne relevant pas de l'article L. 3141-5 du code du travail (Soc., 13 mars 2013, pourvoi n° 11-22.285, Bull. 2013, V, n° 73).

22. S'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause d'accident de travail ou de maladie professionnelle, au-delà d'une durée ininterrompue d'un an, le droit interne ne permet pas, ainsi qu'il a été dit au point 9, une interprétation conforme au droit de l'Union européenne.

23. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale.

24. Il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-5 du code du travail en ce qu'elles limitent à une durée ininterrompue d'un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congé payé et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.

25. Pour limiter à une certaine somme la condamnation de l'employeur au titre de l'indemnité de congé payé, l'arrêt retient que l'article 7 de la directive 2003/88/CE, qui doit guider le juge dans l'interprétation des textes, n'est pas d'application directe en droit interne quand l'employeur n'est pas une autorité publique. Il ajoute que la période écoulée entre la date de l'arrêt de travail du 21 février 2014 et expirant un an après, soit le 21 février 2015, ouvre droit à congés payés, mais nullement la période qui a suivi.

26. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite la condamnation de la société Transports Daniel Meyer à payer à M. [B] au titre de l'indemnité de congé payé la somme de 132,71 euros, l'arrêt rendu le 9 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ; article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; articles L. 3141-3, L. 3141-5 et L. 3141-9 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la reconnaissance par la Cour de justice de l'Union européenne du droit au congé annuel comme principe du droit social de l'Union européenne et du caractère inconditionel de ce droit, cf. : CJUE, arrêt du 26 juin 2001, BECTU, C-173/99 ; CJUE, arrêt du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff, C-350/06 ; CJUE, arrêt du 30 juin 2016, Sobczyszyn, C-178/15 ; CJUE, arrêt du 29 novembre 2017, King, C-214/16 ; CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C-570/16. Sur l'effet direct de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'office du juge national en cas d'impossibilité d'interprétation conforme des textes à la lumière de la directive, cf. : CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Max-Plank - Geselshaft, C-684-16.

Soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.340, n° 22-17.341, n° 22-17.342, (B) (R), FP

Rejet

Repos et congés – Congés payés – Indemnité – Attribution – Conditions – Exécution d'un travail effectif – Exclusion – Cas – Période de suspension du contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle – Portée

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat.

S'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, les dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail, qui subordonnent le droit à congé payé à l'exécution d'un travail effectif, ne permettent pas une interprétation conforme au droit de l'Union européenne.

Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale.

Il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-17.340, 22-17.341, et 22-17.342 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Reims, 6 avril 2022), Mme [Z] et deux autres salariés de la société Transdev [Localité 4] ont saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre des congés payés qu'ils soutenaient avoir acquis pendant la suspension de leur contrat de travail à la suite d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief aux arrêts de dire que les salariés sont en droit de récupérer des jours de congés et qu'il doit comptabiliser un certain nombre de jours annuels de congés payés en plus des droits à congés annuels acquis et en cours, alors :

« 1°/ que l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne permettant pas, dans un litige entre des particuliers, d'écarter les effets d'une disposition de droit national contraire, le salarié ne peut prétendre, au regard des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3143-5 du code du travail, à l'acquisition de congés payés au titre d'une période de suspension du contrat de travail pour maladie d'origine non professionnelle ; qu'en décidant au contraire que « la Charte des droits fondamentaux (...), opposable dans les litiges entre particuliers, commande également de laisser le droit national inappliqué », pour en déduire que « c'est à raison que les salariés réclament un droit à congés payés annuels, nés pendant leur période d'absence pour cause de maladie non professionnelle », la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et, par refus d'application, les articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail ;

2°/ que l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne se borne à disposer que « Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés » ; qu'en se fondant sur cet article 31, § 2, de la Charte pour en déduire un droit des salariés à un congé annuel minimal garanti de quatre semaines quand l'article 31, § 2, ne fixe pas de durée minimale pour la période annuelle de congés payés, la cour d'appel a violé l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble les articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés.

6. En application de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison notamment de son état de santé.

7. Aux termes de l'article L. 3141-3 du code du travail, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.

8. Le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C-570/16, point 80).

9. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE, arrêt du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff, C-350/06, point 41 ; CJUE, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).

10. La Cour de justice de l'Union européenne juge qu'il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10).

11. Par arrêt du 6 novembre 2018 (CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C- 570/16), la Cour de Justice de l'Union européenne a jugé qu'en cas d'impossibilité d'interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE et l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée.

La Cour de justice de l'Union européenne précise que cette obligation s'impose à la juridiction nationale en vertu de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux lorsque le litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité d'autorité publique et en vertu de la seconde de ces dispositions lorsque le litige oppose le bénéficiaire à un employeur ayant la qualité de particulier.

12. La Cour de cassation a jugé que la directive 2003/88/CE ne pouvant permettre, dans un litige entre des particuliers, d'écarter les effets d'une disposition de droit national contraire, un salarié ne peut, au regard de l'article L. 3141-3 du code du travail, prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés au titre d'une période de suspension du contrat de travail ne relevant pas de l'article L. 3141-5 du code du travail (Soc., 13 mars 2013, n° 11-22.285, Bull. 2013, V, n° 73).

13. S'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, les dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail, qui subordonnent le droit à congé payé à l'exécution d'un travail effectif, ne permettent pas une interprétation conforme au droit de l'Union européenne.

14. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale.

15. Il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.

16. La cour d'appel, après avoir, à bon droit, écarté partiellement les dispositions de droit interne contraires à l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, a exactement décidé que les salariés avaient acquis des droits à congé payé pendant la suspension de leur contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : Mme Berriat (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Boutet et Hourdeaux -

Textes visés :

Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ; article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.

Rapprochement(s) :

En sens contraire de : Soc., 13 mars 2013, pourvoi n° 11-22.285, Bull. 2013, V, n° 73 (cassation partielle). Sur la reconnaissance par la Cour de justice de l'Union européenne du droit au congé annuel comme principe du droit social de l'Union et du caractère inconditionel de ce droit, cf. : CJUE, arrêt du 26 juin 2001, BECTU, C-173/99 ; CJUE, arrêt du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff, C-350/06 ; CJUE, arrêt du 30 juin 2016, Sobczyszyn, C-178/15 ; CJUE, arrêt du 29 novembre 2017, King, C-214/16 ; CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C-570/16. Sur la dissociation, par la Cour de justice de l'Union européenne, du droit aux congés de la qualité de travailleur lorsque l'arrêt de travail est indépendant de la volonté du salarié, notamment pour cause de maladie, cf. : CJUE, arrêt du 20 janvier 2009,Schultz-Hoff e.a., C-350/06 et C-520/06 ; CJUE, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10. Sur l'effet direct de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux et l'office du juge national en cas d'impossibilité d'interprétation conforme des textes nationaux à la lumière de la directive, cf. : CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Max-Plank-Geselshaft, C-684-16.

Soc., 13 septembre 2023, n° 22-10.529, n° 22-11.106, (B) (R), FP

Cassation partielle

Repos et congés – Congés payés – Indemnité – Calcul – Assiette – Rémunération totale – Eléments pris en compte

La rémunération à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de congé payé est la rémunération totale du salarié, incluant les primes et indemnités versées en complément du salaire si elles sont versées en contrepartie ou à l'occasion du travail.

Viole la loi la cour d'appel qui retient que la correction de copies et les soutenances licences professionnelles (LP) ne doivent pas être intégrées dans le calcul de l'indemnité de congé payé, alors que les rémunérations correspondantes sont versées en contrepartie ou à l'occasion du travail.

Repos et congés – Congés payés – Indemnité – Paiement – Prescription – Délai – Point de départ – Détermination

Repos et congés – Congés payés – Droit au congé – Exercice – Obligations de l'employeur – Détermination – Portée

Repos et congés – Congés payés – Droit au congé – Condition d'ouverture – Exigence d'une période de travail effectif pendant la période de référence – Exclusion – Cas – Nullité du licenciement – Période d'éviction précédant la réintégration du salarié – Portée

Le salarié, dont le licenciement est nul en application de l'article L. 1151-3 du code du travail, peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail, sauf lorsqu'il a occupé un autre emploi durant cette période.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-10.529 et 22-11.106 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 26 novembre 2021), Mme [G] a collaboré au sein de l'Institut des métiers du notariat d'[Localité 3] devenu l'Institut national des formations notariales (l'Institut).

3. La relation contractuelle a été rompue par lettre du 20 juin 2018.

4. S'estimant liée avec l'Institut par un contrat de travail, l'intéressée a saisi, le 28 septembre 2018, la juridiction prud'homale de diverses demandes à caractère salarial et indemnitaire.

Examen des moyens

Sur les trois moyens du pourvoi n° 22-10.529 et les quatrième à huitième moyens du pourvoi n° 22-11.106

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les cinquième à huitième moyens du pourvoi n° 22-11.106, qui sont irrecevables, et sur les trois moyens du pourvoi n° 22-10.529 et le quatrième moyen du pourvoi n° 22-11.106 qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi n° 22-11.106

Enoncé du moyen

6. La salariée fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation de l'employeur au titre des congés payés pour les périodes 2015-2016 et 2016-2017, alors « que le congé annuel prévu à l'article L. 3141-3 du code du travail ouvre droit à une indemnité égale au dixième de la rémunération brute totale perçue par le salarié au cours de la période de référence et, pour la détermination de la rémunération brute totale, il est tenu compte de l'indemnité de congé de l'année précédente ; que les corrections des copies d'examen, des mémoires et des rapports de stage des étudiants de la licence professionnelle et leur soutenance constituent des tâches occasionnelles nécessitant, pour l'enseignant désigné, un travail effectif accompli sur un temps de travail supplémentaire qui a pour contrepartie un salaire brut supplémentaire, mentionnée dans les bulletins de salaire des mois concernés, en sus du salaire brut de base auquel il s'additionne pour le calcul du salaire brut mensuel ; qu'en retenant que les corrections de copies et « soutenances LP » ne devaient pas être intégrées dans le calcul de l'indemnité de congés payés, cependant que ces tâches occasionnelles rétribuaient un travail effectif accompli sur un temps de travail supplémentaire justifiant qu'elles soient intégrées dans le calcul de l'indemnité de congés payés, la cour d'appel a violé l'article L. 3141-24 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3141-22 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 et L. 3141-24 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

7. Selon ces textes, la rémunération à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de congé payé est la rémunération totale du salarié, incluant les primes et indemnités versées en complément du salaire si elles sont versées en contrepartie ou à l'occasion du travail.

8. Pour limiter à certaines sommes la condamnation de l'employeur au paiement de rappels d'indemnité de congé payé, l'arrêt retient que la correction de copies et « soutenances LP » ne doivent pas être intégrées dans le calcul de l'indemnité de congé payé.

9. En statuant ainsi, alors que la rémunération de la correction des copies et des « soutenances LP » est versée en contrepartie ou à l'occasion du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° 22-11.106

Enoncé du moyen

10. La salariée fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation de l'employeur au titre des congés payés pour les périodes 2015-2016 et 2016-2017 et de la débouter de ses demandes en paiement des indemnités de congés payés pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015, alors « que le salarié tire son droit aux congés payés directement de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne et de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et que la CJUE a dit pour droit que ces dispositions s'opposent à ce que puisse être opposé au salarié l'extinction de son droit aux congés payés dès lors que l'employeur n'établit pas avoir tout mis en oeuvre pour mettre le salarié en mesure d'exercer ses droits aux congés payés, que dans le cas où la relation de travail a pris fin, le droit aux congés payés acquis par le salarié mais non pris du fait de l'employeur prend la forme d'une indemnité financière de congés payés ; que la cour d'appel s'est bornée à énoncer, pour débouter Mme [G] de sa demande en paiement de l'indemnité financière correspondant aux congés payés pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015 inclus, introduite après que l'employeur ait mis fin à leur relation, que l'action en paiement de l'indemnité de congés payés était soumise à la prescription triennale, applicable aux salaires ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si l'employeur avait démontré avoir accompli toutes diligences pour mettre la salariée en mesure d'exercer son droit aux congés payés et l'avoir informée des droits s'y rapportant, bien qu'elle ait constaté que, conformément aux textes supranationaux et nationaux, Mme [G], en sa qualité de salariée en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, avait un droit au repos et au paiement d'une indemnité dont elle n'avait pas bénéficié, a privé sa décision de base légale au regard du principe de primauté et d'effectivité du droit de l'Union Européenne, de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 tels qu'interprétés par la CJUE concernant les congés payés, l'article 55 de la Constitution qui pose le principe de la supériorité du traité sur la loi, et de l'article L. 3141-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 143-14, devenu L. 3245-1, du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, 21-V de cette même loi, L. 223-11, devenu L. 3141-22, du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 et L. 3141-24 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

11. Selon le premier de ces textes, l'action en paiement du salaire se prescrivait par cinq ans conformément à l'article 2277 du code civil.

12. Selon le deuxième, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrivait par cinq ans conformément à l'article 2244 du code civil.

13. Aux termes du troisième, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

14. Selon le quatrième, les dispositions de l'article L. 3245-1 du code du travail s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq ans.

15. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation le point de départ du délai de prescription de l'indemnité de congé payé, qui est de nature salariale, doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris (Soc., 14 novembre 2013, n° 12-17.409, Bull. 2013, V, n° 271).

16. Toutefois, le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union (CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C-570/16, point 80).

17. La Cour de justice de l'Union européenne juge que la perte du droit au congé annuel payé à la fin d'une période de référence ou d'une période de report ne peut intervenir qu'à la condition que le travailleur concerné ait effectivement eu la possibilité d'exercer ce droit en temps utile. Elle ajoute qu'il ne saurait être admis, sous prétexte de garantir la sécurité juridique, que l'employeur puisse invoquer sa propre défaillance, à savoir avoir omis de mettre le travailleur en mesure d'exercer effectivement son droit au congé annuel payé, pour en tirer bénéfice dans le cadre du recours de ce travailleur au titre de ce même droit, en excipant de la prescription de ce dernier (CJUE, arrêt du 22 septembre 2022, LB, C-120/21, points 45 et 48).

18. Dès lors, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, et l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur au titre d'une période de référence est prescrit à l'issue d'un délai de trois ans qui commence à courir à la fin de l'année au cours de laquelle ce droit est né, lorsque l'employeur n'a pas effectivement mis le travailleur en mesure d'exercer ce droit (même arrêt).

19. Par ailleurs, la Cour de cassation juge qu'il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombaient légalement (Soc., 13 juin 2012, pourvoi n° 11-10.929, Bull. V, n° 187 ; Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-18.898, Bull. V, n° 159).

20. Il y a donc lieu de juger désormais que, lorsque l'employeur oppose la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le point de départ du délai de prescription de l'indemnité de congés payés doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l'employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé.

21. Pour rejeter la demande en paiement d'indemnité de congé payé pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015, l'arrêt retient que l'action en paiement de l'indemnité de congé payé est soumise à la prescription triennale, applicable aux salaires et que, dès lors, la demande en paiement de la salariée n'est recevable que pour partie.

22. En statuant ainsi, sans constater que l'employeur justifiait avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d'assurer à la salariée la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen du pourvoi n° 22-11.106

Enoncé du moyen

23. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en paiement d'une indemnité de congé payé pour les périodes de référence courant du 1er juin 2018 à la date de sa réintégration effective, alors « que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail ; qu'en retenant, pour rejeter la demande en paiement des indemnités pour la période de référence courant du 1er juin 2018 à la date de sa réintégration effective, que l'indemnité d'éviction ayant la nature d'une réparation et non d'une remise en état, la période d'éviction n'ouvrait pas droit à congés payés, la cour d'appel a violé les articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1152-1, L. 1152-2, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, et L. 1152-3 du code du travail :

24. Aux termes du premier de ces textes, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

25. Aux termes du deuxième de ces textes, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir de tels agissements ou les avoir relatés.

26. Aux termes du dernier, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

27. Le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail, sauf lorsqu'il a occupé un autre emploi durant cette période.

28. Pour débouter la salariée de sa demande en paiement d'indemnité de congé payé pour les périodes de référence courant du 1er juin 2018 à la date de sa réintégration effective, l'arrêt, après avoir jugé que le licenciement était nul en application de l'article L. 1152-3 du code du travail, retient que l'indemnité d'éviction ayant la nature d'une réparation et non d'une remise en état, la période d'éviction n'ouvre pas droit à congé payé.

29. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

30. La cassation des chefs de dispositif relatifs aux demandes en paiement de rappels d'indemnité de congé payé n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'Institut national des formations notariales aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° 22-10.529 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite à 6 042,77 euros bruts, 7 088 euros bruts et 6 939,50 euros bruts la condamnation de l'Institut national des formations notariales au paiement de rappels d'indemnité de congé payé pour les années 2015/2016 à 2016/2018 et rejette les autres demandes au titre des indemnités de congé payé, l'arrêt rendu le 26 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : Mme Berriat (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Articles L. 223-11, devenu L. 3141-22, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, et L. 3141-24, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail ; article L. 143-14, devenu L. 3245-1, dans ses rédactions issues de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, des lois n° 2008-561 du 17 juin 2008 et n° 2013-504 du 14 juin 2013, du code du travail ; articles L. 1152-3, L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination des primes et indemnités entrant dans l'assiette de calcul de l'indemnité de congés payés, à rapprocher : Soc., 7 septembre 2017, pourvoi n° 16-16.643, Bull. 2017, V, n° 126 (2) (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Soc., 3 juillet 2019, pourvoi n° 18-16.351, Bull., (cassation partielle). Sur la détermination du point de départ du délai de prescription d'une demande en paiement d'une indemnité de congés payés, évolution par rapport à : Soc., 14 novembre 2013, pourvoi n° 12-17.409, Bull. 2013, V, n° 271 (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Sur l'obligation de l'employeur d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, à rapprocher : Soc., 23 octobre 2013, pourvoi n° 11-16.032, Bull. 2013, V, n° 247 (2) (cassation partielle) ; Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-18.898, Bull. 2017, V, n° 159 (rejet), et l'arrêt cité ; Sur l'obligation de l'employeur d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, cf. : CJUE, arrêt du 22 septembre 2022, LB, C-120/21, points 45 et 48. Sur l'ouverture du droit à congés payés durant la période d'éviction précédant la réintégration du salarié dont le licenciement est nul, à rapprocher : Soc., 21 septembre 2022, pourvoi n° 21-13.552, Bull., (cassation partielle), et les arrêts cités ; Soc., 1er mars 2023, pourvoi n° 21-16.008, Bull., (cassation), et l'arrêt cité.

Soc., 27 septembre 2023, n° 21-24.782, (B), FRH

Cassation partielle

Travail de nuit – Durée maximale – Dépassement – Effets – Droit à réparation – Preuve d'un préjudice – Exclusion – Portée

Le dépassement de la durée hebdomadaire maximale de travail du travailleur de nuit calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ouvre, à lui seul, droit à la réparation.

Viole l'article 1315, devenu 1353, du code civil, la cour d'appel qui déboute le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour non-respect de cette durée maximale de travail, sans constater que l'employeur justifiait l'avoir respectée.

Durée maximale – Dépassement – Effets – Droit à réparation – Conditions – Preuve d'un préjudice – Exclusion – Cas – Dépassement de la durée hebdomadaire maximale de travail du travailleur de nuit – Portée

Durée maximale – Dépassement – Effets – Droit à réparation – Office du juge – Détermination – Cas – Dépassement de la durée hebdomadaire maximale de travail du travailleur de nuit – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 septembre 2021), M. [Z] a été engagé par la société Transports J.H. Mesguen en qualité de conducteur suivant un contrat de travail à durée déterminée du 22 juin au 22 septembre 2015.

La relation de travail s'est poursuivie en contrat de travail à durée indéterminée.

2. Le salarié a été licencié le 28 décembre 2017 et dispensé d'exécuter son préavis.

3. Le 25 septembre 2018, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.

Examen des moyens

Sur les cinq premiers moyens

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le sixième moyen

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'une indemnité pour non-respect des durées maximales quotidiennes, hebdomadaires et mensuelles de travail, alors « que le seul constat de dépassement de la durée maximale du travail ouvre droit à réparation ; qu'en le déboutant de sa demande en paiement d'une indemnité pour non-respect des durées maximales, quotidiennes, hebdomadaires et mensuelles de travail au motif qu'il ne justifiait pas « d'un préjudice distinct de celui réparé au titre du repos compensateur », cependant que le non-respect des durées maximales de travail ouvre à lui seul droit à réparation au profit du salarié, la cour d'appel a violé les articles L. 3121-18, L. 3121-20 et L. 3121-27 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3122-35 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, les articles L. 3122-7 et L. 3122-18 du même code, dans leur rédaction issue de ladite loi, l'article 2.2 de l'accord du 14 novembre 2001 relatif au travail de nuit, attaché à la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950 et l'article 1315, devenu 1353, du code civil :

6. Selon les trois premiers de ces textes, la durée hebdomadaire de travail des travailleurs de nuit, calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives, ne peut dépasser quarante heures mais cette limite peut être portée à quarante-quatre heures par accord collectif lorsque les caractéristiques propres à l'activité d'un secteur le justifient.

7. Selon le quatrième de ces textes, s'agissant des personnels roulants, autres que les personnels roulants grands routiers ou longue distance, des entreprises de transport routier de marchandises, des activités auxiliaires du transport et des entreprises de transport de déménagement dont l'activité s'exerce sur tout ou partie de la période nocturne, telle que définie à l'article 1 de l'accord du 14 novembre 2001, la durée du travail effectif hebdomadaire calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ne peut excéder 46 heures en application des règles prévues au paragraphe 3, alinéa 1, de l'article 5 du décret n° 83-40 du 26 janvier 1983 modifié.

8. Ces dispositions participent de l'objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d'un repos suffisant et le respect effectif des limitations de durées maximales de travail concrétisé par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail et par la directive 2002/15/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 relative à l'aménagement du temps de travail des personnes exécutant des activités mobiles de transport routier.

9. Selon le dernier de ces textes, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. Il en résulte que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur.

10. Pour rejeter la demande du salarié en paiement de dommages-intérêts pour non-respect des durées maximales de travail, l'arrêt, après avoir relevé que ce dernier soutenait avoir régulièrement dépassé la durée maximale hebdomadaire de 46 heures, retient, d'une part, qu'il ressort de la synthèse conducteur que l'amplitude horaire avancée par l'intéressé dans ses écritures ne correspond pas au travail effectif et que ce dernier disposait de temps de repos et de mise à disposition, d'autre part, qu'il ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui réparé au titre du repos compensateur.

11. En statuant ainsi, alors que le dépassement de la durée maximale de travail ouvre, à lui seul, droit à la réparation, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que l'employeur justifiait avoir respecté la durée hebdomadaire maximale de travail du travailleur de nuit calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives, a violé les textes susvisés.

Et sur le septième moyen

Enoncé du moyen

12. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter le montant de l'indemnité compensatrice de préavis à une certaine somme, outre les congés payés afférents, alors « que l'indemnité compensatrice de préavis due au salarié est égale au montant des salaires qu'il aurait perçus s'il avait travaillé pendant la durée du préavis ; que, pour limiter la somme allouée à titre d'indemnité de préavis, l'arrêt retient que le salaire mensuel moyen étant en dernier lieu de 2 143,47 euros, il y a lieu d'allouer au salarié une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire soit la somme de 4 286,94 euros ; qu'en se basant ainsi sur un salaire moyen perçu pour les seules périodes contractuelles antérieures à la rupture, sans prendre en compte le salaire que le salarié aurait dû percevoir s'il avait pu exécuter le préavis, et en excluant en l'occurrence les heures supplémentaires, la prime d'ancienneté et de région parisienne, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail, outre l'article 5 de l'accord du 16 juin 1961. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail :

13. Selon ces textes, l'indemnité compensatrice de préavis due au salarié est égale au montant des salaires qu'il aurait perçus s'il avait travaillé pendant la durée du préavis.

14. Pour limiter la somme allouée à titre d'indemnité compensatrice de préavis, l'arrêt retient que le salaire de base mensuel brut du salarié, hors heures supplémentaires et primes d'ancienneté et de région parisienne incluses, s'élève à 2 143,47 euros, de sorte que l'indemnité compensatrice de préavis est fixée à 4 286,94 euros et l'indemnité de congés payés afférente à la somme de 428,69 euros.

15. En statuant ainsi, en considération du seul salaire de base mensuel brut du salarié, sans prendre en compte le salaire que ce dernier aurait perçu s'il avait exécuté le préavis, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [Z] de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour non-respect des durées maximales de travail et limite à la somme de 4 286,94 euros, outre 428,69 euros de congés payés afférents, le montant de l'indemnité compensatrice de préavis, l'arrêt rendu le 30 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Monge (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Lecaplain-Morel - Avocat(s) : Me Balat -

Textes visés :

Articles L. 3122-7, L. 3122-18 et L. 3122-35 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ; article 2.2 de l'accord du 14 novembre 2001 relatif au travail de nuit, attaché à la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950 ; article 1315, devenu 1353, du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur l'absence de nécessité de rechercher l'existence d'un préjudice en cas de dépassement de la durée maximale de travail, à rapprocher : Soc., 11 mai 2023, pourvoi n° 21-22.281, Bull., (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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