Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2023

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (loi du 26 juillet 2005)

Com., 13 septembre 2023, n° 22-12.047, (B), FRH

Cassation partielle

Redressement judiciaire – Jugement – Effets – Arrêt des poursuites individuelles – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Action en justice – Action aux fins de constat de la résolution d'un contrat de location de véhicules – Effets – Clause résolutoire de plein droit acquise avant le jugement d'ouverture

Le principe édicté à l'article L. 622-21, I, du code de commerce, de l'interruption ou de l'interdiction des actions en justice de la part des créanciers, dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 du code de commerce et tendant au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent, ne fait pas obstacle à l'action aux fins de constat de la résolution d'un contrat de location de véhicules par application d'une clause résolutoire de plein droit ayant produit ses effets avant le jugement d'ouverture du redressement judiciaire du locataire.

Viole ainsi l'article L. 622-21, I, du code de commerce la cour d'appel qui, pour déclarer irrecevable le loueur en sa demande de constatation d'acquisition de la clause résolutoire, retient que l'action de ce loueur ne peut, en l'absence de décision passée en force de chose jugée, être poursuivie après le jugement d'ouverture du redressement judiciaire du locataire.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 mai 2021), rendu en référé, la société Temsys a signé avec la société KC technologies un contrat cadre portant sur la location de 22 véhicules utilitaires.

2. Par une lettre recommandée avec avis de réception reçue le 24 septembre 2019, la société Temsys, se prévalant de la clause résolutoire de plein droit, a mis en demeure la société KC technologies de lui régler sous huit jours une somme de 197 495,62 euros représentant les loyers impayés.

3. Par ordonnance du 11 décembre 2019, le président d'un tribunal, statuant en référé, a constaté l'acquisition de la clause résolutoire incluse dans le contrat, au 1er octobre 2019, ordonné la restitution des véhicules sous astreinte et condamné la société KC technologies à payer une provision.

4. Le 26 décembre 2019, la société KC technologies a été mise en redressement judiciaire, la société BCM étant désignée administrateur judiciaire et la société Alliance MJ, mandataire judiciaire.

Examen du moyen

Sur le moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer la société Temsys irrecevable en sa demande de provision

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer la société Temsys irrecevable en sa demande de résolution du contrat du 11 avril 2021

Enoncé du moyen

6. La société Temsys fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable en sa demande de résolution du contrat du 11 avril 2021, alors « que la règle d'interdiction des poursuites individuelles ne fait pas obstacle à l'action aux fins de constat de la résiliation d'un contrat bail par application d'une clause résolutoire de plein droit qui a produit ses effets avant le jugement d'ouverture du redressement judiciaire du preneur ; qu'en infirmant l'ordonnance ayant constaté l'acquisition de la clause résolutoire au 1er octobre 2019 et en déclarant irrecevable la demande en résolution du contrat de bail, du fait de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société KC technologies, cependant que la résolution du contrat de bail du 11 avril 2016 avait produit ses effets avant l'ouverture de la procédure collective, la cour d'appel a violé les articles 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et L. 622-21 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 622-21, I, du code de commerce :

7. Le principe édicté par ce texte, de l'interruption ou de l'interdiction des actions en justice de la part des créanciers, dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 du code de commerce et tendant au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent, ne fait pas obstacle à l'action aux fins de constat de la résolution d'un contrat de location de véhicules par application d'une clause résolutoire de plein droit ayant produit ses effets avant le jugement d'ouverture du redressement judiciaire du locataire.

8. Pour déclarer irrecevable la société Temsys en sa demande de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire, l'arrêt retient que l'action de cette société ne peut, en l'absence de décision passée en force de chose jugée, être poursuivie après le jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société KC technologies. Il ajoute que la demande se heurte, devant la juridiction des référés statuant au provisoire, à la règle de l'interdiction des actions en paiement dès lors que l'ouverture et la poursuite de la procédure collective de la société KC technologies interdisent l'action en référé engagée par la société Temsys tendant à faire constater l'acquisition de la clause résolutoire du contrat pour défaut de paiement des loyers.

9. En statuant ainsi, alors que l'acquisition de la clause résolutoire, le 1er octobre 2019, était intervenue antérieurement au jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société KC technologies, de sorte que la demande de la société Temsys de constat de la résiliation du contrat de location à cette date était recevable, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

10. Le moyen ne formulant aucune critique contre les motifs de l'arrêt fondant la décision de déclarer irrecevable la demande de provision, la cassation encourue sur l'irrecevabilité de la demande d'acquisition ne peut s'étendre à cette disposition de l'arrêt.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'infirmant l'ordonnance du 11 décembre 2019, il déclare la société Temsys irrecevable en sa demande d'acquisition de la clause résolutoire et statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 6 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Bedouet - Avocat(s) : Me Haas -

Textes visés :

Articles L. 622-17 et L. 622-21, I, du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur la résolution d'un contrat de crédit-bail immobilier par application d'une clause résolutoire de plein droit qui a produit ses effets avant le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire du crédit preneur, à rapprocher : Com., 23 octobre 2019, pourvoi n° 18-14.823, Bull., (cassation partielle).

Com., 13 septembre 2023, n° 22-15.296, (B), FRH

Cassation

Redressement judiciaire – Vérification et admission des créances – Vérification par le mandataire judiciaire – Discussion d'une créance – Exclusion – Cas – Lettre du mandataire judiciaire se bornant à lui demander des pièces justificatives de la créance

La lettre du mandataire judiciaire au créancier se bornant à lui demander des pièces justificatives de sa créance en précisant qu'à défaut, il envisage de proposer au juge-commissaire le rejet de cette créance n'est pas une lettre de contestation de l'existence, de la nature ou du montant de la créance au sens des articles L. 622-27, L. 624-3, alinéa 2, et R. 624-1, alinéas 2 et 3, du code de commerce, de sorte que le défaut de réponse du créancier dans un délai de trente jours ne le prive pas du droit de faire appel de l'ordonnance du juge-commissaire ayant rejeté la créance.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Cayenne, 14 février 2022), le 26 mars 2018, le centre de santé guyanais, devenu la société Hôpital privé [5], a été mis en redressement judiciaire, la société BR associés étant désignée mandataire judiciaire et la société AJAssociés administrateur.

Le 21 novembre 2018, un plan de redressement a été arrêté, la société AJAssociés étant désignée commissaire à l'exécution du plan.

2. Le débiteur a porté à la connaissance du mandataire judiciaire la créance chirographaire de la société Electricité de France (la société EDF).

3. Par une ordonnance du 13 décembre 2019, le juge-commissaire a rejeté la créance aux motifs que, par une lettre du 10 décembre 2018, la créance avait été contestée et que la société EDF n'avait pas répondu dans le délai de 30 jours.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société EDF fait grief à l'arrêt de confirmer, sur déféré, l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant déclaré son appel irrecevable, alors « que l'interdiction faite au créancier d'exercer un recours contre la décision du juge-commissaire confirmant la proposition du mandataire judiciaire lorsque ce créancier n'a pas répondu dans un délai de trente jours au mandataire judiciaire, n'est pas applicable lorsque la contestation porte sur la régularité de la déclaration de créance et non sur la créance elle-même ; que l'absence de justificatifs joints à la déclaration caractérise une irrégularité de la déclaration de créance ; que la cour d'appel a constaté que par sa lettre du 10 décembre 2018, le mandataire judiciaire proposait le rejet de la créance si le créancier ne lui adressait pas les éléments justificatifs ; qu'en retenant que le mandataire avait émis une contestation non sur la régularité de la déclaration de créance mais sur l'existence de la créance, exigeant une réponse dans le délai de 30 jours, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles L. 622-27, L. 624-3 et R. 624-7 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 622-27, L. 624-3, alinéa 2, et R. 624-1, alinéas 2 et 3, rendus applicables au redressement judiciaire par les articles L. 631-14, L. 631-18 et R. 631-29 du code de commerce :

5. Une disposition privant une partie d'une voie de recours doit être interprétée strictement.

En conséquence, la sanction prévue par les textes susvisés en cas de défaut de réponse du créancier dans le délai de trente jours suivant la réception de la lettre du mandataire judiciaire l'informant de l'existence d'une discussion sur sa créance ne peut être étendue au cas où le mandataire judiciaire se borne à demander au créancier des pièces justificatives de la créance en précisant qu'à défaut, il envisage de proposer au juge-commissaire le rejet de cette créance.

6. Pour déclarer irrecevable l'appel formé par la société EDF contre l'ordonnance de rejet de sa créance, l'arrêt constate que la lettre du mandataire judiciaire du 10 décembre 2018 mentionnait en objet « contestation de créance », informait le créancier que la créance déclarée était injustifiée dans la mesure où le centre de santé guyanais ne lui avait remis aucun justificatif et qu'il convenait de lui transmettre un relevé de compte récapitulatif et une copie des factures déclarées, et qu'à défaut, il envisageait de proposer au juge-commissaire un rejet de la créance, et rappelait les dispositions de l'article L. 622-27 du code de commerce. Il ajoute, par motifs propres et adoptés, qu'il résulte de la lettre du mandataire judiciaire, et des termes employés « contestation de créance », « créance déclarée injustifiée », « rejet de votre créance », que celui-ci ne contestait pas seulement la régularité formelle de la créance, mais, faute de justificatif, son existence même, de sorte que la société EDF, qui n'avait pas répondu à cette lettre dans le délai de trente jours, ne pouvait pas exercer de recours contre la décision du juge-commissaire confirmant la proposition du mandataire judiciaire.

7. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la lettre du 10 décembre 2018 n'était pas une lettre de contestation de l'existence, de la nature ou du montant de la créance au sens des textes susvisés, de sorte que le défaut de réponse à celle-ci par la société EDF dans le délai de trente jours ne la privait pas du droit de faire appel de l'ordonnance du juge-commissaire ayant rejeté sa créance, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Cayenne ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Cayenne, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles L. 622-27, L. 624-3, alinéa 2, et R. 624-1, alinéas 2 et 3, du code de commerce.

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