Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2023

CONVENTIONS INTERNATIONALES

Com., 13 septembre 2023, n° 22-16.884, (B), FS

Cassation

Accords et conventions divers – Convention de Lugano du 30 octobre 2007 – Etat lié par la Convention – Royaume-Uni – Accord du 24 janvier 2020 sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne – Période de transition

Les modalités de sortie de l'Union européenne du Royaume-Uni ont été réglées dans l'Accord du 24 janvier 2020 sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique (l'Accord).

En application de cet Accord, entré en vigueur le 1er février 2020, le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne est devenu total à compter du 1er janvier 2021.

En ses articles 126 et 127, l'Accord prévoit une période de transition jusqu'au 31 décembre 2020, pendant laquelle, sauf dispositions contraires, le droit de l'Union européenne reste applicable au Royaume-Uni et sur son territoire, de sorte que cet Etat demeure lié pendant cette période par les obligations découlant des accords internationaux conclus par l'Union européenne.

La Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, par laquelle le Royaume-Uni était lié comme Etat membre de l'Union européenne, n'est ni citée, ni visée, même implicitement, par les dispositions de l'article 127 de l'Accord relatives aux traités et actes adoptés par les institutions, organes et organismes de l'Union européenne déclarés, par exception, non applicables au Royaume-Uni et sur son territoire pendant la période de transition.

Il en résulte que le Royaume-Uni est demeuré lié par la Convention de Lugano jusqu'au 31 décembre 2020, date d'expiration de la période de transition.

En conséquence, c'est à bon droit qu'après avoir, d'une part, énoncé que l'application de la Convention de Lugano est subordonnée au fait qu'une des parties au moins est domiciliée sur le territoire d'un Etat lié par cette Convention, à la désignation d'un tribunal du ressort d'un Etat lié par cette Convention et à la reconnaissance du caractère international du litige, d'autre part, relevé que le Royaume-Uni, sur le territoire duquel se trouve la juridiction désignée par la clause, était encore membre de l'Union européenne au moment de l'introduction de l'instance le 18 avril 2019, une cour d'appel en a déduit que le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne était sans effet quant à l'application de la Convention de Lugano au litige et que la validité de la clause attributive de juridiction devait être soumise aux conditions de forme prévues à l'article 23 de cette Convention et non aux règles découlant des dispositions du droit national.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 avril 2022) et les productions, cinquante-sept fûts de produits chimiques devaient être acheminés par la société suisse Mediterranean Shipping Company (la société MSC) depuis le port du [Localité 5] jusqu'à [Adresse 10] (Afrique du Sud), via le port de [Localité 9] (Afrique du Sud), sous couvert de deux connaissements émis par la société française Trans Service Line (la société TSL).

2. La société Bolloré Logistics Suisse (la société Bolloré Logistics) a réservé le transport auprès de la société MSC (le transporteur maritime) selon un booking reservation du 9 février 2018.

3. Les fûts ont été empotés dans un conteneur qui été embarqué au [Localité 5] sur le navire MSC Giselle en exécution d'un sea waybill n° MSCUKL646698 (la lettre de transport) du 20 février 2018.

4. Après son acheminement par voie maritime jusqu'au port de [Localité 9] et le transbordement du conteneur, la marchandise devait être transportée par voie terrestre jusqu'à sa destination finale, [Adresse 10].

5. Le 19 mars 2018, durant le transport terrestre effectué par la société PCM Solutions (le voiturier), l'ensemble routier transportant le conteneur s'est renversé dans un virage, entraînant la perte de la marchandise.

6. Le 18 décembre 2018, la société TSL a reçu une réclamation amiable d'un montant de 287 738 francs suisses de la part de la société Givaudan Suisse, se prévalant de la qualité de cessionnaire des droits des chargeurs et destinataires de la marchandise, et de la société Chubb Versicherungen (la société Chubb), agissant en qualité d'assureur facultés de ces mêmes marchandises.

7. Le 18 mars 2019, les sociétés Givaudan Suisse et Chubb ont assigné la société TSL devant le tribunal de commerce de Paris en indemnisation de leurs préjudices résultant de la perte de la marchandise.

8. Le 18 avril 2019, les sociétés TSL et Bolloré Logistics ont assigné la société MSC devant le même tribunal en garantie des condamnations qui pourraient éventuellement être prononcées à leur encontre au bénéfice des sociétés Chubb et Givaudan Suisse dans la première instance, dont la jonction a été refusée.

9. Dans cette seconde instance, la société MSC a soulevé l'incompétence des juridictions françaises en se prévalant d'une clause attributive de compétence désignant la High Court of Justice of London (Royaume-Uni).

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

10. Les sociétés TSL et Bolloré Logistics font grief à l'arrêt de déclarer la cour d'appel de Paris incompétente, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en statuant sur sa propre compétence cependant qu'elle était saisie d'un appel contre un jugement du tribunal du commerce de Paris ayant statué sur sa compétence et que l'objet du litige était limité à la compétence de cette juridiction pour connaître du litige, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ».

Réponse de la Cour

11. Sous le couvert du grief non fondé de violation de l'article 4 du code de procédure civile, le moyen ne tend qu'à dénoncer une erreur matérielle affectant le dispositif de l'arrêt, laquelle n'est pas attaquable par la voie du pourvoi et doit donner lieu à la procédure prévue à l'article 462 du même code.

12. Le moyen n'est donc pas recevable.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

13. Les sociétés TSL et Bolloré Logistics font grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il rejette l'exception d'incompétence soulevée par la société MSC et dit le tribunal de commerce de Paris compétent et, statuant à nouveau, de les renvoyer à mieux se pourvoir, alors « que l'article 23 de la Convention de Lugano concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale du 30 octobre 2007 ne trouve à s'appliquer que si la clause attributive de juridiction désigne un tribunal ou des tribunaux d'un État lié par cette Convention ; que lorsque la clause attributive de juridictions désigne le tribunal d'un État tiers, le juge doit apprécier la validité de la clause en fonction du droit applicable au lieu où il siège ; que, par ailleurs, le Royaume-Uni doit être considéré comme un État tiers à la Convention de Lugano, y compris pour les actions engagées avant son retrait de l'Union Européenne, dès lors que ce texte ne compte pas parmi ceux dont les articles 67 et suivants de l'Accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique (2019/C 384 I/01) maintient l'application au Royaume-Uni aux actions intentées pendant la période de transition courant jusqu'au 31 décembre 2020 ; qu'il s'en déduit que même saisi avant le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, d'une clause attributive de juridiction désignant une juridiction britannique, le juge français doit en apprécier la validité au regard de ses règles de droit interne ; qu'en jugeant que le retrait du Royaume-Uni n'avait pas d'effet sur l'application de l'article 23 de la Convention de Lugano s'agissant d'un contrat conclu et d'une action introduite avant le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne et avant la fin de la période de transition le 31 décembre 2020, la cour d'appel a violé les textes précités, ensemble l'article 48 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

14. Les modalités de sortie de l'Union européenne du Royaume-Uni ont été réglées dans l'Accord du 24 janvier 2020 sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique (l'Accord).

15. En application de cet Accord, entré en vigueur le 1er février 2020, le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne est devenu total à compter du 1er janvier 2021.

16. En ses articles 126 et 127, l'Accord prévoit une période de transition jusqu'au 31 décembre 2020, pendant laquelle, sauf dispositions contraires, le droit de l'Union européenne reste applicable au Royaume-Uni et sur son territoire, de sorte que le Royaume-Uni demeure lié pendant cette période par les obligations découlant des accords internationaux conclus par l'Union européenne.

17. La Convention de Lugano concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale du 30 octobre 2007 (la Convention de Lugano), par laquelle le Royaume-Uni était lié comme Etat membre de l'Union européenne, n'est ni citée ni visée, même implicitement, par les dispositions de l'article 127 de l'Accord relatives aux traités et actes adoptés par les institutions, organes et organismes de l'Union européenne déclarés, par exception, non applicables au Royaume-Uni et sur son territoire pendant la période de transition.

18. Il en résulte que le Royaume-Uni est demeuré lié par la Convention de Lugano jusqu'au 31 décembre 2020, date d'expiration de la période de transition.

19. Après avoir, d'une part, énoncé que l'application de la Convention de Lugano est subordonnée au fait qu'une des parties au moins est domiciliée sur le territoire d'un Etat lié par cette convention, à la désignation d'un tribunal du ressort d'un Etat lié par cette convention et à la reconnaissance du caractère international du litige, d'autre part, relevé que le Royaume-Uni, sur le territoire duquel se trouve la juridiction désignée par la clause, était membre de l'Union européenne au moment de l'introduction de l'instance le 18 avril 2019, soit avant son retrait de l'Union européenne et avant la fin de la période transitoire fixée au 31 décembre 2020, la cour d'appel en a exactement déduit que le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne est sans effet quant à l'application de la Convention de Lugano au litige et que la validité de la clause attributive de juridiction devait être soumise aux conditions de forme prévues à l'article 23 de cette Convention et non aux règles découlant des dispositions du droit national.

20. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

21. Les sociétés TSL et Bolloré Logistics font le même grief à l'arrêt, alors « que le bon de réservation de transport (« Booking confirmation ») mentionnait comme adresse électronique à laquelle les conditions générales de transport MSC étaient consultables « http :www.mscgva. ch/bl_terms/bl.html » ; qu'en retenant, pour considérer que la société Bolloré Logistics avait pu prendre connaissance et accepter ces conditions générales que le bon de réservation renvoyait à l'adresse électronique « http://www.msc.com/che/contract-of-carriage", cependant que ce bon de réservation mentionnait une autre adresse électronique que celle-ci, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce document, en violation du principe faisant interdiction au juge de ne pas dénaturer les termes clairs et précis de la clause. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

22. Pour déclarer le tribunal de commerce de Paris incompétent, l'arrêt retient notamment que la clause attributive de compétence au profit de la juridiction londonienne n'apparaît pas retranscrite par écrit sur le contrat de transport mais dans un autre document auquel il renvoie, que le bon de réservation du 9 février 2018 et la lettre de transport maritime (LTM) du 20 février 2018 mentionnent de façon très apparente et lisible une clause de renvoi aux conditions générales du transporteur sur son site web dont l'adresse électronique est précisée, mettant la partie contractante en mesure, moyennant des diligences normales, de les consulter, sauvegarder ou imprimer avant la conclusion du contrat. Il mentionne ensuite l'adresse figurant selon lui en caractères gras en page 2 du booking reservation. Il en déduit que la condition prévue aux paragraphes 1, a), et 2 de l'article 23 de la Convention de Lugano est remplie et que la clause attributive de juridiction est valide.

23. En statuant ainsi, alors qu'il ne s'agissait pas de l'adresse électronique figurant en caractères gras sur le booking reservation, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

24. Les sociétés TSL et Bolloré Logistics font le même grief à l'arrêt, alors « qu'est valable la clause attributive de juridiction conclue sous une forme qui est conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; qu'en se bornant à relever, pour dire valable, la clause attributive de juridiction dont se prévalait la société MSC l'existence d'un courant d'affaires entre les parties et la soumission de ces relations d'affaires aux conditions générales de transport MSC, sans constater que le contrat litigieux avait été conclu sous une forme qui était conforme aux habitudes que les parties avaient établies entre elles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 23.1 de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 23.1 de la Convention de Lugano :

25. Ce texte dispose :

« Si les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un État lié par la présente Convention, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un État lié par la présente Convention pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue :

a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ; ou

b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; ou

c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée. »

26. Pour déclarer le tribunal de commerce de Paris incompétent, l'arrêt retient que la société MSC justifie, par la production des listings des transports de Bolloré Logistics 2015-2018, d'un courant d'affaires régulier avec la société TSL / BL suisse et même d'un flux récurrent sur cette ligne de transport aux mêmes conditions, qui permet de considérer qu'elles étaient habituées à la présence de cette clause.

27. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'existence d'habitudes établies pendant cette période entre les parties quant à la conclusion d'une telle clause attributive de compétence, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

28. Les sociétés TSL et Bolloré Logistics font le même grief à l'arrêt, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en affirmant qu'il n'est pas contesté que la clause d'élection de for désignant la High Court de Londres correspond à un usage largement connu et régulièrement observé dans le secteur du transport international de marchandises, cependant que les sociétés Bolloré Logistics et TSL contestaient l'existence d'un usage en la matière en raison de la diversité des clauses de règlement de litige insérées dans les connaissements, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

29. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

30. Pour déclarer le tribunal de commerce de Paris incompétent, l'arrêt retient également qu'il n'est pas contesté que la clause attributive de compétence au profit de la juridiction londonienne correspond à un usage largement connu et régulièrement observé dans le secteur du transport international de marchandises dans lequel les sociétés TSL et Bolloré Logistics sont des opérateurs internationaux connus.

31. En statuant ainsi, alors que, dans leurs conclusions d'appel, ces deux sociétés contestaient l'existence d'un usage en la matière en raison de la diversité des clauses insérées dans les connaissements, en soutenant que les clauses stipulées par les transporteurs ne renvoient pas systématiquement à la High Court of Justice of London, que certaines se réfèrent à la « principal place of business », que la rédaction des clauses de juridiction varie selon le bon vouloir du transporteur maritime, qu'on ne peut pas parler de clause type et que le seul usage qui puisse être établi consiste dans la répétition de l'insertion d'une clause de juridiction dans les connaissements, dont la rédaction varie et dépend de la seule volonté du transporteur maritime, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Fontaine - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SARL Delvolvé et Trichet ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Articles 126 et 127 de l'Accord du 24 janvier 2020 sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique ; Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Com., 13 septembre 2023, n° 20-21.546, (B), FRH

Rejet

Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 – Navire – Saisie – Saisie conservatoire – Domaine d'application – Créances maritimes

Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 – Navire – Saisie – Saisie conservatoire – Domaine d'application – Créances maritimes

Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 – Navire – Saisie – Saisie conservatoire – Mainlevée – Condition

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 février 2020), se prévalant d'une créance de dommages et intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail, solde de congés payés, prime de précarité, dommages et intérêts pour absence de visite médicale d'embauche et indemnités forfaitaires pour travail dissimulé, due par la société International Service Company Shipping (la société ISCS), de droit portugais, Mme [T] a obtenu, le 24 septembre 2018, du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Grasse, statuant sur le fondement de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952, l'autorisation de saisir à titre conservatoire le navire M/Y Lady Jersey appartenant la société ISCS.

2. Cette dernière a assigné Mme [T] en rétractation de l'ordonnance autorisant la saisie conservatoire et en mainlevée de celle-ci.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, qui est préalable

Enoncé du moyen

3. La société ISCS fait grief à l'arrêt de cantonner la créance alléguée à la somme de 28 774 euros, d'accorder la mainlevée de la saisie en contrepartie de la constitution d'une garantie bancaire arrêtée à 28 774 euros, alors « qu'au titre des créances autorisant une saisie, l'article 1 de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 vise les salaires de l'équipage ; qu'en décidant d'inclure dans le champ de la garantie des sommes sollicitées à des titres autres que les salaires proprement dits ou les congés payés, les juges du fond ont violé les articles 1 et 5 de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952. »

Réponse de la Cour

4. Ayant relevé que la créance alléguée correspondait à des dommages-intérêts liés à la rupture anticipée et abusive du contrat de travail, un solde de congés payés, une prime de précarité, l'absence de visite médicale d'embauche et une indemnité forfaitaire de travail dissimulé, la cour d'appel en a exactement déduit sa nature maritime au sens de l'article 1, 1, m, de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La société ISCS fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de rétractation de l'ordonnance ayant autorisé la saisie conservatoire en date du 24 septembre 2018 et de mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 26 septembre 2018 ainsi que toutes ses autres demandes, alors « que, si l'article 1 de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 vise la simple allégation, il doit être compris en relation avec l'article 9 ; que selon l'article 9, la convention ne saurait créer un droit qui n'existerait d'après la loi du for ; qu'en décidant qu'il suffit au saisissant d'affirmer qu'il est titulaire d'une créance sans obligation d'en démontrer la vraisemblance ou le sérieux, quand selon la loi française du for, une saisie conservatoire de navire ne peut être pratiquée que sur la base d'une créance paraissant fondée en son principe, les juges du fond ont violé les articles 1, 2 et 9 de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952, ensemble l'article L. 5114-22 du code des transports. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte des dispositions de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer que la simple allégation par le saisissant de l'existence, à son profit, de l'une des créances maritimes visées à l'article 1, 1 de ce traité suffit à fonder son droit de saisir le navire auquel cette créance se rapporte.

8. Ayant constaté que la créance alléguée était de nature maritime, la cour d'appel, dès lors que cette créance se rapportait au navire saisi, a, à bon droit, rejeté les demandes tendant à la rétractation de l'ordonnance autorisant la saisie conservatoire du navire et à la mainlevée de cette saisie.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

10. La société ISCS fait grief à l'arrêt de cantonner la créance alléguée à la somme de 28 774 euros, d'accorder la mainlevée de la saisie en contrepartie de la constitution d'une garantie bancaire arrêtée à 28 774 euros, alors :

« 1°/ que si, pour obtenir la mise en place de la saisie, il suffit, à la hauteur de la saisie, d'alléguer une créance entrant dans le champ de l'article 1 de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952, en revanche, aux termes de l'article 5, il incombe au juge, dès lors qu'une garantie est substituée à la saisie, de se prononcer sur le caractère suffisant de la garantie et de déterminer en conséquence le montant de la garantie en considération de la vraisemblance ou du sérieux de la créance alléguée ; qu'en refusant de se prononcer sur ce point, au motif approprié du premier juge que la garantie de substitution ne peut que correspondre à la créance alléguée, les juges du fond ont violé l'article 5 de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 ;

2°/ que, dès lors que l'article 5 de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 confrère au juge le pouvoir d'apprécier le caractère suffisant de la garantie, sans nullement décider que le montant de cette garantie devait correspondre à la créance alléguée, les juges du fond étaient tenus, en vertu des droits à un recours effectif et au procès équitable, de se prononcer sur le caractère vraisemblable ou sérieux de la créance invoquée ; qu'en refusant de ce faire, les juges du fond ont violé le principe du droit à un recours effectif et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 5 de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 ;

3°/ que, dès lors que l'article 5 ne s'y oppose pas, les juges du fond sont évidemment tenus de cantonner le montant de la garantie au montant de la fraction de la créance qui peut être, non seulement alléguée, mais considérée comme vraisemblable ou sérieuse ; qu'en refusant de se prononcer sur ce point, les juges du fond ont violé le principe de proportion, ensemble l'article 5 de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952. »

Réponse de la Cour

11. Il résulte de l'article 5 de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer que le tribunal accorde la mainlevée de la saisie conservatoire du navire lorsqu'une garantie suffisante a été fournie et que, faute d'accord entre les parties sur l'importance de la garantie, il en fixe le montant.

12. Ayant retenu que la créance alléguée était de nature maritime et, dès lors qu'elle se rapportait au navire saisi, la cour d'appel, qui n'avait pas à apprécier la contestation de la société ISCS portant sur le montant de cette créance, a, à bon droit, sans violer l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, cantonné la créance alléguée à la somme de 28 774 euros et accordé la mainlevée de la saisie en contrepartie de la constitution d'une garantie bancaire arrêtée à cette somme.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Kass-Danno - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SARL Cabinet Munier-Apaire -

Textes visés :

Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer ; article 5 de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions de la saisie conservatoire en application de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952, à rapprocher : Com., 19 mars 1996, pourvoi n° 94-10.838, Bull. 1996, IV, n° 89 (cassation).

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