Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2023

BANQUE

Com., 27 septembre 2023, n° 21-21.995, (B), FRH

Cassation partielle

Blanchiment de capitaux – Obligations – Manquement – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 1er juillet 2021), la société Creacard a assigné la société MF Tel, ayant comme activité la distribution en France de cartes bancaires prépayées, devant le président d'un tribunal de commerce sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile aux fins de lui enjoindre de déposer et de lui communiquer des pièces.

2. Invoquant l'existence d'une concurrence déloyale de la société Creacard, du fait du non-respect par celle-ci de la réglementation bancaire, et soutenant que cette mesure lui permettrait, au cours d'une instance éventuelle, de chiffrer son préjudice, la société MF Tel a reconventionnellement sollicité, sur le fondement du même texte, la communication de pièces comptables et administratives de cette société.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a délibéré sur ce moyen, sur l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats à l'audience publique du 7 mars 2023 où étaient présents : Mme Martinel, présidente, Mme Bohnert, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. La société Creacard fait grief à l'arrêt de révoquer l'ordonnance de clôture du 19 avril 2021 et de prononcer la clôture à l'audience avant ouverture des débats et de la condamner sous astreinte à communiquer à la société MF Tel une situation comptable certifiée conforme par le commissaire aux comptes pour la période du 1er janvier 2020 au 31 juillet 2020 ou en cas d'impossibilité au 31 mars 2020, ainsi que le bilan, les comptes de résultat et la liasse fiscale de l'exercice clos le 31 décembre 2019 certifiés conformes par le commissaire aux comptes, alors « que le juge ne statue que sur les dernières conclusions déposées ; qu'au cas présent, la société Creacard a notifié des conclusions récapitulatives n° 2 le 18 mai 2021, soit avant la clôture de l'instruction fixée au 20 mai 2021, contenant de nouveaux moyens relatifs à l'absence de motif légitime de solliciter une mesure d'instruction in futurum ; qu'en statuant sur le fondement des premières conclusions récapitulatives de la société Creacard en date du 14 avril 2021, la cour d'appel a violé l'article 954 du code de procédure. »

Réponse de la Cour

5. Selon les articles 455 et 954 du code de procédure civile, le juge, qui n'expose pas succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens, doit viser les dernières conclusions déposées avec leur date, sauf à ce qu'il résulte des motifs de sa décision qu'il les a prises en considération.

6. Ayant constaté, en réponse à l'argumentation nouvelle soutenue par la société Creacard dans ses conclusions du 18 mai 2021, que si le courrier du 26 juin 2020 produit par la société MF Tel ne permettait pas de juger que la société Creacard avait effectivement méconnu la réglementation en matière monétaire et bancaire et en avait tiré un avantage concurrentiel illicite, il permettait néanmoins à la société concurrente MF Tel d'invoquer l'existence d'un intérêt légitime à obtenir des mesures d'instruction pour faire chiffrer les éventuels effets comptables d'une concurrence déloyale pouvant être générée par le non-respect des textes réglementaires, la cour d'appel, dont les motifs font ressortir qu'elle a pris en considération les dernières conclusions déposées par la société Creacard en dépit du visa erroné de ses conclusions antérieures, a légalement justifié sa décision.

Sur le second moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. La société Creacard fait grief à l'arrêt de la condamner sous astreinte à communiquer à la société MF Tel une situation comptable certifiée conforme par le commissaire aux comptes pour la période du 1er janvier 2020 au 31 juillet 2020, ou en cas d'impossibilité au 31 mars 2020, ainsi que le bilan et les comptes de résultat et la liasse fiscale de l'exercice clos le 31 décembre 2019, certifiés conformes par le commissaire aux comptes, alors « que le juge ne peut ordonner une mesure d'instruction in futurum si l'action au fond envisagée par le demandeur ne présente aucune chance de succès ; que tel est le cas de l'action en concurrence déloyale envisagée par le demandeur en raison de la méconnaissance par le défendeur de ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, cette action étant vouée à l'échec dans la mesure où la violation de ces obligations, à la supposer avérée, n'est pas susceptible de donner lieu à une indemnisation au profit d'un tiers ; qu'en ordonnant pourtant une mesure d'instruction in futurum destinée à permettre à la société MF Tel d'établir avant tout procès la preuve des effets comptables d'une concurrence déloyale fondée sur la violation par la société Creacard de la réglementation relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

9. Le respect par une entreprise des obligations imposées aux articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme engendre nécessairement pour elle des coûts supplémentaires.

10. Il en résulte que le fait pour un concurrent de s'en affranchir confère à celui-ci un avantage concurrentiel indu, qui peut être constitutif d'une faute de concurrence déloyale.

11. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

12. La société Creacard fait le même grief à l'arrêt, alors « que le juge ne peut, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, ordonner au défendeur la communication d'un document qu'il ne détient pas et qu'aucun texte normatif ne l'oblige à établir ; qu'au cas présent, le juge des référés a condamné la société Creacard à adresser à la société MF Tel une situation comptable certifiée conforme par le commissaire aux comptes sur la période du 1er janvier 2020 au 31 juillet 2020 ou en cas d'impossibilité au 31 mars 2020 ; que la société Creacard faisait valoir ne pas disposer d'un tel document, aucun texte normatif ne lui faisant obligation de tenir une comptabilité sur une période autre qu'annuelle ; que pour confirmer l'ordonnance querellée de ce chef, la cour d'appel a énoncé qu'il n'existait aucun obstacle matériel ou juridique qui empêcherait la société Creacard de faire certifier des comptes trimestriels ou semestriels par son commissaire aux comptes ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 10, 11 et 145 du code de procédure civile :

13. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'il peut être ordonné, sur requête ou en référé, la production de pièces détenues par une partie.

14. Pour enjoindre à la société Creacard de communiquer à la société MF Tel, sous astreinte, une situation comptable certifiée conforme par le commissaire aux comptes pour la période du 1er janvier 2020 au 31 juillet 2020, ou en cas d'impossibilité au 31 mars 2020, l'arrêt relève qu'il n'existe aucun obstacle matériel ou juridique empêchant la société Creacard de produire les documents comptables réclamés, même ceux non approuvés par une assemblée générale au demeurant tenue depuis l'introduction de l'instance, et de faire certifier des comptes trimestriels ou semestriels par le commissaire aux comptes.

15. En se déterminant ainsi, sans constater que la société Creacard détenait les pièces qu'elle lui ordonnait de produire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant l'ordonnance, la cour d'appel enjoint, sous astreinte, à la société Creacard de communiquer à la société MF Tel une situation comptable certifiée conforme par le commissaire aux comptes pour la période du 1er janvier 2020 au 31 juillet 2020, ou en cas d'impossibilité au 31 mars 2020, l'arrêt rendu le 1er juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bellino - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier.

Com., 20 septembre 2023, n° 22-15.878, (B), FRH

Rejet

Ouverture de crédit – Concours à durée indéterminée – Résiliation unilatérale – Préavis – Concours à durée déterminée (non)

La notification par une banque de la résiliation d'un concours à durée indéterminée en application de l'article L. 312-12 du code monétaire et financier ne le transforme pas pendant la durée du préavis en concours à durée déterminée.

Doit en conséquence être annulée la rupture d'un concours à durée indéterminée résultant de l'envoi par la banque durant la période de préavis d'une mise en demeure se prévalant du dépassement du plafond.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 15 mars 2022), par convention du 26 juillet 2006, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Méditerranée (la banque) a consenti à la société Odyssée immobilier (la société) une ouverture de crédit en compte courant pour une durée de vingt-quatre mois, à l'expiration de laquelle le contrat a été tacitement reconduit pour une durée indéterminée.

2. Le 3 mai 2018, la banque a notifié à la société que son concours serait résilié à l'expiration du délai de soixante jours prévu à l'article L. 313-12 du code monétaire et financier.

3. Le 13 juin 2018, la banque a envoyé une seconde lettre à la société, par laquelle elle l'informait qu'en application de l'article 16 de la convention initiale, elle prononçait la déchéance du terme en raison du dépassement du plafond du découvert autorisé, et exigeait le paiement des sommes dues dans un délai de huit jours.

4. La banque a assigné la société ainsi que MM. [X] et [O], qui s'étaient portés cautions, en paiement du solde débiteur du compte courant.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La banque fait grief à l'arrêt de dire qu'elle n'a pas respecté les conditions légales de résiliation d'un concours bancaire, de prononcer la nullité de la résiliation de l'ouverture de crédit et de la déchéance du terme décidée le 13 juin 2018 et de rejeter son action en paiement dirigée contre la société et les cautions, alors « que le renouvellement du contrat d'ouverture de crédit par tacite reconduction donne naissance à un nouveau contrat dont le contenu est identique au précédent, mais dont la durée est indéterminée ; qu'il s'ensuit, dans le cas où, conformément à l'article L. 313-12 du code monétaire et financier, le contrat d'ouverture de crédit renouvelé est interrompu et où le préavis de soixante jours est en cours, ce qui a pour effet de métamorphoser, pour la durée du préavis, le contrat à durée indéterminée en contrat à durée déterminée, que la clause du contrat d'origine qui prévoit que le bénéficiaire de l'ouverture de crédit devra rembourser, dans les huit jours d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au banquier dispensateur du crédit le montant des sommes dont il est alors redevable envers lui lorsque le compte de l'emprunteur enregistre un découvert non autorisé, est pleinement applicable ; qu'en décidant le contraire au motif que la banque « ne peut valablement se prévaloir de son courrier du 13 juin 2018 prononçant la déchéance du terme en application » de l'article 16 de la convention d'ouverture de crédit d'origine, « la seule possibilité de dénonciation d'un découvert à durée indéterminée résidant dans la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 313-12 du code », la cour d'appel a violé ledit article L. 313-12, ensemble les articles 1214 et 1215 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. La notification par une banque, en application de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier, de la résiliation d'un concours à durée indéterminée à l'expiration d'un délai de préavis ne le transforme pas en concours à durée déterminée.

7. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Calloch - Avocat(s) : SCP Capron ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article L. 312-12 du code monétaire et financier.

Rapprochement(s) :

Sur la distinction entre prorogation et renouvellement par tacite reconduction, à rapprocher : Com., 13 mars 1990, pourvoi n° 88-18.251, Bull. 1990, IV, n° 77 (cassation partielle).

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