Numéro 5 - Mai 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2023

BAIL COMMERCIAL

3e Civ., 25 mai 2023, n° 21-23.007, (B), FS

Cassation partielle

Domaine d'application – Bail d'une durée égale ou inférieure à deux ans – Preneur laissé en possession – Nouveau bail – Régime applicable – Action en constatation de l'existence d'un bail soumis au statut des baux commerciaux – Prescription – Exclusion

La demande tendant à faire constater l'existence d'un bail soumis au statut né du fait du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l'article L. 145-5 du code de commerce, n'est pas soumise à la prescription.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 29 juillet 2021), le 14 juin 2004, l'indivision de [V] [X], aux droits de laquelle est venu le Groupement forestier de [X] (le groupement forestier), a consenti à la société Jungle Park (la société) un « bail commercial de courte durée ».

Le 1er mai 2006, a été conclu un nouveau bail ayant pour terme le 30 septembre 2006.

2. A l'échéance du contrat, la société est restée dans les lieux et a été laissée en possession, le groupement forestier émettant des quittances de loyer jusqu'au 31 décembre 2016, date à partir de laquelle il a facturé des indemnités d'occupation.

3. Le 19 avril 2017, la société a assigné le groupement forestier en constatation de l'existence d'un bail soumis au statut des baux commerciaux né du fait de son maintien en possession à l'issue du bail dérogatoire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui est irrecevable.

Mais sur le moyen relevé d'office

5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article L. 145-5 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 :

6. Il résulte de ce texte que si, à l'expiration du bail dérogatoire conclu pour une durée au plus égale à deux ans le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux.

7. Pour déclarer prescrite l'action de la société, l'arrêt retient que l'action en constatation de l'existence d'un bail soumis au statut des baux commerciaux est soumise aux dispositions de l'article 2224 du code civil et que, le premier bail ayant été signé le 14 juin 2004, la société aurait dû agir au plus tard dans un délai de cinq ans, soit le 14 juin 2009.

8. En statuant ainsi, alors que la demande tendant à faire constater l'existence d'un bail commercial statutaire, né du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l'article L. 145-5 du code de commerce, n'est pas soumise à prescription, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande du Groupement forestier de [X] de communication sous astreinte des bilans comptables certifiés des dix dernières années mentionnant le chiffre d'affaire annuel, l'arrêt rendu le 29 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. David - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article L. 145-5 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 1er octobre 2014, pourvoi n° 13-16.806, Bull. 2014, III, n° 121 (rejet).

3e Civ., 25 mai 2023, n° 22-15.946, (B), FS

Cassation

Procédure – Prescription – Prescription biennale – Point de départ – Action en requalification d'un contrat en bail – Date de la conclusion du contrat – Contrats successifs dérogatoires – Absence d'influence

Le délai de prescription biennale applicable à l'action en requalification d'un contrat en bail commercial court, même en présence d'une succession de contrats distincts dérogatoires aux dispositions du statut des baux commerciaux, à compter de la conclusion du contrat dont la requalification est recherchée.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 15 mars 2022) et les productions, pour loger son personnel, la société La Mangeoire, exploitant un commerce de piano-bar-restaurant, a conclu, avec la commune de [Localité 4], devenue la commune de [Localité 1], propriétaire d'un immeuble dans lequel avait été exploité un hôtel, successivement sept conventions qualifiées de « convention d'occupation précaire », la première du 9 novembre 2009, à effet du 15 novembre 2009 au 15 mai 2010, la dernière à effet du 1er novembre 2014 ayant pour terme le 31 octobre 2015.

2. Le 5 octobre 2015, la commune (la bailleresse) a adressé à la société La Mangeoire (la locataire) un projet de « bail de location saisonnière » pour l'année 2016, stipulant une durée de sept mois à l'issue de laquelle le preneur devra quitter les lieux.

3. La locataire restée, sans interruption, en possession des lieux depuis la date d'effet de la première convention, a, le 26 mai 2016, assigné la bailleresse, revendiquant l'existence d'un bail commercial et l'application du statut des baux commerciaux.

4. A titre reconventionnel, la bailleresse a sollicité son expulsion et le paiement d'une indemnité d'occupation.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La locataire fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes, d'ordonner son expulsion et de fixer une indemnité d'occupation, alors « que le point de départ de la prescription biennale applicable à la demande tendant à la requalification d'une convention en bail commercial court à compter de la conclusion du dernier contrat, conclu entre les parties, dont la requalification est demandée ; qu'en jugeant que le délai de prescription de l'action en requalification formée par la société La Mangeoire avait commencé à courir à la date à laquelle les parties avaient conclu leur premier contrat de bail, soit le 9 novembre 2009, et non à la date à laquelle avait été conclue la dernière convention en vertu de laquelle le local était mis à disposition du preneur, la cour d'appel a violé l'article L. 145-60 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L.145-60 du code de commerce :

6. Selon ce texte, toutes les actions exercées en vertu du statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans.

7. Le délai de prescription biennale applicable à l'action en requalification d'un contrat en bail commercial court, même en présence d'une succession de contrats distincts dérogatoires aux dispositions du statut des baux commerciaux, à compter de la conclusion du contrat dont la requalification est recherchée.

8. Pour déclarer irrecevable comme prescrite la demande de requalification de la convention en bail commercial, l'arrêt énonce, d'abord, que le point de départ du délai de prescription est la date de conclusion de la convention initiale, y compris en cas de reconduction tacite ou de renouvellement par avenants successifs et qu'une telle solution s'impose également en cas de renouvellement par conclusion d'un nouveau contrat similaire.

9. Relevant, ensuite, que depuis la signature de la première convention en 2009, la relation contractuelle a été renouvelée dans les mêmes conditions, entre les mêmes parties et pour les mêmes locaux, la locataire n'ayant jamais quitté les lieux ni rendu les clefs à l'expiration de chaque période renouvelée pour la même période, il en déduit que le délai de prescription de l'action a commencé à courir à compter du 9 novembre 2009, date de conclusion du premier contrat entre les parties.

10. En statuant ainsi, alors que la locataire demandait la requalification du dernier contrat conclu entre les parties, en sorte que le point de départ de la prescription de son action courait à compter du 1er novembre 2014, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Andrich - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article L. 145-60 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 14 septembre 2017, pourvoi n° 16-23.590, Bull. 2017, III, n° 104 (cassation), et l'arrêt cité.

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