Numéro 5 - Mai 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2023

CONSTRUCTION IMMOBILIERE

3e Civ., 11 mai 2023, n° 22-13.696, (B), FS

Cassation partielle

Immeuble à construire – Vente en l'état futur d'achèvement – Garantie financière d'achèvement – Exécution – Solde du prix de vente de l'immeuble – Paiement – Bénéficiaires – Détermination – Portée

Le garant d'achèvement d'une construction vendue en l'état futur d'achèvement prévu à l'article R. 261-21 du code de la construction et de l'habitation, qui achève ou fait achever en les payant, les travaux abandonnés par le constructeur défaillant, est seul fondé à exiger de l'acquéreur le solde du paiement du prix de vente.

La créance du garant sur le prix de vente encore détenu par les acquéreurs étant la contrepartie de la mise en oeuvre de la garantie, elle est limitée à la part du prix correspondant aux ouvrages financés par le garant.

Conformément à l'article 1315, devenu 1353 du code civil, il appartient, dès lors, au garant qui réclame à l'acquéreur le paiement du solde du prix de vente, de prouver que ce solde est la contrepartie de travaux qu'il a financés pour parvenir à l'achèvement de l'ouvrage.

Immeuble à construire – Vente en l'état futur d'achèvement – Garantie financière d'achèvement – Exécution – Solde du prix de vente de l'immeuble – Créance du garant – Etendue – Preuve – Charge – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 25 novembre 2021), la société Carlton Hills a fait construire un immeuble à usage d'habitation en Polynésie française dont elle a vendu des lots en l'état futur d'achèvement à la société civile immobilière Carolive (la SCI).

2. Le 17 décembre 2004, une garantie extrinsèque d'achèvement a été souscrite sous la forme d'un cautionnement bancaire auprès de la société Banque Socredo (la banque).

3. La société Carlton Hills, la banque et la SCI, ainsi que d'autres copropriétaires, ont conclu un protocole pour parvenir à l'achèvement de l'ouvrage.

4. La société Carlton Hills a été mise en redressement judiciaire le 10 août 2009 puis en liquidation le 23 novembre 2009.

5. La banque a assigné la SCI et M. [O], pris en sa qualité de liquidateur de la société Carlton Hills, aux fins de paiement, par la SCI, de la somme de 8 400 000 francs CFP correspondant au solde du prix d'achat de ses lots.

Examen des moyens

Sur les premier, troisième et quatrième moyens

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

7. La SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à la banque la somme de 5 281 951 francs CFP, d'ordonner la mainlevée du compte séquestre à hauteur de la somme de 3 118 049 francs CFP au profit de la banque et de rejeter sa demande de dommages et intérêts, alors « que le garant d'achèvement d'une construction vendue en l'état futur d'achèvement qui achève ou fait achever en les payant les travaux abandonnés par le constructeur défaillant, n'est fondé à exiger des acquéreurs que le paiement du solde du prix de vente encore éventuellement dû par ces derniers ; que la société Carolive ayant démontré l'existence d'un accord intervenu avec le représentant du promoteur les 5 juillet et 2 août 2007 selon lequel seront à déduire du solde du prix, divers travaux réalisés par l'acquéreur, c'est à la société Banque Socredo qu'il appartenait de démontrer avoir néanmoins financé l'exécution de ces travaux dans le cadre de la garantie d'achèvement ; qu'en énonçant qu'il ne résulterait pas du document en date des 5 juillet et 2 août 2007 que les travaux mentionnés pour un prix de 3 181 951 FCP n'ont pas été en définitive réalisés dans le cadre de la garantie d'achèvement et qu'ils ont été pris en charge par les acquéreurs directement, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article R. 261-21 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction applicable au litige, et l'article 1315, devenu 1353, du code civil :

8. Il est jugé, au visa du premier de ces textes, que le garant d'achèvement d'une construction vendue en l'état futur d'achèvement, qui achève ou fait achever en les payant, les travaux abandonnés par le constructeur défaillant, est seul fondé à exiger de l'acquéreur le solde du paiement du prix de vente (3e Civ., 7 novembre 2007, pourvoi n° 05-15.515, Bull. 2007, III, n° 191).

9. La créance du garant sur le prix de vente encore détenu par les acquéreurs étant la contrepartie de la mise en oeuvre de la garantie, elle est limitée à la part du prix correspondant aux ouvrages financés par le garant.

10. Selon le second de ces textes, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

11. Il appartient, dès lors, au garant qui réclame le paiement, par l'acquéreur, du solde du prix de vente, de prouver que ce solde est la contrepartie de travaux qu'il a financés pour parvenir à l'achèvement de l'ouvrage.

12. Pour condamner la SCI à payer l'intégralité du solde du prix de vente, l'arrêt retient que, s'il résulte du protocole des 5 juillet et 2 août 2007 que les travaux qui y sont mentionnés n'ont pas été pris en charge par le vendeur en juillet 2007, il n'est pas établi qu'ils n'ont pas été réalisés en exécution de la garantie d'achèvement et qu'ils ont été pris en charge par les acquéreurs directement.

13. En statuant ainsi, alors qu'il appartenait au garant de prouver qu'il avait financé la réalisation des ouvrages correspondant au solde du prix qu'il réclamait, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve de l'obligation, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. La violation des règles de preuve ne portant que sur une obligation d'un montant de 3 181 951 francs CFP, la cassation peut se limiter à la condamnation de la SCI à verser à la banque la somme de 5 281 951 francs CFP sans atteindre la disposition ordonnant la mainlevée du compte séquestre de la somme de 3 118 049 francs CFP.

15. La cassation n'atteint pas, par ailleurs, le rejet de la demande de dommages et intérêts formée par la SCI contre la banque, dès lors que les motifs critiqués ne sont pas le soutien de cette décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société civile immobilière Carolive à verser à la société Banque Socredo la somme de 5 281 951 francs CFP sur le compte centralisateur numéro [XXXXXXXXXX02] ouvert dans ses livres, l'arrêt rendu le 25 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Zedda - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés -

Textes visés :

Article R. 261-21 du code de la construction et de l'habitation ; article 1315, devenu 1353, du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 7 novembre 2007, pourvoi n° 05-15.515, Bull. 2007, III, n° 191 (cassation partielle).

3e Civ., 11 mai 2023, n° 21-23.859, n° 22-12.778, (B), FS

Cassation partielle

Maison individuelle – Contrat de construction – Garanties légales – Garantie de livraison – Obligations du garant – Etendue – Portée

Le constructeur selon contrat de construction de maison individuelle, qu'il comporte ou non fourniture du plan, doit souscrire une garantie de livraison, qui prend notamment en charge le coût des travaux nécessaires à l'achèvement de l'ouvrage et les pénalités de retard de livraison excédant trente jours.

Dès lors, viole les articles 1147 du code civil, L. 231-2, k), L. 232-1, g), et L. 231-6 du code de la construction et de l'habitation, une cour d'appel qui limite le préjudice de jouissance imputable à la banque après avoir pourtant retenu que la faute de celle-ci avait privé les acquéreurs d'une garantie de livraison.

Maison individuelle – Contrat de construction – Prêteur – Obligations – Manquement – Faute – Réparation – Détermination

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-23.859 et 22-12.778 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 23 septembre 2021), M. [B] et Mme [Y], qui ont conclu un contrat de construction de maison individuelle, ont souscrit auprès de la société Crédit du Nord, aux droits de laquelle vient la Société générale (la banque), un prêt immobilier destiné à financer l'opération.

3. Aucune garantie de livraison n'a été souscrite par le constructeur.

4. Ensuite de la défaillance de celui-ci, une expertise a conclu que les désordres affectant les travaux réalisés devaient conduire à la démolition et à la reconstruction de l'ouvrage.

5. Se prévalant des clauses du contrat de prêt stipulant que la mise à disposition des fonds ne pouvait intervenir qu'après la remise au prêteur de deniers d'une attestation de garantie de livraison, M. [B] et Mme [Y] ont assigné la banque en réparation.

Examen des moyens

Sur les premiers moyens, pris en leur deuxième et troisième branches, et sur les deuxième à sixième moyens, des pourvois n° 21-23.859 et 22-12.778

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur les premiers moyens, pris en leur quatrième branche, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

7. M. [B] et Mme [Y] font grief à l'arrêt de condamner la société Crédit du Nord à leur payer une somme limitée à 270 000 euros au titre du coût d'achèvement de l'ouvrage et à 33 188 euros au titre des pénalités de retard, alors « qu'en cas de retard de livraison, les pénalités se calculent par rapport au prix convenu ; qu'en retenant le prix de 171 500 euros fixé au contrat de construction initial, sans tenir compte de l'avenant du 6 décembre 2012 ayant augmenté le prix à 180 000 euros (171 500 + 8 500 euros), la cour d'appel a violé les articles L. 231-2 et R. 231-14 du code de la construction et de l'habitation. »

Réponse de la Cour

8. Il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions d'appel de M. [B] et de Mme [Y] que ceux-ci aient soutenu que le calcul des pénalités de retard devait s'opérer sur la base d'un prix convenu de 180 000 euros, ayant invoqué, sans explication, une assiette de calcul des pénalités de 186 500 euros.

9. Le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, n'est donc pas recevable.

Mais sur les premiers moyens, pris en leur première branche, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

10. M. [B] et Mme [Y] font le même grief à l'arrêt, alors « que dès lors que la faute de la banque est à l'origine d'un préjudice certain causé par l'absence de garantie de livraison, l'indemnisation du maître d'ouvrage ne peut être limitée à la perte d'une chance, le maître d'ouvrage ayant droit à la réparation intégrale de tous les préjudices consécutifs à la non-fourniture d'une garantie de livraison ; qu'en considérant que le préjudice subi pour le coût d'achèvement des travaux et pour les pénalités de retard s'analysaient en une simple perte de chance évaluée à 90 %, la cour d'appel a violé l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

11. Aux termes de ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

12. Pour limiter à une certaine somme le préjudice matériel des maîtres de l'ouvrage, résultant de la méconnaissance par la banque de son obligation, stipulée au contrat de prêt, de ne pas débloquer les fonds avant présentation de l'attestation de garantie de livraison souscrite par le constructeur, l'arrêt retient que cette faute a fait perdre aux acquéreurs une chance de bénéficier d'une garantie de livraison, qu'elle a fixée à 90 % de leur préjudice.

13. En statuant ainsi, alors que la faute de la banque était à l'origine d'un préjudice certain causé par l'absence de garantie de livraison, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur les premiers moyens, pris en leur cinquième branche, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

14. M. [B] et Mme [Y] font le même grief à l'arrêt, alors « que les pénalités de retard doivent se calculer jusqu'à l'achèvement de la reconstruction et le maître d'ouvrage a droit à la réparation intégrale de tous les préjudices consécutifs à la non-fourniture d'une garantie de livraison ; qu'en énonçant que la banque ne pouvait pas supporter les conséquences de l'absence de livraison de la maison au 7 septembre 2020, la cour d'appel a violé les articles L. 231-2 et R. 231-14 du code de la construction et de l'habitation, ainsi que l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et les articles L. 231-2, k), L. 232-1, g), et L. 231-6 du code de la construction et de l'habitation :

15. Aux termes du premier de ces textes, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

16. En application des deux suivants, le constructeur selon contrat de construction de maison individuelle, qu'il comporte ou non fourniture du plan, doit souscrire une garantie de livraison, qui prend notamment en charge, selon le dernier, le coût des travaux nécessaires à l'achèvement de l'ouvrage et les pénalités de retard de livraison excédant trente jours.

17. Pour limiter le préjudice de jouissance imputable à la banque au titre du retard de livraison, l'arrêt retient que la banque ne saurait supporter les conséquences d'une absence de livraison de la maison au 7 septembre 2020, cette situation ne présentant pas de lien de causalité directe avec la faute retenue et que si un garant de livraison était intervenu, l'achèvement aurait été acquis, compte tenu d'un délai de travaux de démolition-reconstruction fixé à dix-huit mois, à la date du 30 novembre 2015.

18. En statuant ainsi, après avoir retenu que la faute de la banque avait privé les acquéreurs du bénéfice d'une garantie de livraison, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite aux sommes de 270 000 euros et de 33 188 euros les condamnations prononcées, au bénéfice de M. [B] et de Mme [Y], contre la société Crédit du Nord, au titre, respectivement, du coût d'achèvement de l'ouvrage et des pénalités de retard, l'arrêt rendu le 23 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Boyer - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie ; SARL Cabinet Briard -

Textes visés :

Article 1147 du code civil ; articles L. 231-2, k), L. 232-1, g), et L. 231-6 du code de la construction et de l'habitation.

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