Numéro 5 - Mai 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2023

PROTECTION DES CONSOMMATEURS

3e Civ., 25 mai 2023, n° 21-20.643, (B), FS

Cassation partielle

Clauses abusives – Domaine d'application – Contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs – Maître de l'ouvrage – Non-professionnel – Définition – Portée

Les dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, selon lesquelles sont réputées non écrites parce qu'abusives les clauses des contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, ne s'appliquent pas aux contrats de fourniture de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l'activité professionnelle exercée par le cocontractant.

Si le contrat a un rapport direct avec l'activité professionnelle du maître de l'ouvrage, celui-ci ne peut être considéré comme un non professionnel dans ses rapports avec le maître d'oeuvre, peu important ses compétences techniques dans le domaine de la construction, de sorte que les dispositions relatives aux clauses abusives ne sont pas applicables.

Déchéance partielle du pourvoi principal de la société Hôtel le Bristol examinée d'office

1. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 978 du même code.

Vu l'article 978 du code de procédure civile :

2. Il résulte de ce texte qu'à peine de déchéance, le mémoire en demande doit être signifié au défendeur n'ayant pas constitué avocat au plus tard dans le mois suivant l'expiration du délai de quatre mois à compter du pourvoi.

3. La société Hôtel le Bristol n'a pas signifié le mémoire ampliatif aux sociétés Est constructions et Construction bâtiment études et conception (COBATECO).

4. Il s'ensuit que la déchéance du pourvoi principal doit être constatée à l'égard de ces sociétés.

Faits et procédure

5. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 juin 2021, rectifié par arrêt du 29 mars 2023) et les productions, la société anonyme Hôtel le Bristol a confié à M. [W], assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d'oeuvre de travaux d'extension de l'hôtel qu'elle exploite.

6. Sont intervenus à l'opération :

 - pour l'ingénierie structure et génie civil, la société COBATECO, assurée auprès de la société AXA France IARD (la société AXA) ;

 - pour les études portant sur les équipements techniques, la société Beterem, aux droits de laquelle vient la société TPF ingénierie ;

 - pour le contrôle technique, la société Bureau Veritas, aux droits de laquelle vient la société Bureau Veritas construction, assurée auprès de la société QBE Insurance Europe Limited, aux droits de laquelle vient la société QBE Europe SA/NV (la société QBE Europe) et auprès de la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (la SMABTP) ;

 - pour les lots gros oeuvre, maçonnerie, cloisons, doublages, couverture et charpente, la société Est constructions, assurée auprès de la SMABTP.

7. La société Est constructions a sous-traité des études techniques à la société Vialatte ingénierie.

8. La société Hôtel le Bristol a résilié les contrats de M. [W] et des sociétés Est constructions et COBATECO en cours de chantier.

9. La société COBATECO a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 15 février 2012.

La procédure a été clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du 13 février 2013.

10. La société Est constructions a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 10 juillet 2013.

La procédure a été clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du 26 septembre 2018.

11. Se plaignant de désordres et de retards, la société Hôtel le Bristol a assigné M. [W], la MAF, la SMABTP, M. [I], en sa qualité de liquidateur des sociétés COBATECO et Est constructions, et les sociétés AXA, Bureau Veritas, QBE Insurance, en indemnisation de ses préjudices.

Recevabilité des pourvois incidents examinée d'office

12. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 1010 du même code.

Vu l'article 1010 du code de procédure civile :

13. Selon ce texte, le pourvoi incident, même provoqué, doit, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, être signifié au défendeur n'ayant pas constitué avocat au plus tard dans le mois suivant l'expiration du délai prévu pour la remise du mémoire en réponse.

14. Le pourvoi incident de la société AXA n'a pas été signifié à la société Est constructions. Il a été signifié à M. [I], recherché comme mandataire liquidateur de la société COBATECO, à une date à laquelle ce mandat avait pris fin, en application du jugement ordonnant la clôture de la procédure pour insuffisance d'actif.

15. Le pourvoi incident de M. [W] a été signifié à M. [I], recherché comme mandataire liquidateur de la société Est constructions et de la société COBATECO, à une date à laquelle ces mandats avaient pris fin en application des jugements ordonnant la clôture des procédures pour insuffisance d'actif.

16. A défaut de signification régulière dans le délai légal, les pourvois incidents de M. [W] et de la société AXA sont irrecevables en tant qu'ils sont dirigés contre les sociétés Est constructions et COBATECO.

Examen des moyens

Sur les quatrième à huitième moyens, neuvième moyen, pris en sa première branche, dixième à douzième moyens et quinzième moyen du pourvoi principal de la société Hôtel le Bristol et sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident de M. [W]

17. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal de la société Hôtel le Bristol

Enoncé du moyen

18. La société Hôtel le Bristol fait grief à l'arrêt de dire que la clause d'exclusion de solidarité figurant au contrat d'architecte de M. [W] était valable et applicable et de condamner M. [W], sous la garantie de la MAF, non pas in solidum avec les autres responsables des dommages auxquels il a contribué par ses manquements contractuels, mais uniquement à raison de sa part contributive aux dommages, alors « que l'exclusion de l'obligation in solidum de l'architecte en cas de dommage auquel il a contribué par son manquement contractuel, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, notamment lorsqu'il a été chargé d'une mission de maîtrise d'oeuvre d'exécution comme en l'espèce selon les constatations de l'arrêt, en permettant à l'architecte de limiter les conséquences de sa responsabilité contractuelle et en faisant peser sur le maître d'ouvrage non professionnel le risque d'insolvabilité des coauteurs du dommage auquel l'architecte a contribué par ses manquements contractuels, de sorte qu'une clause prévoyant une telle exclusion est abusive et doit être réputée non écrite ; qu'en excluant l'obligation in solidum de l'architecte chargé d'une mission de maîtrise d'oeuvre d'exécution en l'espèce, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

19. Les dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, selon lesquelles sont réputées non écrites parce qu'abusives les clauses des contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, ne s'appliquent pas aux contrats de fourniture de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l'activité professionnelle exercée par le cocontractant (1re Civ., 24 janvier 1995, pourvoi n° 92-18.227, Bulletin 1995, I, n° 54 ; Com., 1 juin 1999, pourvoi n° 96-20.962).

20. La cour d'appel a constaté que la société Hôtel le Bristol avait conclu un contrat de maîtrise d'oeuvre avec M. [W] pour étendre l'hôtel qu'elle exploitait.

21. Le contrat ayant un rapport direct avec l'activité professionnelle du maître de l'ouvrage, celui-ci ne peut être considéré comme un non-professionnel dans ses rapports avec le maître d'oeuvre, peu important ses compétences techniques dans le domaine de la construction, de sorte que les dispositions précitées ne sont pas applicables.

22. Par ces motifs de pur droit, substitués à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal de la société Hôtel le Bristol

Enoncé du moyen

23. La société Hôtel le Bristol fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'exclusion de l'obligation in solidum de l'architecte en cas de dommage auquel il a contribué par son manquement contractuel contredit la portée de l'obligation essentielle souscrite par l'architecte en lui permettant de limiter les conséquences de sa responsabilité contractuelle, notamment lorsqu'il a été chargé d'une mission de maîtrise d'oeuvre d'exécution comme en l'espèce selon les constatations de l'arrêt, de sorte qu'une clause prévoyant une telle exclusion doit être réputée non écrite ; qu'en excluant l'obligation in solidum de l'architecte chargé d'une mission de maîtrise d'oeuvre d'exécution en l'espèce, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

24. Ayant retenu que l'architecte restait tenu à réparation dans la mesure de sa part de responsabilité et devait ainsi assumer les conséquences de ses fautes et manquements, la cour d'appel a pu en déduire que la clause d'exclusion de solidarité devait être appliquée.

25. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi principal de la société Hôtel le Bristol et sur le moyen du pourvoi incident de la société AXA, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

26. Par son premier moyen, la société Hôtel le Bristol fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'article IX A du contrat d'architecte conclu le 2 juin 2004 stipule que « L'Architecte assume la responsabilité de l'opération dans le cadre de la mission ci-dessus, tant sur le plan des études que sur celui de la direction des travaux, conformément aux lois et règlements en vigueur et notamment, aux articles 1792 et 2270 du code civil et, ce, dans la seule mesure de ses fautes personnelles éventuelles et sans aucune solidarité » ; que cette clause claire et précise visait uniquement la solidarité et n'excluait donc pas la possibilité de condamner l'architecte in solidum avec les coauteurs du même dommage, l'obligation in solidum étant distincte de la solidarité (Com., 28 mars 1995, pourvoi n° 93-16.748 ; 1re Civ., 13 novembre 1967, Bull. 1967, n° 327) ; qu'en statuant ainsi, la Cour a dénaturé cet écrit clair et précis et violé l'article 1103, anciennement 1134, du code civil. »

27. Par son moyen, la société AXA fait grief à l'arrêt de dire que la clause d'exclusion de solidarité figurant au contrat d'architecte de M. [W] est valable et applicable, de condamner M. [W], sous la garantie de la MAF, non pas in solidum avec les autres responsables des dommages auxquels il a contribué par ses manquements contractuels, mais uniquement à raison de sa part contributive aux dommages et de rejeter les recours de la société AXA contre M. [W] et la MAF, alors « que l'article IX A du contrat d'architecte conclu le 2 juin 2004 stipule que « L'Architecte assume la responsabilité de l'opération dans le cadre de la mission ci-dessus, tant sur le plan des études que sur celui de la direction des travaux, conformément aux lois et règlements en vigueur et notamment, aux articles 1792 et 2270 du code civil et, ce, dans la seule mesure de ses fautes personnelles éventuelles et sans aucune solidarité » ; que cette clause claire et précise visait uniquement la solidarité et n'excluait donc pas la possibilité de condamner l'architecte in solidum avec les coauteurs du même dommage, l'obligation in solidum étant distincte de la solidarité (Cass. Com. 28 mars 1995, pourvoi n° 93-16.748 ; Cass. 1re Civ., 13 novembre 1967, Bull. 1967, n° 327) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a dénaturé cet écrit clair et précis et violé l'article 1192, anciennement 1134, du code civil. »

Réponse de la Cour

28. C'est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, de la clause litigieuse, que son ambiguïté rendait nécessaire, que la cour d'appel a retenu qu'elle ne portait pas sur les seules obligations solidaires, légales ou conventionnelles, mais sur la solidarité de manière générale, ce qui incluait les obligations solidaires et in solidum.

29. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal de la société Hôtel le Bristol

Enoncé du moyen

30. La société Hôtel le Bristol fait grief à l'arrêt de dire que la MAF n'était tenue à garantie, au titre des condamnations prononcées à l'encontre de M. [W], que dans la limite d'un plafond de garantie unique de 3 048 908,34 euros pour l'ensemble des dommages qui lui sont imputables, alors « que selon les constatations de l'arrêt, l'article 1 des conditions générales de la police de la MAF stipule que les parties conviennent « que ne constituent qu'un seul et même sinistre les faits comportant dommages, même se produisant dans des édifices séparés, s'ils se rattachent à une même origine ou une même cause technique sous la condition que l'opération dirigée par l'architecte assuré soit faite pour le même client en application d'un même programme et soit exécutée par un même entrepreneur nanti d'un marché s'appliquant à l'ensemble des édifices susdits » ; qu'en estimant que la cause technique des dommages allégués est dans les deux cas la même, à savoir le manquement de l'architecte à ses obligations contractuelles, quand le manquement de l'architecte à ses obligations contractuelles ne peut pas constituer la cause technique du dommage, la Cour a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations, méconnu la loi des parties et violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

31. La cour d'appel a constaté que selon les stipulations des conditions générales de la police souscrite par M. [W] auprès de la MAF, « ne constituent qu'un seul et même sinistre les faits comportant dommages, même se produisant dans des édifices séparés, s'ils se rattachent à une même origine ou une même cause technique sous la condition que l'opération dirigée par l'architecte assuré soit faite pour le même client en application d'un même programme et soit exécutée par un même entrepreneur nanti d'un marché s'appliquant à l'ensemble des édifices susdits ».

32. Par une interprétation souveraine, rendue nécessaire par l'ambiguïté des termes du contrat, la cour d'appel a retenu que les dommages qui trouvaient leur origine dans une mission unique de maîtrise d'oeuvre confiée par un même client, en application d'un même programme et qui avaient pour cause le manquement de l'architecte à ses obligations contractuelles, constituaient, au sens du contrat, un même sinistre pour l'application du plafond de garantie.

33. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen du pourvoi principal de la société Hôtel le Bristol

Enoncé du moyen

34. La société Hôtel le Bristol fait grief à l'arrêt de dire la société AXA tenue à garantie, au titre de la responsabilité de la société COBATECO, dans la limite d'un plafond de garantie unique de 343 575 euros pour l'ensemble des dommages qui lui sont imputables, alors « que selon les constatations de l'arrêt, l'article 33.25 des conditions générales de la police de la compagnie AXA France IARD définit le sinistre comme « toutes conséquences dommageables pouvant mettre en jeu une ou plusieurs garanties du présent contrat », et que « constitue un seul et même sinistre l'ensemble des dommages résultant d'une même cause technique initiale : le sinistre est alors imputé à l'année d'assurance au cours de laquelle le premier dommage est survenu » ; qu'en estimant que c'est à bon droit que la compagnie AXA France, à l'instar de la MAF, soutient que le plafond de garantie fixé par sa police constitue la limite de l'indemnisation due au profit de la société COBATECO au titre de l'ensemble des désordres objet du litige, ayant une même cause génératrice, à savoir le manquement du bureau d'études à ses obligations contractuelles, quand le manquement du bureau d'études à ses obligations contractuelles ne peut pas constituer la cause technique du désordre, la Cour a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations, méconnu la loi des parties et violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

35. La cour d'appel a constaté que selon les stipulations des conditions générales de la police souscrite par la société COBATECO auprès de la société AXA, « constitue un seul et même sinistre l'ensemble des dommages résultant d'une même cause technique initiale : le sinistre est alors imputé à l'année d'assurance au cours de laquelle le premier dommage est survenu ».

36. Par une interprétation souveraine, rendue nécessaire par l'ambiguïté des termes du contrat, la cour d'appel a retenu que les désordres qui avaient pour même cause génératrice le manquement du bureau d'études à ses obligations contractuelles, constituaient, au sens du contrat, un même sinistre pour l'application du plafond de garantie.

37. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le quatrième moyen du pourvoi incident de M. [W] et sur les moyens du pourvoi incident de la MAF, réunis

Enoncé du moyen

38. Par son quatrième moyen, M. [W] fait grief à l'arrêt de le condamner au profit de la société Hôtel le Bristol in solidum avec la MAF et la société AXA aux dépens et au paiement de la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 1°/ qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que le contrat de maîtrise d'oeuvre liant M. [W] à la société Hôtel Le Bristol stipulait que « l'architecte assume la responsabilité de l'opération dans le cadre de la mission ci-dessus, tant sur le plan des études que sur celui de la direction des travaux, conformément aux lois et règlements en vigueur et notamment aux articles 1792 et 2270 du code civil et, ce, dans la seule mesure de ses fautes personnelles éventuelles et sans aucune solidarité », qu'une telle clause inclut les obligations solidaire et in solidum et qu'elle s'applique dans le cadre des relations entre le maître de l'ouvrage et l'architecte ; qu'il s'ensuivait nécessairement que de la même manière que, comme l'a retenu la cour d'appel, l'architecte ne pouvait être tenu responsable que de la part de responsabilité résultant de ses manquements, il ne pouvait se voir mettre à charge l'ensemble des frais et dépens pour une fraction dépassant la part que les juges ont imputé au titre de la contribution à la dette ; qu'ainsi, faute d'avoir limité à 15 % le montant des dépens et frais irrépétibles auquel M. [W] a été condamné, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1147 et 1150 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ qu'en tout état de cause, l'obligation au paiement d'une somme d'argent n'est pas, par elle-même, indivisible ; qu'en prononçant une condamnation in solidum au titre des dépens et des frais non compris dans les dépens, la cour d'appel a violé l'article 1320, alinéa 2, du code civil, ensemble les articles 696 et 700 du code de procédure civile. »

39. Par son premier moyen, la MAF fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec M. [W] et la société AXA, aux dépens de première instance et d'appel, dont les frais d'expertise à hauteur de 244 326 euros et de répartir la charge de cette dette, alors « que le juge est tenu de respecter les stipulations contractuelles excluant les conséquences de la responsabilité solidaire d'un constructeur à raison des dommages imputables à d'autres intervenants ; qu'en condamnant la MAF et M. [W], in solidum avec d'autres parties, à supporter les entiers dépens de l'instance, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

40. Par son second moyen, la MAF fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec M. [W] et la société AXA, à payer à la société Hôtel le Bristol la somme de 100 000 euros au titre des frais irrépétibles et de répartir la charge de cette dette, alors « que le juge est tenu de respecter les stipulations contractuelles excluant les conséquences de la responsabilité solidaire d'un constructeur à raison des dommages imputables à d'autres intervenants ; qu'en condamnant la MAF et M. [W], in solidum et d'autres parties, à payer à la société Hôtel Le Bristol la somme de 100 000 euros au titre des frais irrépétibles, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

41. La répartition des dépens entre les parties qui succombent sur quelques chefs de leurs prétentions de même que l'application de l'article 700 du code de procédure civile relèvent du pouvoir discrétionnaire des juges du fond.

Les conventions particulières des parties ne peuvent porter atteinte à ce pouvoir.

42. Dès lors que les juges peuvent mettre à la charge de plusieurs parties les mêmes frais, ils peuvent prononcer, de ce chef, une condamnation in solidum.

43. C'est dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire que la cour d'appel a condamné in solidum certaines parties succombantes aux dépens et à verser des indemnités au titre des frais non compris dans les dépens.

44. Les moyens ne sont donc pas fondés.

Mais sur le neuvième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal de la société Hôtel le Bristol

Enoncé du moyen

45. La société Hôtel le Bristol fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes au titre du poste A11 (escaliers), alors « que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; qu'en statuant ainsi, s'agissant des escaliers des 1er et 2e sous-sols et du 1er sous-sol et rez-de-chaussée, et des escaliers d'honneurs des 6e et 7e étage, pour lesquels elle avait retenu la responsabilité de M. [W] et de la société Est constructions, motif pris qu'aucun élément de l'expertise et du dossier de la société Hotel le Bristol ne permettait de ventiler la somme retenue par l'expert et de l'imputer à l'un ou l'autre des désordres, quand il lui appartenait d'interroger l'expert ou de prescrire une autre expertise dès lors qu'elle estimait que le rapport était insuffisant, la cour d'appel a derechef violé l'article 4 du code civil, ensemble l'article 245 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code civil :

46. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser d'évaluer le montant d'un dommage dont il a constaté l'existence en son principe.

47. Pour rejeter la demande formée du chef des escaliers (poste A11), l'arrêt retient que les responsabilités sont distinctes et qu'aucun élément de l'expertise et du dossier du maître de l'ouvrage ne permet de ventiler la somme évaluée par l'expert entre les différents travaux de reprise des escaliers.

48. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que M. [W] et la société Est constructions étaient responsables de la non-conformité de certains escaliers, la cour d'appel, qui a refusé d'évaluer un préjudice dont elle avait constaté l'existence en son principe, a violé le texte susvisé.

Sur le treizième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal de la société Hôtel le Bristol

Enoncé du moyen

49. La société Hôtel le Bristol fait grief à l'arrêt de limiter la condamnation de M. [W] et son assureur au titre des préjudices financiers liés au retard du chantier à la somme de 68 071,77 euros HT, de limiter la condamnation in solidum des sociétés COBATECO et Est constructions à la somme de 158 834,13 euros HT, de limiter la condamnation de la société AXA à la somme de 158 834,13 euros HT, de limiter la créance de la société Hôtel Le Bristol au passif de la société COBATECO à la somme de 158 834,13 euros HT et de limiter sa créance au passif de la société Est constructions à la somme de 158 834,13 euros HT, alors « que la cassation à intervenir sur l'un ou l'autre des sixième à douzième moyens de cassation entraînera la cassation du chef de dispositif attaqué, par voie de conséquence, en application de l'article 625 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

50. Selon ce texte, la portée de la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

51. La cassation des chefs de dispositif rejetant les demandes au titre du poste A11 (escaliers), ne s'étend pas au rejet de la demande formée de ce chef contre la société Est constructions ni à la limitation des sommes mises à la charge des sociétés Est constructions et COBATECO au titre des frais liés au retard, dès lors que la société Hôtel le Bristol est déchue de son pourvoi contre ces sociétés.

52. Elle s'étend, en revanche, aux dispositions de l'arrêt qui limitent la condamnation de M. [W] sous la garantie de la MAF au titre des préjudices financiers liés au retard du chantier à la somme de 68 071,77 euros HT et limitent la condamnation de la société AXA à la somme de 158 834,13 euros HT, dès lors que ces dispositions se trouvent dans un lien de dépendance nécessaire.

En effet, les indemnités dues au maître de l'ouvrage ont été en partie calculées par la cour d'appel proportionnellement au montant des travaux de reprise.

Sur le quatorzième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal de la société Hôtel le Bristol

Enoncé du moyen

53. La société Hôtel le Bristol fait grief à l'arrêt de rejeter l'intégralité de sa demande indemnitaire dirigée contre la société TPF ingénierie au titre des surcoûts des travaux, alors « que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; que la cour a constaté que la responsabilité des sociétés Beterem, bureau d'études techniques, et Bureau Veritas à l'origine des « surcoûts de travaux » était mineure ; qu'en retenant par ailleurs qu'il n'était pas établi que la société Beterem, bureau d'études techniques, et la société Bureau Veritas, contrôleur technique « soient responsables, même partiellement, du retard pris par les travaux », quand le retard du chantier était dû aux désordres relevés dont certains (A1, 12 et A4) en partie imputables à la société Beterem selon les constatations de l'arrêt, la Cour s'est contredite et a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

65. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

La contradiction entre les motifs équivaut à un défaut de motifs.

54. Après avoir retenu que le retard du chantier était dû, notamment, aux travaux préparatoires et de reprise du gros oeuvre et des corps d'état secondaires et que la société Beterem était responsable d'une partie des désordres ayant rendu nécessaires ces travaux, l'arrêt retient qu'il n'est pas établi que cette société, dont la responsabilité à l'origine des surcoûts de travaux est mineure, soit responsable, même partiellement, du retard pris par les travaux.

55. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi incident de M. [W], en ce qu'il concerne l'implantation des gaines chauffage, ventilation, climatisation et désenfumage (CVCD B2)

Enoncé du moyen

56. M. [W] fait grief à l'arrêt, concernant les surcoûts liés à l'implantation des gaines CVCD (B2), de dire qu'il est tenu à réparation et de le condamner à verser à la société Hôtel le Bristol la somme de 253 487,35 euros, alors « qu'il appartient au créancier contractuel de démontrer que le dommage est imputable à son débiteur ; qu'il revenait au maître de l'ouvrage d'établir que l'implantation des gaines CVCD en méconnaissance des servitudes affectant l'immeuble était imputable à M. [W], ainsi qu'il le soutenait ; qu'en considérant qu'il appartenait pourtant à ce dernier de prouver que l'implantation des gaines litigieuses dans la cour avait été entreprise après la résiliation du contrat de maîtrise d'oeuvre liant la société Hôtel Le Bristol à M. [W], la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en méconnaissance de l'article 1315, devenu 1353, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1315, alinéa 1, devenu 1353, alinéa 1, du code civil :

57. Aux termes de ce texte, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

58. Pour condamner l'architecte à payer une certaine somme incluant le coût du déplacement des gaines CVCD, l'arrêt retient que, si la lettre de l'architecte qui a succédé à M. [W] laisse entendre que l'implantation des gaines dans la cour commune a été entreprise postérieurement à la résiliation du contrat de ce dernier, M. [W] ne démontre pas que cette implantation n'était pas déjà prévue auparavant par la société Beterem, dont l'architecte ne pouvait valider le projet en méconnaissance du traité de cour commune.

59. En statuant ainsi, alors qu'il appartenait au maître de l'ouvrage de démontrer que l'implantation des gaines en violation des règles d'occupation de la cour commune procédait d'un manquement de l'architecte à ses obligations de conception, vérification ou surveillance, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche, en ce qu'il concerne le plan de prévention des risques d'inondation, et le troisième moyen du pourvoi incident de M. [W], réunis

Enoncé du moyen

60. Par son deuxième moyen, M. [W] fait grief à l'arrêt, concernant les surcoûts liés au respect du plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) de [Localité 10] (A6) et de le condamner à verser à la société Hôtel le Bristol la somme de 253 487,35 euros, alors « que le coût de travaux nécessaires au respect de la réglementation en vigueur ne constitue pas un préjudice indemnisable, sauf à prouver que leur réalisation tardive a entrainé un surcoût pour le maître de l'ouvrage ; que M. [W] soutenait que les travaux litigieux, permettant la mise en conformité aux exigences du PPRI des travaux effectuées, consistant en la mise en sécurité des installations techniques, que le maître de l'ouvrage a souhaité initialement placer dans les sous-sols inondables, aurait en tout état de cause dû être engagés ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

61. Par son troisième moyen, M. [W] fait grief à l'arrêt, concernant le respect de la réglementation des établissements recevant du public (ERP B10), de dire qu'il est tenu à réparation, de fixer sa responsabilité à 80 % et de le condamner à verser à la société Hôtel le Bristol la somme de 12 244,80 euros HT, alors « que le coût de travaux nécessaires au respect de la réglementation en vigueur ne constitue pas un préjudice indemnisable, sauf à prouver que leur réalisation tardive a entrainé un surcoût pour le maître de l'ouvrage ; que M. [W] soutenait que la nécessité de modifier le sens d'ouverture de la porte cochère afin d'assurer le respect de la réglementation relative aux établissements recevant du public (ERP) s'imposait en tout état de cause et que son coût incombait au maître de l'ouvrage ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

62. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

Le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs.

63. Pour condamner l'architecte à payer au maître de l'ouvrage une certaine somme au titre de la mise en conformité de l'ouvrage au plan de prévention des risques d'inondation, l'arrêt retient que le maître d'oeuvre est tenu d'une obligation de résultat en ce qui concerne l'application de la réglementation et qu'il appartenait expressément à M. [W], selon son contrat, d'examiner les servitudes et contraintes de toutes sortes affectant l'immeuble. Il ajoute que la responsabilité du maître de l'ouvrage ne peut être mise en cause car l'architecte ne justifie pas avoir réclamé la communication de l'avis du contrôleur technique mentionnant le choix à opérer quant à l'inondabilité du sous-sol et avoir ensuite renseigné le maître de l'ouvrage des conséquences de l'un ou l'autre choix ni avoir veillé, dans un cas comme dans l'autre, au respect du plan de prévention des risques d'inondation par le bureau d'études chargé des lots techniques.

64. Et pour condamner l'architecte à payer au maître de l'ouvrage une certaine somme au titre de la mise en conformité de la porte cochère avec la réglementation des établissements recevant du public, l'arrêt retient que M. [W] était tenu d'une obligation de résultat quant au respect de la réglementation et que, quand bien même la porte préexistait aux travaux d'extension et s'ouvrait alors vers l'intérieur, elle devait s'ouvrir vers l'extérieur dès lors qu'elle devenait une issue de secours.

65. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de l'architecte, qui soutenait que, même si les travaux avaient été prévus dès l'origine, le surcoût aurait été assumé par le maître de l'ouvrage, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

66. La cassation de la disposition condamnant M. [W] au titre de la porte cochère s'étend à la condamnation prononcée du même chef contre la société Bureau Veritas construction, en ce qu'elle est diminuée de la part incombant à l'architecte.

Mise hors de cause

67. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la SMABTP et la société Vialatte ingénierie, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal ni sur les pourvois incidents éventuels de la société TPF ingénierie et de M. [W], la Cour :

CONSTATE la déchéance du pourvoi principal de la société Hôtel le Bristol en tant qu'il est dirigé contre les sociétés Est constructions et Construction bâtiment études et conception (COBATECO) ;

DECLARE irrecevables les pourvois incidents de M. [W] et de la Mutuelle des architectes français en ce qu'ils sont dirigés contre les sociétés Est constructions et Construction bâtiment études et conception (COBATECO) ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

 - déboute la société Hôtel le Bristol de toute demande relative aux surcoûts dus aux désordres ayant affecté les escaliers ;

 - limite la condamnation de M. [W] sous la garantie de la MAF au titre des préjudices financiers liés au retard du chantier à la somme de 68 071,77 euros HT ;

 - limite la condamnation de la société AXA France IARD au titre des préjudices financiers liés au retard du chantier à la somme de 158 834,13 euros HT ;

 - rejette les demandes formées contre la société TPF ingénierie au titre des préjudices financiers liés au retard de chantier ;

 - condamne M. [W], sous la garantie de la Mutuelle des architectes français, à payer à la société Hôtel le Bristol la somme de 253 487,35 euros HT en indemnisation des surcoûts liés au non-respect du PPRI de [Localité 10] et de l'implantation de gaines CVCD dans une cour commune ;

 - dit M. [W] tenu à indemnisation au profit de la société Hôtel le Bristol au titre du désordre affectant la porte cochère, et fixe le partage de responsabilité entre M. [W] et la Mutuelle des architectes français d'une part et la société Bureau Veritas construction sous la garantie de la société QBE d'autre part ;

 - condamne M. [W], sous la garantie de la Mutuelle des architectes français, à, celle-ci dans les limites contractuelles de sa police, payer à la société Hôtel le Bristol, la somme de 12 244,80 euros HT au titre de la porte cochère ;

 - limite la condamnation de la société Bureau Veritas construction, sous la garantie de la société QBE Europe SA/NV, à payer à la société Hôtel le Bristol la somme de 3 061,20 euros HT au titre de la porte-cochère ;

 - dit les recours de M. [W], et de la société Bureau Veritas construction, entre eux, sans objet au titre de la porte-cochère ;

l'arrêt rendu le 2 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Met hors de cause la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics et la société Vialatte ingénierie.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Zedda - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Célice, Texidor, Périer ; SARL Delvolvé et Trichet ; SCP Gadiou et Chevallier ; SCP L. Poulet-Odent ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés -

Textes visés :

Article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 24 janvier 1995, pourvoi n° 92-18.227, Bull. 1995, I, n° 54 (rejet) ; 3e Civ., 17 octobre 2019, pourvoi n° 18-18.469, Bull., (rejet), et l'arrêt cité ; 3e Civ., 7 novembre 2019, pourvoi n° 18-23.259, Bull., (rejet), et l'arrêt cité.

1re Civ., 17 mai 2023, n° 21-25.670, (B), FS

Rejet

Démarchage et vente à domicile – Contrat conclu hors établissement – Livraison de biens et prestation de service d'installation et de mise en service – Qualification – Vente

Un contrat, qui porte sur la livraison de panneaux photovoltaïques et d'un chauffe-eau, ainsi que sur une prestation de service d'installation et de mise en service, doit être qualifié de contrat de vente, conformément à l'article L. 221-1, II, du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1734 du 22 décembre 2021.

Intervention

1. Il est donné acte à Mme [O] [Z], M. [C] [Z] et Mme [X] [Z] de ce que, en tant qu'héritiers de [N] [Z], décédé le 30 novembre 2020, sans que la société Media systeme en ait eu connaissance lorsqu'elle a formé un pourvoi en cassation de sorte que celui-ci est réputé dirigé contre sa succession, de leur intervention volontaire à l'instance qui se trouve, dès lors, en état d'être jugée.

Désistement du pourvoi incident

2. Il est donné acte à la société BNP Paribas Personal Finance du désistement de son pourvoi incident.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 30 septembre 2021), le 21 septembre 2017, [N] [Z] a conclu hors établissement avec la société Media systeme un contrat de fourniture et d'installation de douze panneaux photovoltaïques et d'un chauffe-eau thermodynamique dont le prix a été financé par un crédit souscrit le 2 octobre 2017 avec Mme [Z] auprès de la société BNP Paribas Personal Finance (la banque).

4. Le 2 novembre 2017, [N] [Z] a établi une attestation de fin de travaux et de conformité conduisant la banque à débloquer le capital emprunté entre les mains de la société Media systeme.

5. Le 25 janvier 2018, [N] [Z] et Mme [Z] ont informé celle-ci de ce qu'ils exerçaient leur droit de rétractation.

6. Les 30 et 31 mai 2018, ils ont assigné la société Media systeme et la banque en constat de la caducité des contrats.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. La société Media systeme fait grief à l'arrêt de constater l'exercice par [N] [Z] et Mme [Z] de leur droit de rétractation dans le délai légal prorogé de 12 mois sur le fondement de l'article L. 221-20 du code de la consommation, de constater en conséquence l'anéantissement du contrat la liant avec [N] [Z] et Mme [Z], de la condamner à venir récupérer à ses frais le kit des 12 panneaux photovoltaïques, le ballon thermodynamique et tous les éléments afférents à l'installation de ces biens au domicile de [N] [Z] et Mme [O] [Z], de la condamner à assumer tous les frais de dépose et de remise en état initial et de la condamner à restituer une certaine somme à [N] [Z] et à Mme [Z], alors « que la fourniture et la pose d'un dispositif destiné à produire de l'énergie relève du contrat de prestation de services, au sens de l'article 2 de la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011, de sorte que le point de départ du délai de rétractation du consommateur doit être fixé au jour de la conclusion du contrat ; qu'en retenant néanmoins, pour fixer au jour de la livraison le point de départ du délai de rétractation de M. et Mme [Z], que le contrat avait pour objet la livraison de biens et la fourniture d'une prestation de services destinée à leur installation et mise en service, accessoire de la fourniture du matériel, ce qui devait conduire à l'assimiler à un contrat de vente, la cour d'appel a violé les articles L. 221-1 et L. 221-18 du code de la consommation et l'article 2 de la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011. »

Réponse de la Cour

8. Aux termes de l'article L. 221-1, II, du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1734 du 22 décembre 2021, les dispositions relevant du titre II de ce code s'appliquent aux contrats portant sur la vente d'un ou plusieurs biens, au sens de l'article 528 du code civil, et au contrat en vertu duquel le professionnel fournit ou s'engage à fournir un service au consommateur en contrepartie duquel le consommateur en paie ou s'engage à en payer le prix.

Le contrat ayant pour objet à la fois la fourniture de prestation de services et la livraison de biens est assimilé à un contrat de vente.

9. L'article L. 221-18 du même code dispose :

« Le consommateur dispose d'un délai de quatorze jours pour exercer son droit de rétractation d'un contrat conclu à distance, à la suite d'un démarchage téléphonique ou hors établissement, sans avoir à motiver sa décision ni à supporter d'autres coûts que ceux prévus aux articles L. 221-23 à L. 221-25.

Le délai mentionné au premier alinéa court à compter du jour :

1° De la conclusion du contrat, pour les contrats de prestation de services et ceux mentionnés à l'article L. 221-4 ;

2° De la réception du bien par le consommateur ou un tiers, autre que le transporteur, désigné par lui, pour les contrats de vente de biens. Pour les contrats conclus hors établissement, le consommateur peut exercer son droit de rétractation à compter de la conclusion du contrat. »

10. Enfin, selon l'article L. 221-20, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance précitée du 22 décembre 2021, lorsque les informations relatives au droit de rétractation n'ont pas été fournies au consommateur dans les conditions prévues au 2° de l'article L. 221-5, le délai de rétractation est prolongé de douze mois à compter de l'expiration du délai de rétractation initial, déterminé conformément à l'article L. 221-18.

11. La cour d'appel a constaté que le contrat litigieux conclu entre la société Media systeme, [N] [Z] et Mme [Z] avait pour objet la fourniture d'un kit photovoltaïque et d'un chauffe-eau, leur installation complète et leur mise en service.

12. Elle a exactement retenu que ce contrat mixte, portant sur la livraison de biens ainsi que sur une prestation de service d'installation et de mise en service, devait être qualifié de contrat de vente.

13. Ayant constaté que le bon de commande comportait une information erronée quant au point de départ du délai de rétractation, elle en a exactement déduit que ce délai, prorogé de douze mois, n'était pas expiré lorsque [N] [Z] et Mme [Z] se sont rétractés de leur engagement et qu'en conséquence les contrats de vente et de crédit affecté avaient pris fin.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

15. Et en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation du droit de l'Union européenne, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Dit n'y avoir lieu à question préjudicielle ;

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Guihal (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : Mme Cazaux-Charles - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Célice, Texidor, Périer ; Me Occhipinti -

Textes visés :

Article L. 221-1, II, du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1734 du 22 décembre 2021.

1re Civ., 17 mai 2023, n° 22-10.193, (B), FRH

Cassation partielle

Surendettement – Commission de surendettement – Mesures recommandées – Contestation par les parties – Décision du juge de l'exécution – Décision de vérification de la validité et du montant des titres de créance – Autorité de la chose jugée (non)

Il résulte des articles 1351, devenu 1355, du code civil, et R. 723-7 du code de la consommation que la décision par laquelle le juge de l'exécution statuant en matière de surendettement vérifie la validité et le montant des titres de créance n'a pas l'autorité de la chose jugée au principal.

Dès lors, viole ces textes la cour d'appel qui, pour retenir qu'en l'absence de créance exigible une procédure de vente sur saisie immobilière n'a plus de base légale, relève que le créancier ne peut plus contester le montant de sa créance, qu'il a lui-même fixée au cours de la procédure de surendettement et qui a été réglée par le débiteur, mettant ainsi fin au plan de surendettement, alors que la vérification du montant de la créance avait été effectuée à la demande de la commission afin de permettre à celle-ci de poursuivre sa mission, de sorte qu'elle n'avait pas l'autorité de chose jugée.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 9 novembre 2021) et les productions, par acte du 5 janvier 2017, publié le 7 février 2017, la société Crédit foncier et communal d'Alsace et de Lorraine (la banque) a fait délivrer à [S] [L] et Mme [P] (les emprunteurs) un commandement de payer aux fins de saisie immobilière en exécution d'un prêt du 27 juillet 2006 garanti par hypothèque conventionnelle.

2. La banque a assigné les emprunteurs devant le juge de l'exécution aux fins de vente forcée des biens et droits immobiliers saisis. Invoquant une inexactitude du taux effectif global (TEG), ceux-ci ont demandé que la banque soit déchue de son droit aux intérêts conventionnels. Ils ont, par ailleurs, saisi la commission de surendettement.

Par jugement du 16 octobre 2019, le juge de l'exécution statuant en matière de surendettement a fixé la créance de la banque à la somme de 13 450,32 euros.

3. M. [D] [L] est intervenu volontairement à l'instance de saisie immobilière en qualité d'ayant droit de [S] [L], décédé le [Date décès 2] 2020.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer l'action en contestation du TEG recevable, de dire que le TEG mentionné dans le contrat de prêt est erroné, de substituer au taux conventionnellement prévu le taux d'intérêt légal en vigueur au jour de la conclusion du contrat et de dire qu'en l'absence d'une créance exigible aux termes des articles L. 311 2, L. 311 4 et L. 311 6 du code des procédures civiles d'exécution la procédure de vente sur saisie immobilière n'a plus de base légale, alors « que l'indication, dans un acte de prêt, d'un taux effectif global supérieur à la réalité n'appelle aucune sanction ; qu'en l'espèce, la cour a retenu que le TEG figurant dans l'acte de prêt était inexact dans la mesure où il était supérieur à celui figurant dans l'offre de prêt, qui n'était pas contesté ; qu'en se fondant sur une telle erreur, qui ne venait pourtant pas au détriment des emprunteurs, pour décider la substitution du taux d'intérêt légal au taux d'intérêt conventionnel, la cour d'appel a violé les articles L. 313-1 et L. 313-2 du code de la consommation, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, et 1907 du code civil ;

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 313-1 et L. 313-2 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et l'article R. 313-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2016-607 du 13 mai 2016 :

6. En application de ces textes, l'erreur affectant la mention du taux effectif global dans l'écrit constatant un contrat de crédit n'est sanctionnée que lorsqu'elle vient au détriment de l'emprunteur.

7. Pour substituer au taux conventionnellement prévu le taux d'intérêt légal en vigueur au jour de la conclusion du contrat, l'arrêt retient, d'abord, que le TEG mentionné dans l'offre de prêt, qui intègre les frais de notaire, est exact et non contesté, relève, ensuite, qu'il est inférieur à celui figurant dans l'acte authentique de prêt, qui n'inclut pas ces mêmes frais, et en déduit, enfin, que ce dernier TEG est erroné.

8. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que l'erreur affectant le TEG mentionné dans le contrat de prêt ne venait pas au détriment des emprunteurs, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. La banque fait grief à l'arrêt de dire qu'en l'absence d'une créance exigible aux termes des articles L. 311 2, L. 311 4 et L. 311 6 du code des procédures civiles d'exécution, la procédure de vente sur saisie immobilière n'a plus de base légale, alors « que la décision du juge du surendettement sur une demande de vérification des créances n'a pas l'autorité de la chose jugée ; qu'en retenant, pour dire que la banque ne disposait plus d'aucune créance exigible et mettre fin aux opérations de saisie immobilière, qu'il n'avait pas formé de recours à l'encontre de la décision rendue par le juge du surendettement ayant fixé à 13 450,32 euros et que cette somme avait été réglée en totalité, la cour d'appel a violé l'article R. 723-7 du code de la consommation, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-884 du 29 juin 2016, et l'article 1351, devenu 1355, du code civil ».

Réponse de la Cour

Vu les articles 1351, devenu 1355, du code civil, et R. 723-7 du code de la consommation :

10. Il résulte de ces textes que la décision par laquelle le juge de l'exécution statuant en matière de surendettement vérifie la validité et le montant des titres de créance n'a pas l'autorité de la chose jugée au principal.

11. Pour dire qu'en l'absence d'une créance exigible aux termes des articles L. 311-2, L. 311-4 et L. 311-6 du code des procédures civiles d'exécution, la procédure de vente sur saisie immobilière n'avait plus de base légale, l'arrêt retient que dans le cadre de la procédure de surendettement la banque a ajusté ses prétentions et sollicité finalement une somme de 13 450,32 euros à titre de solde de tout compte et qu'il n'est pas contestable que cette somme a été versée en totalité, mettant ainsi fin au plan de surendettement, de sorte qu'elle ne peut plus valablement contester le quantum des sommes qu'elle a elle-même fixé aux termes de son propre décompte.

12. En statuant ainsi, alors que la vérification du montant de la créance avait été effectuée à la demande de la commission afin de permettre à celle-ci de poursuivre sa mission, de sorte qu'elle n'avait pas l'autorité de chose jugée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le taux effectif global mentionné dans le contrat de prêt 27 juillet 2006 est erroné, substitue au taux conventionnellement prévu le taux d'intérêt légal en vigueur au jour de la conclusion du contrat et dit qu'en l'absence d'une créance exigible aux termes des articles L. 311-2, L. 311-4 et L. 311-6 du code des procédures civiles d'exécution, la procédure de vente sur saisie immobilière aux termes d'un commandement du 5 janvier 2017 n'a plus de base légale, l'arrêt rendu le 9 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Guihal (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Kloda - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Bouzidi et Bouhanna -

Textes visés :

Article 1351, devenu 1355, du code civil ; article R. 723-7 du code de la consommation.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 21 octobre 2004, pourvoi n° 00-20.515, Bull., 2004, II, n° 475 (cassation).

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