Numéro 5 - Mai 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2023

CONFLIT DE JURIDICTIONS

1re Civ., 17 mai 2023, n° 21-18.406, (B), FS

Rejet

Effets internationaux des jugements – Reconnaissance ou exequatur – Exclusion – Cas – Fraude à l'arbitrage – Applications diverses

Une cour d'appel, qui a relevé qu'une société, agissant par l'intermédiaire de sa filiale demeurant sous son entier contrôle nonobstant des modifications apparentes et trompeuses de son actionnariat dans les mois ayant précédé l'action, avait introduit devant une juridiction albanaise une instance ayant le même objet que celle déjà engagée devant un tribunal arbitral, dans le but d'obtenir indirectement ce qu'elle avait échoué à obtenir devant celui-ci, a pu retenir l'existence d'une fraude à l'arbitrage et en a exactement déduit, abstraction faite du motif erroné, mais surabondant, tenant au refus de procéder au contrôle incident de la sentence dont le caractère inconciliable avec le jugement était invoqué, que l'exequatur du jugement devait être refusé.

Effets internationaux des jugements – Reconnaissance ou exequatur – Conditions – Absence de fraude à l'arbitrage – Fraude – Définition – Introduction d'une instance dans le but d'obtenir indirectement ce qui avait été refusé par arbitrage

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 mai 2021), le 2 février 2000, la société italienne Bechetti Energy Group S.p.a, (la société BEG), a conclu avec la société italienne Enelpower, appartenant au groupe Enel, un accord de coopération pour la construction et l'exploitation d'une centrale hydroélectrique en Albanie.

2. La société Enelpower ayant décidé de ne pas poursuivre le projet, la société BEG a, en application de la clause compromissoire stipulée par le contrat, saisi un tribunal arbitral siégeant à [Localité 4] de demandes indemnitaires qui ont été rejetées par une sentence du 6 décembre 2002, déclarée exécutoire en Italie par une décision du 19 décembre 2003 confirmée par un arrêt du 9 mars 2009.

3. En mai 2004, la société albanaise Albania BEG Ambient (la société ABA), créée par la société BEG pour la réalisation du projet de centrale, estimant qu'elle avait été maintenue par le groupe Enel dans la croyance que ce projet se réaliserait, a assigné les sociétés Enel et Enelpower devant une juridiction albanaise en paiement de dommages-intérêts.

4. Par jugement du 24 mars 2009 confirmé en appel, le tribunal albanais a condamné les sociétés Enel et Enelpower à payer à la société ABA diverses sommes en réparation de son préjudice extra-contractuel.

5. La société ABA a sollicité l'exequatur de ce jugement.

Recevabilité du pourvoi contestée par la défense

6. Les sociétés Enel et Enelpower soulèvent l'irrecevabilité du pourvoi au motif que, dans sa déclaration de pourvoi du 21 juin 2021, la société ABA a déclaré être domiciliée à une adresse, qui indiquée comme étant celle de son siège social, n'était plus la sienne dès lors que l'huissier de justice chargé de l'exécution de l'arrêt attaqué, s'est heurté à une impossibilité de notifier l'acte, le ministère de la justice de la République d'Albanie ayant fait connaître, à la suite de la demande d'aide juridique du 12 juillet 2021, l'impossibilité constatée par le tribunal du district judiciaire de Tirana le 24 novembre 2021 de trouver cette personne morale à l'adresse fournie.

7. S'il résulte de l'article 975 du code de procédure civile que la déclaration de pourvoi comporte, à peine de nullité, l'indication du domicile du demandeur à la cassation, aucun texte ne lui impose de faire connaître son changement de domicile ultérieur.

8. La tentative de signification engagée le 12 juillet 2021 n'établit pas que, le 21 juin 2021, l'adresse mentionnée par la société ABA, dans sa déclaration de pourvoi, n'était plus la sienne.

9. Le pourvoi est donc recevable.

Examen des moyens

Enoncé des moyens

10. Par son premier moyen, la société ABA fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'exequatur du jugement rendu le 24 mars 2009 par le tribunal de Tirana (Albanie), alors :

« 1°/ qu'en application de l'article 509 du code de procédure civile, pour accorder l'exequatur, hors toute convention internationale, le juge français doit vérifier la régularité internationale de la décision étrangère en s'assurant que celle-ci remplit les conditions de compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au for saisi, de conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et d'absence de fraude ; que lorsque pour faire obstacle à l'exequatur d'un jugement étranger, il est opposée la chose jugée par une sentence arbitrale rendue antérieurement à l'étranger, qui n'est pas revêtue de l'exequatur et n'a pas été reconnue en France, le juge français doit vérifier sa régularité internationale, sa reconnaissance pouvant être refusée dans les cas prévus à l'article 1520 du code de procédure civile ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans vérifier, comme elle y était expressément invitée par la société ABA et tenue, si la sentence arbitrale rendue à [Localité 4] le 6 décembre 2002 pouvait être reconnue en France, la cour d'appel a violé les articles 509, 1484, alinéa 1, 1506, 4°, 1520 et 1525, alinéa 4, du code de procédure civile ;

2°/ subsidiairement qu'en application de l'article 509 du code de procédure civile, pour accorder l'exequatur, hors toute convention internationale, le juge français doit vérifier la régularité internationale de la décision étrangère en s'assurant que celle-ci remplit les conditions de compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au for saisi, de conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et d'absence de fraude ; que lorsque pour faire obstacle à l'exequatur d'un jugement étranger, il est opposée la chose jugée par une sentence arbitrale rendue antérieurement à l'étranger, qui n'est pas revêtue de l'exequatur et n'a pas été reconnue en France, le juge français doit vérifier sa régularité internationale, et donc si l'existence de la sentence est établie par celui qui s'en prévaut et si sa reconnaissance ou son exécution n'est pas manifestement contraire à l'ordre public international ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans vérifier, comme elle y était expressément invitée par la société ABA et tenue, si la sentence arbitrale rendue à [Localité 4] le 6 décembre 2002 n'était pas manifestement contraire à l'ordre public international, la cour d'appel a violé les articles 509, 1484, alinéa 1, 1506, 4° et 1514 du code de procédure civile. »

11. Par son deuxième moyen, la société ABA fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ qu'en application de l'article 509 du code de procédure civile, pour accorder l'exequatur, hors toute convention internationale, le juge français doit vérifier la régularité internationale de la décision étrangère en s'assurant que celle-ci remplit les conditions de compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au for saisi, de conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et d'absence de fraude ; qu'une décision rendue par une juridiction étrangère n'est pas en soi contraire à l'ordre public international français de fond et ne peut être écartée que si elle consacre de manière concrète, au cas d'espèce, une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ; que la règle de l'autorité de la chose jugée n'est pas d'ordre public international, de sorte qu'une décision rendue par une juridiction étrangère ne peut être écartée au motif qu'elle méconnaît la chose jugée par une précédente sentence arbitrale rendue à l'étranger, dont l'exequatur n'a pas déjà été accordé et qui n'a pas été reconnue en France ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 509 du code de procédure civile ;

2°/ subsidiairement, qu'en application de l'article 509 du code de procédure civile, pour accorder l'exequatur, hors toute convention internationale, le juge français doit vérifier la régularité internationale de la décision étrangère en s'assurant que celle-ci remplit les conditions de compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au for saisi, de conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et d'absence de fraude ; qu'une décision rendue par une juridiction étrangère n'est pas en soi contraire à l'ordre public international français et ne peut être écartée que si elle consacre de manière concrète, au cas d'espèce, une situation incompatible avec le principe du droit français considérés comme essentiels, le juge ne pouvant procéder à une révision au fond de la décision ; qu'en se prononçant par des motifs qui ne caractérisent pas que la sentence arbitrale rendue à [Localité 4] le 6 décembre 2002 entre la société BEG et la société Enelpower, laquelle a débouté la première de son action en responsabilité contractuelle contre la seconde, et le jugement rendu le 24 mars 2009 par le tribunal de Tirana, confirmé par l'arrêt de la cour d'appel de Tirana du 28 avril 2010, entre la société ABA et les société Enel et Enelpower, qui a condamné les sociétés Enel et Enelpower à payer à la société ABA des dommages-intérêts sur un fondement extracontractuel et à réparer son préjudice pour une quantité d'énergie électrique pour les années 2005 à 2011, emportent des conséquences juridiques qui s'excluent mutuellement et ne sont pas susceptibles d'une exécution simultanée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 509 du code de procédure civile. »

12. Par son troisième moyen, la société ABA fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ qu'en application de l'article 509 du code de procédure civile, pour accorder l'exequatur, hors toute convention internationale, le juge français doit vérifier la régularité internationale de la décision étrangère en s'assurant que celle-ci remplit les conditions de compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au for saisi, de conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et d'absence de fraude ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que « constitue une fraude qui empêche de faire droit à la demande de reconnaissance ou d'exequatur, la saisine d'une juridiction étrangère dans le seul but d'échapper aux conséquences d'une décision défavorable déjà prononcée » et que la fraude « peut consister dans le fait pour une partie de chercher à obtenir indirectement d'une juridiction, ce qu'elle n'a pu obtenir dans le cadre d'une décision précédente, par le truchement d'une société qu'elle détient et qu'elle contrôle, en utilisant pour le même litige, des fondements juridiques différents, la manoeuvre ainsi utilisée n'ayant pour seul but que d'échapper au refus antérieur opposé à sa demande, peu important que celui-ci résulte d'une sentence arbitrale internationale », quand la fraude suppose que le choix du juge est frauduleux et que soit ainsi établies l'existence de manoeuvres ou d'agissements sur les données du litige de façon à créer les conditions de la compétence du juge recherché et la volonté de soustraire le litige au juge normalement compétent, la cour d'appel a violé l'article 509 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en application de l'article 509 du code de procédure civile, pour accorder l'exequatur, hors toute convention internationale, le juge français doit vérifier la régularité internationale de la décision étrangère en s'assurant que celle-ci remplit les conditions de compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au for saisi, de conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et d'absence de fraude ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, sans constater ni l'existence de manoeuvres ou agissements de la société ABA de façon à créer les conditions de la compétence de la juridiction albanaise, ni sa volonté de se soustraire le litige à un autre juge normalement compétent, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 509 du code de procédure civile ;

3°/ qu'en application de l'article 509 du code de procédure civile, pour accorder l'exequatur, hors toute convention internationale, le juge français doit vérifier la régularité internationale de la décision étrangère en s'assurant que celle-ci remplit les conditions de compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au for saisi, de conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et d'absence de fraude ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, sans constater, ni que la société ABA était liée par la convention d'arbitrage insérée dans l'accord du 2 février 2000, conclu entre la société BEG et la société Enelpower, ni que le litige soumis au juge albanais entrait dans le champ d'application de cette convention d'arbitrage, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 509 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

13. Il résulte de l'article 509 du code de procédure civile que l'accueil d'un jugement étranger dans l'ordre juridique français exige le contrôle, outre de la compétence internationale indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, de sa conformité à l'ordre public international de fond et de procédure, celui de l'absence de fraude.

14. La cour d'appel a relevé que, si la société BEG n'était pas directement partie à l'instance devant le tribunal judiciaire du district de Tirana, elle avait agi devant celui-ci en interposant artificiellement sa filiale albanaise, dont l'actionnariat avait fait l'objet dans les trois mois précédant l'introduction de l'action, de modifications apparentes destinées à induire en erreur sur l'autonomie de cette société qui restait, en réalité sous l'entier contrôle de la société BEG, laquelle était, en outre, à cette date, seule titulaire de la concession d'exploitation de l'énergie hydraulique. Elle a retenu qu'au regard de la chronologie des procédures, de la similarité des faits et des moyens invoqués, des fautes alléguées et des préjudices dont la réparation avait été sollicitée dans les deux instances, l'action engagée devant le tribunal du district judiciaire de Tirana avait en réalité le même objet que celle initiée devant le tribunal arbitral, à savoir faire constater que la société Enelpower avait violé l'accord de coopération et qu'elle tendait à obtenir indirectement ce que la société BEG avait échoué à obtenir directement du tribunal arbitral.

15. En l'état de ces constatations et appréciations, abstraction faite du motif erroné, mais surabondant, tenant au refus de procéder au contrôle incident de la sentence, critiqué par les deux premiers moyens, la cour d'appel a pu retenir que le jugement avait été obtenu par fraude et en a exactement déduit que l'exequatur devait être refusé.

16. Les moyens ne sont donc pas fondés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Guihal (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Ancel - Avocat général : M. Salomon - Avocat(s) : SARL Ortscheidt ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article 509 du code de procédure civile.

1re Civ., 25 mai 2023, n° 22-12.299, n° 22-12.469, (B), FRH

Cassation partielle

Effets internationaux des jugements – Reconnaissance ou exequatur – Procédure de reconnaissance ou d'exequatur – Décisions déclarant exécutoires en France les décisions étrangères – Exécution – Condition – Signification – Défaut – Sanction – Fin de non-recevoir

Il résulte des articles 38, § 1, 42, § 2, 43, §§ 1 et 5, et 47, § 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale que les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée et que la déclaration constatant la force exécutoire est signifiée ou notifiée à la partie contre laquelle l'exécution est demandée, accompagnée de la décision si celle-ci n'a pas encore été signifiée ou notifiée à cette partie.

Dès lors, viole ces textes la cour d'appel qui rejette la fin de non-recevoir tirée de l'absence de signification des décisions déclarant exécutoires en France les arrêts d'une cour d'appel et de la Cour de cassation d'un autre Etat membre, alors que ces décisions n'avaient pas été signifiées à la partie contre laquelle l'exécution était demandée, mais uniquement à la personne tierce chargée d'en supporter l'exécution.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-12.299 et 22-12.469 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 décembre 2021), l'oeuvre « Une Fille de France » est une composition musicale de M. [T] dont les paroles associées ont été coécrites par MM. [X] et [M] et qui est éditée par la société Première Music Group.

3. La chanson « On va s'aimer » est une composition musicale de M. [N] dont les paroles associées ont été écrites par M. [M]. Elle a été déclarée auprès de la Saccade Italiana degli Autori ed Editori (SIAE) et coéditée par les sociétés italiennes Abramo Allione Edizioni Musicali et Universal Music Italia.

La société Universal Music Publishing a assuré la sous-édition de cette oeuvre en France.

4. Par arrêt confirmatif du 10 juin 2010, la cour d'appel de Milan a jugé que la chanson « On va s'aimer » constituait une contrefaçon de l'oeuvre musicale « Une Fille de France », condamné les sociétés Abramo Allione Edizioni Musicali et Universal Music Italia ainsi que MM. [N] et [M] à réparer les préjudices moraux et patrimoniaux subis par MM. [T] et [X] ainsi que par la société Première Music Group, et a interdit aux sociétés Abramo Allione Edizioni Musicali et Universal Music Italia ainsi qu'à MM. [N] et [M] la poursuite de toute utilisation et exploitation de cette chanson.

Par arrêt du 11 mai 2012, la Cour de cassation italienne a rejeté le pourvoi principal formé par MM. [N] et [M] ainsi que les pourvois incidents des sociétés Universal Music Italia et Abramo Allione Edizioni Musicali.

5. Par décisions du tribunal de grande instance de Paris des 10 novembre 2015 et du 21 mars 2016, signifiées à la SACEM les 13 novembre 2015 et 12 avril 2016, les arrêts de ces juridictions ont été reconnus et déclarés exécutoires en France.

6. La société Première Music Group ainsi que MM. [T] et [X] ont assigné la SACEM, MM. [M] et [N] ainsi que les sociétés Abramo Allione Edizioni Musicali, Universal Music Italia et Universal Music Publishing devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'obtenir la modification de la documentation relative à la chanson « On va s'aimer » et la répartition à leur profit des droits produits par l'exploitation de celle-ci.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° 22-12.469

Enoncé du moyen

7. M. [N] fait grief à l'arrêt de rejeter les fins de non-recevoir tendant à voir déclarer irrecevables l'intégralité des demandes de la société Première Music Group, M. [T] et M. [X], d'ordonner à la SACEM de radier l'oeuvre « On va s'aimer » de sa documentation, d'enregistrer dans sa documentation, sous l'oeuvre « Une fille de France » le sous-titre « On va s'aimer » comme il est indiqué, d'enregistrer au crédit du compte de l'oeuvre « Une fille de France » l'ensemble des rémunérations de droit d'auteur générées par l'oeuvre « On va s'aimer » pour toute exploitation de l'oeuvre à partir du mois d'avril 2013 jusqu'au terme de la durée de protection de l'oeuvre, d'ordonner à la SACEM de procéder à la répartition des rémunérations des droits d'auteur non encore réparties par elle au titre de l'exploitation de l'oeuvre « On va s'aimer » postérieurement à la répartition du 5 avril 2013 ainsi que toutes rémunérations de droits d'auteur à venir générées par cette oeuvre, au profit des ayants-droit de l'oeuvre « Une fille de France » pour toute exploitation de l'oeuvre jusqu'au terme de la durée de protection, conformément aux quotes-parts mentionnées et de faire interdiction à la SACEM de répartir aux ayants-droit de l'oeuvre « On va s'aimer » toutes rémunérations de droits d'auteur résultant de l'exploitation de cette oeuvre postérieurement à la répartition du 5 avril 2013, alors « qu'une décision rendue dans un Etat membre de l'Union européenne ne peut être mise à exécution dans un autre Etat membre qu'après y avoir été déclarée exécutoire par une décision signifiée ou notifiée à la partie contre laquelle l'exécution est demandée ; qu'en jugeant, pour déclarer recevables les demandes de la société Première Music Group, de M. [T] et de M. [X], que les décisions rendues par le tribunal ordinaire de Milan le 6 août 2008, par la cour d'appel de Milan le 10 juin 2010 et par la Cour de cassation italienne le 11 mai 2012 dans un litige les opposant notamment à M. [N], qui constataient la contrefaçon de l'oeuvre « Une fille de France » par l'oeuvre « On va s'aimer », composée par M. [N], étaient exécutoires en France, tout en constatant que la SACEM, à qui la société Première Music Group, M. [T] et M. [X] demandaient de modifier sa base documentaire et la répartition des droits d'auteur en exécution des décisions précitées rendues en Italie relatives à la contrefaçon n'avait pas été partie à ces décisions et que les décisions rendues en France les déclarant exécutoires avaient été signifiées à la SACEM, et non à M. [N] qui en n'en avait eu connaissance que dans le cadre de la présente procédure, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résultait que les décisions déclarant exécutoires les décisions rendues en Italie relatives à la contrefaçon de l'oeuvre « Une fille de France » par l'oeuvre « On va s'aimer » n'avaient pas été signifiées à la partie contre laquelle l'exécution était demandée, soit la partie jugée contrefactrice, mais uniquement à la personne tierce chargée d'en supporter l'exécution, soit la SACEM, organisme de gestion collective des droits d'auteur de l'oeuvre contrefaite et de l'oeuvre contrefaisante, et a ainsi violé les articles 38, 41 et 42 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, applicable au litige, ensemble l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ».

Réponse de la Cour

Vu les articles 38, § 1, 42, § 2, 43, §§ 1 et 5, et 47, § 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale :

8. En application du premier de ces textes, les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée.

9. Selon le deuxième, la déclaration constatant la force exécutoire est signifiée ou notifiée à la partie contre laquelle l'exécution est demandée, accompagnée de la décision si celle-ci n'a pas encore été signifiée ou notifiée à cette partie.

10. Conformément aux troisième et quatrième, cette partie peut former un recours contre cette déclaration dans le délai d'un mois à compter de sa signification, et ce délai est porté à deux mois et court à compter du jour où la signification a été faite à personne ou à domicile si la partie contre laquelle l'exécution est demandée est domiciliée sur le territoire d'un autre État membre que celui dans lequel la déclaration constatant la force exécutoire a été délivrée.

11. Aux termes du cinquième, pendant le délai du recours prévu à l'article 43, § 5, contre la déclaration constatant la force exécutoire et jusqu'à ce qu'il ait été statué sur celui-ci, il ne peut être procédé qu'à des mesures conservatoires sur les biens de la partie contre laquelle l'exécution est demandée.

12. Selon la Cour de justice des Communautés européennes, devenue la Cour de justice de l'Union européenne, l'exigence de signification de la décision qui autorise l'exécution a pour fonction, d'une part, de protéger les droits de la partie contre laquelle l'exécution est demandée et, d'autre part, de permettre, sur le plan probatoire, une computation exacte du délai de recours rigoureux et impératif ouvert à cette partie et que, si seule importait la connaissance par celle-ci de la décision qui autorise l'exécution, cela risquerait de vider de sa substance l'exigence d'une signification (CJCE, arrêt du 16 février 2006, Verdoliva, C-3/05).

13. Pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée par MM. [N] et [M] tirée de l'absence de signification des décisions déclarant exécutoires en France les arrêts de la cour d'appel de Milan et de la Cour de cassation italienne, l'arrêt retient, d'une part, que ces décisions ont été portées à leur connaissance dans le cadre de la présente procédure et que ceux-ci ne peuvent arguer qu'ils n'ont pas été en mesure d'exercer le recours prévu à l'article 43 du règlement (CE) n° 44/2001, qui ne soumet pas l'ouverture du recours à la signification préalable de la décision, d'autre part, que MM. [M] et [N] ne soutiennent pas utilement que la SACEM n'est pas détentrice des droits leur appartenant alors que, en application de l'article 1 des statuts de cette société, l'auteur, par son adhésion, fait apport à celle-ci de l'exercice de ses droits patrimoniaux.

14. En statuant ainsi, alors que les décisions italiennes déclarées exécutoires déniaient à MM. [N] et [M] tout droit d'auteur sur l'oeuvre musicale « On va s'aimer » et que le litige avait pour objet la modification par la SACEM de la documentation relative à cette oeuvre en exécution de ces décisions, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi n° 22-12.469 et sur les moyens du pourvoi n° 22-12.299, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les fins de non recevoir de la société Première Music Group et de MM. [T] et [X], l'arrêt rendu le 10 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Duval-Arnould (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Chevalier - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SAS Buk Lament-Robillot ; SCP Piwnica et Molinié ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Articles 38, § 1, 42, § 2, 43, § 1 et 5, et 47, § 3 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000.

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