Numéro 5 - Mai 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2023

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE

Soc., 11 mai 2023, n° 21-25.136, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Démission – Obligation du salarié – Remboursement au prorata d'une prime d'arrivée – Conditions – Présence du salarié dans l'entreprise pendant une certaine durée après son versement – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 septembre 2021), M. [W] a été engagé en qualité d'opérateur sur les marchés financiers, à compter du 1er janvier 2016, par la société Tullet Prebon, aux droits de laquelle se trouve la société TP ICAP Europe.

2. Le salarié a donné sa démission le 16 mars 2017.

3. L'employeur a saisi la juridiction prud'homale le 12 septembre 2017 de diverses demandes de nature salariale et indemnitaire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le débouter de l'intégralité de ses demandes et de lui ordonner de remettre au salarié un solde de tout compte sans astreinte, alors « que ne porte pas atteinte à la liberté du travail, la clause subordonnant l'acquisition de l'intégralité d'une prime d'arrivée, indépendante de la rémunération de l'activité du salarié, à une condition de présence dans l'entreprise après son versement pendant une durée convenue entre les parties et prévoyant l'acquisition de cette prime au prorata du temps passé par le salarié dans l'entreprise et le remboursement du solde en cas de démission avant l'échéance prévue ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-1 et L. 1121-1 du code du travail, 1134 du code civil dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1121-1 et L. 1221-1 du code du travail, et 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

5. Aux termes du premier de ces textes, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

6. Selon le deuxième, le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun.

7. Selon le troisième, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

8. Il résulte de ces textes qu'une clause convenue entre les parties, dont l'objet est de fidéliser le salarié dont l'employeur souhaite s'assurer la collaboration dans la durée, peut, sans porter une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté du travail, subordonner l'acquisition de l'intégralité d'une prime d'arrivée, indépendante de la rémunération de l'activité du salarié, à une condition de présence de ce dernier dans l'entreprise pendant une certaine durée après son versement et prévoir le remboursement de la prime au prorata du temps que le salarié, en raison de sa démission, n'aura pas passé dans l'entreprise avant l'échéance prévue.

9. Pour débouter l'employeur de l'intégralité de ses demandes, l'arrêt, après avoir relevé que l'article 7.3 du contrat de travail prévoyait le versement dans les trente jours de l'entrée en fonction du salarié d'une prime initiale d'un montant de 150 000 euros et que ce dernier devrait rembourser ladite prime partiellement en cas de démission dans les trente-six mois de sa prise de fonction, retient que l'employeur ne pouvait valablement subordonner l'octroi définitif de la prime initiale versée au salarié en janvier 2016 à la condition que ce dernier ne démissionne pas, et ce, à une date postérieure à son versement, dès lors que cette condition, qui avait pour effet de fixer un coût à la démission, portait ce faisant atteinte à la liberté de travailler du salarié.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquence de la cassation

11. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif de l'arrêt infirmant le jugement ayant condamné le salarié aux dépens de première instance, ordonnant la remise à ce dernier d'un solde de tout compte et condamnant l'employeur aux dépens d'appel.

12. Tel que suggéré par l'employeur, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la

Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il infirme le jugement ayant condamné M. [W] à verser à la société Tullet Prebon, aux droits de laquelle se trouve la société TP ICAP Europe, la somme de 79 166,67 euros à titre de remboursement de prime d'arrivée au prorata, ainsi qu'aux dépens de première instance, en ce qu'il ordonne la remise au salarié d'un solde de tout compte et en ce qu'il condamne la société TP ICAP Europe aux dépens d'appel, l'arrêt rendu le 9 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Confirme le jugement en ce qu'il condamne M. [W] à verser à la société Tullet Prebon, aux droits de laquelle se trouve la société TP ICAP Europe, la somme de 79 166,67 euros à titre de remboursement de prime d'arrivée au prorata ainsi qu'aux dépens de première instance ;

Déboute M. [W] de sa demande de remise d'un solde de tout compte.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Techer - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SARL Cabinet Pinet -

Textes visés :

Articles L. 1121-1 et L. 1221-1 du code du travail ; article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur l'examen par le juge de la validité d'une prime destinée à fidéliser le salarié à l'aune de la liberté de travail, à rapprocher : Soc., 18 avril 2000, pourvoi n° 97-44.235, Bull. 2000, V, n° 141 (rejet).

Soc., 17 mai 2023, n° 21-21.041, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Licenciement économique – Formalités légales – Lettre de licenciement – Notification – Délai – Délai applicable – Délais prévus à l'article L. 1233-39 du code du travail – Domaine d'application – Redressement ou liquidation judiciaire – Exclusion

Il résulte des articles L. 3253-8 du code du travail et L. 631-7 du code de commerce que les délais prévus à l'article L. 1233-39 du code du travail pour l'envoi des lettres de licenciement pour motif économique concernant dix salariés ou plus dans une même période de trente jours dans les entreprises de moins de cinquante salariés, ne sont pas applicables en cas de redressement ou de liquidation judiciaire.

Doit en conséquence être censuré l'arrêt qui condamne une société, alors en redressement judiciaire, à payer à une salariée une somme à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement au motif de la méconnaissance par le mandataire judiciaire et l'employeur du délai de notification du licenciement prévu à l'article L.1233-9, alors qu'il était constant que la salariée avait été licenciée pendant la période d'observation au cours de laquelle peuvent être prononcés les licenciements présentant un caractère urgent, inévitable et indispensable.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 28 mai 2021), Mme [V] a été engagée, le 27 août 1990, en qualité d'agent administratif par la société Sonimétal, aux droits de laquelle se trouve la société Debbas France. Elle exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable administratif.

2. Par jugement du 8 novembre 2018, le tribunal de commerce a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Debbas France.

3. Le 20 décembre 2018, un projet de licenciement de seize salariés a été notifié à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). Ces licenciements ont été autorisés par ordonnance du juge commissaire du 27 décembre 2018.

4. La salariée a été licenciée pour motif économique et son contrat de travail a été rompu à l'issue du délai de réflexion du contrat de sécurisation professionnelle qu'elle avait accepté, soit le 7 février 2019.

5. Par jugement du 20 décembre 2019, le tribunal de commerce a arrêté le plan de redressement de la société Debbas France.

6. Contestant la régularité de son licenciement et sollicitant la reconnaissance d'un statut cadre, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le second moyen

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. La société Debbas France fait grief à l'arrêt de juger irrégulière la procédure de licenciement pour motif économique et de la condamner en conséquence au paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts, alors « que l'article L. 1233-59 du code du travail doit rendre inapplicable les délais de l'article L. 1233-39 du même code lorsque les licenciements pour motif économique de plus de dix personnes au cours d'une même période de trente jours interviennent en période de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ; qu'en effet, s'il apparaît que, textuellement, le redressement ou la liquidation judiciaire rendent seulement inapplicable le délai de l'article L. 1233-15 du code du travail - lui-même relatif au licenciement pour motif économique de moins de dix salariés dans une même période de trente jours - un tel traitement différencié des deux licenciements relève plus de la malfaçon législative que d'une réelle volonté de maintenir l'application du délai de l'article L. 1233-39 en cas de redressement ou de liquidation judiciaire ; qu'en s'en tenant à la lettre de l'article L. 1233-59 du code du travail, pour accéder aux demandes de la salariée licenciée, tandis qu'il ressort de la jurisprudence et de l'esprit de ce texte que celui-ci doit trouver à s'appliquer, non seulement aux délais de l'article L. 1233-15, mais également à ceux de l'article L. 1233-39, la cour d'appel, qui a fait une mauvaise interprétation conjuguée des articles L. 1233-39, L. 1233-58 et L. 1233-59 du code du travail, ensemble l'article L. 631-17 du code de commerce, a violé lesdites dispositions. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1233-39 et L. 3253-8, 2°, du code du travail et l'article L. 631-17 du code de commerce :

9. Aux termes du premier de ces textes, applicable aux licenciements de dix salariés ou plus dans une même période de trente jours, dans les entreprises de moins de cinquante salariés, l'employeur notifie au salarié le licenciement pour motif économique par lettre recommandée avec avis de réception.

La lettre de notification ne peut être adressée avant l'expiration d'un délai courant à compter de la notification du projet de licenciement à l'autorité administrative. Ce délai ne peut être inférieur à trente jours.

10. Selon le troisième, lorsque des licenciements pour motif économique présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable pendant la période d'observation, l'administrateur peut être autorisé par le juge commissaire à procéder à ces licenciements.

11. Selon le deuxième, l'assurance des salariés contre le risque de non-paiement, en cas de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail, garantit les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant pendant la période d'observation, dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de redressement, dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation et pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire, en sorte que, pour que les droits des salariés à garantie de leurs créances nées de la rupture du contrat de travail soient préservés, le licenciement doit être notifié au cours de l'une des périodes fixées par ce texte.

12. Il en résulte que les délais prévus à l'article L. 1233-39 du code du travail pour l'envoi des lettres de licenciement prononcé pour un motif économique ne sont pas applicables en cas de redressement ou de liquidation judiciaire.

13. Pour condamner la société à payer une somme à titre d'indemnité pour non respect de la procédure de licenciement, l'arrêt retient qu'il n'est pas discuté que la salariée a été licenciée pendant la période d'observation, au cours de laquelle seuls peuvent être prononcés les licenciements présentant un caractère urgent, inévitable et indispensable, que néanmoins, les dispositions de l'article L. 631-17 du code du commerce, qui prévoient cette hypothèse, ne dispensent pas le mandataire judiciaire et l'employeur de respecter les règles de notification des licenciements autorisés par le juge-commissaire, étant précisé que l'article L. 1233-59 du code du travail invoqué par l'employeur ne saurait trouver à s'appliquer en l'espèce dans la mesure où il vise les délais de l'article L. 1233-15 du même code relatifs au licenciement de moins de dix salariés dans une même période de trente jours.

14. Il en conclut que la méconnaissance par le mandataire judiciaire et l'employeur du délai de notification du licenciement économique de la salariée est avérée et constitue une irrégularité de forme de nature à causer un préjudice à l'intéressée qui peut en demander réparation.

15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

17. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond dès lors qu'elle dispose des éléments lui permettant, en l'absence de toute irrégularité de la procédure, de rejeter la demande présentée à ce titre.

18. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Debbas France à payer à Mme [V] la somme de 3 538,27 euros à titre de dommages-intérêts pour non respect de la procédure de licenciement, l'arrêt rendu le 28 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DÉBOUTE Mme [V] de sa demande de dommages-intérêts pour non respect de la procédure de licenciement.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Barincou - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard ; SCP Poupet et Kacenelenbogen -

Textes visés :

Articles L. 1233-39 et L. 3253-8 du code du travail ; article L. 631-7 du code de commerce.

Soc., 11 mai 2023, n° 21-23.148, n° 22-10.082, (B), FS

Cassation partielle

Résiliation judiciaire – Action intentée par le salarié – Action en nullité du licenciement – Abandon ultérieur de la demande en résiliation – Demande en réintégration du salarié – Examen – Office du juge – Nécessité – Portée

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la nullité de son licenciement au cours d'une même instance, puis abandonne en cours d'instance la demande de résiliation judiciaire, le juge, qui constate la nullité du licenciement, doit examiner la demande de réintégration.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-23.148 et 22-10.082 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 août 2021), M. [Y], salarié de la société Saint-Gobain Isover, a été déclaré inapte par le médecin du travail à l'issue de deux examens des 18 octobre et 3 novembre 2016, et licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 10 mars 2017.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi n° 21-23.148 et sur le second moyen du pourvoi n° 22-10.082

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi n° 22-10.082, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt, après avoir prononcé la nullité du licenciement, de le débouter de sa demande de réintégration et de condamnation au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération brute qui aurait dû lui être versée entre le jour de son éviction et le jour de sa réintégration effective, alors « que lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la nullité de son licenciement au cours d'une même instance, le juge, qui constate la nullité du licenciement, ne peut faire droit à la demande de réintégration, à moins que le salarié ait abandonné sa demande de résiliation judiciaire avant que le juge ne statue ; qu'en l'espèce, pour débouter le salarié de ses demandes de réintégration et de paiement d'une indemnité d'éviction après avoir pourtant constaté la nullité du licenciement, la cour d'appel a retenu que force est de relever que le salarié a sollicité dès le 27 juin 2016 la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur et ce jusqu'à son troisième jeu de conclusions notifiées en cause d'appel, ne renonçant à cette prétention qu'à ses ultimes écritures en date du 3 mai 2021, et que le salarié ayant demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur et maintenu cette demande après que celui-ci l'a licencié en cours de procédure, la poursuite du contrat de travail ne peut être ordonnée entre deux parties qui ont, chacune pour sa part, manifesté irréductiblement leur volonté de le rompre ; qu'en statuant ainsi quand dès lors que le salarié avait abandonné sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail dans ses dernières conclusions, le fait qu'il ait maintenu cette demande jusqu'à son troisième jeu de conclusions ne pouvait faire obstacle à ses demandes de réintégration et de paiement d'une indemnité d'éviction, la cour d'appel a violé les articles 1217 du code civil, ensemble L. 1152-3, L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1235-3 du code du travail et 1184 du code civil, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, le second dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

5. Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la nullité de son licenciement au cours d'une même instance, puis abandonne en cours d'instance la demande de résiliation judiciaire, le juge, qui constate la nullité du licenciement, doit examiner la demande de réintégration.

6. Pour débouter le salarié de ses demandes de réintégration et de paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération brute qui aurait dû lui être versée entre le jour de son éviction et le jour de sa réintégration effective, l'arrêt retient que l'intéressé a sollicité la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur jusqu'à son troisième jeu de conclusions notifiées en cause d'appel, ne renonçant à cette prétention qu'à ses ultimes écritures, qu'il a maintenu cette demande après que l'employeur l'a licencié en cours de procédure, la poursuite du contrat de travail ne pouvant être ordonnée entre deux parties qui ont, chacune pour sa part, manifesté irréductiblement leur volonté de le rompre.

7. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le salarié avait abandonné sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail dans ses dernières écritures, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt visées par le premier moyen entraîne la cassation du chef de dispositif condamnant l'employeur à payer au salarié une somme à titre d'indemnité pour licenciement nul, qui s'y rattache par un lien d'indivisibilité nécessaire.

9. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° 21-23.148 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [Y] de ses demandes de réintégration et de paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération brute qui aurait dû lui être versée entre le jour de son éviction et le jour de sa réintégration effective, et en ce qu'il condamne la société Saint-Gobain Isover à payer à M. [Y] la somme de 90 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, l'arrêt rendu le 5 août 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Valéry - Avocat général : Mme Wurtz - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ; article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur le cas où l'examen par le juge de la demande de réintégration formée par le salarié est incompatible avec sa demande initiale, à rapprocher : Soc., 27 janvier 2021, pourvoi n° 19-21.200, Bull., (cassation partielle). Sur le cas d'une demande de résiliation judiciaire et de réintégration par un salarié protégé, à rapprocher : Soc., 3 octobre 2018, pourvoi n° 16-19.836, Bull., (rejet).

Soc., 11 mai 2023, n° 21-18.117, (B), FS

Cassation partielle

Rupture conventionnelle – Signature – Effets – Renonciation commune à une rupture précédemment intervenue – Domaine d'application – Résiliation unilatérale du contrat de travail antérieure à la signature de la rupture conventionnelle – Portée

Lorsque le contrat de travail a été rompu par l'exercice par l'une ou l'autre des parties de son droit de résiliation unilatérale, la signature postérieure d'une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue.

En application de l'article L. 1237-14, alinéa 4, du code du travail, le recours à l'encontre de la convention de rupture doit être formé, à peine d'irrecevabilité, avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la date d'homologation de la convention.

Encourt dès lors la cassation l'arrêt qui écarte la fin de non-recevoir tirée de la prescription après avoir constaté que les parties avaient conclu une convention de rupture qui n'avait pas été remise en cause et avaient ainsi renoncé au licenciement verbal antérieur invoqué par le salarié.

Rupture conventionnelle – Contestation – Action en justice – Prescription – Prescription annale – Point de départ – Homologation de la convention de rupture – Date

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 avril 2021), M. [L] a été engagé en qualité d'employé polyvalent le 7 juillet 2016 par la société Le We club.

2. A l'issue de deux entretiens des 17 et 24 mars 2017, les parties ont conclu une convention de rupture du contrat de travail, avec une date d'effet prévisible au 20 avril 2017.

La direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) a accusé réception de la demande d'homologation le 13 avril 2017.

3. Estimant avoir fait l'objet antérieurement d'un licenciement verbal, le salarié a saisi, le 20 juin 2018, la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur les premier et deuxième moyens réunis

Enoncé des moyens

5. Par son premier moyen, l'employeur fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement qui, ayant estimé que l'action du salarié en requalification de la rupture conventionnelle était irrecevable, le déboute de ses demandes résultant d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dire que le salarié a fait l'objet d'un licenciement verbal le 18 mars 2017, constitutif d'une rupture abusive du contrat de travail, et de le condamner à lui verser diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, de dommages-intérêts pour rupture abusive et irrégulière du contrat de travail, et d'indemnité pour licenciement vexatoire, alors « que chaque fois que le différend dont le juge est saisi vise à remettre en cause la convention de rupture conventionnelle, le délai fixé par l'article L. 1237-14 du code du travail est applicable ; qu'en conséquence, le salarié qui a conclu une rupture conventionnelle ne peut plus contester ni la validité ni les effets de celle-ci au-delà du délai d'un an de l'article L. 1237-14 du code du travail, notamment en invoquant un prétendu licenciement verbal qui serait intervenu antérieurement à la signature de la convention de rupture ; qu'en l'espèce, il était constant que le salarié avait conclu avec son employeur une rupture conventionnelle signée le 24 mars 2017 qui avait ensuite été homologuée par la DIRECCTE le 30 avril 2017 ; qu'en jugeant que le salarié, qui avait saisi le conseil de prud'hommes le 20 juin 2018, soit plus d'un an après l'homologation de la rupture conventionnelle, pouvait remettre en cause les effets de celle-ci en se prévalant d'un licenciement verbal antérieur, la cour d'appel a violé l'article L. 1237-14 du code du travail ».

6. Par son deuxième moyen, l'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le salarié a fait l'objet d'un licenciement verbal le 18 mars 2017, constitutif d'une rupture abusive du contrat de travail et de le condamner à lui verser diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, de dommages-intérêts pour rupture abusive et irrégulière du contrat de travail et d'indemnité pour licenciement vexatoire, alors « que lorsque le contrat de travail a été rompu unilatéralement par l'une ou l'autre des parties, la signature postérieure d'une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue ; que le salarié qui accepte de conclure une rupture conventionnelle renonce donc par là même à se prévaloir d'un licenciement verbal qui serait intervenu antérieurement ; qu'en l'espèce, il était constant que le salarié avait conclu avec son employeur une rupture conventionnelle signée le 24 mars 2017, qui avait ensuite été homologuée par la DIRECCTE le 30 avril 2017 ; qu'il ne pouvait donc plus se prévaloir d'un licenciement verbal qui serait intervenu le 18 mars précédent ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé le principe susvisé et les articles L. 1237-11 et suivants du code du travail, ensemble l'article 1134, devenu 1103, du code civil ».

Réponse de la Cour

Recevabilité du deuxième moyen

7. Le salarié conteste la recevabilité du moyen qui serait contraire à l'argumentation présentée devant les juges du fond par l'employeur, qui n'a pas soutenu que la rupture conventionnelle, signée le 24 mars 2017, valait renonciation commune des parties à la rupture précédemment intervenue.

8. Cependant, l'employeur a relevé la volonté du salarié de rompre le contrat de travail par la convention de rupture et soutenu que celle-ci n'avait pas été dénoncée.

9. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé des moyens

Vu l'article L. 1471-1, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 et les articles L. 1237-11 et L. 1237-14, alinéa 4, du code du travail :

10. Selon le premier de ces textes, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit, mais ne fait pas obstacle aux délais de prescription plus courts, notamment celui prévu à l'article L. 1237-14.

11. Aux termes du deuxième, l'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie.

La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties.

12. Selon le troisième, tout litige concernant la convention, l'homologation ou le refus d'homologation relève de la compétence du conseil des prud'hommes, à l'exclusion de tout autre recours contentieux ou administratif et ce recours doit être formé, à peine d'irrecevabilité, avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la date d'homologation de la convention.

13. Il s'ensuit que lorsque le contrat de travail a été rompu par l'exercice par l'une ou l'autre des parties de son droit de résiliation unilatérale, la signature postérieure d'une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue.

14. Pour écarter la fin de non-recevoir soulevée par l'employeur, l'arrêt retient que la prescription abrégée d'un an prévue par l'article L. 1237-14 du code du travail ne porte que sur la contestation d'une rupture conventionnelle et ne s'applique pas à l'action en reconnaissance d'un licenciement verbal soumise à un délai de deux ans et en l'espèce non prescrite, que le salarié établit l'existence d'un licenciement verbal et que la rupture conventionnelle intervenue postérieurement est sans objet, le contrat étant d'ores et déjà rompu.

15. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les parties avaient conclu le 24 mars 2017 une convention de rupture qui n'avait pas été remise en cause, ce dont il résultait qu'en signant une rupture conventionnelle, les parties avaient d'un commun accord renoncé au licenciement verbal antérieur invoqué par le salarié et que le délai de prescription prévu à l'article L. 1237-14 du code du travail était applicable aux demandes relatives à la rupture du contrat de travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

16. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation

prononcée sur les premier et deuxième moyens réunis entraîne la cassation du chef de dispositif condamnant l'employeur à remettre au salarié un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes à la décision, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

17. La cassation prononcée n'emporte pas, par ailleurs, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiées par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que M. [L] a fait l'objet d'un licenciement verbal le 18 mars 2017 constitutif d'une rupture abusive du contrat de travail, en ce qu'il condamne la société Le We club à payer à l'intéressé les sommes de 1 238,25 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de 123,82 euros au titre des congés payés afférents, de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive et irrégulière du contrat de travail et de 500 euros à titre d'indemnité pour licenciement vexatoire, et en ce qu'il condamne la société Le We club à remettre à M. [L] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes à la décision, l'arrêt rendu le 15 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Nirdé-Dorail - Avocat général : Mme Wurtz - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 1237-14, alinéa 4, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur les effets de la rupture conventionnelle signée postérieurement à la résiliation unilatérale antérieure du contrat de travail, dans le même sens que : Soc., 3 mars 2015, pourvoi n° 13-20.549, Bull. 2015, V, n° 35 (rejet).

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