Numéro 5 - Mai 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2023

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

Com., 11 mai 2023, n° 21-17.899, (B), FS

Cassation partielle

Article 6, § 1 – Droit effectif au juge – Applications diverses – Décision annulant la délibération d'agrément d'un associé – Tierce opposition formée par l'associé agréé

Le droit effectif au juge, garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, implique que l'associé d'une société civile, qui a hérité de parts sociales de cette société et qui a été agréé comme associé au titre de ces parts, soit recevable à former tierce opposition à l'encontre de la décision annulant la délibération de la société l'agréant comme associé.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 30 mars 2021), à la suite du décès de leurs parents, M. [V] [S] et Mme [Y] [D] ont hérité, en indivision, de 52 848 parts du groupement foncier agricole [Adresse 3] (le GFA), les autres parts étant détenues par Mme [Y][D] (7 248 parts), par M. [B] [D] (1 part) et Mme [K] [D] (1 part), enfants de Mme [Y] [D], et par M. [V] [S] et ses enfants, MM. [H] et [C] [S] (1 part en indivision).

2. Un jugement du 20 septembre 2011 a ordonné le partage par moitié, entre M. [V] [S] et Mme [Y] [D], des parts du GFA héritées en indivision.

3. Le 28 juin 2012, l'assemblée générale extraordinaire du GFA a, d'une part, agréé Mme [Y] [D] en qualité d'associée au titre des parts attribuées à l'issue du partage de l'indivision successorale, d'autre part, refusé d'agréer M. [V] [S] à ce même titre.

4. M. [V] [S] a assigné le GFA et M. [B] [D], son gérant, en nullité de la résolution de l'assemblée générale extraordinaire du 28 juin 2012. MM. [H] et [C] [S] sont intervenus volontairement à l'instance.

5. Un arrêt du 22 mai 2018 a dit que l'agrément de M. [V] [S] comme associé du GFA, au titre des parts attribuées à celui-ci dans le partage de l'indivision successorale, était acquis au 9 décembre 2012 et que Mme [Y] [D] n'était pas agréée comme associée au titre des parts lui ayant été attribuées dans ce même partage.

6. Mmes [Y] [D] et [K] [D] ont formé tierce-opposition à cet arrêt.

Examen du moyen

Sur le moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la tierce-opposition de Mme [K] [D]

Enoncé du moyen

7. Mme [K] [D] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa tierce-opposition, alors :

« 1°/ qu'est recevable à former tierce-opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque ; que si la personne morale représente ses associés dans les litiges avec les tiers et dans les cas où les associés subissent un préjudice qui n'est que le corollaire de celui de la société, la représentation des associés par la société est en revanche exclue lorsque le litige porte sur un conflit entre associés ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'action introduite par M. [V] [S] à l'encontre du GFA et ayant donné lieu à l'arrêt du 22 mai 2018 contre lequel Mmes [Y] [D] et [K] [D] ont formé tierce-opposition portait sur les qualités respectives d'associés de Mme [Y] [D] et M. [V] [S] et sur le partage successoral entre eux des parts du GFA ; qu'il ressortait donc des constatations de la cour d'appel que le litige ne portait pas sur les rapports du GFA avec les tiers ni ne mettait en cause un préjudice social ayant atteint l'ensemble des associés, mais portait sur un conflit entre associés ; qu'en jugeant néanmoins que Mmes [Y] [D] et [K] [D] avaient été représentées par le GFA dans le cadre de ce litige, pour en déduire que leur tierce-opposition était irrecevable, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ qu'est recevable à former tierce-opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque ; qu'une communauté d'intérêts ne saurait suffire à caractériser cette représentation ; qu'en l'espèce, en retenant, pour juger que Mmes [Y] [D] et [K] [D] avaient été représentées par le GFA dans la procédure ayant donné lieu à l'arrêt du 22 mai 2018 et en déduire que leur tierce-opposition était irrecevable, que les demandes et moyens qu'elles formulaient dans le cadre de cette tierce-opposition étaient identiques aux demandes et moyens qui avaient été présentés par le GFA, de sorte que les intérêts de Mmes [Y] [D] et [K] [D] auraient été défendus par le GFA et son gérant lors de la procédure précédente, cependant qu'une communauté d'intérêts ne pouvait suffire à caractériser la représentation de Mmes [Y] [D] et [K] [D] par le GFA, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. Après avoir exactement énoncé que les associés, représentés à l'instance par le représentant légal de la société, ne sont, en principe, pas recevables à former tierce-opposition au jugement, sauf s'ils font valoir un moyen qui leur est personnel, et relevé que le litige dont Mme [K] [D] a saisi la cour d'appel, relatif à l'agrément, par le GFA, de M. [V] [S] et de Mme [Y] [D] en qualité d'associés au titre des parts attribuées à chacun d'eux dans le partage de l'indivision successorale, est identique à celui ayant donné lieu à un arrêt du 22 mai 2018, l'arrêt retient que Mme [K] [D], associée du GFA, est présumée avoir été représentée au cours de la procédure ayant abouti à cette décision par le GFA, lui-même représenté par son gérant, sauf à démontrer que le GFA n'a pas défendu ses intérêts, et que les moyens qu'elle invoque au soutien de sa tierce-opposition, qui sont relatifs aux conditions d'application de la clause statutaire d'agrément, sont identiques à ceux soutenus par le GFA et son gérant lors de la précédente procédure, de sorte qu'elle ne fait état d'aucun moyen propre et distinct de ceux ayant déjà été soumis à une juridiction.

9. De ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire, sans méconnaître le droit à l'accès au juge garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni violer l'article 583 du code de procédure civile, que Mme [K] [D], qui n'était pas propriétaire des parts sociales soumises à l'agrément litigieux, était irrecevable en sa tierce-opposition.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur ce moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la tierce-opposition de Mme [Y] [D]

Enoncé du moyen

11. Mme [Y] [D] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa tierce-opposition, alors « qu'est recevable à former tierce-opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque ; que si la personne morale représente ses associés dans les litiges avec les tiers et dans les cas où les associés subissent un préjudice qui n'est que le corollaire de celui de la société, la représentation des associés par la société est en revanche exclue lorsque le litige porte sur un conflit entre associés ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'action introduite par M. [V] [S] à l'encontre du GFA et ayant donné lieu à l'arrêt du 22 mai 2018 contre lequel Mmes [Y] [D] et [K] [D] ont formé tierce-opposition portait sur les qualités respectives d'associés de Mme [Y] [D] et M. [V] [S] et sur le partage successoral entre eux des parts du GFA ; qu'il ressortait donc des constatations de la cour d'appel que le litige ne portait pas sur les rapports du GFA avec les tiers ni ne mettait en cause un préjudice social ayant atteint l'ensemble des associés, mais portait sur un conflit entre associés ; qu'en jugeant néanmoins que Mmes [Y] [D] et [K] [D] avaient été représentées par le GFA dans le cadre de ce litige, pour en déduire que leur tierce-opposition était irrecevable, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

12. Le droit effectif au juge, garanti par ce texte, implique que l'associé d'une société civile, qui a hérité de parts sociales de cette société et qui a été agréé comme associé au titre de ces parts, soit recevable à former tierce-opposition à l'encontre de la décision annulant la délibération de la société l'agréant comme associé.

13. Pour dire la tierce-opposition de Mme [Y] [D] irrecevable, l'arrêt, après avoir relevé que le litige dont elle a saisi la cour d'appel, relatif à son agrément, par le GFA, et à celui de M. [V] [S] en qualité d'associés au titre des parts attribuées à chacun d'eux dans le partage de l'indivision successorale, est identique à celui ayant donné lieu à un arrêt du 22 mai 2018, retient que Mme [Y] [D], associée du GFA, est présumée avoir été représentée au cours de la procédure ayant abouti à cette décision par le GFA, lui-même représenté par son gérant, sauf à démontrer que le GFA n'avait pas défendu ses intérêts et avait fait valoir des moyens distincts de ceux présentés à l'occasion de la tierce-opposition.

L'arrêt ajoute que les demandes formées et les moyens invoqués par Mme [Y] [D] à l'occasion de sa tierce-opposition sont identiques à celles présentées et ceux soutenus par le GFA et son gérant lors de la précédente procédure, de sorte qu'elle ne fait état d'aucun moyen propre et distinct de ceux ayant déjà été soumis à une juridiction.

14. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que Mme [Y] [D], associée du GFA, avait été agréée comme associée au titre des parts du groupement dont elle avait hérité, de sorte qu'elle était recevable en sa tierce-opposition formée à l'encontre de la décision annulant la délibération du GFA l'agréant comme associée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare la tierce-opposition de Mme [Y] [D] irrecevable et statue, en ce qui la concerne, sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, l'arrêt rendu le 30 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Ducloz - Avocat général : M. Lecaroz - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade ; SCP Foussard et Froger ; SCP Spinosi -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

2e Civ., 17 mai 2023, n° 21-20.690, (B), FS

Cassation

Article 6, § 1 – Tribunal – Accès – Procédure civile – Représentation obligatoire – Formalisme excessif – Appréciation

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 juin 2021), sur des poursuites de saisie immobilière engagées par la société Bear Stearns Bank, aux droits de laquelle est venu le Fonds commun de titrisation Marsollier Mortgages représenté par la société France titrisation, à l'encontre de M. et Mme [F], un juge de l'exécution a ordonné la vente forcée du bien.

2. M. et Mme [F] ont relevé appel de ce jugement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. M. et Mme [F] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur appel, alors « qu'en cas d'appel d'un jugement d'orientation, la cour est valablement saisie par la remise par voie électronique au greffe de la seule assignation, sans que l'appelant soit tenu de lui remettre également la requête aux fins d'être autorisé à assigner à jour fixe, l'ordonnance du premier président et la déclaration d'appel, lesquels constituent des documents distincts de l'assignation ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable l'appel des époux [F], que l'assignation remise était incomplète dès lors qu'elle ne comprenait ni la requête aux fins d'autorisation d'assigner à jour fixe, ni l'ordonnance du premier président, ni une copie de la déclaration d'appel, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article R. 322-19 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble les articles 920, 922 et 930-1 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 922 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. Il résulte du premier de ces textes que dans la procédure d'appel à jour fixe, la cour d'appel est saisie par la remise d'une copie de l'assignation au greffe, cette remise devant être faite avant la date fixée pour l'audience, faute de quoi la déclaration d'appel est caduque.

5. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, le droit d'accès à un tribunal doit être « concret et effectif » et non « théorique et illusoire ». Toutefois, le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, car il appelle par nature une réglementation par l'État, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation. Cette réglementation par l'État peut varier dans le temps et dans l'espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même.

En outre, elles ne se concilient avec l'article 6, § 1, que si elles poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Zubac c/ Croatie, requête n° 40160/12, 5 avril 2018).

6. La question posée par le moyen est celle de savoir si l'article 922 du code de procédure civile, interprété à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, impose ou non, pour que la cour d'appel soit saisie, que soient jointes à la copie de l'assignation les copies de la requête, de l'ordonnance du premier président et un exemplaire de la déclaration d'appel.

7. En application de l'article 918 du code de procédure civile, la requête aux fins d'autorisation d'assigner à jour fixe doit être remise au premier président pour être versée au dossier de la cour.

L'ordonnance signée et datée du premier président figure au dossier de la procédure (2e Civ., 20 mai 2021, pourvois n° 19-19.258 et n° 19-19.259).

8. L'article 922 du code de procédure civile, quant à lui, a pour seul objet d'énoncer les formalités nécessaires à la saisine de la cour d'appel, celle-ci, devant être saisie par la remise d'une copie de l'assignation.

9. Il en résulte que l'article 922 du code de procédure civile n'impose pas que soient jointes à la copie de l'assignation remise au greffe, les pièces, destinées à l'information de l'intimé, mentionnées à l'article 920 du code de procédure civile.

10. Toute autre interprétation constituerait une entrave disproportionnée à l'accès au juge en méconnaissance de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. Pour déclarer l'appel irrecevable, l'arrêt retient que la cour d'appel n'a pas été valablement saisie par le dépôt au greffe d'une copie complète de l'assignation faute de comprendre la requête aux fins d'autorisation d'assigner à jour fixe, de l'ordonnance du premier président et d'une copie de la déclaration d'appel.

12. En statuant ainsi, en déclarant l'appel irrecevable, alors, d'une part, que la cour est valablement saisie par la remise de la seule copie de l'assignation, sans qu'il soit nécessaire d'y joindre les copies mentionnées à l'article 920 du code de procédure civile, d'autre part, que l'absence de remise de cette assignation est sanctionnée par la caducité de la déclaration d'appel, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Condamne la société France titrisation, agissant en qualité de société de gestion du Fonds commun de titrisation Marsollier Mortgages aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société France titrisation, agissant en qualité de société de gestion du Fonds commun de titrisation Marsollier Mortgages et la condamne à payer à M. et Mme [F] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mai deux mille vingt-trois.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Martinel (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Bonnet - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SAS Buk Lament-Robillot ; SCP Delamarre et Jehannin -

Textes visés :

Articles 920 et 922 du code de procédure civile ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

2e Civ., 17 mai 2023, n° 21-16.167, (B), FRH

Rejet

Article 8 – Droit au respect de la vie privée et du domicile – Saisie immobilière – Adjudication forcée – Office du juge

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 18 février 2021) et les productions, par ordonnance du 3 juin 2019, un tribunal d'instance, statuant comme tribunal de l'exécution, a ordonné, à la requête de la société Crédit foncier de France (la banque), l'exécution forcée de biens immobiliers appartenant à M. [C] et Mme [E].

2. M. [C] a formé deux pourvois immédiats, le premier afin de solliciter des délais pour vendre amiablement l'immeuble saisi, le second contre l'ordonnance du 30 janvier 2020 ayant rejeté sa demande.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. [C] et Mme [E] font grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du 30 janvier 2020 ayant rejeté la demande de délais de grâce formulée par M. [C], alors :

« 1°/ que la vente par adjudication de la maison d'habitation d'un débiteur constitue une ingérence dans l'exercice de son droit au respect de son domicile ; qu'il ne peut y avoir d'ingérence dans l'exercice de ce droit que pour autant qu'elle est prévue par la loi, qu'elle poursuit un but légitime et qu'elle est proportionnée avec l'objectif recherché ; qu'en ordonnant la vente forcée de l'immeuble appartenant à Mme [E] et M. [C] et constituant le domicile de ce dernier, sans procéder, au besoin d'office, à un examen de la proportionnalité de cette mesure, la cour d'appel a méconnu l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ qu'en ce qu'elle ne permet plus au débiteur de disposer de sa maison, la vente forcée par adjudication porte atteinte à son droit au respect de ses biens ; qu'en ce qu'elle est prononcée, au terme d'une procédure n'offrant pas au débiteur des garanties procédurales suffisantes, la vente forcée des immeubles situés dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle porte une atteinte disproportionnée au droit du débiteur au respect de ses biens ; qu'en rejetant la demande de délais de grâce formulée par M. [C] sans qu'ait pu être préalablement examinée la proportionnalité de la mesure de vente forcée de sa maison prononcée à son encontre, la cour d'appel a méconnu l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

4. Aux termes de l'article 8, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

5. Aux termes de l'article 8, § 2, il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

6. Selon l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

7. Si la vente aux enchères de la propriété d'un débiteur, qui constitue une ingérence dans le droit au respect des biens de celui-ci, poursuit un but légitime d'utilité publique, à savoir la satisfaction des créances pécuniaires de son créancier, cette ingérence doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu.

En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure privant une personne de sa propriété (CEDH, 5 novembre 2009, [P] [K] Axte c. Grèce, n° 44769/07, § 34 et 35).

En outre, les procédures applicables doivent aussi offrir à la personne concernée une occasion adéquate d'exposer sa cause aux autorités compétentes afin de contester effectivement les mesures portant atteinte aux droits garantis par cette disposition (CEDH, 5 novembre 2009, [P] [K] Axte c. Grèce, n° 44769/07, § 36).

8. Aux termes de l'article 145, alinéa 1er, de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, l'ordonnance d'exécution est signifiée d'office au débiteur et au tiers acquéreur et inscrite d'office au livre foncier.

Selon l'article 167 de la même loi, les décisions du tribunal de l'exécution sont susceptible d'un pourvoi immédiat.

9. Il résulte en outre des articles 141 et 143 de cette même loi que le tribunal de l'exécution doit rechercher si les demandes sont fondées.

10. Le débiteur saisi disposant ainsi d'un recours juridictionnel lui permettant de contester l'ordonnance d'exécution forcée rendue sur la requête du créancier poursuivant, c'est sans méconnaître l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article premier du premier Protocole additionnel, que la cour d'appel qui, statuant aux termes d'une procédure contradictoire conforme aux exigences du procès équitable, n'avait pas à effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée par le débiteur, lequel n'alléguait pas du caractère disproportionné de la mesure diligentée à son encontre tant au regard de son droit au respect de la vie privée que de son droit à la protection de la propriété, a statué comme elle l'a fait.

11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Cardini - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article premier du premier Protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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