Numéro 5 - Mai 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2023

UNION EUROPEENNE

1re Civ., 25 mai 2023, n° 22-12.299, n° 22-12.469, (B), FRH

Cassation partielle

Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 – Articles 38, § 1, 42, § 2, 43, §§ 1 et 5, et 47, § 3 – Compétence en matière civile et commerciale – Reconnaissance et exécution des décisions étrangères – Conditions – Applications diverses

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-12.299 et 22-12.469 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 décembre 2021), l'oeuvre « Une Fille de France » est une composition musicale de M. [T] dont les paroles associées ont été coécrites par MM. [X] et [M] et qui est éditée par la société Première Music Group.

3. La chanson « On va s'aimer » est une composition musicale de M. [N] dont les paroles associées ont été écrites par M. [M]. Elle a été déclarée auprès de la Saccade Italiana degli Autori ed Editori (SIAE) et coéditée par les sociétés italiennes Abramo Allione Edizioni Musicali et Universal Music Italia.

La société Universal Music Publishing a assuré la sous-édition de cette oeuvre en France.

4. Par arrêt confirmatif du 10 juin 2010, la cour d'appel de Milan a jugé que la chanson « On va s'aimer » constituait une contrefaçon de l'oeuvre musicale « Une Fille de France », condamné les sociétés Abramo Allione Edizioni Musicali et Universal Music Italia ainsi que MM. [N] et [M] à réparer les préjudices moraux et patrimoniaux subis par MM. [T] et [X] ainsi que par la société Première Music Group, et a interdit aux sociétés Abramo Allione Edizioni Musicali et Universal Music Italia ainsi qu'à MM. [N] et [M] la poursuite de toute utilisation et exploitation de cette chanson.

Par arrêt du 11 mai 2012, la Cour de cassation italienne a rejeté le pourvoi principal formé par MM. [N] et [M] ainsi que les pourvois incidents des sociétés Universal Music Italia et Abramo Allione Edizioni Musicali.

5. Par décisions du tribunal de grande instance de Paris des 10 novembre 2015 et du 21 mars 2016, signifiées à la SACEM les 13 novembre 2015 et 12 avril 2016, les arrêts de ces juridictions ont été reconnus et déclarés exécutoires en France.

6. La société Première Music Group ainsi que MM. [T] et [X] ont assigné la SACEM, MM. [M] et [N] ainsi que les sociétés Abramo Allione Edizioni Musicali, Universal Music Italia et Universal Music Publishing devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'obtenir la modification de la documentation relative à la chanson « On va s'aimer » et la répartition à leur profit des droits produits par l'exploitation de celle-ci.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° 22-12.469

Enoncé du moyen

7. M. [N] fait grief à l'arrêt de rejeter les fins de non-recevoir tendant à voir déclarer irrecevables l'intégralité des demandes de la société Première Music Group, M. [T] et M. [X], d'ordonner à la SACEM de radier l'oeuvre « On va s'aimer » de sa documentation, d'enregistrer dans sa documentation, sous l'oeuvre « Une fille de France » le sous-titre « On va s'aimer » comme il est indiqué, d'enregistrer au crédit du compte de l'oeuvre « Une fille de France » l'ensemble des rémunérations de droit d'auteur générées par l'oeuvre « On va s'aimer » pour toute exploitation de l'oeuvre à partir du mois d'avril 2013 jusqu'au terme de la durée de protection de l'oeuvre, d'ordonner à la SACEM de procéder à la répartition des rémunérations des droits d'auteur non encore réparties par elle au titre de l'exploitation de l'oeuvre « On va s'aimer » postérieurement à la répartition du 5 avril 2013 ainsi que toutes rémunérations de droits d'auteur à venir générées par cette oeuvre, au profit des ayants-droit de l'oeuvre « Une fille de France » pour toute exploitation de l'oeuvre jusqu'au terme de la durée de protection, conformément aux quotes-parts mentionnées et de faire interdiction à la SACEM de répartir aux ayants-droit de l'oeuvre « On va s'aimer » toutes rémunérations de droits d'auteur résultant de l'exploitation de cette oeuvre postérieurement à la répartition du 5 avril 2013, alors « qu'une décision rendue dans un Etat membre de l'Union européenne ne peut être mise à exécution dans un autre Etat membre qu'après y avoir été déclarée exécutoire par une décision signifiée ou notifiée à la partie contre laquelle l'exécution est demandée ; qu'en jugeant, pour déclarer recevables les demandes de la société Première Music Group, de M. [T] et de M. [X], que les décisions rendues par le tribunal ordinaire de Milan le 6 août 2008, par la cour d'appel de Milan le 10 juin 2010 et par la Cour de cassation italienne le 11 mai 2012 dans un litige les opposant notamment à M. [N], qui constataient la contrefaçon de l'oeuvre « Une fille de France » par l'oeuvre « On va s'aimer », composée par M. [N], étaient exécutoires en France, tout en constatant que la SACEM, à qui la société Première Music Group, M. [T] et M. [X] demandaient de modifier sa base documentaire et la répartition des droits d'auteur en exécution des décisions précitées rendues en Italie relatives à la contrefaçon n'avait pas été partie à ces décisions et que les décisions rendues en France les déclarant exécutoires avaient été signifiées à la SACEM, et non à M. [N] qui en n'en avait eu connaissance que dans le cadre de la présente procédure, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résultait que les décisions déclarant exécutoires les décisions rendues en Italie relatives à la contrefaçon de l'oeuvre « Une fille de France » par l'oeuvre « On va s'aimer » n'avaient pas été signifiées à la partie contre laquelle l'exécution était demandée, soit la partie jugée contrefactrice, mais uniquement à la personne tierce chargée d'en supporter l'exécution, soit la SACEM, organisme de gestion collective des droits d'auteur de l'oeuvre contrefaite et de l'oeuvre contrefaisante, et a ainsi violé les articles 38, 41 et 42 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, applicable au litige, ensemble l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ».

Réponse de la Cour

Vu les articles 38, § 1, 42, § 2, 43, §§ 1 et 5, et 47, § 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale :

8. En application du premier de ces textes, les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée.

9. Selon le deuxième, la déclaration constatant la force exécutoire est signifiée ou notifiée à la partie contre laquelle l'exécution est demandée, accompagnée de la décision si celle-ci n'a pas encore été signifiée ou notifiée à cette partie.

10. Conformément aux troisième et quatrième, cette partie peut former un recours contre cette déclaration dans le délai d'un mois à compter de sa signification, et ce délai est porté à deux mois et court à compter du jour où la signification a été faite à personne ou à domicile si la partie contre laquelle l'exécution est demandée est domiciliée sur le territoire d'un autre État membre que celui dans lequel la déclaration constatant la force exécutoire a été délivrée.

11. Aux termes du cinquième, pendant le délai du recours prévu à l'article 43, § 5, contre la déclaration constatant la force exécutoire et jusqu'à ce qu'il ait été statué sur celui-ci, il ne peut être procédé qu'à des mesures conservatoires sur les biens de la partie contre laquelle l'exécution est demandée.

12. Selon la Cour de justice des Communautés européennes, devenue la Cour de justice de l'Union européenne, l'exigence de signification de la décision qui autorise l'exécution a pour fonction, d'une part, de protéger les droits de la partie contre laquelle l'exécution est demandée et, d'autre part, de permettre, sur le plan probatoire, une computation exacte du délai de recours rigoureux et impératif ouvert à cette partie et que, si seule importait la connaissance par celle-ci de la décision qui autorise l'exécution, cela risquerait de vider de sa substance l'exigence d'une signification (CJCE, arrêt du 16 février 2006, Verdoliva, C-3/05).

13. Pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée par MM. [N] et [M] tirée de l'absence de signification des décisions déclarant exécutoires en France les arrêts de la cour d'appel de Milan et de la Cour de cassation italienne, l'arrêt retient, d'une part, que ces décisions ont été portées à leur connaissance dans le cadre de la présente procédure et que ceux-ci ne peuvent arguer qu'ils n'ont pas été en mesure d'exercer le recours prévu à l'article 43 du règlement (CE) n° 44/2001, qui ne soumet pas l'ouverture du recours à la signification préalable de la décision, d'autre part, que MM. [M] et [N] ne soutiennent pas utilement que la SACEM n'est pas détentrice des droits leur appartenant alors que, en application de l'article 1 des statuts de cette société, l'auteur, par son adhésion, fait apport à celle-ci de l'exercice de ses droits patrimoniaux.

14. En statuant ainsi, alors que les décisions italiennes déclarées exécutoires déniaient à MM. [N] et [M] tout droit d'auteur sur l'oeuvre musicale « On va s'aimer » et que le litige avait pour objet la modification par la SACEM de la documentation relative à cette oeuvre en exécution de ces décisions, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi n° 22-12.469 et sur les moyens du pourvoi n° 22-12.299, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les fins de non recevoir de la société Première Music Group et de MM. [T] et [X], l'arrêt rendu le 10 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Duval-Arnould (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Chevalier - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SAS Buk Lament-Robillot ; SCP Piwnica et Molinié ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Articles 38, § 1, 42, § 2, 43, § 1 et 5, et 47, § 3 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000.

1re Civ., 25 mai 2023, n° 21-23.174, (B), FS

Cassation partielle

Responsabilité du fait des produits défectueux – Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 – Interprétation par le juge national du droit interne au regard de la directive – Condition

Responsabilité du fait des produits défectueux – Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 – Domaine d'application – Limites – Détermination – Portée

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la Société des automobiles Marcot (la société Marcot) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mmes [J], [S] et [U].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 24 juin 2021), rendu sur renvoi après cassation (Com., 18 mai 2016, pourvoi n° 14-16.234, Bull. IV, n° 76), le 5 juin 1991, la société Renault véhicules industriels, aux droits de laquelle vient la société Renault Trucks, a vendu à la société Marcot un autocar qui avait été mis en circulation le 26 septembre 1990.

3. En janvier 1999, la société Renault véhicules industriels a apporté à la société Irisbus, devenue Iveco France, sa branche d'activités « autocars et autobus ».

4. Le 24 juin 1999, l'autocar acquis par la société Marcot a subi un accident, entraînant le décès du chauffeur, [M] [S], et des blessures aux passagers.

5. Le 7 juin 2005, la société Marcot, ainsi que la société Gan assurances, assureur de sa responsabilité civile, et la société Covea Fleet, assureur des dommages au véhicule, faisant valoir que l'accident avait été causé par la rupture d'un élément de roue de celui-ci, ont assigné en responsabilité les sociétés Iveco France et Renault Trucks.

La société Iveco France a appelé en garantie la société Allianz Global Corporate & Specialty, assureur de la société Renault Trucks.

Les ayants droit de [M] [S] et la caisse primaire d'assurance maladie des Vosges sont intervenus à l'instance.

Examen des moyens

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi incident

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

7. La société Marcot fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes, alors « que, selon l'article 9 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, les dispositions de celle-ci s'appliquent à la réparation du dommage causé par la mort ou par des lésions corporelles et au dommage causé à une chose ou la destruction d'une chose, autre que le produit défectueux lui-même, sous déduction d'une franchise, à condition que cette chose soit d'un type normalement destiné à l'usage ou à la consommation privés et ait été utilisée par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privés ; qu'en jugeant que « le préjudice moral, financier, commercial et d'image résultant des faits pour lequel une somme de 40 000 euros est demandé » entre dans le champ d'application de cette directive, quand ce préjudice, ne découlant pas d'une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même, était exclu de son champ d'application, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 1147 du code civil, dans sa version applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

8. Les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux résultant d'une atteinte à la réputation causée par une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même, y compris par ricochet, sont couverts par le régime de responsabilité du fait des produits défectueux.

9. C'est donc à bon droit que la cour d'appel a retenu qu'étaient réparables sur le fondement de l'article 1147 du code civil, interprété à la lumière de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, les « préjudices moral, financier, commercial et d'image » que la société Marcot avait subis à la suite de la survenue de l'accident de l'autocar et de la gravité des dommages corporels qu'il avait provoqués.

Mais sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, du pourvoi principal et sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident, réunis

Enoncé des moyens

10. Par son moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, la société Marcot fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes au titre des dommages entrant dans le champ d'application de la directive 85/374/CEE, alors :

« 2° / que l'obligation pour le juge national de se référer au contenu d'une directive lorsqu'il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du droit, notamment le principe de sécurité juridique ; que la Cour de cassation juge de manière constante qu'en l'absence de précision par la loi, le point de départ de la prescription décennale prévue par l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime (V. not. Com., 12 mai 2004, pourvoi n° 02-10.653, Bull. 2004, IV, n° 93 ; 3e Civ., 20 octobre 2004, pourvoi n° 02-21.576 ; Com., 14 juin 2005, pourvoi n° 04-11.241 ; Com., 27 septembre 2005, pourvoi n° 02-21.045, Bull. 2005, IV, n° 187 ; Com., 3 avril 2012, pourvoi n° 09-16.805 ; Com., 17 mai 2017, pourvoi n° 15-21.260 ; 2e Civ., 18 mai 2017, pourvoi n° 16-17.754, Bull. 2017, II, n° 102 ; 1re Civ., 16 janvier 2019, pourvoi n° 17-21.218) ; qu'en jugeant que « pour ce qui concerne les dommages entrant dans le champ de la directive, la fixation du point de départ du délai de dix ans prévu à l'article L. 110-4 du code de commerce doit être fixé à la date de mise en circulation du bus litigieux, soit le 26 septembre 1990 », quand une telle solution, qui va à l'encontre d'une jurisprudence établie de la Cour de cassation, n'était aucunement prévisible par les justiciables, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article L. 110-4 du code de commerce, ensemble le principe de sécurité juridique ;

3°/ que l'obligation pour le juge national de se référer au contenu d'une directive lorsqu'il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national ; qu'en jugeant que les demandes de la Société des Automobiles Marcot concernant les dommages entrant dans le champ d'application de la directive sont irrecevables comme prescrites, aux motifs que l'article L. 110-4 du code de commerce, qui fixe un délai de prescription, doit être interprété à la lumière de l'article 11 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, quand cet article fixe un délai de forclusion et non de prescription, ce qu'elle a d'ailleurs admis en précisant qu'il s'agit d'« un délai butoir, qui peut être considéré comme un délai de forclusion et non de prescription », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi retenu une interprétation contra legem du droit national eu égard aux différences de nature, de finalité et de régime qui opposent ces deux délais, violant ainsi par fausse application l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa version applicable à la cause. »

11. Par son moyen, pris en sa première branche, la société Gan assurances fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'action en responsabilité contractuelle contre le fabriquant d'un produit dont le caractère défectueux est invoqué, qui a été mis en circulation après l'expiration du délai de transposition de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, mais avant la date d'entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 transposant cette directive, se prescrit, selon les dispositions du droit interne, qui ne sont pas susceptibles de faire l'objet sur ce point d'une interprétation conforme au droit de l'Union européenne, par dix ans à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il a été révélé à la victime ; qu'en jugeant que « l'article L. 110-4 précité, en ce qu'il ne comporte aucune indication quant au point de départ de la prescription qu'il édicte, est susceptible d'être interprété, pour ce qui concerne la responsabilité du fait des produits défectueux, à la lumière de la directive du 25 juillet 1985 » et que « par conséquent, (...) pour ce qui concerne les dommages entrant dans le champ de la directive, le point de départ du délai de dix ans prévu à l'article L. 110-4 du code de commerce doit être fixé à la date de mise en circulation du bus litigieux », la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce dans sa version applicable à la cause, ensemble les principes généraux du droit de sécurité et de non-rétroactivité. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 189 bis, devenu L. 110-4, I, du code de commerce, celui-ci dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et les articles 10 et 11 de la directive 85/374/CEE :

12. Selon le premier de ces textes, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans.

13. Selon le deuxième, l'action en réparation prévue par directive se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.

14. Selon le troisième, les droits conférés à la victime en application de la directive s'éteignent à l'expiration d'un délai de dix ans à compter de la date à laquelle le producteur a mis en circulation le produit qui a causé le dommage, à moins que durant cette période la victime n'ait engagé une procédure judiciaire contre celui-ci.

15. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 4 juillet 2006, Adeneler, C-212/04 ; CJUE, arrêt du 15 avril 2008, Impact, C-268/06 et CJUE, arrêt du 24 juin 2019, Poplawski, C-573/17) que, si le principe d'interprétation conforme requiert que les juridictions nationales fassent tout ce qui relève de leur compétence, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, aux fins de garantir la pleine effectivité de la directive en cause et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci, l'obligation pour le juge national de se référer au contenu d'une directive lorsqu'il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du droit et que cette obligation ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national.

16. La Cour de cassation a déjà jugé que l'action en responsabilité extra-contractuelle dirigée contre le fabricant d'un produit dont le caractère défectueux est invoqué et qui a été mis en circulation après l'expiration du délai de transposition de la directive, mais avant la date d'entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 transposant cette directive, se prescrit, selon les dispositions du droit interne, qui ne sont pas susceptibles de faire l'objet sur ce point d'une interprétation conforme au droit de l'Union, par dix ans à compter de la date de consolidation du dommage initial ou aggravé (1re Civ., 15 mai 2015, pourvoi n° 14-13.151, Bull. 2015, I, n° 117).

17. Les dispositions de l'article 189 bis, devenu L. 110-4, I, du code de commerce, en ce qu'elles prévoient un délai de prescription de dix ans et non un délai-butoir enserrant un délai de prescription, ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'une interprétation conforme à l'article 11 de la directive qui instaure un délai-butoir enserrant le délai de prescription de l'article 10, de sorte que l'action en responsabilité contractuelle dirigée contre le fabricant d'un produit dont le caractère défectueux est invoqué et qui a été mis en circulation après l'expiration du délai de transposition de la directive, mais avant la date d'entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 transposant cette directive, se prescrit selon les dispositions du droit interne, soit à compter de la réalisation du dommage ou de la date de sa révélation à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu connaissance (1re Civ., 9 juillet 2009, pourvoi n° 08-10.820, Bull. 2009, I, n° 172 ; 2e Civ., 18 mai 2017, pourvoi n° 16-17.754, Bull. 2017, II, n° 102 ; 3e Civ., 26 octobre 2022, pourvoi n° 21-19.898, publié au Bulletin).

18. Pour déclarer irrecevables les demandes de la société Marcot et de la société Gan assurances au titre des dommages entrant dans le champ d'application de la directive, l'arrêt retient que, l'article L. 110-4 du code de commerce ne précisant pas quel est le point de départ du délai qu'il fixe, il est susceptible, en ce qui concerne la responsabilité du fait des produits défectueux, d'être interprété à la lumière de l'article 11 de la directive et qu'en conséquence le point de départ du délai de dix ans doit être fixé à la date de mise en circulation de l'autocar, soit le 26 septembre 1990, que ce délai a expiré le 26 septembre 2000 et que l'action engagée le 7 juin 2005 par les sociétés Marcot et Gan assurances est donc prescrite.

19. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche, du pourvoi principal et sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi incident, réunis

Enoncé des moyens

20. Par son moyen, pris en sa quatrième branche, la société Marcot fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes au titre des dommages ne relevant pas du champ d'application de la directive 85/374/CEE, alors « que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité contractuelle, exercée par l'acquéreur d'une chose contre son vendeur, court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à l'acquéreur si celui-ci établit qu'il n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'en jugeant, sur la recevabilité des demandes concernant des dommages ne relevant pas du champ d'application de la directive, qu'en matière d'obligations découlant du contrat de vente « et s'agissant d'une action relative aux qualités mêmes exigées du bien vendu indépendantes de toute faute contractuelle, il convient de considérer que l'obligation visée à l'article L. 110-4 du code de commerce se prescrit par dix ans à compter de la vente du bien litigieux », quand bien même la Société des Automobiles Marcot fondait ses demandes sur la responsabilité contractuelle en raison du vice affectant l'autocar et du défaut d'information relatif à ce vice connu du fabricant-vendeur, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable. »

21. Par son moyen, pris en sa deuxième branche, la société Gan assurances fait le même grief à l'arrêt, alors « que le point de départ du délai de prescription décennal de l'article L. 110-4 du code de commerce tel qu'applicable avant la réforme de la prescription de 2008 courait à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle le dommage a été révélé à la victime ; qu'en jugeant que l'action fondée sur l'article L. 110-4 se prescrivait par dix ans à compter de la date de la vente du bien litigieux, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce dans sa version applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 189 bis, devenu L. 110-4, du code de commerce, celui-ci dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 :

22. Il résulte de ce texte que la prescription de l'action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

23. Pour déclarer irrecevables les demandes concernant des dommages ne relevant pas du champ d'application de la directive, l'arrêt retient que l'obligation visée à l'article L. 110-4 du code de commerce se prescrit par dix ans à compter de la date de la vente du bien litigieux.

24. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes formées par la Société des Automobiles Marcot et la société Gan assurances et en ce que, ajoutant au jugement déféré, il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 24 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Soulard (premier président) - Rapporteur : Mme de Cabarrus - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier ; SARL Cabinet Pinet ; SARL Delvolvé et Trichet ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

Textes visés :

Article 189 bis, devenu L. 110-4, I, du code de commerce.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 15 mai 2015, pourvoi n° 14-13.151, Bull. 2015, I, n° 117 (cassation partielle).

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