Numéro 3 - Mars 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2024

TRAVAIL REGLEMENTATION, REMUNERATION

Soc., 13 mars 2024, n° 22-20.970, (B), FS

Cassation partielle

Salaire – Fixation – Salaire variable – Réduction ou restitution – Conditions – Agissements ou comportement du salarié – Défaut de respect des exigences d'honorabilité – Caractérisation – Détermination – Portée

Le dispositif, prévu par l'alinéa 1 de l'article L. 511-84 du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, issu de la transposition de la directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, et l'article R. 511-24 du code monétaire et financier, a pour objet de prévenir les prises de risques excessives, pouvant nuire à une gestion saine et efficace des risques au sein des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, de la part des salariés amenés à prendre des décisions d'investissement, en prévoyant un malus ou une récupération à 100 % de la rémunération variable à l'égard d'un preneur de risques qui a participé à des agissements ayant entraîné des pertes significatives pour l'établissement ou a été responsable de tels agissements ou n'a pas respecté les normes applicables en matière d'honorabilité et de compétences, lesdites normes s'entendant de règles professionnelles en lien direct et étroit avec l'activité professionnelle d'investissement à risques.

Doit en conséquence être approuvée la cour d'appel qui, pour faire droit à la demande du salarié en paiement de sa rémunération variable différée, retient que le comportement inapproprié de ce salarié à l'égard de jeunes femmes vis-à-vis desquelles il occupait une position de responsabilité ne caractérise pas le défaut de respect des exigences d'honorabilité prévu aux textes susvisés.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 juillet 2022), M. [E], engagé à compter du 1er mars 1991 en qualité de responsable des risques marché par la banque Indosuez selon un contrat de travail à durée indéterminée transféré au groupe Crédit agricole lors du rachat de la banque, est devenu chargé de mission dans le département Global Market Division (GMD), avec un statut cadre niveau hors classe, par un contrat de travail du 25 novembre 2013 conclu avec la société Crédit agricole Corporate and Investment Bank (la société).

2. Par lettre du 4 décembre 2013, il a été affecté à [Localité 3] pour y exercer la fonction de responsable GMD Asie pour une prise de poste le 1er février 2014 et renouvellement possible à compter du 31 janvier 2017.

Par lettre du 1er février 2017, le contrat de travail prévoyant son expatriation a été prorogé au 31 janvier 2018.

3. Le 20 octobre 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement et a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire. Il a été licencié le 15 novembre 2017 pour faute grave.

4. Le 3 janvier 2018, il a saisi la juridiction prud'homale afin de contester le bien-fondé de son licenciement et de demander le paiement de diverses sommes de nature indemnitaire ou salariale dont des rappels de rémunération différée.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident du salarié

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen du pourvoi principal de l'employeur

Enoncé du moyen

6. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié au titre de rémunérations différées des sommes au titre des années 2017, 2016, 2015 et 2014, alors :

« 1°/ que selon les propres termes de l'arrêt attaqué, la question de la rémunération complémentaire à laquelle pouvait prétendre M. [E] pour les années 2014 à 2017 était directement liée au respect des règles déontologiques et aux exigences d'honorabilité, selon les prévisions du plan relatif aux rémunérations variables qui faisait la loi des parties, ce dont il résulte qu'il existe un lien de dépendance nécessaire entre la reconnaissance d'une faute grave à l'encontre de M. [E], susceptible de constituer un manquement à l'obligation d'honorabilité, et le versement de la rémunération différée ; qu'ainsi, la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera par voie de conséquence et en application de l'article 624 du code de procédure civile, la censure des chefs de l'arrêt qui ont condamné la société CACIB à payer à M. [E] les sommes de 435 000 euros au titre de l'année 2017, 195 096 euros au titre de l'année 2016, 144 883 euros au titre de l'année 2015 et 51 533 euros au titre de l'année 2014 ;

2°/ que les dispositions des articles L. 511-84 et R. 511-24 du code monétaire et financier permettent à l'employeur de ne pas verser une rémunération variable différée en considération du défaut de respect des exigences d'honorabilité par le salarié concerné ; que le règlement de la société CACIB relatif aux rémunérations variables attribuées au titre des années 2014-2016 précise le comportement professionnel à risque comme étant tout comportement dans le cadre des fonctions du bénéficiaire inapproprié et dommageable pour la société en violation avec la loi et ses filiales et/ou les normes professionnelles applicables à l'activité du bénéficiaire sur la période d'acquisition (non-respect des règles de gouvernance, et/ou de déontologie et/ou des procédures » ; qu'il en résulte que des manquements à l'honorabilité ou à la déontologie par le salarié d'un établissement financier peuvent justifier le non-versement d'une rémunération variable différée ; que constitue de tels manquements le harcèlement sexuel ou les comportements assimilés, tels que le fait pour un salarié qui exerce un très haut niveau de responsabilité d'avoir adressé à des salariées placées sous son autorité, de manière régulière et répétée, des messages à connotation sexuelle (manger une banane de manière inspirante), de les avoir invitées à partager des chambres d'hôtel, d'avoir fait des commentaires déplacés sur leur tenue vestimentaire ou de leur avoir proposé de manière tendancieuse de venir prendre un verre le soir ou de passer le reste de la nuit avec lui, ce qui avait conduit certaines de ces salariées à exprimer leur gêne et leur intimidation ; qu'en jugeant que les faits relevés à l'encontre de M. [E] ne caractérisaient pas le défaut de respect des exigences d'honorabilité prévu par les dispositions légales ni le comportement professionnel à risque allégué, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les textes susvisés, ensemble l'article L. 1221-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. Aux termes de l'alinéa 1er de l'article L. 511-84 du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, issu de la transposition de la directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, le montant total de la rémunération variable peut, en tout ou partie, être réduit ou donner lieu à restitution en fonction notamment des agissements ou du comportement de la personne concernée.

8. Aux termes de l'article R. 511-24 du code monétaire et financier, pour l'application de l'article L. 511-84, les agissements susceptibles d'entraîner la réduction ou la restitution, en tout ou partie, de la rémunération variable sont définis par les établissements de crédit et les sociétés de financement en considération notamment des pertes sérieuses qu'ils peuvent occasionner à ces établissements ou sociétés.

La décision de réduction ou de restitution mentionnée au premier alinéa de cet article tient compte de l'implication de la personne intéressée dans les agissements en cause. Une décision de réduction ou de restitution peut également être prise en considération du défaut de respect des exigences d'honorabilité et de compétence qui sont applicables à la personne en cause.

9. Ce dispositif a pour objet de prévenir les prises de risques excessives, pouvant nuire à une gestion saine et efficace des risques au sein des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, de la part des salariés amenés à prendre des décisions d'investissement, en prévoyant un malus ou une récupération à 100 % de la rémunération variable à l'égard d'un preneur de risques qui a participé à des agissements ayant entraîné des pertes significatives pour l'établissement ou a été responsable de tels agissements ou n'a pas respecté les normes applicables en matière d'honorabilité et de compétences, lesdites normes s'entendant de règles professionnelles en lien direct et étroit avec l'activité professionnelle d'investissement à risques.

10. L'arrêt retient que la rémunération variable du salarié se décompose en plusieurs parties dont le paiement est différé sur trois années par tiers si les conditions de performance et de présence à la date d'acquisition sont réunies, la condition de présence du salarié n'étant pas discutée. Il relève que le règlement de la société du plan relatif aux rémunérations variables attribuées au titre des années 2014 à 2016 donne la définition du comportement professionnel à risque : « tout comportement dans le cadre des fonctions du bénéficiaire inapproprié et dommageable pour la société en violation avec la loi et ses filiales et ou les normes professionnelles applicables à l'activité du bénéficiaire sur la période d'acquisition (non-respect des règles de gouvernance, et ou de déontologie et ou des procédures) ».

11. Ayant retenu à l'encontre du salarié un comportement déplaisant, déplacé, habituel et totalement inadapté pour un salarié ayant une position de responsabilité vis-à-vis des jeunes femmes contactées, comportement qu'elle a qualifié d'inapproprié, soit un comportement sans lien direct et étroit avec une activité professionnelle d'investissement à risques, la cour d'appel en a exactement déduit que ce comportement ne caractérise pas le défaut de respect des exigences d'honorabilité prévu par les dispositions légales ni le comportement professionnel à risque allégué de sorte qu'elle a condamné la société à payer certaines sommes au salarié au titre des années 2014 à 2017.

12. Le moyen, inopérant en sa première branche faute de lien de dépendance avec le premier moyen du pourvoi principal, n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal de l'employeur

Enoncé du moyen

13. La société fait grief à l'arrêt de dire que le harcèlement sexuel n'était pas constitué, que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et non sur une faute grave et de la condamner en conséquence à verser au salarié des sommes à titre de rappel de salaire sur mise à pied outre les congés payés afférents, d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement, de remboursement des frais de logement pour la période du 20 octobre au 18 décembre 2017, de frais de déménagement et de remboursement des frais de scolarité du fils du salarié, alors :

« 1°/ que l'employeur a pour obligation de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir ou de faire cesser les agissements de harcèlement sexuel, au besoin en procédant au licenciement du salarié auteur de tels agissements ; que doit être qualifié de harcèlement sexuel tout comportement d'un salarié vis-à-vis d'un autre salarié présentant une ambiguïté de nature sexuelle ou tout propos déplacé dans le but manifeste d'obtenir des faveurs de nature sexuelle ; qu'en l'espèce, le salarié a été licencié pour faute grave pour avoir adopté à l'égard de huit salariées placées sous son autorité un comportement inconvenant, notamment des propos à connotation sexuelle ; que la cour d'appel a notamment retenu que le salarié avait adopté un « comportement totalement inadapté pour un salarié qui avait une position de responsabilité vis-à-vis des jeunes femmes qu'il a contactées, plusieurs d'entre elles ayant témoigné de la gêne occasionnée par cette situation qui leur a été imposée par un supérieur hiérarchique » et que ce comportement du salarié avait été « déplaisant et déplacé et avait un caractère habituel » ; qu'elle a aussi retenu la matérialité d'échanges de messages tels que « j'aime votre façon de manger des bananes...très inspirante... », « vos excuses sont bien acceptées...mais vous devriez chercher à obtenir le pardon », « voulez-vous voir la chambre, je peux la réserver si vous voulez » [cette offre étant suivi des propos suivants, après refus de la salariée] « pourquoi ne venez-vous pas chez moi ce soir », et « vous pouvez m'appeler quand vous voulez...J'ai beaucoup aimé votre tenue ce soir ??? vous allez me prendre pour un fou ou trouver mon comportement déplacé mais j'adorerais passer le reste de la nuit avec vous. Une seule et unique fois » ; que ces échanges et propos caractérisent un harcèlement sexuel, lequel constitue nécessairement une faute grave ; qu'en refusant de retenir que le comportement répété du salarié caractérisait un harcèlement sexuel bien qu'il ait été a minima de nature à créer, à l'égard des salariées qui l'ont subi, « une situation intimidante, hostile ou offensante », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les articles L. 1153-1 et L. 1153-5 du code du travail ;

2°/ que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que constitue une faute grave le fait pour un salarié qui exerce un très haut niveau de responsabilité d'avoir adressé à des salariées placées sous son autorité, de manière régulière et répétée, des messages à connotation sexuelle (manger une banane de manière inspirante), de les avoir invitées à partager des chambres d'hôtel, d'avoir fait des commentaires déplacés sur leur tenue vestimentaire ou de leur avoir proposé de manière tendancieuse de venir prendre un verre le soir ou de passer le reste de la nuit avec lui, ce qui avait conduit certaines de ces salariées à exprimer leur gêne et leur intimidation ; qu'un tel comportement, au regard de son caractère récurrent rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, au regard notamment des atteintes auxquelles continueraient d'être exposées les salariées avec qui il resterait en contact ; qu'en jugeant le contraire, aux motifs inopérants que le salarié ne s'était jamais montré insistant ni n'avait commis de pressions graves et qu'il était un excellent collaborateur n'ayant subi aucun reproche tout au long de sa longue collaboration, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'article L.1234-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1153-1,dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021, L. 1153-5, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, L. 1153-6 et L. 1234-1 du code du travail :

14. Aux termes du premier de ces textes, aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

15. Aux termes du premier alinéa du deuxième de ces textes, l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner.

16. Pour dire que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que les attestations et les courriels versés aux débats par l'employeur suffisent à établir l'attitude déplacée, tendancieuse donc inappropriée du salarié à de nombreuses reprises à l'encontre de salariées de l'entreprise, et notamment de son assistante sans que jamais cette dernière n'ait tenu des propos équivoques dans les échanges, et qu'il ne s'agit donc pas uniquement « d'échanges pour mieux apprécier des collaborateurs dans le cadre professionnel », propos relevés lors de l'entretien préalable dont le compte-rendu est communiqué au dossier par le salarié, ni d'un mode de communication courtois, ces propos allant au-delà d'un management « proche » de ce dernier avec ses équipes, connu et apprécié par l'employeur.

17. Après avoir constaté que le salarié avait adressé à son assistante un message lui indiquant « vous pouvez m'appeler quand vous voulez... j'ai beaucoup aimé votre tenue ce soir ??? vous allez me prendre pour un fou ou trouver mon comportement déplacé mais j'adorerais passer le reste de la nuit avec vous. Une seule et unique fois », qu'il avait proposé à une salariée intérimaire « voulez-vous voir la chambre ? Je peux la réserver si vous voulez » puis face au refus de celle-ci « pourquoi ne venez-vous pas chez moi ce soir » et qu'il avait écrit à une autre salariée « j'aime votre façon de manger des bananes...très inspirante », l'arrêt ajoute que les courriels adressés aux fins d'obtenir une rencontre ou féliciter une personne ne contiennent pas de propos à caractère professionnel sans pour autant qu'ils soient dégradants ni humiliants, le salarié n'étant jamais insistant dans ses demandes, n'ayant pas commis de pressions graves dans le but apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle et n'ayant jamais créé une situation hostile ou offensante ou intimidante, de sorte qu'il ne sera pas retenu l'existence de faits de harcèlement sexuel de la part du salarié.

18. L'arrêt relève ensuite que le salarié a adopté un comportement totalement inadapté pour un salarié qui avait une position de responsabilité vis-à-vis des jeunes femmes qu'il a contactées, plusieurs d'entre elles ayant témoigné de la gêne occasionnée par cette situation qui leur a été imposée par un supérieur hiérarchique, ce qui justifie le licenciement pour motif disciplinaire.

19. L'arrêt retient enfin que, toutefois si le comportement du salarié était déplaisant et déplacé et avait un caractère habituel, s'agissant d'un salarié qui était un excellent collaborateur et n'avait subi aucun reproche tout au long de la longue collaboration, ce comportement ne rendait pas impossible son maintien dans l'entreprise et n'était pas constitutif d'une faute grave mais d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.

20. En statuant ainsi, alors qu'elle avait, d'une part, constaté la teneur à connotation sexuelle des messages adressés par le salarié à son assistante, à une salariée intérimaire et à une troisième salariée, d'autre part, relevé que plusieurs salariées avaient témoigné de la gêne occasionnée par la situation imposée par leur supérieur hiérarchique, ce dont elle aurait dû déduire que de tels propos ou comportements à connotation sexuelle répétés créant une situation intimidante ou offensante étaient de nature à caractériser un harcèlement sexuel et à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

21. La cassation du chef de dispositif ayant dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse n'emporte pas celle du chef de dispositif de l'arrêt condamnant la société au remboursement des frais de scolarité du fils du salarié, qui ne s'y rattache ni par un lien d'indivisibilité ni par un lien de dépendance nécessaire, la cour d'appel ayant retenu que l'article 10 du contrat qui détermine les conditions de paiement des frais de scolarité des enfants n'exclut pas leur remboursement en cas de licenciement du salarié.

22. La cassation du chef de dispositif ayant dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement de M. [E] repose sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il condamne la société Crédit agricole Corporate and Investment Bank à payer à M. [E] les sommes de 136 433 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied outre la somme de 13 643,30 euros bruts au titre des congés payés afférents, de 211 705 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 21 170,50 euros au titre des congés payés afférents, 570 428 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, 25 582 euros au titre du remboursement des frais de logement pour la période du 20 octobre 2017 au 18 décembre 2017 et de 12 500 euros au titre du remboursement des frais de déménagement, l'arrêt rendu le 6 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Ott - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles L. 511-84, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-158 du 20 février 2014, et R. 511-24 du code monétaire et financier.

Soc., 13 mars 2024, n° 22-14.004, (B), FS

Cassation partielle

Salaire – Paiement – Prescription – Durée – Détermination – Nature de la créance invoquée – Portée

La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l'action en paiement d'un rappel de salaire fondée sur la requalification d'un contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps complet est soumise à la prescription triennale prévue par l'article L. 3245-1 du code du travail.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 janvier 2022) et les productions, M. [L] a été engagé en qualité d'agent de sécurité qualifié, le 13 août 2011, par la société Seris sûreté midi sécurité suivant contrat de travail à durée indéterminée intermittent prévoyant des périodes travaillées et des périodes non travaillées et à raison d'une durée annuelle minimale de 120 heures.

2. L'existence d'une unité économique et sociale, à laquelle appartient la société Seris sûreté midi sécurité, a été reconnue par jugement du tribunal d'instance de Montpellier du 12 décembre 2008.

3. Le salarié a été licencié le 10 juin 2015.

4. Il a saisi la juridiction prud'homale, le 13 novembre 2017, afin de contester le bien-fondé de la rupture de la relation de travail et de solliciter la requalification de son contrat de travail intermittent en un contrat à temps complet ainsi que la condamnation de son employeur à lui verser diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de prononcer la requalification du contrat de travail intermittent du salarié en un contrat à durée indéterminée à temps complet et de le condamner à payer au salarié une somme à titre de rappel de salaire, outre les congés payés afférents, de dire que ces créances porteraient intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2017 et de le condamner à payer au salarié une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, alors « que toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ; que, dans les entreprises pour lesquelles une convention ou un accord collectif de travail étendu ou une convention ou accord d'entreprise ou d'établissement le prévoit, des contrats de travail intermittents peuvent être conclus afin de pourvoir les emplois permanents, définis par cette convention ou cet accord, qui par nature comportent une alternance de périodes travaillées et non travaillées ; que le contrat de travail intermittent conclu malgré l'absence d'une telle convention ou d'un tel accord collectif est illicite et doit être requalifié en contrat de travail à temps complet ; qu'il en résulte que le délai de prescription d'une action en requalification d'un contrat de travail intermittent en contrat à temps complet, fondée sur l'absence d'une telle convention ou d'un tel accord collectif, est le délai de deux ans applicable aux actions portant sur l'exécution du contrat de travail ; qu'en l'espèce, pour considérer que la demande de M. [L] en requalification de son contrat de travail intermittent en contrat à temps complet n'était pas prescrite, la cour d'appel a retenu que cette action s'analysait en une réclamation en paiement de salaire soumise non à la prescription biennale de l'article L. 1471-1 du code du travail mais à la prescription triennale applicable aux créances salariales prévue par l'article L. 3245-1 du code du travail ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 3123-31 et L. 1471-1 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et le second dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017. »

Réponse de la Cour

6. La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l'action en paiement d'un rappel de salaire fondée sur la requalification d'un contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps complet est soumise à la prescription triennale prévue par l'article L. 3245-1 du code du travail.

7. La cour d'appel, qui a retenu que la demande du salarié tendant à la requalification de son contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps complet s'analysait en une réclamation en paiement de salaire, en a exactement déduit que sa demande était soumise à la prescription triennale de l'article L. 3245-1 du code du travail.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

9. L'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors « que dans les entreprises pour lesquelles une convention ou un accord collectif de travail étendu ou une convention ou accord d'entreprise ou d'établissement le prévoit, des contrats de travail intermittent peuvent être conclus afin de pourvoir les emplois permanents, définis par cette convention ou cet accord, qui par nature comportent une alternance de périodes travaillées et non travaillées ; qu'il en résulte que le contrat de travail intermittent conclu malgré l'absence d'une telle convention ou d'un tel accord collectif est illicite et doit être requalifié en contrat de travail à temps complet ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que l'examen des pièces produites révèle que l'accord du 11 septembre 2009 visé par le contrat de travail, a été signé par sept sociétés du groupe Esi, de sorte qu'il ne saurait être considéré, contrairement à ce que soutient la société Seris sûreté midi sécurité, autrement que comme un accord de groupe dès lors qu'il engage plusieurs employeurs distincts de cette société, ce qui exclut, quand bien même ces derniers appartiendraient à une même unité économique et sociale, qu'il puisse s'agir d'un accord d'entreprise ou d'établissement nonobstant les mentions inexactes du contrat de travail sur ce point ; qu'elle en a conclu qu'en l'absence de convention ou d'accord collectif de travail étendu, comme de convention ou d'accord d'entreprise ou d'établissement au sens des dispositions susvisées ayant pu valablement prévoir le recours au travail intermittent, il doit être retenu que le contrat de travail intermittent de M. [L] est irrégulier, ce qui justifie sa requalification en un contrat de travail de droit commun à temps complet à durée indéterminée ; qu'en statuant ainsi, alors que l'accord du 11 septembre 2009 signé par sept sociétés du groupe Esi, dont la société Seris sûreté midi sécurité, lesquelles constituaient une unité économique et sociale, est un accord d'entreprise prévoyant la possibilité de recourir à des contrats de travail intermittent, la cour d'appel a violé les articles L. 3123-31, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et L. 2322-4, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3123-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et L. 2322-4 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 :

10. Aux termes du premier de ces textes, dans les entreprises pour lesquelles une convention ou un accord collectif de travail étendu ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement le prévoit, des contrats de travail intermittent peuvent être conclus afin de pourvoir les emplois permanents, définis par cette convention ou cet accord, qui par nature comportent une alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées.

11. Aux termes du second, lorsqu'une unité économique et sociale regroupant cinquante salariés ou plus est reconnue par convention ou par décision de justice entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes, la mise en place d'un comité d'entreprise commun est obligatoire.

12. Il en résulte que l'accord collectif conclu dans le périmètre d'une unité économique et sociale est un accord d'entreprise.

13. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, les notions de groupe et d'unité économique et sociale sont incompatibles sauf si leurs périmètres respectifs sont distincts (Soc., 20 octobre 1999, pourvoi n° 98-60.398, Bull. 1999, V, n° 391 ; Soc., 30 mai 2001, pourvoi n° 00-60.111, Bull. 2001, V, n° 191 ; Soc., 25 janvier 2006, pourvoi n° 04-60.234, Bull. 2006, V, n° 34).

14. Pour prononcer la requalification du contrat de travail intermittent du salarié en un contrat à durée indéterminée à temps complet, l'arrêt retient que l'examen des pièces produites révèle que l'accord du 11 septembre 2009 visé par le contrat de travail, a été signé par sept sociétés du groupe Esi, de sorte qu'il ne saurait être considéré, contrairement à ce que soutient l'employeur, autrement que comme un accord de groupe dès lors qu'il engage plusieurs employeurs distincts de la société Seris sûreté midi sécurité, ce qui exclut, quand bien même ces derniers appartiendraient à une même unité économique et sociale, qu'il puisse s'agir d'un accord d'entreprise ou d'établissement nonobstant les mentions inexactes du contrat de travail sur ce point. Il ajoute qu'il n'est pas non plus discuté que la convention collective nationale des entreprises de prévention et de la sécurité, à laquelle la relation de travail était soumise, ne prévoyait pas, lors de la conclusion du contrat de travail, la possibilité d'un recours au travail intermittent en vue de pourvoir un emploi d'agent de sécurité, tel celui occupé dans l'entreprise par le salarié.

15. Il conclut qu'en l'absence de convention ou d'accord collectif de travail étendu, comme de convention ou d'accord d'entreprise ou d'établissement au sens des dispositions susvisées ayant pu valablement prévoir le recours au travail intermittent, le contrat de travail intermittent du salarié est irrégulier, ce qui justifie sa requalification en un contrat de travail de droit commun à temps complet à durée indéterminée sans qu'il soit possible à l'employeur de prouver que le salarié n'était pas à sa disposition.

16. En statuant ainsi, alors que l'accord collectif du 11 septembre 2009 conclu au sein de l'unité économique et sociale était un accord d'entreprise ayant valablement prévu la possibilité de recourir à des contrats de travail intermittent, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il prononce la requalification du contrat de travail intermittent de M. [L] en un contrat à durée indéterminée à temps complet, en ce qu'il condamne la société Seris sûreté midi sécurité à payer au salarié les sommes de 51 257,90 euros à titre de rappel de salaire outre 5 125,79 euros à titre d'indemnité de congés payés afférente, en ce qu'il dit que les créances porteraient intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2017 et en ce qu'il le condamne à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 26 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Thomas-Davost - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article L. 3245-1 du code du travail ; articles L. 3123-3, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et L. 2322-4, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le principe en vertu duquel le délai de prescription est déterminé par la nature de la créance invoquée, à rapprocher : Soc., 11 mai 2023, pourvoi n° 21-15.187, Bull., (rejet), et les arrêts cités.

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