Numéro 3 - Mars 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2024

IMPOTS ET TAXES

Ass. plén., 8 mars 2024, n° 21-21.230, (B) (R), PL

Cassation partielle

Collectivité territoriale – Recouvrement de créance – Absence de mentions concernant l'auteur du titre – Conséquence

Collectivité territoriale – Recouvrement de créance – Titre exécutoire – Conditions de forme – Formalité substantielle – Mentions – Dénomination de l'organisme émetteur – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 17 juin 2021), la société des Cyprès, aux droits de laquelle se trouve la société City (la société), était titulaire d'un abonnement au service d'eau potable de la Communauté de l'agglomération havraise (la CODAH).

2. Le 12 mars 2012, la CODAH lui a adressé une facture estimative.

Le 10 avril 2012, la société a résilié son abonnement, ce qui a donné lieu à l'établissement d'une facture de clôture de compte en mai 2012.

3. Le 20 janvier 2016, la trésorerie municipale du Havre a notifié à la société une opposition à tiers détenteur en exécution d'un titre de recettes émis le 9 mai 2012.

4. Le 29 février 2016, la société a assigné la CODAH, aux droits de laquelle se trouve la communauté urbaine Le Havre Seine métropole (la communauté urbaine), devant un tribunal de grande instance en annulation des titres émis les 12 mars et 9 mai 2012 et en décharge du règlement des sommes y afférentes. Elle s'est prévalue, notamment, de la notification irrégulière des titres et de leur irrégularité formelle.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident de la communauté urbaine, qui est préalable

Enoncé du moyen

5. La communauté urbaine fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables comme tardives les demandes de la société formées à son encontre et, en conséquence, de déclarer cette dernière recevable en son action, alors « que le principe de sécurité juridique qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire ce dernier devant adresser sa réclamation dans un délai raisonnable qui, sauf circonstances particulières établies par l'administré, ne peut excéder un an à compter de la notification de l'acte ; qu'il résulte des constatations des juges du fond que les factures en cause ont été notifiées à la société City les 12 mars et 9 mai 2012, cette dernière ne les ayant contestées pour vice de forme que par exploit du 29 février 2016 ; qu'en décidant que le principe général de sécurité juridique, applicable devant toutes les juridictions, ne résultait que d'une jurisprudence du Conseil d'État et ne pouvait être retenu par le juge judiciaire, la cour d'appel a violé les articles L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, R. 421-5 du code de justice administrative, ensemble le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article L. 1617-5, 2°, du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017, l'action dont dispose le débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois suivant la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite.

7. Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative, les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision.

8. Il résulte de l'article 680 du code de procédure civile que l'acte de notification d'un jugement à une partie doit, pour faire courir le délai de recours, indiquer de manière très apparente les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé. À défaut, le délai de recours ne court pas.

9. La Cour de cassation juge que le délai de deux mois ouvert par l'article L. 1617-5, 2°, du code général des collectivités territoriales au débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé du titre exécutoire constatant ladite créance n'est opposable qu'à la condition d'avoir été mentionné, ainsi que la voie de recours, dans la notification de ce titre exécutoire (2e Civ., 8 janvier 2015, pourvoi n° 13-27.678, Bull. 2015, II, n° 4).

10. En conséquence, en l'absence de notification mentionnant de manière exacte les voies et délais de recours, le débiteur peut saisir la juridiction judiciaire pour contester le titre exécutoire, sans être tenu par le délai de deux mois prévu à l'article L. 1617-5, 2°, du code général des collectivités territoriales.

11. La jurisprudence du Conseil d'État était fixée dans le même sens que celle de la Cour de cassation.

12. Depuis une décision du 13 juillet 2016, le Conseil d'État juge que si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable, lequel, en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance (CE, 13 juillet 2016, n° 387763, publié au Recueil Lebon).

13. Il juge que cette obligation d'exercer un recours dans un délai raisonnable s'applique en matière de contestation des titres exécutoires émis par les collectivités locales (CE, 9 mars 2018, n° 401386, mentionné aux tables du Recueil Lebon).

14. Le pourvoi pose la question de savoir si la règle prétorienne issue de la décision du 13 juillet 2016 devrait recevoir application devant les juridictions judiciaires, notamment en matière de délai de recours contre un titre de recettes.

15. Si, pour répondre, notamment, aux impératifs de clarté et de prévisibilité du droit, une convergence jurisprudentielle entre les deux ordres de juridiction est recherchée lorsqu'il est statué sur des questions en partage, celle-ci peut ne pas aboutir en présence de principes et règles juridiques différents applicables respectivement dans ces deux ordres. Tel est le cas en l'espèce.

16. En premier lieu, les motifs ayant justifié l'application d'une telle règle devant les juridictions administratives, qui permet de prévenir les situations dans lesquelles, faute de notification régulière, une décision administrative pourrait être contestée indéfiniment, sont propres aux règles du contentieux administratif.

17. En effet, les juridictions judiciaires n'exercent pas de contrôle de légalité par la voie du recours pour excès de pouvoir.

18. Quant aux contestations d'un titre exécutoire, formées devant ces juridictions, généralement à l'occasion de l'action en recouvrement, elles interviennent nécessairement dans le délai de prescription de cette action, tel le délai de quatre ans s'agissant des créances d'une collectivité territoriale.

19. Par ailleurs, les actions tendant à la décharge d'une imposition et à la restitution de l'indu fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle supérieure se prescrivent par deux ans, en application de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales.

20. Enfin, les mêmes actions, lorsqu'elles sont fondées sur une déclaration de non-conformité à la Constitution du texte servant de fondement à l'imposition, sont ouvertes dans les conditions fixées par la décision du Conseil constitutionnel.

21. Ainsi, le risque de contestation d'actes ou de décisions sans limite de durée ne se présente pas dans les mêmes termes devant les juridictions judiciaires devant lesquelles les règles de la prescription extinctive suffisent en principe à répondre à l'exigence de sécurité juridique.

22. En second lieu, la règle issue de l'article 680 du code de procédure civile constitue un principe général qui s'applique devant les juridictions judiciaires, quelle que soit la nature de cette décision ou de cet acte et celle des voies et délais de recours.

23. Transposer la solution dégagée par le Conseil d'État pourrait conduire à étendre cette règle à tous les délais de recours, ce qui remettrait en cause l'application de ce principe général et pourrait porter atteinte à l'équilibre des droits des parties dans le procès civil.

24. Le maintien de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui se justifie par les principes et règles applicables devant le juge civil, permet un juste équilibre entre le droit du créancier public de recouvrer les sommes qui lui sont dues et le droit du débiteur d'accéder au juge.

25. Il se déduit de l'ensemble de ces éléments qu'en l'absence de notification régulière des voies et délais de recours, le débiteur n'est pas tenu de saisir le juge civil dans le délai défini par la décision du Conseil d'État du 13 juillet 2016 précitée.

26. Ayant constaté que, la preuve d'une notification régulière des titres n'était pas rapportée, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action introduite par la société était recevable.

27. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le moyen du pourvoi principal de la société

Enoncé du moyen

28. La société fait grief à l'arrêt de la débouter de l'ensemble de ses prétentions tendant à l'annulation des titres de recettes du 9 mai 2012 d'un montant de 16 292,19 euros et du 12 mars 2012 d'un montant de 964,17 euros, et au prononcé de la décharge de payer les sommes correspondantes, alors « qu'aux termes des articles L. 1617-5 du code général des collectivités publiques et L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration d'une part un titre de recette doit mentionner les nom prénoms et qualité de l'auteur de cette décision qui doivent en conséquence figurer sur l'ampliation adressée au redevable, d'autre part, en cas de contestation l'autorité administrative doit justifier que le bordereau est signé de cet auteur ; qu'en l'espèce la société faisait valoir que les titres de recettes ne mentionnaient ni le nom ni la qualité de la personne les ayant émis ; que l'arrêt attaqué se borne à relever que les bordereaux de titres de recettes étaient « dûment datés et signés » sans constater nulle part que les titres de recettes ou les documents les accompagnant adressés à la société auraient mentionné les prénoms, noms et qualités de leurs auteurs ; qu'il a ainsi violé les articles L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration et L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1617-5, 4°, du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015 :

29. Selon ce texte, une ampliation du titre de recettes individuel ou de l'extrait du titre de recettes collectif est adressée au redevable sous pli simple, et, en application de l'article 4 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif mentionne les nom, prénoms et qualité de la personne qui l'a émis ainsi que les voies et délais de recours. Seul le bordereau de titres de recettes est signé pour être produit en cas de contestation.

30. Il ressort des travaux parlementaires relatifs à la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 que, d'une part, la mention, en caractères lisibles, des nom, prénoms et qualité de l'auteur d'un acte administratif a été envisagée comme une formalité substantielle, dont l'absence pourrait entraîner l'annulation de la décision pour vice de forme, d'autre part, cette formalité facilite la vérification de la compétence de l'auteur d'une décision, en cas de contentieux.

31. Le Conseil d'État juge que la décision prise par l'autorité compétente doit comporter les nom, prénoms et qualité de la personne qui l'a émise, à peine de nullité, mais retient la possibilité de suppléer l'irrégularité formelle du titre par une information équivalente donnée au débiteur par un autre document (CE, 3 mars 2017, n° 398121, mentionné aux tables du Recueil Lebon).

32. Il décide que cette formalité s'applique, sous la même sanction, à l'ampliation du titre exécutoire (CE, 25 mai 2018, n° 405063, mentionné aux tables du Recueil Lebon).

33. Au regard de l'ensemble de ces éléments, et dès lors que le titre visé à l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales et son ampliation ne relèvent pas du régime des nullités du code de procédure civile, il convient de juger que la mention, dans l'ampliation adressée au débiteur, des nom, prénoms et qualité de l'auteur ayant émis le titre de recettes constitue une formalité substantielle dont l'inobservation est sanctionnée par la nullité, à moins qu'il ne soit établi que ces informations ont été portées à la connaissance du débiteur.

34. Pour rejeter les prétentions de la société, l'arrêt, après avoir énoncé que l'article L. 1617-5, 4°, du code général des collectivités territoriales dispose que seul le bordereau de titre de recettes est signé pour être produit en cas de contestation, relève que la communauté urbaine verse aux débats les bordereaux correspondant aux factures litigieuses dûment datés et signés et retient que ces documents permettent d'établir la régularité des factures qui y renvoient par la mention du numéro et de l'année du rôle correspondant aux bordereaux.

35. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare la société City recevable en son action, l'arrêt rendu le 17 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen.

Arrêt rendu en Assemblée plénière.

- Président : M. Soulard (premier président) - Rapporteur : Mme Isola, assistée de Mme Safatian, auditeur au service de documentation, des études et du rapport - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; Me Guermonprez -

Textes visés :

Articles L. 1617-5 et L. 1617-5, 2°, du code général des collectivités territoriales.

Rapprochement(s) :

Ass. plén., 8 mars 2024, pourvoi n° 21-12.560, Bull., (cassation).

Com., 13 mars 2024, n° 22-16.190, (B), FRH

Rejet

Enregistrement – Recouvrement – Paiement différé des droits – Mutation par décès – Option – Caractère irrévocable

L'option offerte au contribuable entre le paiement différé des droits, assis sur la valeur imposable, au jour de l'ouverture de la succession, de la nue-propriété des biens recueillis, avec versement d'intérêts annuels, et le paiement différé des droits, assis sur la valeur imposable de la propriété entière de ces biens, avec dispense d'intérêts, qui ne constitue pas un avantage fiscal offert au contribuable mais une option pour le paiement d'une imposition, implique un choix irrévocable du contribuable.

Enregistrement – Recouvrement – Paiement différé des droits – Mutation par décès – Option – Avantage fiscal (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris,14 mars 2022), et les productions, [K] [F] est décédé le [Date décès 5] 2015, en laissant pour lui succéder son épouse, Mme [H], et leurs deux enfants, MM. [D] et [Z] [F]. Mme [H] ayant opté pour le bénéfice de l'usufruit des biens et droits mobiliers et immobiliers composant la succession, MM. [F] ont reçu la nue-propriété de ces biens, chacun pour moitié.

2. La déclaration de succession, adressée par le notaire chargé de la succession et enregistrée le 4 janvier 2017, était accompagnée d'une demande des nus-propriétaires tendant à obtenir l'autorisation de différer au jour du décès du conjoint survivant le paiement des droits de succession, dans la limite de six mois à compter de la réunion de l'usufruit et de la nue-propriété, conformément aux dispositions des articles 399 et suivants de l'annexe III du code général des impôts. MM. [F] demandaient également à bénéficier d'une dispense du paiement des intérêts ayant couru sur les droits de succession, en contrepartie d'un calcul de leur montant sur la valeur imposable, à la date du décès, de la propriété entière des biens recueillis et non de la seule nue-propriété, en application de l'article 404 B, alinéa 3, de cette annexe.

3. Par lettre recommandée du 4 janvier 2017, l'administration fiscale a accueilli leur demande.

4. Par lettres de leur notaire des 15 février et 3 avril 2017, MM. [F] ont demandé la rectification de la demande initiale, en indiquant opter pour le paiement différé des droits calculés sur la valeur de la nue-propriété des biens, sans être dispensés du paiement des intérêts.

5. L'administration fiscale a rejeté cette demande au motif que l'option prise lors du dépôt de la demande de paiement différé des droits de succession était irrévocable.

6. Après rejet implicite de leur réclamation, MM. [F] ont assigné l'administration fiscale aux fins d'obtenir l'annulation de cette décision de rejet.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. MM. [F] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande d'annulation de la décision implicite de rejet du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de [Localité 6] de leur réclamation contentieuse du 20 novembre 2017, alors :

« 1°/ que l'administration fiscale ne peut opposer aux contribuables sa propre doctrine, laquelle n'est susceptible de s'appliquer qu'au profit des contribuables et non à leur détriment ; qu'en considérant, par motifs adoptés du jugement, que la réponse ministérielle [W] publiée au journal officiel de l'Assemblée nationale le 29 juillet 1991 et reprise au bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-ENR-DG-50-20-30, § 150, prévoyant que l'option exercée par des héritiers pour le paiement différé des droits de succession sans intérêts calculés sur la valeur en pleine propriété des biens recueillis en nue-propriété dans la succession était irrévocable et faisait perdre définitivement aux héritiers la possibilité de se placer sous le régime du paiement différé de ces droits avec intérêts, était opposable à MM. [D] et [Z] [F], quand l'administration fiscale ne pouvait opposer à ces derniers une telle doctrine qui ne leur était pas favorable, la cour d'appel a violé l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ;

2°/ que l'article 404 B, alinéa 5, de l'annexe III au code général des impôts se contente de prévoir que, par dérogation à la règle selon laquelle les droits dont le paiement est différé donnent lieu au versement d'intérêts, les héritiers qui ont reçu des biens successoraux en nue-propriété peuvent être dispensés du paiement de ces intérêts, dès lors que les droits de succession dont le paiement est différé sont calculés sur la valeur en pleine propriété des biens qu'ils ont recueillis et ne précise pas que l'option exercée en faveur d'un tel paiement différé sans intérêts ne serait pas révocable ; qu'en affirmant néanmoins qu'il résulterait de cette disposition que l'option en faveur de l'élargissement de l'assiette, qui constitue la contrepartie de la dispense du versement d'intérêts, serait irrévocable et ferait perdre aux successibles la possibilité de se placer sous le régime du paiement différé avec intérêt, la cour d'appel a violé l'article 404 B, alinéa 5, de l'annexe III au code général des impôts ;

3°/ que même en l'absence de texte exprès en ce sens, un contribuable peut révoquer une option à durée indéterminée, dès lors qu'aucune disposition légale ou réglementaire ne fait obstacle à cette renonciation, que l'option a été instituée à son avantage et qu'il n'est pas tenu de l'exercer ; qu'en affirmant que l'option exercée par MM. [D] et [Z] [F] en faveur du paiement différé des droits de succession sans intérêts calculés sur la valeur en pleine propriété des biens recueillis en nue-propriété dans la succession de leur père était irrévocable et faisait perdre aux successibles la possibilité de se placer sous le régime du paiement différé de ces droits avec intérêts, dès lors qu'aucune disposition légale ou réglementaire ne permettrait de révoquer cette option, quand ni la loi ni le règlement ne prévoyaient son irrévocabilité et quand cette option, dont les effets pouvaient se produire pendant une période indéterminée, avait été instituée au profit des contribuables, lesquels n'étaient jamais obligés de l'exercer, ce dont il résultait que MM. [D] et [Z] [F] avaient pu librement révoquer cette option dans le délai général de réclamation qui leur était ouvert pour ce faire, la cour d'appel a violé l'article 1717 du code général des impôts et les articles 397, 399, 400, 401 et 404 B de l'annexe III à ce code. »

Réponse de la Cour

8. Il résulte des articles 1717 du code général des impôts, 397 et 404 B, alinéa 4, de l'annexe III du même code que le paiement des droits de succession sur des biens dévolus en nue-propriété peut, par dérogation aux dispositions de l'article 1701 du code général des impôts, être différé jusqu'à l'expiration d'un délai qui ne peut excéder six mois à compter de la date de la réunion de l'usufruit à la nue-propriété.

9. Il résulte de la combinaison des articles 401, dans sa rédaction issue du décret n° 2010-320 du 22 mars 2010, et 404 B, alinéa 3, de l'annexe III du même code que les droits dont le paiement est différé donnent lieu au versement d'intérêts dont le taux est égal à celui de l'intérêt légal au jour de la demande de crédit, acquittés annuellement, le premier terme venant à échéance un an après l'expiration du délai imparti pour souscrire la déclaration de succession, et que, par dérogation, le bénéficiaire du paiement différé peut être dispensé du paiement des intérêts à la condition que les droits de mutation par décès soient assis sur la valeur imposable, au jour de l'ouverture de la succession, de la propriété entière des biens qu'il a recueillis.

10. L'option offerte au contribuable entre le paiement différé des droits, assis sur la valeur imposable, au jour de l'ouverture de la succession, de la nue-propriété des biens recueillis, avec versement d'intérêts annuels, et le paiement différé des droits, assis sur la valeur imposable de la propriété entière de ces biens, avec dispense d'intérêts, qui ne constitue pas un avantage fiscal offert au contribuable mais une option pour le paiement d'une imposition, implique un choix irrévocable du contribuable.

11. Le moyen, qui postule le contraire en ses deuxièmes et troisièmes branches, et qui, en sa première branche, critique des motifs surabondants, n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Maigret - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles 401, dans sa rédaction issue du décret n° 2010-320 du 22 mars 2010, et 404 B, alinéa 3, de l'annexe III du code général des impôts.

Ass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12.560, (B) (R), PL

Cassation

Recouvrement (règles communes) – Titre exécutoire – Délais et voies de recours – Notification régulière – Nécessité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 1er décembre 2020) et les productions, la commune de Sarrebourg a notifié à la société Cora (la société), au titre des exercices 2009, 2010 et 2011, trois titres exécutoires pour le paiement de la taxe locale sur la publicité extérieure (la TLPE), instituée par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008.

2. Ces titres ne précisaient pas la juridiction devant laquelle le recours pour les contester devait être formé.

3. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 14 octobre 2013, la société, qui s'était acquittée des sommes qui lui avaient été réclamées, a sollicité de la commune de [Localité 3], à titre conservatoire, le remboursement de certaines d'entre elles, en raison de la transmission par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel, le 3 septembre 2013, d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du code général des collectivités territoriales relatives à la TLPE.

4. Par une décision n° 2013-351 QPC du 25 octobre 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les articles L. 2333-6 à L. 2333-14 ainsi que les paragraphes A et D de l'article L. 2333-16 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction issue de l'article 171 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, et a dit que cette déclaration d'inconstitutionnalité, prenant effet à compter de la publication de cette décision, ne pouvait être invoquée qu'à l'encontre des impositions contestées avant cette date.

5. Le 16 mars 2015, la société a assigné la commune de Sarrebourg devant un tribunal de grande instance en annulation des trois titres exécutoires précités, qui étaient fondés sur les articles censurés par la décision du Conseil constitutionnel, et en remboursement des sommes versées.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société fait grief à l'arrêt de constater qu'elle a saisi le tribunal de grande instance en annulation des titres exécutoires plus d'un an après que ces titres ont été portés à sa connaissance, de rejeter sa demande d'annulation comme tardive et de dire que la commune de [Localité 3] n'était pas redevable des taxes locales de publicité extérieure payées par la société au titre des années 2009 à 2011, alors « qu'en application de l'article L. 1617-5, 2°, du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige, l'action dont dispose le débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois suivant la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite ; qu'en vertu de l'article R. 421-5 du code de justice administrative, dont l'application n'est pas exclue par l'article précité, les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ; qu'en opposant à la société Cora, à laquelle le délai légal de recours n'était pas opposable à défaut d'une information donnée par la commune sur les voies et délais de recours, un « délai raisonnable » d'un an pour agir qui n'est prévu par aucun texte légal ou réglementaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1617-5, 2°, du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017, l'article R. 421-5 du code de justice administrative et l'article 680 du code de procédure civile :

7. Selon le premier de ces textes, l'action dont dispose le débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois suivant la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite.

8. Aux termes du deuxième, les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision.

9. Il résulte du troisième que l'acte de notification d'un jugement à une partie doit, pour faire courir le délai de recours, indiquer de manière très apparente les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé. À défaut, le délai de recours ne court pas.

10. La Cour de cassation juge que le délai de deux mois ouvert par l'article L. 1617-5, 2°, du code général des collectivités territoriales au débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé du titre exécutoire constatant ladite créance n'est opposable qu'à la condition d'avoir été mentionné, ainsi que la voie de recours, dans la notification de ce titre exécutoire (2e Civ., 8 janvier 2015, pourvoi n° 13-27.678, Bull. 2015, II, n° 4).

11. En conséquence, en l'absence de notification mentionnant de manière exacte les voies et délais de recours, le débiteur peut saisir la juridiction judiciaire pour contester le titre exécutoire, sans être tenu par le délai de deux mois prévu à l'article L. 1617-5, 2°, du code général des collectivités territoriales.

12. La jurisprudence du Conseil d'État était fixée dans le même sens que celle de la Cour de cassation.

13. Depuis une décision du 13 juillet 2016, le Conseil d'État juge que si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable, lequel, en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance (CE, 13 juillet 2016, n° 387763, publié au Recueil Lebon).

14. Il juge que cette obligation d'exercer un recours dans un délai raisonnable s'applique en matière de contestation des titres exécutoires émis par les collectivités locales (CE, 9 mars 2018, n° 401386, mentionné aux tables du Recueil Lebon).

15. Le pourvoi pose la question de savoir si la règle prétorienne issue de la décision du 13 juillet 2016 devrait recevoir application devant les juridictions judiciaires, notamment en matière de délai de recours contre un titre de recettes.

16. Si, pour répondre, notamment, aux impératifs de clarté et de prévisibilité du droit, une convergence jurisprudentielle entre les deux ordres de juridiction est recherchée lorsqu'il est statué sur des questions en partage, celle-ci peut ne pas aboutir en présence de principes et règles juridiques différents applicables respectivement dans ces deux ordres. Tel est le cas en l'espèce.

17. En premier lieu, les motifs ayant justifié l'application d'une telle règle devant les juridictions administratives, qui permet de prévenir les situations dans lesquelles, faute de notification régulière, une décision administrative pourrait être contestée indéfiniment, sont propres aux règles du contentieux administratif.

18. En effet, les juridictions judiciaires n'exercent pas de contrôle de légalité par la voie du recours pour excès de pouvoir.

19. Quant aux contestations d'un titre exécutoire, formées devant ces juridictions, généralement à l'occasion de l'action en recouvrement, elles interviennent nécessairement dans le délai de prescription de cette action, tel le délai de quatre ans s'agissant des créances d'une collectivité territoriale.

20. Par ailleurs, les actions tendant à la décharge d'une imposition et à la restitution de l'indu fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle supérieure se prescrivent par deux ans, en application de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales.

21. Enfin, les mêmes actions, lorsqu'elles sont fondées sur une déclaration de non-conformité à la Constitution du texte servant de fondement à l'imposition, sont ouvertes dans les conditions fixées par la décision du Conseil constitutionnel.

22. Ainsi, le risque de contestation d'actes ou de décisions sans limite de durée ne se présente pas dans les mêmes termes devant les juridictions judiciaires devant lesquelles les règles de la prescription extinctive suffisent en principe à répondre à l'exigence de sécurité juridique.

23. En second lieu, la règle issue de l'article 680 du code de procédure civile constitue un principe général qui s'applique devant les juridictions judiciaires, quelle que soit la nature de cette décision ou de cet acte et celle des voies et délais de recours.

24. Transposer la solution dégagée par le Conseil d'État pourrait conduire à étendre cette règle à tous les délais de recours, ce qui remettrait en cause l'application de ce principe général et pourrait porter atteinte à l'équilibre des droits des parties dans le procès civil.

25. Le maintien de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui se justifie par les principes et règles applicables devant le juge civil, permet un juste équilibre entre le droit du créancier public de recouvrer les sommes qui lui sont dues et le droit du débiteur d'accéder au juge.

26. Il se déduit de l'ensemble de ces éléments qu'en l'absence de notification régulière des voies et délais de recours, le débiteur n'est pas tenu de saisir le juge civil dans le délai défini par la décision du Conseil d'État du 13 juillet 2016 précitée.

27. Pour écarter la demande d'annulation comme tardive, l'arrêt retient que plus d'un an s'est écoulé entre le jour où la société a eu connaissance des titres exécutoires et le jour où elle a agi en annulation de ces titres.

28. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

Arrêt rendu en Assemblée plénière.

- Président : M. Soulard (premier président) - Rapporteur : Mme Isola, assistée de Mme Safatian, auditeur au service de documentation, des études et du rapport - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia -

Textes visés :

Article L. 1617-5, 2°, du code général des collectivités territoriales.

Rapprochement(s) :

Ass. plén., 8 mars 2024, pourvoi n° 21-21.230, Bull., (cassation partielle).

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