Numéro 3 - Mars 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2024

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

2e Civ., 7 mars 2024, n° 22-20.035, (B), FS

Cassation

Article 6, § 1 – Violation – Absence de renvoi exprès à l'annexe – Cas – Déclaration d'appel – Nullité – Conséquence

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 5 mai 2022), par déclaration du 24 avril 2019, Mme [H] a relevé appel du jugement d'un conseil de prud'hommes dans un litige l'opposant à la Société générale, son employeur.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

2. Mme [H] fait grief à l'arrêt de dire que sa déclaration d'appel du 24 avril 2019 n'emporte pas d'effet dévolutif et de dire en conséquence que la cour d'appel n'est saisie d'aucune demande, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'article 901 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2022-245 du 25 février 2022, dont l'article 6 de ce décret dispose qu'elle est applicable aux instances en cours, que la mention des chefs du jugement expressément critiqués peut figurer dans une annexe à la déclaration d'appel ; que, dès lors, en considérant qu'en l'absence de démonstration d'un empêchement technique ayant justifié le recours à ce procédé, « l'annexe à la déclaration d'appel, qui énonce les chefs de jugement critiqués, n'est pas susceptible de valoir déclaration d'appel », la cour d'appel a violé l'article 901 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2022-245 du 25 février 2022, ensemble l'article 6 de ce décret ;

2°/ que le renvoi exprès de la déclaration d'appel à son annexe n'est pas prévu à peine de nullité ; que la cour d'appel a constaté que l'appelante avait joint à sa déclaration d'appel un document annexe énonçant les chefs du jugement expressément critiqués ; qu'en considérant qu'elle n'avait pas été régulièrement saisie, faute pour la déclaration d'appel de renvoyer expressément à son annexe, la cour d'appel a violé l'article 901 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 et l'article 2 de l'arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice du 25 février 2022 modifiant l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 901 du code de procédure civile, dans sa version issue du décret n° 2022-245 du 25 février 2022, les articles 748-1, 748-6, 930-1, alinéas 1 et 5, du code de procédure civile et l'article 4 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel, modifié par l'article 2 de l'arrêté du 25 février 2022 :

3. Selon le deuxième de ces textes, la déclaration d'appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l'article 54 et par le cinquième alinéa de l'article 57, et à peine de nullité :

1° La constitution de l'avocat de l'appelant ;

2° L'indication de la décision attaquée ;

3° L'indication de la cour devant laquelle l'appel est porté ;

4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

Elle est signée par l'avocat constitué. Elle est accompagnée d'une copie de la décision. Elle est remise au greffe et vaut demande d'inscription au rôle.

4. Selon le troisième, les envois, remises et notifications des actes de procédure, des pièces, avis, avertissements ou convocations, des rapports, des procès-verbaux ainsi que des copies et expéditions revêtues de la formule exécutoire des décisions juridictionnelles peuvent être effectués par voie électronique dans les conditions et selon les modalités fixées par le titre XXI du livre 1er du code de procédure civile, sans préjudice des dispositions spéciales imposant l'usage de ce mode de communication.

5. Il résulte du quatrième que les procédés techniques utilisés doivent garantir, dans des conditions fixées par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la justice, la fiabilité de l'identification des parties à la communication électronique, l'intégrité des documents adressés, la sécurité et la confidentialité des échanges, la conservation des transmissions opérées et permettre d'établir de manière certaine la date d'envoi et, celle de la mise à disposition ou celle de la réception par le destinataire. Vaut signature, pour l'application des dispositions du code de procédure civile aux actes que les parties, le ministère public ou les auxiliaires de justice assistant ou représentant les parties notifient ou remettent à l'occasion des procédures suivies devant les juridictions des premier et second degrés, l'identification réalisée, lors de la transmission par voie électronique, selon les modalités prévues au premier alinéa.

6. En matière de procédure avec représentation obligatoire, selon le cinquième, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique. Un arrêté du garde des Sceaux définit les modalités des échanges par voie électronique.

7. Il résulte du dernier que, lorsqu'un document doit être joint à un acte, ledit acte renvoie expressément à ce document. Ce document est communiqué sous la forme d'un fichier séparé du fichier visé à l'article 3. Ce document est un fichier au format PDF, produit soit au moyen d'un dispositif de numérisation par scanner si le document à communiquer est établi sur support papier, soit par enregistrement direct au format PDF au moyen de l'outil informatique utilisé pour créer et conserver le document original sous forme numérique.

8. Il en découle que, si en application de l'article 4 de l'arrêté précité, lorsqu'un document doit être joint à l'acte, ledit acte renvoie expressément à ce document, une telle prescription est propre aux dispositions relatives aux procédés techniques utilisés en matière de communication électronique et ne constitue pas une formalité substantielle ou d'ordre public, au sens de l'article 114 du code de procédure civile, dont l'inobservation affecterait l'acte en lui-même.

9. Aussi, la circonstance que la déclaration d'appel ne renvoie pas expressément à une annexe comportant les chefs de jugement critiqués ne peut donner lieu à nullité de l'acte en application de l'article 114 précité.

10. Par ailleurs, cette circonstance ne saurait davantage priver la déclaration d'appel de son effet dévolutif, une telle conséquence étant disproportionnée au regard du but poursuivi.

11. Enfin, la Cour de cassation a jugé qu'une déclaration d'appel à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués constitue l'acte d'appel conforme aux exigences de l'article 901 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2022-245 du 25 février 2022, et ce, même en l'absence d'empêchement technique (Avis de la Cour de cassation, 8 juillet 2022, n° 22-70.005 ; 2e Civ., 26 octobre 2023, pourvoi n° 22-16.185, publié au Bulletin).

12. Pour constater que la cour d'appel n'est saisie d'aucune demande par la déclaration d'appel de Mme [H], l'arrêt retient que la déclaration d'appel ne mentionne pas les chefs du jugement critiqués, lesquels sont uniquement précisés dans une annexe à laquelle elle ne renvoie pas expressément, et qu'aucun cas d'empêchement d'ordre technique à renseigner la déclaration n'est établi.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé, par fausse application, les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : M. Waguette - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : Me Haas ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 901 du code de procédure civile, dans sa version issue du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 ; articles 114, 748-1, 748-6 et 930-1 du code de procédure civile ; article 4 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel, modifié par l'article 2 de l'arrêté du 25 février 2022.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 13 janvier 2022, pourvoi n° 20-17.516, Bull. (rejet) ; 2e Civ., 26 octobre 2023, pourvoi n° 22-16.185, Bull. (cassation) ; 2e Civ., 7 mars 2024, pourvoi n° 22-23.522, Bull. (cassation).

2e Civ., 7 mars 2024, n° 22-23.522, (B), FS

Cassation

Article 6, § 1 – Violation – Absence de renvoi exprès à l'annexe – Cas – Déclaration d'appel – Nullité – Conséquence

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 9 septembre 2022), la société SNCF voyageurs (la société), venant aux droits de la société SNCF mobilités, a relevé appel, le 24 octobre 2019, d'un jugement rendu par un conseil de prud'hommes dans un litige l'opposant à M. [U].

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de constater l'absence d'effet dévolutif de l'appel et de constater en conséquence que la cour n'était saisie d'aucune demande alors « que la déclaration d'appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, notamment, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ; qu'une déclaration d'appel à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués constitue l'acte d'appel conforme aux exigences de l'article 901 du code de procédure, même en l'absence d'empêchement technique, et peu important que la déclaration d'appel à laquelle l'annexe est jointe mentionne en outre expressément l'existence de l'annexe jointe ; qu'en l'espèce, pour constater l'absence d'effet dévolutif de l'appel et considérer qu'elle n'était saisie d'aucune demande, la cour d'appel a énoncé qu'il résultait de l'article 4 de l'arrêté du 20 mai 2020 tel que modifié par arrêté du 25 février 2022 que « lorsqu'un fichier PDF contenant une annexe est joint à la déclaration d'appel, celle-ci doit renvoyer expressément à ce fichier », que « l'annexe jointe à la déclaration d'appel du 24 octobre 2019, qui ne contient aucun renvoi à une quelconque annexe mentionne que l'objet de l'appel est un « appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués », avant de considérer que l'annexe jointe à la déclaration, non expressément visée dans la déclaration d'appel et contenant les chefs de la décision critiqués, ne saurait prévaloir sur l'acte d'appel « qui doit se suffire à lui-même » ; qu'en statuant ainsi, quand le fait que la déclaration d'appel mentionne ou non l'existence d'une annexe était indifférent, selon l'avis de la Cour de cassation du 8 juillet 2022, nonobstant l'article 4 de l'arrêté du 20 mai 2020, tel que modifié par arrêté du 25 février 2022, la cour d'appel a violé l'article 901 du code de procédure civile et l'article 4 de l'arrêté du 20 mai 2020 tel que modifié par l'arrêté du 25 février 2022, ensemble l'article 6,§ 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 901 du code de procédure civile, dans sa version issue du décret n° 2022-245 du 25 février 2022, les articles 748-1, 748-6, 930-1, alinéas 1 et 5, du code de procédure civile et l'article 4 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel, modifié par l'article 2 de l'arrêté du 25 février 2022 :

4. Selon le deuxième de ces textes, la déclaration d'appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l'article 54 et par le cinquième alinéa de l'article 57, et à peine de nullité :

1° la constitution de l'avocat de l'appelant ;

2° l'indication de la décision attaquée ;

3° l'indication de la cour devant laquelle l'appel est porté ;

4° les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

Elle est signée par l'avocat constitué. Elle est accompagnée d'une copie de la décision. Elle est remise au greffe et vaut demande d'inscription au rôle.

5. Selon le troisième, les envois, remises et notifications des actes de procédure, des pièces, avis, avertissements ou convocations, des rapports, des procès-verbaux ainsi que des copies et expéditions revêtues de la formule exécutoire des décisions juridictionnelles peuvent être effectués par voie électronique dans les conditions et selon les modalités fixées par le titre XXI du livre 1er du code de procédure civile, sans préjudice des dispositions spéciales imposant l'usage de ce mode de communication.

6. Il résulte du quatrième que les procédés techniques utilisés doivent garantir, dans des conditions fixées par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la justice, la fiabilité de l'identification des parties à la communication électronique, l'intégrité des documents adressés, la sécurité et la confidentialité des échanges, la conservation des transmissions opérées et permettre d'établir de manière certaine la date d'envoi et, celle de la mise à disposition ou celle de la réception par le destinataire. Vaut signature, pour l'application des dispositions du code de procédure civile aux actes que les parties, le ministère public ou les auxiliaires de justice assistant ou représentant les parties notifient ou remettent à l'occasion des procédures suivies devant les juridictions des premier et second degrés, l'identification réalisée, lors de la transmission par voie électronique, selon les modalités prévues au premier alinéa.

7. En matière de procédure avec représentation obligatoire, selon le cinquième, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique. Un arrêté du garde des Sceaux définit les modalités des échanges par voie électronique.

8. Il résulte du dernier que, lorsqu'un document doit être joint à un acte, ledit acte renvoie expressément à ce document. Ce document est communiqué sous la forme d'un fichier séparé du fichier visé à l'article 3. Ce document est un fichier au format PDF, produit soit au moyen d'un dispositif de numérisation par scanner si le document à communiquer est établi sur support papier, soit par enregistrement direct au format PDF au moyen de l'outil informatique utilisé pour créer et conserver le document original sous forme numérique.

9. Il en découle que si, en application de l'article 4 de l'arrêté précité, lorsqu'un document doit être joint à l'acte, ledit acte renvoie expressément à ce document, une telle prescription est propre aux dispositions relatives aux procédés techniques utilisés en matière de communication électronique et ne constitue pas une formalité substantielle ou d'ordre public, au sens de l'article 114 du code de procédure civile, dont l'inobservation affecterait l'acte en lui-même.

10. Aussi, la circonstance que la déclaration d'appel ne renvoie pas expressément à une annexe comportant les chefs de jugement critiqués ne peut donner lieu à la nullité de l'acte en application de l'article 114 précité.

11. Par ailleurs, cette circonstance ne saurait davantage priver la déclaration d'appel de son effet dévolutif, une telle conséquence étant disproportionnée au regard du but poursuivi.

12. Pour retenir que la cour d'appel n'était saisie d'aucun chef de jugement critiqué, l'arrêt relève que la déclaration d'appel mentionne pour seul objet : « appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués » tandis que l'annexe qui lui est jointe, contenant les chefs de la décision critiqués, n'y est pas expressément visée.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé, par fausse application, les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Vendryes - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix ; SARL Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article 901 du code de procédure civile, dans sa version issue du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 ; articles 114, 748-1, 748-6 et 930-1 du code de procédure civile ; article 4 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel, modifié par l'article 2 de l'arrêté du 25 février 2022.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 13 janvier 2022, pourvoi n° 20-17.516, Bull. (rejet) ; 2e Civ., 7 mars 2024, pourvoi n° 22-20.035, Bull. (cassation).

Soc., 13 mars 2024, n° 22-20.468, (B), FS

Rejet

Article 8 – Respect de la vie privée – Ingérence de l'autorité publique – Covid-19 – Obligation vaccinale de l'article 12, I, de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 – Contrôle par le juge – Protection de la santé – Mesure nécessaire et proportionnée au but recherché – Détermination – Portée

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, lorsqu'il apparaît qu'une politique de vaccination volontaire est insuffisante pour l'obtention et la préservation de l'immunité de groupe, ou que l'immunité de groupe n'est pas pertinente compte tenu de la nature de la maladie, les autorités nationales peuvent raisonnablement mettre en place une politique de vaccination obligatoire afin d'atteindre un niveau approprié de protection contre les maladies graves (CEDH, arrêt du 8 avril 2021, Vavricka e.a. c. République tchèque, n°47621/13). C'est sans méconnaître l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'une cour d'appel, ayant retenu que l'ingérence de l'autorité publique dans le droit au respect de la vie privée est prévue par la loi et constitue une mesure nécessaire à la protection de la santé, et que l'obligation vaccinale résultant de l'article 12, I, de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021, laquelle s'inscrit dans le cadre d'une pandémie, constitue un motif légitime de protection de la santé, en déduit que l'atteinte au respect de l'intégrité physique, justifiée par la nature des fonctions exercées, n'est pas disproportionnée au but recherché.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 22 juin 2022), rendu en matière de référé, Mme [Y] a été engagée en qualité d'agent à domicile le 1er mars 2010 par l'association de service à domicile ADMR Pays Héraultais.

2. Le 15 septembre 2021, l'employeur lui a notifié la suspension de son contrat de travail et de la rémunération jusqu'à régularisation de sa situation ou jusqu'à la fin de la période d'obligation vaccinale, en l'absence de présentation des documents justificatifs prévus par le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

3. La salariée a saisi la juridiction prud'homale statuant en référé de demandes en annulation de cette décision et de rappel de salaires.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à annuler la décision de suspension du contrat de travail du 15 septembre 2021, à enjoindre à l'employeur à devoir l'affecter à des missions auprès de bénéficiaires de droit commun 75 heures par mois et à lui payer le salaire afférent, sous astreinte et à condamner l'employeur à lui payer des sommes à titre de rappel de salaire pour la période du 15 septembre 2021 au 20 avril 2022, outre l'indemnité compensatrice de congés payés afférents, et une provision sur dommages-intérêts pour suspension abusive et non-paiement du salaire, alors :

« 1°/ que la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire dispose, en son article 12, que « doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la Covid-19 : 1° les personnes exerçant leur activité dans : (...) k) les établissements et services sociaux et médico-sociaux mentionnés aux 2°, 3°, 5°, 6°, 7°, 9° et 12° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'exception des travailleurs handicapés accompagnés dans le cadre d'un contrat de soutien et d'aide par le travail mentionné au dernier alinéa de l'article L. 311-4 du même code » ; qu'il s'ensuit que constitue un trouble manifestement illicite la suspension du contrat de travail prononcée sur le fondement de la disposition susvisée à l'encontre d'un salarié d'un établissement ou service social ou médico-social visé par l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles lorsque celui-ci n'exerce pas son activité au sein de l'établissement ou du service et qu'il déploie son industrie directement auprès de patients ou clients de l'entreprise, à leur domicile ; que, pour débouter Mme [C] de ses demandes, la cour d'appel a retenu, d'une part, qu'elle est salariée d'un service associatif de services à la personne intervenant au domicile de personnes nécessitant une assistance dans les actes quotidiens de la vie, donc d'un établissement ou d'un service social ou médico-social au sens des dispositions de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, d'autre part, que l'obligation vaccinale s'applique à l'ensemble du personnel des services d'aide à domicile auprès des personnes âgées sans opérer de distinction selon les fonctions occupées ou les bénéficiaires des interventions, de sorte que l'intéressée était soumise à l'obligation vaccinale régie par l'article 12 I, 1°, k) de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ; qu'en statuant ainsi, cependant que l'article 12 I, 1°, k) de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 n'impose l'obligation vaccinale qu'aux personnes exerçant leur activité dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux susvisés et qu'elle constatait que Mme [C] avait été embauchée par l'association ADMR Pays Héraultais en qualité d'agent à domicile, ce dont il résultait qu'elle n'exerçait pas son activité au sein de l'établissement géré par l'employeur, mais à l'extérieur de celui-ci, au domicile de clients de l'association, en conséquence de quoi elle n'était pas concernée par ladite obligation vaccinale, et ce, peu important la qualification de l'employeur d'établissement ou de service social ou médico-social au sens des dispositions de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, la cour d'appel a violé les articles 12 et 14 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, ensemble l'article R. 1455-6 du code du travail ;

2°/ que l'exposante - qui rappelait que l'article 12 I, 1°, k) de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 n'impose l'obligation vaccinale que pour les personnes exerçant leur activité dans les établissements visés par le texte - faisait expressément valoir qu'elle n'exerce pas son activité dans l'établissement de l'association ADMR et que son travail consiste à faire le ménage au domicile de clients de l'association, ce que l'employeur reconnaissait expressément ; qu'en s'abstenant de rechercher si la salariée n'exerçait pas son activité à l'extérieur de l'établissement géré par l'employeur et si, en conséquence, elle n'était pas exclue du périmètre de l'obligation vaccinale édictée par l'article 12 I, 1°, k) de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 12 et 14 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, ensemble l'article R. 1455-6 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte de la combinaison des articles 12 I, 1°, k) et 14, I, B de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 que les personnes exerçant leur activité dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux mentionnés aux 2°, 3°, 5°, 6°, 7°, 9° et 12° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'exception des travailleurs handicapés accompagnés dans le cadre d'un contrat de soutien et d'aide par le travail mentionné au dernier alinéa de l'article L. 311-4 du même code, doivent être vaccinées, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la Covid-19, et, à compter du 15 septembre 2021, ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12.

6. La cour d'appel, qui a relevé que l'intéressée était salariée, non pas d'un particulier employeur, mais d'un service associatif de services à la personne, intervenant au domicile de personnes nécessitant une assistance dans les actes quotidiens de la vie, a exactement retenu que seul l'article 12 I, 1°, k) de la loi susmentionnée devait s'appliquer et que l'ensemble des personnels exerçant au sein de l'association étaient soumis à l'obligation vaccinale, les moyens de la salariée tirés de la distinction entre bénéficiaires ou non d'allocations étant inopérants.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. La salariée fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'est manifestement disproportionnée et excessive l'atteinte portée à l'article 3 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par les articles 12 et 14 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, en ce qu'ils prescrivent une obligation de vaccination dont la transgression justifie la suspension unilatérale du contrat de travail par l'employeur, avec suspension intégrale du traitement, et sans que cette suspension soit assortie d'une limite temporelle ; qu'en décidant, au contraire, qu'en dépit de l'ingérence caractérisée de l'autorité publique dans le droit au respect de la vie privée, cette ingérence constituait une mesure nécessaire à la protection de la santé et constituait un motif légitime de protection de la santé, en sorte que l'atteinte portée aux droits de la salariée n'apparaissait pas disproportionnée par rapport au but recherché, cependant que l'application des dispositions législatives susvisées emportait suspension du contrat de travail et suspension de l'intégralité de sa rémunération, et ce, pour une durée indéterminée, la cour d'appel a violé l'article 3 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

9. D'abord, le moyen, qui ne comporte aucune mention relative à l'application d'une règle du droit de l'Union autre que celles figurant dans la Charte, en l'absence de litige relevant d'une situation dans laquelle le droit de l'Union est mis en oeuvre, au sens de l'article 51, paragraphe 1, de la Charte, est inopérant en ce qu'il vise une violation de l'article 3 de ladite Charte.

10. Ensuite, aux termes de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ».

11. Il résulte de la combinaison des articles 12 I, 1°, k) et 14, I, B de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 que les personnes exerçant leur activité dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux mentionnés aux 2°, 3°, 5°, 6°, 7°, 9° et 12° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'exception des travailleurs handicapés accompagnés dans le cadre d'un contrat de soutien et d'aide par le travail mentionné au dernier alinéa de l'article L. 311-4 du même code, doivent être vaccinées, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la Covid-19, et, à compter du 15 septembre 2021, ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12.

12. Aux termes de l'article 14, II, de la loi du 5 août 2021 précitée, lorsque l'employeur constate qu'un salarié ne peut plus exercer son activité en application du I du présent article, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation.

Le salarié qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de repos conventionnels ou des jours de congés payés. A défaut, son contrat de travail est suspendu. Cette suspension, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que le salarié remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits légaux ou conventionnels acquis par le salarié au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, le salarié conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit.

13. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, lorsqu'il apparaît qu'une politique de vaccination volontaire est insuffisante pour l'obtention et la préservation de l'immunité de groupe, ou que l'immunité de groupe n'est pas pertinente compte tenu de la nature de la maladie, les autorités nationales peuvent raisonnablement mettre en place une politique de vaccination obligatoire afin d'atteindre un niveau approprié de protection contre les maladies graves (CEDH, arrêt du 8 avril 2021, Vavricka e.a. c. République tchèque, n° 47621/13).

14. L'application de l'obligation vaccinale à toute personne travaillant régulièrement au sein de locaux relevant d'établissements et services sociaux et médico-sociaux mentionnés aux 2°, 3°, 5°, 6°, 7°, 9° et 12° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles vise à la fois à protéger les personnes prises en charge par ces établissements et services qui présentent une vulnérabilité particulière au virus de la Covid-19 et également à éviter la propagation du virus par les professionnels dans l'exercice de leur activité qui, par nature, peut les conduire à prendre en charge des personnes vulnérables ou ayant de telles personnes dans leur entourage.

15. La suspension du contrat de travail et la privation de ressources en résultant, qui sont temporaires pour cesser dès que le salarié remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité, ou dès que le législateur prononce, en application du IV de l'article 12 de la loi précitée, la suspension de l'obligation vaccinale pour tout ou partie des catégories de personnels qui en relèvent, sont la conséquence directe du choix fait par les salariés de refuser de se conformer à une obligation légale visant à protéger la santé, en particulier celle des personnes les plus vulnérables.

En outre, la mesure de protection consistant à suspendre le contrat de travail des personnels non vaccinés, universellement appliquée, dans le cadre d'une obligation légale et au nom de la solidarité sociale, pour le bien des personnes âgées vulnérables prises en charge par les services d'aide et d'accompagnement à domicile, est pleinement compatible avec les raisons qui sous-tendent la protection de la santé de la population.

16. L'arrêt retient que si l'ingérence de l'autorité publique dans le droit au respect de sa vie privée est caractérisée, cette ingérence est prévue par la loi et constitue une mesure nécessaire à la protection de la santé et que l'obligation vaccinale contestée, laquelle s'inscrit dans le cadre d'une pandémie, constitue un motif légitime de protection de la santé.

17. L'arrêt ajoute que chaque professionnel concerné par l'obligation vaccinale a la faculté de s'opposer à l'inoculation du vaccin sur sa personne, que l'employeur, qui constate qu'un salarié ne peut plus exercer son activité faute de respect de l'obligation vaccinale, a l'obligation d'informer ce dernier sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer son emploi, ainsi que des moyens de régulariser sa situation, que le salarié, qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de repos conventionnels ou des jours de congés payés, et enfin, que la suspension contractuelle notifiée à la salariée, qui ne satisfaisait pas à son obligation vaccinale, ne revêt aucun caractère disciplinaire.

18. La cour d'appel a pu en déduire que l'atteinte au respect de l'intégrité physique, justifiée par la nature des fonctions exercées, n'était pas disproportionnée au but recherché.

19. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Chiron - Avocat général : Mme Wurtz - Avocat(s) : SARL Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 12, I, 1°, k) et 14, I, B, de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ; article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 12, I, de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021.

Rapprochement(s) :

Sur l'obligation vaccinale instaurée par la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021, cf. : CE, 29 décembre 2022, n° 455530 ; CE, 3 mars 2023, n° 457237. Sur la vaccination obligatoire et la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, cf. : CEDH, arrêt du 8 avril 2021, Vavricka e.a. c. République tchèque, n° 47621/13.

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