Numéro 3 - Mars 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2024

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

Com., 6 mars 2024, n° 23-40.023, (B), FS

QPC - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Code monétaire et financier – Dérogation au principe de contination des contrats en cours – Article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 – Principe d'égalité entre créanciers – Caractère sérieux – Défaut – Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Le premier aliéna de l'article L. 211-40 du code monétaire et financier écarte l'application des dispositions du livre VI du code de commerce pour les instruments financiers, et permet notamment à de telles conventions d'être résiliées du seul fait de l'ouverture de la procédure collective d'un des cocontractants.

D'une part, la différence de traitement ainsi instituée règle de façon différente les situations différentes des contractants concernés en rapport direct avec l'objet des règles communes applicables aux opérations sur instruments financiers, destinées à sécuriser ces opérations compte tenu de leur nature particulière.

D'autre part, cette dérogation apportée à l'égalité devant la loi, justifiée par un impératif de sécurité juridique et de stabilité du système financier, répond à un motif d'intérêt général également en rapport direct avec l'objet des règles communes applicables aux opérations sur instruments financiers.

Faits et procédure

1. La société Jean Caby a souscrit, le 6 avril 2017, un prêt auprès de la Caisse d'Epargne et de prévoyance France Europe et de la société Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France d'un montant de 10 000 000 d'euros remboursable avec intérêts au taux variable Euribor 6 mois.

Le 3 mai 2017, elle a conclu avec la société Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France (la banque) un contrat d'échange de conditions d'intérêts, dit contrat de swap de taux d'intérêts, échangeant le taux variable Euribor 6 mois contre un taux fixe.

2. Par un jugement du 4 décembre 2017, la société Jean Caby a été mise en redressement judiciaire.

La banque a déclaré plusieurs créances dont l'une au titre du solde compensé du contrat d'échanges au 4 décembre 2017 et l'autre au titre de l'indemnité de résiliation prévue à ce contrat.

3. Le 27 juin 2018, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire.

Les sociétés MJS Partners et MJ Valem, ultérieurement remplacée par la société BTSG, ont été nommées en qualité de liquidateurs judiciaires.

4. Les liquidateurs judiciaires ayant contesté les créances déclarées par la banque, le juge-commissaire a été saisi.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

5. Par arrêt du 16 novembre 2023, la cour d'appel de Douai a transmis une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« L'article L. 211-40 alinéa 1 du code monétaire et financier, applicable aux conventions relatives aux obligations financières, par renvoi à l'article L. 211-36 du même code, lesquelles sont soumises à la résiliation de l'article L. 236-1-1 de ce code, qui déroge au principe d'ordre public de continuation des contrats en cours et à l'interdiction de résilier lesdits contrats à raison de l'ouverture d'une procédure collective, édicté par les dispositions de l'article L. 622-13 du code de commerce, L. 631-14 du code de commerce ainsi qu'à l'article L. 641-11-1 du même code, est-il conforme au principe d'égalité entre les créanciers garanti par l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

6. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne la contestation des créances déclarées par la banque au passif de la procédure collective de la société Jean Caby, au titre du solde de résiliation du contrat d'échange de conditions d'intérêts.

7. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

8. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

9. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

10. En effet, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

11. Selon l'article L. 211-40, alinéa 1er, du code monétaire et financier, les dispositions du livre VI du code de commerce, parmi lesquelles celles des articles L. 622-13, L. 631-14 et L. 641-11-1 du code de commerce, ne font pas obstacle à l'application des dispositions du code monétaire et financier relatives aux règles communes applicables aux opérations sur instruments financiers, incluant les règles résultant de l'article L. 211-36-1 de ce code en vertu desquelles, notamment, les conventions relatives aux obligations financières mentionnées à l'article L. 211-36 sont résiliables.

12. Il en résulte, selon la nature du contrat, une différence de traitement entre les contractants liés à un débiteur en procédure collective par un contrat en cours à la date du jugement d'ouverture. Si le contrat constitue une opération sur instruments financiers soumise aux règles résultant de l'article L. 211-36-1 du code monétaire et financier, il sera susceptible de résiliation par l'organisme financier du seul fait de l'ouverture de la procédure collective de son cocontractant. Si tel n'est pas le cas, aucune résiliation du contrat ne pourra résulter du seul fait de l'ouverture d'une telle procédure, l'administrateur ou le liquidateur étant en mesure, à certaines conditions, d'en exiger l'exécution.

13. D'une part, la différence de traitement instituée à l'article L. 211-40, alinéa 1er précité, règle de façon différente les situations différentes des contractants concernés en rapport direct avec l'objet des règles communes applicables aux opérations sur instruments financiers, incluant les opérations de swap de taux d'intérêts, destinées à sécuriser ces opérations compte tenu de leur nature particulière.

14. D'autre part, la dérogation ainsi apportée à l'égalité devant la loi par l'article L. 211-40, alinéa 1er du code monétaire et financier, justifiée par un impératif de sécurité juridique et de stabilité du système financier, répond à un motif d'intérêt général également en rapport direct avec l'objet des règles communes applicables aux opérations sur instruments financiers.

15. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Coricon - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix -

Textes visés :

Articles L. 211-40, alinéa 1, et L. 236-1-1 du code monétaire et financier ; article L. 622-13 et L. 631-14 du code de commerce ; article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Soc., 6 mars 2024, n° 23-40.024, (B), FS

QPC - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Contrat de travail, rupture – Licenciement économique – Formalités légales – Lettre de licenciement – Notification – Liberté d'entreprendre – Liberté contractuelle – Article L. 1233-15 du code du travail – Caractères nouveau et sérieux (non) – Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. Mme [R] a été engagée en qualité d'assistante en communication, puis de chargée de communication à compter du 20 septembre 2010 par l'association Le Pôle méditerranéen sur les risques, devenue l'association Safe Cluster (l'association).

2. Par lettre du 30 janvier 2020, l'association a convoqué la salariée à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique.

3. La salariée a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle le 12 février 2020.

Le contrat de travail a été rompu à l'issue du délai de réflexion le 4 mars 2020.

4. La salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes de condamnation de son employeur à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour non-respect de l'ordre des licenciements et à titre d'indemnité de préavis et des congés payés afférents.

5. L'association a soulevé deux questions prioritaires de constitutionnalité.

Enoncé des questions prioritaires de constitutionnalité

6. Par jugement du 30 novembre 2023, le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence a transmis deux questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :

« 1°) L'article L. 1233-67 du code du travail, au vu de son incohérence avec les règles de motivation et notification du licenciement prévues par les articles L. 1233-2 et L. 1233-15 du code du travail, est-il conforme au principe constitutionnel d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ?

2°) L'article L. 1233-67 du code du travail, dans la portée effective que lui donne la jurisprudence de la Cour de cassation, est-il conforme à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle protégées par la Constitution ? »

Examen des questions prioritaires de constitutionnalité

7. La disposition contestée et la jurisprudence qui s'y rapporte sont applicables au litige, qui concerne la situation d'une salariée dont le contrat a été rompu après qu'elle a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle qui lui a été proposé dans le cadre d'une procédure de licenciement pour motif économique.

8. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

9. Cependant, d'une part, les questions posées, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne sont pas nouvelles.

10. D'autre part, les questions posées ne présentent pas un caractère sérieux.

11. En premier lieu, la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi invoquée par la première question ne peut, à elle seule, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.

12. En second lieu, l'obligation pour l'employeur d'énoncer le motif économique, soit dans le document écrit d'information sur le contrat de sécurisation professionnelle remis obligatoirement au salarié, soit dans la lettre qu'il est tenu de lui adresser lorsque le délai de réponse expire après le délai d'envoi de la lettre de licenciement imposé par les articles L. 1233-15 et L. 1233-39 du code du travail, soit dans tout autre document écrit remis ou adressé à celui-ci au plus tard au moment de son acceptation, ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle de l'employeur au regard du droit pour le salarié de connaître le motif économique de la rupture du contrat de travail et d'exercer, le cas échéant, son droit à un recours juridictionnel protégé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

13. En conséquence, il n'y a pas lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Carillon - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Fabiani - Pinatel -

Textes visés :

Articles L. 1233-15 et L. 1233-39 du code du travail.

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