Numéro 3 - Mars 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2024

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 6 mars 2024, n° 22-22.315, (B), FS

Rejet

Employeur – Modification dans la situation juridique de l'employeur – Définition – Transfert d'une entité économique autonome conservant son identité – Entité économique – Reprise par une personne publique dans le cadre d'un service public administratif – Continuation du contrat de travail – Obligation de rémunération dans les conditions prévues par le contrat de droit privé – Etendue – Détermination – Portée

Il résulte de l'article L. 1224-3 du code du travail qu'à la suite du transfert d'une entité économique, employant des salariés de droit privé, à une personne publique dans le cadre d'un service public administratif, les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le personnel de l'entreprise et le nouvel employeur qui est tenu dès la reprise de l'activité de continuer à rémunérer les salariés transférés dans les conditions prévues par leur contrat de droit privé jusqu'à ce que ceux-ci acceptent le contrat de droit public qui leur sera proposé, ou jusqu'à leur licenciement, s'ils le refusent ou s'il n'est pas possible pour la personne publique, au regard des dispositions législatives ou réglementaires dont relève son personnel, de maintenir le contrat de travail de droit privé en cours au jour du transfert ou d'offrir à l'intéressé un emploi reprenant les conditions de ce contrat.

Doit en conséquence être approuvé l'arrêt qui, après avoir constaté que la commune, après la reprise de l'activité auparavant gérée par une association, avait refusé de reprendre le salarié qui occupait le poste de directeur, ne lui avait soumis aucun contrat de droit public et n'avait mis en oeuvre aucune procédure de licenciement, en déduit, le contrat de travail du salarié ayant été transféré de plein droit à la commune, que celle-ci était tenue de payer les salaires à compter de la date à laquelle elle avait repris l'activité, peu important la circonstance que le salarié pouvait ne pas remplir les conditions réglementaires de qualification ou de diplôme pour occuper ses fonctions, et retient que les manquements de la commune à ses obligations rendaient impossible la poursuite du contrat de travail et justifiaient la résiliation.

Employeur – Modification dans la situation juridique de l'employeur – Définition – Transfert d'une entité économique autonome conservant son identité – Entité économique – Reprise par une personne publique dans le cadre d'un service public administratif – Continuation du contrat de travail – Cas – Incompatibilité avec des dispositions législatives ou réglementaires – Effets – Détermination – Portée

Employeur – Modification dans la situation juridique de l'employeur – Définition – Transfert d'une entité économique autonome conservant son identité – Entité économique – Reprise par une personne publique dans le cadre d'un service public administratif – Proposition aux salariés repris d'un contrat de droit public – Refus du salarié – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 16 septembre 2022), Mme [D] a été engagée en qualité de directrice adjointe enfance par contrat à durée indéterminée intermittent le 10 octobre 2016 puis le même jour, en qualité de directrice, par contrat à durée déterminée à temps complet jusqu'au 31 août 2017, en remplacement de la titulaire du poste, par l'association Loisirs éducation et citoyenneté grand sud (l'association), chargée par la commune de [Localité 3] (la commune) de gérer deux centres de loisirs.

Le 1er septembre 2017, elle a été nommée directrice enfance.

2. La commune a repris la gestion directe des centres de loisirs à compter du 21 décembre 2017. Soutenant que la salariée ne disposait ni du brevet d'aptitude aux fonctions de directeur ni de l'un des diplômes et expériences qui y sont assimilés, nécessaires pour occuper les fonctions de directrice d'un centre de loisirs, la commune a refusé de la reprendre, ne lui a soumis aucun contrat de droit public et n'a mis en oeuvre aucune procédure de licenciement.

3. La salariée a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La commune fait grief à l'arrêt de prononcer à ses torts la résiliation judiciaire du contrat de travail la liant à la salariée, la condamner à lui payer certaines sommes à titre de rappel de salaire, outre les congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que lorsque l'activité d'une entité économique employant des salariés de droit privé est, par transfert de cette activité, reprise par une commune en gestion directe, la personne publique repreneur n'est pas tenue de proposer un contrat de droit public aux salariés qui ne disposent pas de la qualification et/ou du diplôme réglementairement exigé pour occuper le poste occupé antérieurement à la reprise d'activité, sauf à lui imposer de proposer un contrat de travail irrégulier ; qu'il est constant que la fonction de directeur ou de directeur adjoint d'un centre de loisirs est réservée, sauf dérogation dûment et effectivement accordée par le préfet pour une durée limitée, au titulaire de l'un des diplômes visés à l'article R. 227-14 du code de l'action sociale et des familles, parmi lesquels le brevet d'aptitude aux fonctions de directeur (BAFD) ; qu'il résulte des constatations de la cour d'appel que Mme [D] n'était pas titulaire du brevet d'aptitude requis pour exercer les fonctions de directrice ou directrice adjointe d'un centre de loisirs et qu'aucune dérogation n'avait été accordée au titre de l'exercice de l'activité litigieuse ; qu'en disant néanmoins que la commune de [Localité 3] devait proposer à Mme [D] un contrat de travail de droit public, quand un tel contrat aurait nécessairement méconnu les obligations réglementaires applicables, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles L. 1224-3 du code du travail et R. 227-14 du code de l'action sociale et des familles. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de l'article L. 1224-3 du code du travail qu'à la suite du transfert d'une entité économique, employant des salariés de droit privé, à une personne publique dans le cadre d'un service public administratif, les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le personnel de l'entreprise et le nouvel employeur qui est tenu dès la reprise de l'activité de continuer à rémunérer les salariés transférés dans les conditions prévues par leur contrat de droit privé jusqu'à ce que ceux-ci acceptent le contrat de droit public qui leur sera proposé, ou jusqu'à leur licenciement, s'ils le refusent ou s'il n'est pas possible pour la personne publique, au regard des dispositions législatives ou réglementaires dont relève son personnel, de maintenir le contrat de travail de droit privé en cours au jour du transfert ou d'offrir à l'intéressé un emploi reprenant les conditions de ce contrat.

7. La cour d'appel a constaté que la commune, qui avait repris l'activité de l'association, avait refusé de reprendre la salariée qui occupait le poste de directrice, ne lui avait soumis aucun contrat de droit public et n'avait mis en oeuvre aucune procédure de licenciement.

8. Elle en a exactement déduit, le contrat de travail de la salariée ayant été transféré de plein droit à la commune, que celle-ci était tenue de payer les salaires à compter de la date à laquelle cette activité lui avait été transférée et a pu retenir que les manquements de la commune à ses obligations rendaient impossible la poursuite du contrat de travail et justifiaient la résiliation.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Soulard (premier président) - Rapporteur : Mme Maitral - Avocat général : M. Gambert - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SARL Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 1224-3 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le principe de continuation des contrats de travail en cours au jour du transfert d'une entité économique à une personne morale de droit public dans le cadre d'un service public administratif, dans le même sens que : Soc., 1er juin 2010, pourvoi n° 09-40.679, Bull. 2010, V, n° 120 (cassation partielle), et l'arrêt cité. Sur la détermination des règles applicables à la rupture du contrat de travail consécutive au refus par un salarié des conditions d'intégration proposées par une personne publique reprenant l'entité économique à laquelle il est rattaché, à rapprocher : Soc., 1er février 2017, pourvoi n° 15-18.481, Bull. 2017, V, n° 17 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Soc., 6 mars 2024, n° 22-19.879, (B), FRH

Cassation partielle

Employeur – Obligations – Mise à la disposition d'une filiale étrangère d'un salarié par la société mère – Réintégration au sein de la société mère – Défaut – Indemnités consécutives à la rupture du contrat – Calcul – Salaire de référence – Détermination – Portée

Il résulte de l'article L. 1231-5 du code du travail que lorsque la société mère ne réintègre pas le salarié après son licenciement par la filiale étrangère, l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité conventionnelle de licenciement, les salaires dus au titre de l'allocation de congé de reclassement et les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse auxquels le salarié peut prétendre doivent être calculés par référence aux salaires perçus par celui-ci dans son dernier emploi, nonobstant les stipulations contractuelles et les dispositions de la convention collective applicable moins favorables que la règle légale.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 juin 2022), M. [C] a été engagé en qualité de responsable du service achat, statut cadre, par la société Vinci énergies management international (la société) à compter du 1er octobre 2012 par contrat à durée indéterminée du 8 juin 2012. Suivant avenant d'expatriation conclu le même jour, il a été convenu qu'il occuperait les fonctions de responsable du service achats au Maroc au sein de la société Cegelec Maroc, filiale de la société Vinci, jusqu'au 31 août 2015.

Le 12 octobre 2012, le salarié a signé un contrat de travail avec la société filiale.

2. Le contrat d'expatriation a pris fin le 1er juillet 2015.

3. Par lettre du 23 novembre 2015, la société a licencié le salarié pour motif économique. Ce dernier a accepté le congé de reclassement à l'issue duquel le contrat de travail a été rompu, le 14 mai 2016.

4. Contestant la rupture de son contrat de travail, le salarié a saisi, le 21 juin 2016, la juridiction prud'homale de demandes tendant notamment au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et d'un solde d'indemnités de rupture et de rappels de salaire au titre de l'allocation de congé de reclassement.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter à 46 000 euros le montant des dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse mis à la charge de la société et de le débouter de ses demandes en paiement d'un solde d'indemnités de rupture, de rappels de salaire au titre du congé de reclassement et de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse calculés sur la base de son dernier salaire d'activité, alors :

« 1°/ que lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein ; que lorsque la société mère, sans l'avoir réintégré, le licencie à l'occasion de la rupture de son contrat avec la filiale étrangère, les indemnités de rupture auxquelles le salarié peut prétendre doivent être calculées par référence aux salaires perçus par celui-ci dans son dernier emploi ; que le dernier emploi occupé par M. [C] ayant été son poste au sein de la société Cegelec Maroc, filiale à 99 % de la société Vinci auprès de qui elle l'avait détaché, le montant des indemnités de préavis, de congés payés afférents au préavis, de licenciement, mais également du salaire du congé de reclassement et des dommages-intérêts dus au titre du caractère injustifié du licenciement devait être déterminé sur la base du salaire d'expatriation ; qu'en calculant au contraire ces indemnités de rupture et dommages et intérêts sur la base du salaire antérieur à son détachement, la cour d'appel a violé l'article L. 1231-5 du code du travail ;

2°/ qu'en cas de conflits de normes, la plus favorable au salarié doit recevoir application ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a débouté M. [C] de sa demande tendant à voir fixer le montant des indemnités et dommages et intérêts dus par la société Vinci à la suite de son licenciement en fonction de la rémunération perçue dans son dernier emploi au service de la filiale marocaine aux termes de motifs ainsi libellés : « Il n'existe pas de disposition légale relative au calcul des indemnités de rupture dans le cas d'un contrat d'expatriation conclu avec une filiale. Dans ce contexte, les parties peuvent prévoir à l'avance de réglementer cette question dans le contrat de travail.

En l'espèce, le contrat d'expatriation stipule expressément dans son article 3 : « En tout état de cause, si la rupture du contrat de travail de monsieur [C] avec « la société » ou Cegelec Maroc, devait être envisagée (...) les indemnités éventuellement dues seraient calculées sur la seule rémunération de référence en France, à l'exclusion des émoluments liés à son transfert en Maroc ». Cette stipulation est conforme à l'article 6.2.6 la convention collective des cadres des travaux publics qui stipule dans sa version applicable : « En cas de rupture du contrat de travail durant le séjour à l'extérieur, les indemnités susceptibles d'être dues au cadre à cette occasion sont calculées, sauf cas plus favorable prévu dans l'avenant, sur le montant de la rémunération effective du cadre base France métropolitaine » ; qu'en statuant de la sorte quand tant les dispositions de l'article L. 1231-5 que celles des articles L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, imposaient que les indemnités de rupture et dommages et intérêts fussent calculés par référence aux salaires perçus par le salarié licencié dans son dernier emploi, qui était celui occupé au service de la filiale étrangère, et que ni le contrat, ni la convention collective ne pouvaient déroger à ces dispositions légales en défaveur du salarié, la cour d'appel a violé le principe fondamental de droit du travail d'application de la norme la plus favorable. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1231-5 du code du travail :

7. Aux termes de ce texte, lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein. Si la société mère entend néanmoins licencier ce salarié, les dispositions du présent titre sont applicables.

Le temps passé par le salarié au service de la filiale est alors pris en compte pour le calcul du préavis et de l'indemnité de licenciement.

8. Il en résulte que lorsque la société mère ne réintègre pas le salarié après son licenciement par la filiale étrangère, les indemnités de rupture auxquelles le salarié peut prétendre doivent être calculées par référence aux salaires perçus par celui-ci dans son dernier emploi.

9. Pour fixer à la somme de 46 000 euros le montant des dommages-intérêts à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour débouter le salarié de ses demandes de rappels d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité conventionnelle de licenciement et de salaires au titre de l'allocation de congé de reclassement, calculés sur la base de son dernier salaire d'activité, l'arrêt retient que l'article 3 du contrat d'expatriation stipule qu'en cas notamment de licenciement, les indemnités éventuellement dues au salarié seront calculées sur la seule rémunération de référence en France, à l'exclusion des émoluments liés à son transfert au Maroc, et que cette stipulation est conforme à l'article 6.2.6 de la convention collective des cadres des travaux publics qui dispose qu'en cas de rupture du contrat de travail durant le séjour à l'extérieur, les indemnités susceptibles d'être dues au cadre à cette occasion sont calculées, sauf cas plus favorable prévu dans l'avenant, sur le montant de la rémunération effective du cadre base France métropolitaine.

L'arrêt en déduit que conformément aux stipulations contractuelles la rémunération de référence en France doit être retenue pour le calcul des diverses sommes dues au salarié au titre de la rupture.

10. En statuant ainsi, alors que l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité conventionnelle de licenciement, les salaires dus au titre de l'allocation de congé de reclassement et les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse devaient être calculés sur la base du salaire d'expatriation au Maroc, nonobstant les stipulations contractuelles et les dispositions de la convention collective applicable moins favorables que la règle légale, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

11. La cassation des chefs de dispositif condamnant la société au paiement d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et déboutant le salarié de ses demandes de rappels d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité conventionnelle de licenciement et de salaires au titre de l'allocation de congé de reclassement n'emporte pas celle du chef de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens justifié par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Vinci énergies management international à payer à M. [C] la somme de 46 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il déboute M. [C] de ses demandes de rappels d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement et de salaires au titre de l'allocation de congé de reclassement, l'arrêt rendu le 8 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article L. 1231-5 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur les obligations incombant à la société mère en cas de licenciement du salarié par la filiale étrangère, à rapprocher : Soc., 14 octobre 2020, pourvoi n° 19-12.275, Bull., (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Soc., 13 mars 2024, n° 22-18.758, (B), FS

Cassation partielle

Maladie – Accident du travail ou maladie non professionnelle – Inaptitude au travail – Obligation de l'employeur – Obligation de reclassement – Proposition d'un emploi conforme aux préconisations du médecin du travail – Cas – Proposition entraînant une modification du contrat de travail – Refus du salarié – Portée

Il résulte des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail que l'employeur peut licencier le salarié s'il justifie du refus par celui-ci d'un emploi proposé dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2 du code du travail, conforme aux préconisations du médecin du travail, de sorte que l'obligation de reclassement est réputée satisfaite.

Viole ces dispositions la cour d'appel qui juge dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude d'un salarié qui avait refusé un poste à mi-temps, conforme aux préconisations du médecin du travail, proposé par l'employeur au motif qu'il entraînait, par la baisse de rémunération qu'il générait, une modification de son contrat de travail que le salarié pouvait légitimement refuser.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 11 mai 2022), Mme [H] a été engagée en qualité d'employée commerciale par la société Judis le 21 septembre 1998.

2. En arrêt de travail pour maladie continu à compter du 15 mars 2016, la salariée a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail à l'issue d'un examen médical du 4 janvier 2019, le médecin préconisant un poste à mi-temps sans station debout prolongée ni manutention manuelle de charges.

Le 4 février 2019, le médecin du travail a confirmé son avis dans les mêmes termes.

3. Après consultation des délégués du personnel le 7 février suivant, l'employeur a transmis une proposition de reclassement à la salariée qu'elle a refusée.

L'intéressée a été licenciée pour inaptitude le 14 mai 2019.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement de la salariée sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à lui payer diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et d'ordonner le remboursement par l'employeur à Pôle emploi des indemnités de chômage versées dans la limite de six mois d'indemnités, alors « que l'obligation de reclassement du salarié inapte est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2 du code du travail, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail ; qu'en l'espèce, il ressort de l'arrêt attaqué que Mme [H] a été déclarée, par le médecin du travail, ''inapte à son poste de travail et à tout poste à temps complet. Possibilité de reclassement à un poste à mi-temps sans station debout prolongée ni manutention manuelle de charges'' et que les délégués du personnel ont validé un reclassement sur un poste de caissière à mi-temps ; que le médecin du travail a donné son accord de principe à cette proposition ; qu'en reprochant à la SAS Judis de n'avoir pas exécuté son obligation de reclassement, qui était pourtant réputée satisfaite par la proposition d'un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, prenant en compte l'avis du médecin du travail, la cour d'appel a violé les articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. La salariée conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau, l'employeur ne s'étant pas prévalu de la présomption de l'article L. 1226-2-1 du code du travail devant les juges du fond.

6. La cour d'appel ayant fait application de ce texte, le moyen, né de l'arrêt, est recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail, le premier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 :

7. Selon le premier de ces textes, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise.

Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

8. Selon le second, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.

9. Il résulte de ces textes que l'employeur peut licencier le salarié s'il justifie du refus par celui-ci d'un emploi proposé dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2 du code du travail, conforme aux préconisations du médecin du travail, de sorte que l'obligation de reclassement est réputée satisfaite.

10. Pour dire que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement et que le licenciement de la salariée était sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt relève que le médecin du travail a déclaré la salariée « inapte au poste et à tout poste à temps complet. Possibilité de reclassement à un poste à mi-temps sans station debout prolongée ni manutention manuelle de charges ». Il ajoute que l'employeur a proposé à la salariée le 8 février 2019 un poste de caissière à mi-temps, qu'il l'a informée le 26 février de l'absence d'objection du médecin du travail sur la proposition de reclassement et l'a invitée à reprendre son poste immédiatement, en précisant la durée hebdomadaire de travail de 17h30 et sa répartition de celle-ci entre les jours de la semaine. Il relève ensuite que le médecin du travail avait donné son accord à cette proposition le 4 mars 2019 et que l'employeur a, par lettre du même jour, informé la salariée de cet accord et maintenu sa proposition de reclassement en prétendant à l'absence de baisse de rémunération en raison du maintien du taux horaire.

11. L'arrêt retient enfin que la salariée a refusé cette proposition en raison d'une baisse de rémunération.

12. La cour d'appel en a déduit que la proposition de poste d'une durée de 17h30 avec maintien du taux horaire initial implique de facto une diminution substantielle de la rémunération de l'intéressée, engagée à temps complet, et que la salariée pouvait par conséquent légitimement refuser le poste proposé, entraînant, par la baisse de rémunération qu'il générait, une modification de son contrat de travail.

13. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations que l'employeur avait proposé à la salariée un poste conforme aux préconisations du médecin du travail et que celle-ci l'avait refusé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. La cassation des chefs de dispositif disant le licenciement de la salariée sans cause réelle et sérieuse et condamnant l'employeur à lui verser diverses sommes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse n'emporte pas cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société Judis à payer à Mme [H] les sommes de 4 563,75 euros à titre de rappel de salaire, 456,37 euros au titre des congés payés afférents, 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne aux dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 11 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Salomon - Avocat général : Mme Wurtz - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie ; Me Haas -

Textes visés :

Articles L. 1226-2 et L.1226-2-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la présomption de satisfaction de l'obligation de reclassement de l'employeur, à rapprocher : Soc., 26 janvier 2022, pourvoi n° 20-20.369, Bull., (rejet).

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.