Numéro 3 - Mars 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2024

ASSURANCE RESPONSABILITE

3e Civ., 7 mars 2024, n° 22-20.555, (B), FS

Rejet

Action directe de la victime – Action du tiers subrogé dans les droits de la victime – Action dirigée contre l'assureur – Prescription – Conditions – Détermination – Portée

L'action récursoire d'un responsable contre l'assureur de responsabilité d'un co-responsable se prescrit selon les mêmes règles que celles applicables à l'action récursoire contre cet autre responsable.

En conséquence, l'action récursoire de l'assureur d'un constructeur, subrogé dans les droits de son assuré, contre l'assureur d'un autre constructeur n'est pas prescrite tant que le délai prévu à l'article 2224 du code civil n'est pas expiré, peu important que l'assureur ainsi recherché ne soit plus exposé au recours de son assuré, en raison de l'expiration de la prescription biennale de l'article L. 114-1 du code des assurances.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 14 juin 2022), le département du Calvados a fait réaliser en 2001 des travaux d'extension et de restructuration d'un collège.

La maîtrise d'oeuvre a été confiée à la société [X] et [S] [B] 2 architectes (l'architecte), assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF).

2. Les travaux ont été confiés notamment :

 - à la société Noyon, assurée auprès de la société MMA IARD pour le lot métallerie-serrurerie ;

 - à la société Isigny peinture, assurée auprès de la SMABTP, pour le lot peinture et menuiseries extérieures ;

 - à M. [W], assuré auprès de la société Axa France IARD (la société Axa), pour le lot revêtements de sol en carrelage ;

 - à la société Veritas pour le contrôle technique.

3. Par jugement du 2 novembre 2010, un tribunal administratif a condamné solidairement l'architecte, Mme [T], prise en sa qualité de liquidateur de la société Noyon, la société Isigny peinture, M. [W] et la société Veritas à payer diverses sommes au département du Calvados.

4. En octobre 2013 et mai 2014, la MAF a réglé certaines sommes en exécution des condamnations prononcées contre son assurée.

Les 11 et 12 janvier 2016, elle a assigné les sociétés MMA IARD, SMABTP et Axa en remboursement des sommes versées au-delà de la part de son assurée.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société Axa fait grief à l'arrêt de rejeter sa fin de non-recevoir tirée de la prescription, alors « que l'assureur qui a payé la totalité de la dette solidaire de son assuré, subrogé dans les droits de ce dernier, est forclos pour exercer l'action en contribution contre l'assureur de responsabilité du codébiteur solidaire - son assuré - lorsqu'il n'est plus exposé au recours de ce dernier ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que par un jugement du tribunal administratif de Caen en date du 16 novembre 2010, l'entreprise [W] a été condamnée à garantir la société [X] et [S] [B] 2 architectes, à hauteur de 80 % des condamnations mises solidairement à leur charge par les articles 2, 3 et 4 du jugement au profit du département du Calvados ; qu'il résulte encore des constatations de l'arrêt que la MAF, assureur de la société [X] et [S] [B] 2 architectes, a payé ès qualités (octobre 2013 et mai 2014), la totalité de la condamnation solidaire prononcée à l'encontre de son assurée, de sorte qu'elle était subrogée dans les droits de celle-ci en vertu de l'article L. 121-12 du code des assurances, ce qui fondait son action à l'encontre de la société Axa France IARD, assureur de l'entreprise [W] ; qu'en retenant que l'action en contribution de la MAF n'était pas prescrite contre la société Axa France IARD puisque la prescription applicable au recours entre coobligés était la prescription de droit commun de l'article 2224 du code civil commençant à courir à la date des payements faits par la MAF, de sorte qu'à la date de l'assignation de la société Axa France IARD (janvier 2016), son action n'était pas prescrite, sans constater qu'à la date de l'assignation de la MAF, la société Axa France IARD était toujours exposée au recours de son assurée, l'entreprise [W], ce qui était expressément contesté, la cour d'appel a violé les articles 2224 du code civil, L. 110-4 du code de commerce et L. 114-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

6. L'action récursoire d'un responsable contre l'assureur de responsabilité d'un co-responsable se prescrit selon les mêmes règles que celles applicables à l'action récursoire contre cet autre responsable.

7. En conséquence, l'action récursoire de l'assureur d'un constructeur, subrogé dans les droits de son assuré, contre l'assureur d'un autre constructeur n'est pas prescrite tant que le délai prévu à l'article 2224 du code civil n'est pas expiré, peu important que l'assureur ainsi recherché ne soit plus exposé au recours de son assuré, en raison de l'expiration de la prescription biennale de l'article L. 114-1 du code des assurances.

8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. La société Axa fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la MAF la somme en principal de 14 362,27 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 11 janvier 2016, et celle de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que la cassation qui interviendra du chef de la recevabilité de l'action critiquée par le premier moyen de cassation entraînera en application de l'article 624 du code de procédure civile, par voie de conséquence, la cassation du chef de la condamnation prononcée critiquée par le second moyen qui est dans sa dépendance. »

Réponse de la Cour

10. Le premier moyen étant rejeté, le grief, tiré d'une cassation par voie de conséquence, est devenu sans portée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Zedda - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP L. Poulet-Odent -

Textes visés :

Article 2224 du code civil ; article L. 110-4 du code de commerce ; article L. 114-1 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 14 décembre 2022, pourvoi n° 21-21.305, Bull., (cassation partielle), et l'arrêt cité ; 3e Civ., 14 septembre 2023, pourvoi n° 22-21.493, Bull., (cassation partielle) ; 3e Civ., 23 novembre 2023, pourvoi n° 22-20.490, Bull., (rejet).

3e Civ., 21 mars 2024, n° 22-18.694, (B) (R), FS

Cassation partielle

Assurance obligatoire – Travaux de bâtiment – Garantie – Obligation – Etendue – Exclusion – Cas – Eléments d'équipement installés sur un ouvrage existant relevant de la responsabilité contractuelle de droit commun

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 20 avril 2022), en 2012, M. et Mme [O] ont confié à la société L'Univers de la cheminée, assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa), l'installation d'un insert dans la cheminée de leur maison.

2. Le 13 février 2013, un incendie est survenu dans cette dernière, occasionnant sa destruction ainsi que celle de l'intégralité des meubles et effets s'y trouvant.

3. Estimant que ce sinistre était imputable à l'installation de l'insert de cheminée, ils ont, avec leur assureur, la société Swisslife assurance de biens (la société Swisslife), assigné les sociétés L'Univers de la cheminée et Axa aux fins d'indemnisation.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Axa fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la société L'Univers de la cheminée, à payer à M. et Mme [O] la somme de 79 308,06 euros et à la société Swisslife celle de 142 610 euros, après avoir retenu, au titre du préjudice matériel de M. et Mme [O], la somme de 199 327,49 euros correspondant à la valeur de reconstruction de leur maison, alors « que seuls relèvent de la garantie décennale les désordres causés par les travaux constitutifs d'un ouvrage ; que les travaux d'installation d'un insert dans un conduit de cheminée existant, qui n'impliquent pas la réalisation de travaux de maçonnerie ni atteinte portée au gros oeuvre de l'immeuble, ne constituent pas un ouvrage ; qu'en l'espèce, la cour a estimé que les travaux de pose d'un élément d'équipement tel un insert relevaient de la garantie décennale des constructeurs dès lors qu'il rendaient l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article 1792 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 du code civil :

6. Aux termes du premier de ces textes, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.

7. Aux termes du deuxième, la présomption de responsabilité établie par l'article 1792 s'étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un bâtiment, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert. Un élément d'équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l'un des ouvrages lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage.

8. Aux termes du troisième, les autres éléments d'équipement de l'ouvrage font l'objet d'une garantie de bon fonctionnement d'une durée minimale de deux ans à compter de sa réception.

9. Alors qu'il était jugé antérieurement, en application de ces textes, que l'impropriété à destination de l'ouvrage, provoquée par les dysfonctionnements d'un élément d'équipement adjoint à la construction existante, ne relevait pas de la garantie décennale des constructeurs, la Cour de cassation juge, depuis l'année 2017, que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (3e Civ., 15 juin 2017, pourvoi n° 16-19.640, Bull. 2017, III, n° 71 ; 3e Civ., 14 septembre 2017, pourvoi n° 16-17.323, Bull. 2017, III, n° 100).

10. Elle a, également, écarté l'application de l'article L. 243-1-1, II, du code des assurances, selon lequel les obligations d'assurance des constructeurs ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l'ouverture du chantier, à l'exception de ceux qui, totalement incorporés dans l'ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles, lorsque les désordres affectant l'élément d'équipement installé sur existant rendaient l'ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination (3e Civ., 26 octobre 2017, pourvoi n° 16-18.120, Bull. 2017, III, n° 119).

11. Ce revirement de jurisprudence poursuivait, en premier lieu, un objectif de simplification en ne distinguant plus selon que l'élément d'équipement était d'origine ou seulement adjoint à l'existant, lorsque les dommages l'affectant rendaient l'ouvrage en lui-même impropre à sa destination.

12. Il visait, en second lieu, à assurer une meilleure protection des maîtres de l'ouvrage, réalisant plus fréquemment des travaux de rénovation ou d'amélioration de l'habitat existant.

13. Ces objectifs n'ont, toutefois, pas été atteints.

14. D'une part, la Cour de cassation a été conduite à préciser la portée de ces règles. Ainsi, il a été jugé que les désordres affectant un élément d'équipement adjoint à l'existant et rendant l'ouvrage impropre à sa destination ne relevaient de la responsabilité décennale des constructeurs que lorsqu'ils trouvaient leur siège dans un élément d'équipement au sens de l'article 1792-3 du code civil, c'est-à-dire un élément destiné à fonctionner (3e Civ., 13 juillet 2022, pourvoi n° 19-20.231, publié).

15. La distinction ainsi établie a abouti à multiplier les qualifications attachées aux éléments d'équipement et les régimes de responsabilité qui leur sont applicables, au risque d'exclure des garanties légales du constructeur les dommages causés par les éléments d'équipement d'origine.

16. D'autre part, il ressort des consultations entreprises auprès de plusieurs acteurs du secteur (France assureurs, Fédération nationale des travaux publics, Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment, Fédération française du bâtiment, Institut national de la consommation) que les installateurs d'éléments d'équipement susceptibles de relever de la garantie décennale ne souscrivent pas plus qu'auparavant à l'assurance obligatoire des constructeurs.

17. La jurisprudence initiée en 2017 ne s'est donc pas traduite par une protection accrue des maîtres de l'ouvrage ou une meilleure indemnisation que celle dont ils pouvaient déjà bénéficier au titre d'autres garanties d'assurance.

18. C'est pourquoi il apparaît nécessaire de renoncer à cette jurisprudence et de juger que, si les éléments d'équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l'assurance obligatoire des constructeurs.

19. La jurisprudence nouvelle s'applique à l'instance en cours, dès lors qu'elle ne porte pas d'atteinte disproportionnée à la sécurité juridique ni au droit d'accès au juge.

20. Pour condamner in solidum la société L'Univers de la cheminée et la société Axa sur le fondement de la garantie décennale, l'arrêt énonce que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, puis retient que le désordre affectant l'insert de cheminée a causé un incendie ayant intégralement détruit l'habitation.

21. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

22. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt condamnant la société Axa, in solidum avec la société L'Univers de la cheminée, à payer à M. et Mme [O] la somme de 79 308,06 euros et à la société Swisslife celle de 142 610 euros, après avoir retenu, au titre du préjudice matériel de M. et Mme [O], la somme de 199 327,49 euros correspondant à la valeur de reconstruction de leur maison, s'étend aux chefs de dispositif condamnant la société L'Univers de la cheminée à payer les mêmes sommes à M. et Mme [O] ainsi que celle de 37 597 euros au titre de leur préjudice mobilier, outre les intérêts au taux légal à compter du 16 février 2016 sur cette somme et la capitalisation des intérêts qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

23. En application du même texte et pour le même motif, la cassation s'étend au chef de dispositif condamnant la société Axa à payer à M. et Mme [O] la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare M. et Mme [O] et la société Swisslife assurance de biens recevables à agir, l'arrêt rendu le 20 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Vernimmen - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Articles 1792, 1792-2 et 1792-3 du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 26 octobre 2017, pourvoi n° 16-18.120, Bull. 2017, III, n° 119 (rejet), et l'arrêt cité ; 3e Civ., 13 juillet 2022, pourvoi n° 19-20.231, Bull., (cassation), et les arrêts cités.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.