Numéro 3 - Mars 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2024

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (loi du 26 juillet 2005)

Com., 6 mars 2024, n° 22-22.465, (B), FRH

Cassation

Procédure (dispositions générales) – Organes de la procédure – Tribunal – Compétence matérielle – Etendue – Action en restitution de fonds après la remise du prix d'adjudication

Lorsque la procédure de saisie immobilière a pris fin par l'effet de la remise du prix d'adjudication au créancier poursuivant, le juge de l'exécution n'est plus compétent pour statuer sur l'action en restitution des fonds engagée par le liquidateur judiciaire sur le fondement des articles L. 622-21 et R. 622-19 du code de commerce, laquelle relève de la seule compétence du tribunal saisi de la procédure collective.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 8 septembre 2022), par deux jugements d'adjudication du 8 juillet 2009, rendus sur les poursuites de la société Banque populaire Méditerranée (la banque), créancier inscrit, des biens immobiliers appartenant à la SCI Pomponiana ont été vendus.

Les prix de vente ont été consignés.

2. Les 9 mars et 6 mai 2010, la SCI Pomponiana a été mise en redressement puis liquidation judiciaires, M. [R] étant désigné successivement mandataire puis liquidateur judiciaire.

3. Les 18 et 29 mars 2010, les prix d'adjudication ont été remis à la banque, créancier unique au sens de l'article L. 331-1 du code des procédures civiles d'exécution.

4. Le 31 mars 2021, faisant valoir que les fonds avaient été remis à la banque au mépris de la règle de l'arrêt des voies d'exécution édictée à l'article L. 622-21 du code de commerce, M. [R], ès qualités, a assigné la banque en restitution des fonds devant le tribunal ayant ouvert la procédure collective.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches, réunies

Enoncé du moyen

5. M. [R], ès qualités, fait grief à l'arrêt de confirmer la décision des premiers juges se déclarant incompétents au profit du juge de l'exécution, alors :

« 1°/ que le tribunal de la procédure collective dispose d'une compétence exclusive pour statuer sur toute question relative à une procédure collective en cours, qui prive le juge de l'exécution de sa compétence de principe en matière de saisie immobilière ; qu'en jugeant incompétent le tribunal de la procédure collective au profit du juge de l'exécution, quand l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du débiteur saisi et la remise du prix d'adjudication séquestré au créancier poursuivant après l'ouverture de la procédure collective, en violation des règles de la procédure collective, commandaient la compétence du tribunal de la procédure collective, la cour d'appel a violé les articles R. 662-3 et R. 622-19 du code de commerce, ensemble l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire ;

2°/ que la compétence du juge de l'exécution suppose l'existence d'une procédure en cours de saisie immobilière ; qu'en jugeant incompétent le tribunal de la procédure collective au profit du juge de l'exécution, quand la remise du prix d'adjudication séquestré au créancier poursuivant avait mis fin à la procédure de distribution qui n'était plus en cours au jour où elle statuait, la cour d'appel a violé l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire et R. 662-3 du code de commerce :

6. Il résulte du premier de ces textes que, lorsque la procédure de saisie immobilière a pris fin, le juge de l'exécution ne peut plus connaître des contestations élevées à l'occasion de celle-ci ni statuer sur les demandes reconventionnelles nées de cette procédure ou s'y rapportant.

7. Il résulte du second que relève de la compétence du tribunal de la procédure collective l'action du liquidateur judiciaire tendant à la restitution du prix d'adjudication prétendument distribué au mépris de la règle de l'arrêt des voies d'exécution énoncée aux articles L. 622-21 et R. 622-19 du code de commerce dès lors que cette action est née de la procédure collective et est soumise à l'influence juridique de celle-ci.

8. Il s'en déduit que, lorsque la procédure de saisie immobilière a pris fin par l'effet de la remise du prix d'adjudication au créancier poursuivant, le juge de l'exécution n'est plus compétent pour statuer sur l'action en restitution des fonds engagée par le liquidateur judiciaire sur le fondement des articles L. 622-21 et R. 622-19 du code de commerce, laquelle relève alors de la seule compétence du tribunal saisi de la procédure collective.

9. Pour écarter la compétence du tribunal ayant ouvert la procédure collective de la SCI Pomponiana et renvoyer l'affaire devant le juge de l'exécution, l'arrêt retient que le litige s'insère dans la compétence de ce dernier voulue exclusive en matière de saisie immobilière par le législateur et que la technicité de ce contentieux, y compris pour définir les critères de l'effet attributif en matière de saisie immobilière, fonde cette compétence qui nécessitera de cerner à quel moment, les fonds sont sortis du patrimoine du débiteur pour rejoindre celui du créancier.

10. En statuant ainsi, alors qu'elle relevait que le prix d'adjudication avait été remis au créancier poursuivant, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Schmidt - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Boucard-Maman -

Textes visés :

Articles L. 622-21 et R. 622-19 du code de commerce.

Com., 6 mars 2024, n° 22-19.471, (B), FRH

Rejet

Procédure (dispositions générales) – Voies de recours – Décisions susceptibles – Ordonnances du juge-commissaire – Ordonnance autorisant l'administrateur et la société débitrice à transiger et à payer un tiers – Recours formé par l'Unedic – Recevabilité

Les avances de l'AGS qui ont été versées au titre du superprivilège des salaires, lui donnant le droit, au titre de la subrogation, de recevoir un paiement devant être acquitté sur les premières rentrées de fonds, il en résulte que l'Unedic est recevable à exercer le recours tiré de l'article R. 621-1 du code de commerce contre l'ordonnance du juge-commissaire qui a autorisé l'administrateur et la société débitrice à transiger et à payer à un tiers une somme résultant d'une créance antérieure, cette décision affectant ses droits et obligations, au sens de l'article précité.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 5 mai 2022), le 1er avril 2019, la société Sintertech (la société débitrice) a été mise en redressement judiciaire, les sociétés AJ Partenaires et [P] étant respectivement désignées administrateur, avec une mission d'assistance, et mandataire judiciaires.

2. Le 24 avril 2019, la société Mécad Savoie, soutenant être créancière de la société débitrice, a entendu exercer son droit de rétention sur des marchandises que lui avait confiées la société débitrice avant l'ouverture du redressement judiciaire, afin de réaliser des prestations d'usinage et de traitement thermique.

3. Le mandataire judiciaire ayant contesté la légitimité du droit de rétention invoqué et formé un recours contre l'ordonnance du juge-commissaire du 30 avril 2019 qui autorisait le paiement de la créance de la société Mécad Savoie afin de retirer les marchandises retenues, en application de l'article L. 622-7, II, alinéa 2, du code de commerce, l'administrateur a, sur sa requête du 27 mai 2019, été autorisé, sur le fondement de l'article L. 622-7, II, alinéa 1er, du même code, par une nouvelle ordonnance du juge-commissaire du 5 juin 2019, à transiger en payant la créance précitée en deux échéances mensuelles afin de récupérer les marchandises retenues.

L'UNEDIC, délégation AGS CGEA d'[Localité 5] (l'UNEDIC) a formé un recours contre cette seconde ordonnance.

4. Le 19 octobre 2019, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire, la société [P] étant désigné liquidateur.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

5. Le liquidateur et l'administrateur judiciaires de la société débitrice font grief à l'arrêt de déclarer l'UNEDIC recevable à exercer un recours contre l'ordonnance, alors « que le recours contre une ordonnance du juge-commissaire prévu à l'article R. 621-21 du code de commerce est fermé lorsque l'ordonnance litigieuse n'affecte qu'indirectement les droits et obligations du requérant ; que l'ordonnance du juge-commissaire autorisant une transaction sur le montant d'une créance n'affecte qu'indirectement les droits et obligations des autres créanciers ; qu'ainsi le recours exercé par un créancier contre une telle ordonnance est irrecevable ; qu'en décidant au contraire que l'ordonnance autorisant de transiger sur une créance pour permettre la poursuite de l'activité de la société portait atteinte aux droits et obligations de l'Unedic délégation AGS CGEA d'[Localité 5] en tant qu'elle bénéficiait d'une créance pour partie superprivilégiée, la cour d'appel a violé l'article R. 621-21 du code de commerce, dans sa version issue du décret n° 2014-736 du 7 juin 2014, ensemble l'article L. 625-8 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

6. Le moyen, qui postule que les avances versées pendant la période d'observation ne doivent pas compromettre le fonctionnement normal du débiteur, ni ses possibilités de redressement, ajoute à la loi et n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Le liquidateur et l'administrateur judiciaires de la société Sintertech font le même grief à l'arrêt, alors « que si les avances superprivilégiées effectuées par l'AGS doivent en principe être payées nonobstant l'existence de toute autre créance, dans les 10 jours du jugement ouvrant la procédure ou à défaut de disponibilités sur les premières rentrées de fond, ce règlement n'est pas automatique ; que le remboursement des créances superprivilégiées de l'AGS est subordonné à une autorisation du juge-commissaire et la subrogation de l'AGS dans les droits des salariés, après avance des fonds, ne peut être exigée durant la période d'observation que dans la mesure où l'entreprise détient les fonds lui permettant d'y faire droit sans compromettre son fonctionnement normal et donc ses possibilités de redressement ; qu'en considérant au contraire, pour déclarer recevable le recours des AGS contre une ordonnance du juge-commissaire ayant autorisé une transaction nécessaire à la poursuite de l'activité, que cette transaction portait atteinte aux droits des obligations de l'AGS compte tenu du super privilège dont elle dispose, quand la mise en oeuvre de ce droit pendant la période d'observation ne doit compromettre ni le fonctionnement normal de la société, ni ses possibilités de redressement, la cour d'appel a violé l'article L 625-8 du code de commerce, ensemble l'article et R. 621-21 du même code, dans sa version issue du décret n° 2014-736 du 7 juin 2004. »

Réponse de la Cour

8. Il résulte de l'article R. 621-21 du code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par l'article R. 631-16, que le créancier qui entend former un recours contre une ordonnance du juge-commissaire au motif que ses droits et obligations sont affectés, doit invoquer un intérêt personnel distinct de l'intérêt collectif des créanciers que le mandataire judiciaire a seul qualité à défendre en vue de la protection et de la reconstitution de leur gage commun.

9. D'une part, l'article L. 625-8 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, prévoit que, nonobstant l'existence de toute autre créance, les créances que garantit le privilège établi aux articles L. 143-10 [L. 3253-2 et L. 3253-3], L. 143-11 [L. 3253-4], L. 742-6 et L. 751-15 [L. 7313-8] du code du travail doivent, sur ordonnance du juge-commissaire, être payées dans les dix jours du prononcé du jugement ouvrant la procédure par le débiteur ou, lorsqu'il a une mission d'assistance, par l'administrateur, si le débiteur ou l'administrateur dispose des fonds nécessaires et que, à défaut de disponibilités, ces sommes doivent être acquittées sur les premières rentrées de fonds.

10. D'autre part, il résulte du 2° de l'article L. 3253-16 du code du travail, que, lors d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 de ce code sont subrogées dans les droits des salariés pour lesquels elles ont réalisé des avances, pour les créances garanties par le privilège prévu aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8, et les créances avancées au titre du 3° de l'article L. 3253-8 du même code.

11. La subrogation dont bénéficient les institutions de garantie ayant pour effet de les investir de la créance des salariés avec tous ses avantages et accessoires, présents et à venir, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que le superprivilège garantissant le paiement de leurs créances, lequel n'est pas exclusivement attaché à la personne des salariés, est transmis à l'AGS qui bénéficie ainsi du droit à recevoir un paiement devant être acquitté sur les premières rentrées de fonds.

12. Ayant constaté que les avances de l'AGS avaient été versées, en partie au titre du superprivilège des salaires, la cour d'appel en a exactement déduit que l'ordonnance du juge-commissaire, qui a autorisé l'administrateur et la société débitrice à transiger et à payer à la société Mécad Savoie une somme résultant d'une créance antérieure, a affecté les droits de l'UNEDIC.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Exposé du moyen

14. Le liquidateur et l'administrateur judiciaires de la société Sintertech font grief à l'arrêt de déclarer l'administrateur, chargé d'une mission d'assistance, irrecevable à déposer seul la requête du 29 mai 2019, alors « qu'en affirmant, pour infirmer l'ordonnance du 5 juin 2019 autorisant la transaction pour cause d'irrecevabilité de la requête du 27 mai 2019, que cette requête a été déposée par le seul administrateur judiciaire alors qu'elle aurait dû être présentée concurremment avec le débiteur, c'est-à- dire avec le concours du débiteur dès lors que l'administrateur n'avait qu'une mission d'assistance, quand il ressort expressément de cette requête qu'elle a été présentée par l'administrateur à la demande expresse de la société débitrice, donc avec le concours du débiteur, la cour d'appel a violé l'article L. 631-14 du code de commerce dans sa version résultant de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014. »

Réponse de la Cour

15. Ayant énoncé qu'aux termes de l'article L. 631-14 du code de commerce, lorsque l'administrateur a une mission d'assistance, l'administrateur exerce les prérogatives conférées au débiteur par le II de l'article L. 622-7, concurremment avec le débiteur, et non à sa demande, la cour d'appel en a exactement déduit que la société AJ Partenaires, désignée administrateur de la société Sintertech, avec une mission d'assistance, n'avait pas qualité pour déposer seule la requête devant le juge-commissaire et que sa requête était par conséquent irrecevable.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Vallansan - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SARL Ortscheidt ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article R. 621-1 du code de commerce.

Com., 6 mars 2024, n° 22-22.939, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Redressement judiciaire – Vérification et admission des créances – Contestation d'une créance – Tribunal statuant sur la contestation – Pouvoirs du juge – Etendue – Examen de la contestation

Il résulte des articles L. 624-2 et R.624-5 du code de commerce que les pouvoirs du juge compétent saisi par une partie sur invitation du juge-commissaire pour trancher la contestation d'une créance se limitent à trancher cette contestation et à renvoyer au juge-commissaire pour qu'il statue sur l'admission ou le rejet de la créance.

Redressement judiciaire – Vérification et admission des créances – Admission ou rejet des créances déclarées – Compétence exclusive – Juge-commissaire – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence,19 mai 2022), la SCI du Domaine des fabriques (la SCI) a été mise en redressement judiciaire par un jugement du 18 février 2014, Mme [R] et M. [H] étant désignés respectivement mandataire et administrateur judiciaires. Un plan a été arrêté le 3 mars 2015, Mme [R] étant désignée commissaire à son exécution.

2. La société Crédit suisse-France, aux droits de laquelle vient la société Crédit suisse-Luxembourg (la banque), qui avait consenti à la SCI une ouverture de crédit, a déclaré une créance qui a été contestée par le débiteur qui en invoquait la prescription.

3. Par une ordonnance du 18 septembre 2015, le juge-commissaire, ayant constaté l'existence d'une contestation sérieuse tirée de la prescription de la créance, a retenu qu'elle ne relevait pas de son pouvoir juridictionnel, a sursis à statuer sur l'admission de la créance et rappelé que sa décision ouvrait aux parties un délai d'un mois pour saisir la juridiction compétente à peine de forclusion.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La SCI fait grief à l'arrêt de fixer la créance de la banque au passif de son redressement judiciaire, alors « que sauf constat de l'existence d'une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet des créances déclarées et, après une décision d'incompétence du juge-commissaire pour trancher une contestation, les pouvoirs du juge compétent régulièrement saisi se limitent à l'examen de cette contestation ; qu'en fixant la créance de la banque au passif du redressement judiciaire de la SCI Domaine des fabriques quand ses pouvoirs se limitaient à trancher la contestation à l'égard de laquelle le juge commissaire s'était déclaré incompétent, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs violé les articles L. 624-2 du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. La banque conteste la recevabilité du moyen en soutenant qu'il développe une thèse contraire à celle que la SCI avait invoquée devant la cour d'appel, en demandant, dans le dispositif de ses conclusions, de juger que la créance ne pouvait être admise au passif, et de rejeter en conséquence la créance dans son intégralité.

6. Cependant, la SCI, qui s'est bornée en appel à demander le « rejet » de la créance déclarée en conséquence de sa prescription, est recevable à invoquer devant la Cour de cassation le moyen d'ordre public de pur droit né de l'arrêt fixant la créance, tiré de l'excès de pouvoir commis par la cour d'appel.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 et R. 624-5 du même code, dans sa rédaction antérieure au décret du 30 juin 2014 :

8. Il résulte de ces textes que, sauf constat de l'existence d'une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet des créances déclarées et, après une décision d'incompétence du juge-commissaire pour trancher une contestation, les pouvoirs du juge compétent régulièrement saisi se limitent à l'examen de cette contestation.

9. Pour confirmer le jugement et fixer la créance de la banque, l'arrêt, après avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la créance, relève qu'aucune autre contestation n'était soulevée.

10. En statuant ainsi sur le sort de la créance, alors que ses pouvoirs se limitaient à trancher la contestation relative à la prescription de la créance, sur laquelle le juge-commissaire s'était déclaré incompétent, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

13. La cour d'appel d'Aix-en-Provence, confirmant le jugement, par une motivation non critiquée, a jugé la créance de la banque non prescrite.

14. En conséquence, il y a lieu de déclarer non prescrite la créance de la banque, seul objet de la contestation sérieuse relevée par le juge-commissaire dans son ordonnance du 18 septembre 2015, ayant donné lieu à la saisine du tribunal de grande instance pour la trancher.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence, il a fixé la créance du Crédit suisse-Luxembourg, venant aux droits de Crédit suisse-France, au passif du redressement judiciaire de la SCI du Domaine des fabriques, l'arrêt rendu le 19 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la créance de la société Crédit suisse-Luxembourg ;

Renvoie les parties à saisir le juge-commissaire pour qu'il statue sur l'admission ou le rejet de la créance.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Vallansan - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 624-2, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, et R. 624-5, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2014-736 du 30 juin 2014, du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur les pouvoirs du juge saisi d'une contestation sérieuse, à rapprocher : Com., 8 mars 2023, pourvoi n° 21-22.354, Bull., (rejet).

Com., 6 mars 2024, n° 22-23.647, (B), FRH

Cassation partielle

Responsabilités et sanctions – Responsabilité des créanciers – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Accord de conciliation – Banque ayant tardé à consentir un crédit et n'ayant pas accordé le différé d'amortissement de ce dernier

Echappe aux dispositions de l'article L. 650-1 du code de commerce l'action en responsabilité engagée contre une banque à qui il est reproché d'avoir tardé à consentir un crédit et ne pas avoir accordé le différé d'amortissement de ce dernier en méconnaissance des engagements stipulés dans un accord de conciliation.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 13 septembre 2022), les sociétés Joyaux perles gemmes, [O] [I] et MH Distribution, détenues intégralement par la société Fleur de sel participations ayant pour représentant légal et associé majoritaire M. [N], ont obtenu l'ouverture d'une procédure de conciliation qui a abouti à la signature, le 10 septembre 2015, d'un protocole d'accord avec leurs différents partenaires bancaires, dont la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Atlantique Vendée (la banque).

2. Ce protocole d'accord, homologué par un jugement du 7 octobre 2015, prévoyait l'octroi d'un prêt de consolidation par chaque établissement ainsi que le maintien ou la réitération des garanties préexistantes des concours consolidés.

3. Le 1er mars 2016, la banque a consenti à la société Joyaux perles gemmes un prêt de consolidation de 303 000 euros garanti par le cautionnement solidaire de M. [N] et par une hypothèque sur deux biens lui appartenant.

4. Les 13 juillet et 7 septembre 2016, la société Joyaux perles gemmes a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires.

5. Le 2 juin 2020, reprochant à la banque de ne pas avoir respecté les termes du protocole de conciliation relatifs au délai dans lequel le prêt devait être consenti et au différé de remboursement d'un an qu'il devait prévoir, M. [N] l'a assignée en réparation de son préjudice.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. M. [N] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que les dispositions de l'article L. 650-1 du code de commerce ne concernant que la responsabilité du créancier lorsqu'elle est recherchée du fait des concours qu'il a consentis, seul l'octroi estimé fautif de ceux-ci, et non leur retrait, peut donner lieu à l'application de ce texte ; qu'en retenant que M. [N] ne reprochait pas à la banque d'avoir commis une fraude, une immixtion caractérisée dans la gestion de la société Joyaux perles gemmes ni d'avoir pris des garanties disproportionnées en contrepartie de ces concours bancaires mais d'avoir accordé le prêt de consolidation dans des conditions méconnaissant ses engagements contractuels dans le protocole de conciliation, de sorte que la banque pouvait valablement opposer le bénéfice des dispositions précitées à M. [N], quand celles-ci étaient inapplicables à l'action en responsabilité de M. [N] fondée sur une réduction abusive du concours de la banque caractérisant la violation, par celle-ci, de ses obligations contractuelles, la cour d'appel a violé l'article L. 650-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 650-1 du code de commerce :

7. Les dispositions de l'article L. 650-1 du code de commerce ne concernant que la responsabilité du créancier lorsqu'elle est recherchée du fait des concours qu'il a consentis, seul l'octroi estimé fautif de ceux-ci, et non leur retrait ou leur diminution, peut donner lieu à l'application de ce texte.

8. Pour rejeter les demandes de M. [N], l'arrêt retient que ce dernier ne reprochait pas à la banque d'avoir commis une fraude, une immixtion caractérisée dans la gestion de la société Joyaux perles gemmes ni d'avoir pris des garanties disproportionnées en contrepartie de ces concours bancaires mais d'avoir accordé le prêt de consolidation avec plus de trois mois de retard, avec une durée d'amortissement de 37 mois et sans période de différé d'amortissement de douze mois en méconnaissance des engagements contractuels du protocole de conciliation, de sorte que la banque pouvait valablement opposer le bénéfice des dispositions précitées à M. [N].

9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que M. [N] ne reprochait pas à la banque de lui avoir consenti un concours mais d'avoir tardé à le lui octroyer et de ne pas avoir consenti le différé d'amortissement d'un an auquel elle s'était engagée en signant le protocole de conciliation, ce dont il résultait que la responsabilité de la banque était recherchée pour avoir retardé et diminué son concours, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que confirmant le jugement déféré, il rejette la demande de dommages et intérêts de M. [N] et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 13 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Schmidt - Avocat(s) : SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon ; SCP Capron -

Textes visés :

Article L. 650-1 du code de commerce.

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