Numéro 12 - Décembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2023

Partie I - Arrêts des chambres et ordonnances du Premier Président

ACCIDENT DE LA CIRCULATION

2e Civ., 21 décembre 2023, n° 22-18.480, (B), FRH

Cassation partielle

Indemnisation – Victime – Victime autre que le conducteur – Faute inexcusable – Absence de caractérisation – Accident d'un utilisateur de planche à roulettes – Cas

Seule est inexcusable, au sens de l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, la faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience.

Ne caractérise pas une telle faute l'arrêt qui retient qu'un jeune homme s'est élancé sur une planche à roulettes, à très vive allure, dans une rue à forte déclivité, dans une ville très touristique, au mois d'août, à une heure de forte circulation, en étant démuni de tout système de freinage ou d'équipement de protection, sans avoir arrêté sa progression en bas de cette rue ni porté attention à la signalisation lumineuse et au flux automobile perpendiculaire à son axe de progression.

Victime – Victime autre que le conducteur – Utilisateur de planche à roulettes – Indemnisation – Faute inexcusable – Caractérisation (non) – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 10 février 2022), le [Date décès 6] 2017, [J] [H], âgé de 18 ans, a été heurté par un véhicule automobile conduit par Mme [X] alors qu'il se déplaçait sur une planche à roulettes sur une voie de circulation. Il est décédé le jour de l'accident.

2. Le contrat d'assurance du véhicule automobile impliqué étant résilié depuis le mois de mai 2017, le père de [J] [H], M. [H], Mme [K] [R], compagne de ce dernier, MM. [G] et [M] [R], fils de celle-ci, et Mme [H], grand-mère de [J] [H], ont assigné Mme [X] et le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (le FGAO), en présence de la caisse primaire d'assurance maladie du Var, en indemnisation de leurs préjudices.

Recevabilité du pourvoi formé par M. [H], Mme [K] [R], MM. [G] et [M] [R], contestée par la défense

Vu l'article 612 du code de procédure civile :

3. Le délai du pourvoi en cassation est de deux mois.

4. Il ressort des pièces de la procédure que la décision attaquée a été signifiée à M. [H], Mme [K] [R], MM. [G] et [M] [R] le 22 mars 2022.

5. En conséquence, le pourvoi qu'ils ont formé le 4 juillet 2022 n'est pas recevable.

Recevabilité du pourvoi formé par Mme [H], contestée par la défense

6. Le FGAO soutient que le pourvoi est irrecevable comme ayant été formé plus de deux mois après la signification de l'arrêt intervenue le 23 mars 2022.

7. Cependant, le délai de pourvoi en cassation ne court pas quand la signification de la décision attaquée est irrégulière au regard des articles 654 et suivants du code de procédure civile.

8. Il ressort des productions que l'arrêt attaqué a été signifié à domicile à Mme [H] à une adresse figurant dans l'annuaire électronique et confirmée par la mention du nom de la destinataire sur l'interphone de la résidence.

9. Par ailleurs, l'huissier de justice, qui a déposé une copie de l'acte à son étude, n'a pas laissé sur les lieux de la signification, l'avis de passage prévu par les articles 655 et 656 du code de procédure civile.

10. Or, d'une part, la seule confirmation du domicile par la mention du nom sur l'interphone, sans autre précision, n'est pas de nature à établir, en l'absence d'autres diligences, la réalité du domicile du destinataire de l'acte. D'autre part, l'huissier de justice n'a pas effectué, en l'absence de dépôt d'un avis de passage, toutes les formalités de signification à domicile prévues par la loi à peine de nullité.

11. Mme [H], qui fait valoir qu'elle n'a pas eu connaissance de l'acte de signification, justifie du grief que lui cause l'irrégularité de l'acte. Il y a lieu de constater que cette signification est nulle et n'a pu faire courir le délai du pourvoi en cassation.

12. Le pourvoi qu'elle a formé est, dès lors, recevable.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

13. Mme [H] fait grief à l'arrêt de la débouter de toutes ses demandes indemnitaires contre le FGAO en réparation du préjudice que lui a causé le décès accidentel de [J] [H], alors « que la faute inexcusable du non conducteur d'un véhicule terrestre à moteur est la faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ; qu'à l'appui de sa décision, la cour d'appel a retenu que [J] [H] en s'élançant en skate-board du haut de la [Adresse 12] sans égard pour la signalisation lumineuse ni le flux automobile perpendiculaire à son axe de progression et qui n'a pas stoppé sa progression en bas de cette rue à la différence de quatre autres skateurs, a commis une faute inexcusable ; qu'en statuant ainsi, sans constater que [J] [H] avait volontairement méconnu la signalisation lumineuse et traversé le flux automobile perpendiculaire à son axe de progression et non qu'emporté par son élan, il n'avait pas pu stopper sa progression en bas de la [Adresse 12], la cour d'appel a violé l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 :

14. Au sens de ce texte, seule est inexcusable la faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience.

15. Pour dire que [J] [H] a commis une faute inexcusable, cause exclusive de l'accident, et exclure le droit à indemnisation de Mme [H], l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que celui-ci évoluait sur une planche à roulettes, à très vive allure, dans une rue à forte déclivité, sans avoir arrêté sa progression en bas de cette rue, dans une ville très touristique, au mois d'août, à une heure de forte circulation, en étant démuni de tout système de freinage ou d'équipement de protection.

16. Il ajoute que [J] [H] s'est élancé sans égards pour la signalisation lumineuse présente à l'intersection située au bas de la rue ni pour le flux automobile perpendiculaire à son axe de progression.

17. En statuant ainsi, alors que les éléments relevés ne caractérisaient pas l'existence d'une faute inexcusable, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

DÉCLARE irrecevable le pourvoi en ce qu'il est formé par M. [H], Mme [K] [R], MM. [G] et [M] [R] ;

CONSTATE la nullité de l'acte de signification à Mme [H] de l'arrêt du 10 février 2022, établi par huissier de justice le 23 mars 2022 ;

DÉCLARE recevable le pourvoi en ce qu'il est formé par Mme [H] ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [H] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires, de sa demande formée en première instance au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il la condamne aux dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 10 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Philippart - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : Me Guermonprez ; SARL Delvolvé et Trichet -

Textes visés :

Article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985.

2e Civ., 21 décembre 2023, n° 21-25.352, (B), FRH

Cassation partielle

Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 – Domaine d'application – Accident causé par un tramway – Conditions – Tramway ne circulant pas sur une voie qui lui est propre – Applications diverses – Voie non isolée du trottoir

Fait une exacte application de l'article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, la cour d'appel qui juge qu'un tramway ne circulait pas sur une voie qui lui était propre au sens de ce texte, dès lors qu'à l'endroit du choc avec un piéton, cette voie n'était pas isolée du trottoir qu'elle longeait.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 12 octobre 2021), le 9 juin 2011, [Y] [T], alors âgé de 15 ans, a perdu l'équilibre et fait un écart sur la voie de tramway qui longeait le trottoir sur lequel il marchait, heurtant le tramway qui arrivait sur cette voie et chutant sur les rails.

2. Ses parents, agissant tant en leur nom personnel qu'en leurs qualités de représentants légaux de [Y] [T], ont assigné la société Keolis [Localité 10], exploitant le tramway, ainsi que la société Gan Eurocourtage, son assureur, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, la mutuelle Ociane et la société GFP, en indemnisation de leurs préjudices.

3. Faisant valoir que la chute de la victime avait été causée par le fait de trois autres mineurs, présents sur le lieu de l'accident, la société Keolis [Localité 10] et la société Allianz IARD, venant aux droits de la société Gan eurocourtage, ont assigné en garantie Mme [F], Mme [A] épouse [I] et Mme [R] épouse [W], chacune en sa qualité de représentante légale, respectivement, des mineurs [J] [X], [Z] [I] et [B] [W].

4. La société Matmut et la société CIC assurances, aux droits de laquelle vient la société ACM IARD, assureurs de responsabilité civile, respectivement de Mme [R] épouse [W] et de Mme [A] épouse [I], sont intervenues à l'instance.

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi incident, formé par la société Keolis [Localité 10] et la société Allianz IARD

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

6. La société Keolis [Localité 10] et la société Allianz IARD font grief à l'arrêt de dire que les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 sont applicables à l'accident, que le droit à indemnisation de M. [T] est entier, de les condamner in solidum à payer à M. [T] la somme de 240 618,75 euros à titre de réparation de son préjudice corporel et de les condamner in solidum à payer à Mme [E] veuve [T] la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice d'affection, alors :

« 1°/ que les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 ne s'appliquent pas aux tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ; qu'une voie est propre au tramway quand elle est réservée à sa seule circulation, sans être destinée aux autres usagers ; qu'il résulte des propres constatations des juges du fond que la chaussée du cours l'Argonne, où s'est produit l'accident, est divisée en trois voies, à savoir deux voies ferrées contiguës, empruntées par le tramway, et une voie à sens unique « pour les autres véhicules », et que la chaussée est longée par un trottoir ; qu'il s'ensuit que les voies empruntées par le tramway à l'endroit de l'accident lui sont propres, puisqu'elles lui sont réservées et ne sont pas destinées à être empruntées par d'autres véhicules, ni par les piétons ; que dès lors, en disant que les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 sont applicables à l'accident dont [Y] [T] a été victime le 9 juin 2011, après avoir pourtant constaté que ce dernier avait été heurté par un tramway circulant sur sa voie propre, la cour d'appel a violé l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ;

2°/ que les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 ne s'appliquent pas aux tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ; qu'une voie est propre au tramway quand elle est réservée à sa seule circulation, sans être destinée aux autres usagers ; qu'il n'est donc pas nécessaire, pour qu'une voie soit qualifiée de propre au tramway, qu'elle soit surélevée ou séparée des autres voies par des éléments infranchissables ; que dès lors, en affirmant, notamment par motifs adoptés, que la voie ferrée empruntée par le tramway ne lui était pas réservée aux motifs qu'au point de choc elle n'était pas séparée des autres voies ou du trottoir par des obstacles infranchissables ou une barrière, que la voie de tramway n'était pas surélevée par rapport au reste de la chaussée et que le trottoir ne présentait pas une hauteur telle qu'il était infranchissable, la cour d'appel qui a ajouté des conditions qu'il ne prévoit pas à l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985, l'a violé par là-même. »

Réponse de la Cour

7. Les dispositions du chapitre 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, relatives à l'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation, sont applicables, selon l'article 1er de cette loi, aux victimes d'accidents dans lesquels est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres.

8. L'arrêt relève que la chaussée, qui est divisée en trois voies, sans marquage au sol, dont deux voies ferrées contiguës empruntées par le tramway, non surélevées, et une voie à sens unique pour les autres véhicules, est longée de part et d'autre par un trottoir bordé de plots alternant avec des barrières. Il constate, par motifs adoptés, qu'à l'endroit du choc, aucune barrière ne sépare la voie de tramway du trottoir duquel la victime a chuté et que la hauteur de celui-ci ne permet pas de délimiter cette voie.

9. En l'état de ces constatations et énonciations, relevant de son pouvoir souverain d'appréciation, la cour d'appel, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la seconde branche du moyen, a exactement retenu qu'à l'endroit du choc, la voie de tramway ne lui était pas propre en ce qu'elle n'était pas isolée du trottoir qu'elle longeait et en a déduit, à bon droit, que la loi du 5 juillet 1985 s'appliquait à l'accident.

10. Le moyen, inopérant en sa seconde branche, n'est, dès lors, pas fondé pour le surplus.

Mais sur le moyen du pourvoi principal formé par M. [T]

Enoncé du moyen

11. M. [T] fait grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable en sa demande d'indemnisation de ses pertes de gains professionnels futurs, alors « que l'arrêt retient, au visa des articles 564 et suivants du code de procédure civile, que la réclamation au titre du poste de préjudice de perte de gains professionnels futurs, présentée pour la première fois en cause d'appel par M. [T], doit être jugée irrecevable ; qu'en statuant ainsi, bien que cette demande ayant le même fondement que les demandes initiales de M. [T] et poursuivant la même fin d'indemnisation du préjudice résultant de l'accident de la circulation dont il avait été victime le 9 juin 2011, constituait le complément de celles formées en première instance par ce dernier, la cour d'appel a violé les articles 564, 565 et 566, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 565 du code de procédure civile :

12. Il résulte de ce texte que les prétentions nouvelles sont recevables dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

13. Pour déclarer irrecevable comme nouvelle la demande de M. [T] en indemnisation de ses pertes de gains professionnels futurs, l'arrêt énonce que celui-ci réclame devant la cour l'indemnisation de la diminution de ses revenus consécutive à l'incapacité permanente à laquelle il est confronté dans la sphère professionnelle à la suite du dommage, chef de préjudice qu'il n'a pas soumis aux premiers juges, devant lesquels il n'avait sollicité que l'indemnisation de l'incidence professionnelle.

14. En statuant ainsi, alors que la demande présentée par M. [T] devant elle, en indemnisation de ses pertes de gains professionnels futurs, tendait aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, en l'occurrence à l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'accident du 9 juin 2011, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Mise hors de cause

15. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause Mme [R] épouse [W], en sa qualité de civilement responsable de [B] [W], la société Matmut, Mme [A] épouse [I], en sa qualité de civilement responsable de [Z] [I], et la société ACM IARD, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare M. [T] irrecevable en sa demande d'indemnisation des pertes de gains professionnels futurs, l'arrêt rendu le 12 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée ;

Met hors de cause Mme [R] épouse [W], en sa qualité de civilement responsable de [B] [W], la société Matmut, Mme [A] épouse [I], en sa qualité de civilement responsable de [Z] [I], et la société ACM IARD.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Philippart - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Duhamel ; SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985.

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