Numéro 12 - Décembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2023

BAIL D'HABITATION

3e Civ., 14 décembre 2023, n° 21-21.964, (B), FS

Cassation

Bail soumis à la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 – Bailleur – Obligations – Délivrance – Domaine d'application – Détermination

Les articles 1719 du code civil, 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, et 2 du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002, dont l'objet est de préciser le contenu de l'obligation de délivrance du bailleur, sont applicables aux seuls logements objet d'un bail d'habitation.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 juin 2021), la société civile immobilière La Charonaise, aux droits de laquelle sont venus M. et Mme [R] (les bailleurs), a, le 7 décembre 1976, donné en location à M. [Y] (le locataire) un logement de deux pièces, puis, le 20 novembre 1980, un débarras situé sur le même palier, qui ont été réunis.

2. Après avoir délivré au locataire un congé avec dénégation du droit au maintien dans les lieux fondée sur le fait qu'un autre local répondant à ses besoins était à sa disposition, les bailleurs l'ont assigné en résiliation des baux, expulsion et paiement d'une indemnité d'occupation.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

3. Le locataire fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation des baux et d'ordonner son expulsion, alors « que le locataire ne peut être déchu de son droit au maintien dans les lieux si le local dont il dispose ne répond pas, à l'instar du logement dont il est locataire, à son besoin d'occupation d'un logement décent ; qu'en l'espèce, M. [Y] faisait valoir que le studio dont il est propriétaire ne répondait pas à ses besoins dès lors que la superficie de son unique pièce (8,40 m²) ne répondait pas aux normes de décence prévue par l'article 4 du décret du 30 janvier 2002 ; qu'en affirmant toutefois qu'il n'y avait pas lieu de s'interroger sur la conformité du studio dont M. [Y] est propriétaire aux normes de décence prévues par le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 dès lors que ce texte a pour seul but de protéger les locataires et non les propriétaires d'un bien qui ne répondrait pas à ces normes, la cour d'appel a violé l'article 10-9° de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 ensemble, par refus d'application, l'article 4 du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte des articles 1719 du code civil, 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, dans leur rédaction issue de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, applicable au litige, et 2 du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002, que le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation.

5. Ces dispositions, dont l'objet est de préciser le contenu de l'obligation de délivrance du bailleur, sont applicables aux seuls logements objet d'un bail d'habitation.

6. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

7. Le locataire fait le même grief à l'arrêt, alors « que ne répond pas aux besoins du locataire le local dont l'occupation lui imposerait un changement profond dans ses conditions d'existence ; qu'en s'abstenant de rechercher en l'espèce si l'installation de M. [Y] dans le studio dont il est propriétaire n'était pas de nature à lui imposer un changement profond dans ses conditions d'existence en le privant de son lieu de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10-9° de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

8. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

9. Pour prononcer la résiliation des baux, l'arrêt retient que le local que possède le locataire et qui lui sert de bureau, d'une surface totale de 13,20 m², dispose d'une cuisinette et d'un cabinet de toilette avec douche et water-closet, qu'il suffirait d'un meilleur aménagement de ce local pour pouvoir y habiter et que le fait pour le locataire de ne pouvoir y recevoir ses enfants majeurs qui ne vivent pas avec lui ne fait pas obstacle à la déchéance du droit au maintien dans les lieux.

10. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. [Y] qui soutenait utiliser le studio dont il était propriétaire pour son activité professionnelle d'écrivain, éditeur et enseignant et qu'il ne pourrait à la fois y vivre et y exercer son métier, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Grall - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SARL Delvolvé et Trichet ; SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon -

Textes visés :

Article 1719 du code civil ; article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, dans sa rédaction issue de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 ; article 2 du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002.

3e Civ., 14 décembre 2023, n° 22-23.267, (B), FS

Cassation partielle

Bail soumis à la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 – Preneur – Obligations – Paiement des loyers – Etendue – Diminution – Cas – Action en conservation des allocations de logement pour non-décence

Il résulte de la lecture combinée des articles L. 822-9, L. 842-1, L. 843-1 et L. 843-2 du code de la construction et de l'habitation et 7, a), de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 que, lorsque la caisse d'allocations familiales fait application de la procédure de conservation des allocations de logement pour non-décence de celui-ci, laquelle relève, en cas de recours, de la compétence du juge administratif en application de l'article L. 825-1 du code de la construction et de l'habitation, le bailleur ne peut exiger du locataire que le paiement du montant du loyer et des charges récupérables, diminué du montant des allocations de logement.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 24 février 2022), la société civile immobilière Amphora (la bailleresse), propriétaire d'un logement donné à bail à Mme [M] (la locataire), bénéficiait du versement direct de l'allocation de logement auquel la locataire avait droit.

2. Arguant de l'indécence du logement, la locataire a assigné la bailleresse en exécution de travaux, suspension du paiement des loyers et indemnisation de son préjudice de jouissance.

3. La bailleresse a formé une demande reconventionnelle en paiement d'un arriéré de loyers.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La locataire fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement d'une certaine somme au titre de l'arriéré de loyers, incluant le montant de l'allocation de logement retenu par l'organisme payeur, alors « qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 843-1 et L. 843-2 du code de la construction et de l'habitation et 7, a) de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs que lorsque la caisse d'allocations familiales constate que le logement ne satisfait pas aux critères de décence énoncés à l'article L. 822-9 du code de la construction et de l'habitation et met en oeuvre la procédure de conservation de l'allocation de logement, le locataire n'est tenu que du paiement du loyer et des charges récupérables diminué du montant des allocations logement conservé par l'organisme payeur sans que ce paiement partiel du loyer puisse être considéré comme un défaut de paiement du locataire ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions en appel, Mme [M] faisait valoir que son arriéré locatif s'élevait non pas à 2 339,60 euros mais à 698 euros en raison de ce que « les allocations retenues par la CAF depuis la notification dudit constat de non décence en avril 2021 n'ont pas à être imputées » aux sommes qu'elle devait ; qu'elle produisait le dernier décompte de la société Amphora en date du 1er juillet 2021 qui établissait que la somme de 2 339,60 euros réclamée à titre d'arriéré locatif incluait des sommes correspondant aux allocations logement conservées par la caisse d'allocations familiales ; qu'en se contentant de juger que les sommes retenues par la caisse d'allocations familiales seraient versées au bailleur « si la situation évolue » mais qu'il n'en restait pas moins « qu'à la date du dernier décompte produit par l'appelante, celle-ci est débitrice envers la SCI Amphora de la somme de 2 339,60 euros, tel que l'a justement décidé le premier juge » sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ce décompte n'incluait pas des sommes conservées par la caisse d'allocations familiales en raison du constat de l'indécence du logement et pour lesquelles le locataire ne pouvait pas être considéré en défaut de paiement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 822-9, L. 842-1, L. 843-1 et L. 843-2 du code de la construction et de l'habitation et 7, a), de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 :

5. Selon le premier de ces textes, pour ouvrir droit à une aide personnelle au logement, le logement doit répondre à des exigences de décence définies en application des deux premiers alinéas de l'article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.

6. Selon le deuxième, l'allocation de logement est versée, sur sa demande, au bailleur. Elle ne peut l'être que si le logement répond aux exigences prévues aux articles L. 822-9 et L. 822-10 du code de la construction et de l'habitation.

7. Il résulte des dispositions combinées des deux suivants que, lorsque l'organisme payeur constate que le logement ne remplit pas les conditions requises pour être qualifié de décent, il conserve l'allocation de logement jusqu'à sa mise en conformité dans un délai au cours duquel le locataire s'acquitte du montant du loyer et des charges récupérables diminué du montant des allocations de logement, sans que cette diminution puisse fonder une action du propriétaire à son encontre pour obtenir la résiliation du bail. A défaut de mise en conformité, le montant de l'allocation de logement n'est pas récupéré par le propriétaire, lequel ne peut demander au locataire le paiement de la part de loyer non perçue correspondant au montant de l'allocation conservé.

8. Selon le dernier, le paiement partiel du loyer par le locataire réalisé en application de l'article L. 843-1 du code de la construction et de l'habitation ne peut être considéré comme un défaut de paiement du locataire.

9. Ainsi, lorsque l'organisme payeur fait application de la procédure de conservation des allocations de logement pour non-décence du logement, laquelle relève, en cas de recours, de la compétence du juge administratif en application de l'article L. 825-1 du code de la construction et de l'habitation, le propriétaire ne peut exiger du locataire que le paiement du montant du loyer et des charges récupérables, diminué du montant des allocations de logement.

10. Pour condamner la locataire au paiement de l'intégralité de l'arriéré locatif, l'arrêt relève que, si la dette locative était de 908 euros au 7 novembre 2020, elle s'établit à 2 339,60 euros au 1er juillet 2021 du fait de l'arrêt des versements de l'allocation de logement par la caisse d'allocations familiales en raison de l'indécence supposée du logement.

11. L'arrêt énonce que ces sommes non versées sont retenues par la caisse d'allocations familiales, et que si la situation évolue et permet le versement de l'allocation de logement, le bailleur aura l'obligation de déduire le montant qui lui sera alors versé du montant dû par la locataire.

12. L'arrêt retient, en conséquence, qu'à la date du dernier décompte produit, Mme [M] est débitrice de la somme de 2 339,60 euros.

13. En statuant ainsi, alors qu'il lui revenait de déduire de la somme réclamée par le bailleur celle correspondant au montant des allocations de logement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne Mme [M] à payer à la société civile immobilière Amphora la somme de 2 339,60 euros, l'arrêt rendu le 24 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Gallet - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : Me Soltner -

Textes visés :

Articles L. 822-9, L. 825-1, L. 842-1, L. 843-1 et L. 843-2 du code de la construction et de l'habitation ; article 7, a), de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.

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