Numéro 12 - Décembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2023

PROPRIETE INDUSTRIELLE

Com., 6 décembre 2023, n° 22-11.071, (B), FS

Rejet

Marques – Contentieux – Saisie-contrefaçon – Autorisation – Requérant – Loyauté dans l'exposé des faits

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 novembre 2021), la société Puma SE, venant aux droits de la société de droit allemand Puma AG, spécialisée dans la conception, la confection et la commercialisation d'articles de sport et de vêtements, est titulaire des marques figuratives internationales n° 426 712 et n° 439 162, ainsi que de l'Union européenne n° 12 697 066, constituées d'une bande courbe, dont la base évasée se prolonge en se rétrécissant, servant à distinguer, en classe 25, les vêtements et les chaussures.

2. La société Puma France bénéficie d'une licence d'exploitation sur la marque internationale n° 426 712.

3. Soutenant que la société Carrefour hypermarchés (la société Carrefour), qui exploite en France les magasins à l'enseigne Carrefour, commercialisait une chaussure de tennis reproduisant, sur sa partie latérale, un élément figuratif constituant, selon elles, l'imitation des trois marques figuratives précitées, la société Puma SE et la société Puma France (les sociétés Puma) ont obtenu, sur requête, une ordonnance rendue par le délégataire du président d'un tribunal judiciaire le 25 août 2017, autorisant une saisie-contrefaçon dans les locaux d'un magasin Carrefour.

4. A la suite de ces opérations, effectuées les 1er et 4 septembre 2017, les sociétés Puma ont assigné la société Carrefour pour atteinte aux marques renommées, contrefaçon de marques et concurrence déloyale.

5. La société Carrefour a soulevé la nullité des opérations de saisie-contrefaçon.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, et sur le second moyen

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Les sociétés Puma font grief à l'arrêt de dire qu'elles ont engagé leur responsabilité en présentant de manière déloyale leur requête en saisie-contrefaçon, de les condamner in solidum à verser à la société Carrefour la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi et d'annuler les procès-verbaux, ainsi que le procès-verbal complémentaire de saisie-contrefaçon des 1er et 4 septembre 2017, alors « que le titulaire d'une marque justifiant de son titre, qui a qualité à agir en contrefaçon et qui présente des éléments de preuve raisonnablement accessibles pour étayer ses allégations selon lequel il a été porté atteinte à son droit de propriété intellectuelle ou qu'une telle atteinte est imminente, est en droit de faire procéder, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, à la saisie descriptive ou réelle de « produits ou services prétendument contrefaisants ainsi que de tout document s'y rapportant » ; que les décisions prises dans le cadre d'une procédure d'opposition à l'enregistrement d'une marque nationale ou de l'Union européenne, qui ne lient pas le juge saisi d'une demande en contrefaçon, sont sans effet sur le droit du titulaire de la marque antérieure sur laquelle est fondée l'opposition à agir en contrefaçon et à solliciter une saisie descriptive ou réelle de produits sur lesquels est apposée la marque objet de la procédure d'opposition ainsi que de tous documents s'y rapportant ; que l'absence, dans la requête en saisie-contrefaçon, de référence à ladite marque adverse et à la procédure d'opposition dont elle a fait l'objet ne caractérise pas un manquement à la loyauté de la part du requérant titulaire de la marque antérieure dès lors qu'ont été soumis au juge des requêtes les produits portant le signe prétendument contrefaisant et partant des éléments de preuve étayant l'allégation d'atteinte à son droit de propriété intellectuelle ; qu'en jugeant, au contraire, qu'en ne portant pas à la connaissance du juge des requêtes les « informations dont elles disposaient sur des procédures d'opposition à l'enregistrement de marques mettant en cause les mêmes signes que ceux faisant l'objet du litige en contrefaçon, au terme desquelles il a été décidé, par les instances administratives compétentes, que le signe qu'elles contestaient ne constitue pas l'imitation des marques opposées et ne crée pas, avec ces marques, un risque de confusion », les sociétés Puma n'ont pas mis le juge des requêtes « en situation d'appréhender complètement les enjeux du procès en vue duquel lui était demandée l'autorisation de faire procéder à une saisie-contrefaçon ni de porter une appréciation éclairée sur l'intérêt légitime des requérants à recourir à une telle mesure » et ont ainsi manqué au devoir de loyauté qui préside à l'administration de la preuve en justice et s'impose aux parties au procès, la cour d'appel a violé l'article L. 716-7 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

8. Aux termes de l'article L. 716-7, devenu L. 716-4-7, alinéas 1 et 2, du code de la propriété intellectuelle, la contrefaçon peut être prouvée par tous moyens. A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d'experts désignés par le demandeur, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle des produits ou services prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s'y rapportant.

L'ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux produits et services prétendus contrefaisants en l'absence de ces derniers.

9. La Cour de cassation juge que ces dispositions permettent au titulaire d'un droit de propriété industrielle de bénéficier de cette procédure sans avoir à justifier de circonstances particulières nécessitant d'y recourir de manière non contradictoire, et sont à ce titre considérées comme exorbitantes du droit commun (Com., 22 mars 2023, pourvoi n° 21-21.467), le juge saisi ne pouvant refuser d'accueillir la demande dès lors qu'elle lui a été présentée dans les formes et avec les justifications prévues par la loi (Com., 29 juin 1999, pourvoi n° 97-12.699, Bull. 1999, IV, n° 138).

10. Selon l'article 3 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, les procédures nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle mises en oeuvre par les Etats membres doivent être loyales et proportionnées.

11. En application de l'article 10 du code civil, les parties ont l'obligation, en vertu du principe de loyauté des débats, de produire et le cas échéant communiquer en temps utiles les éléments en leur possession, en particulier lorsqu'ils sont susceptibles de modifier l'opinion des juges (1re Civ., 7 juin 2005, pourvoi n° 05-60.044, Bull. 2005, I, n° 241).

12. Il en résulte que les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle, lues à la lumière de la directive, exigent du requérant qu'il fasse preuve de loyauté dans l'exposé des faits au soutien de sa requête en saisie-contrefaçon, afin de permettre au juge d'autoriser une mesure proportionnée.

13. L'arrêt relève que les sociétés Puma se sont abstenues, lors de la présentation de leur requête en saisie-contrefaçon, de faire connaître, d'une part, que la société Carrefour était titulaire de marques françaises et de l'Union européenne portant sur le signe figuratif incriminé, d'autre part, qu'elles-mêmes s'étaient opposées à l'enregistrement de ces marques auprès, respectivement, de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) et de l'Office de l'Union Européenne pour la propriété intellectuelle, sur la base de leurs marques antérieures, invoquées dans le litige mais que ces instances administratives avaient exclu toute imitation des marques de la société Puma et donc tout risque de confusion, antérieurement à la présentation de la requête en saisie-contrefaçon.

14. Il ajoute que si la décision rendue par l'instance administrative, statuant en matière d'opposition à l'enregistrement d'une marque, ne lie pas le juge saisi d'une demande en contrefaçon, les éléments de preuve destinés à être produits dans une procédure judiciaire doivent néanmoins être recueillis dans des conditions exemptes de déloyauté.

15. Il en déduit que la partie qui sollicite l'autorisation de faire pratiquer une saisie-contrefaçon doit présenter, au soutien de sa requête, l'ensemble des faits objectifs de nature à permettre au juge d'appréhender complètement les enjeux du procès en vue duquel lui était demandée cette autorisation et ainsi d'exercer pleinement son pouvoir d'appréciation des circonstances de la cause.

16. En cet état, la cour d'appel a exactement retenu que, les sociétés Puma ayant manqué à leur devoir de loyauté à l'occasion de la présentation de la requête, les procès-verbaux de saisie-contrefaçon devaient être annulés.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bessaud - Avocat général : Mme Texier - Avocat(s) : SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier ; SARL Delvolvé et Trichet -

Textes visés :

Article L. 716-7, devenu L. 716-4-7, alinéas 1 et 2, du code de la propriété intellectuelle ; article 10 du code civil.

Com., 6 décembre 2023, n° 22-16.078, (B), FRH

Cassation partielle

Marques – Eléments constitutifs – Caractère distinctif – Appréciation – Date – Détermination – Jour du dépôt – Applications diverses – Utilisation du terme « kiosque » pour des services d'abonnement et de distribution de journaux en ligne

Il résulte de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, que le caractère distinctif de la marque s'apprécie au jour du dépôt, au regard de la connaissance du terme contesté auprès du public concerné.

Ayant retenu que le terme « kiosque », certes évocateur, renvoyait le public concerné à l'abri édifié sur la voie publique dans lequel il pouvait acheter des journaux et magazines mais ne lui permettait pas, même associé au terme « mon » d'établir un rapport immédiat et concret avec les services d'abonnement et de distribution de journaux et périodiques en ligne, une cour d'appel a pu estimer que ce terme était distinctif pour désigner de tels services, sans prendre en compte la généralisation ultérieure alléguée de l'appellation « kiosque », dans le secteur de la distribution de la presse en ligne, laquelle était inopérante pour apprécier le caractère distinctif du signe au moment du dépôt des marques attaquées, dès lors qu'il n'avait pas été soutenu qu'à cette date, il était raisonnable d'envisager que ce terme le devienne.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 janvier 2022), la société Lekiosque.fr, fondée en décembre 2006, est une plate-forme d'achat et de lecture de magazines en version numérique qui propose, par l'intermédiaire du site « lekiosque.fr », des abonnements à des journaux et des magazines et l'accès à de telles publications.

2. Elle est titulaire de la marque verbale française « lekiosque.fr » n° 07 514 407, enregistrée dans les classes n° 9, 16, 35, 38, 39, 41, régulièrement renouvelée.

3. La société Toutabo, spécialisée dans la collecte d'abonnements sur internet pour la presse papier, a acquis d'une société en liquidation judiciaire, la marque semi-figurative « monkiosque.fr - monkiosque.net » n° 3431776 déposée le 29 mai 2006 et régulièrement renouvelée ainsi que les noms de domaine « monkiosque.fr » et « monkiosque.net ». Elle est en outre titulaire de la marque française verbale « monkiosque » déposée le 18 janvier 2011, sous le numéro 3798336, dans les classes n° 35, 38 et 41.

4. La société Lekiosque.fr a assigné la société Toutabo en annulation de ses marques pour atteinte à ses droits antérieurs et défaut de distinctivité. A titre reconventionnel, la société Toutabo a formé une demande en contrefaçon de ses marques par l'usage du signe « lekiosk » et la réparation de son préjudice.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième, sixième et septième branches

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

6. La société Lekiosque.fr fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation pour défaut de caractère distinctif des marques n° 3431776 et n° 3798336 dont la société Toutabo est titulaire, de dire, en conséquence, qu'elle a commis des actes de contrefaçon de ces marques et de la condamner au paiement de dommages-intérêts ainsi qu'à des mesures d'interdiction d'usage et de transfert de noms de domaine, alors :

« 3°/ que pour être descriptif, il n'est pas nécessaire que le signe soit effectivement utilisé, au moment de la demande d'enregistrement, à des fins descriptives de produits ou de services tels que ceux pour lesquels la demande est présentée ou des caractéristiques de ces produits ou de ces services ; qu'il suffit qu'il puisse être utilisés à de telles fins ; qu'en se focalisant sur le fait que la presse utilisait les termes « kiosque numérique » ou « kiosque électronique », et non le terme « kiosque » seul, sans rechercher si le public ne pouvait être conduit, malgré l'absence de reprise des adjectifs « numérique » ou « électronique », à percevoir le terme « monkiosque » comme décrivant une caractéristique des services de vente, d'abonnement ou de distribution de presse en ligne, dès lors que ces services sont précisément proposés sous format numérique ou électronique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 ;

4°/ qu'une marque est descriptive lorsqu'elle constitue actuellement, aux yeux des milieux intéressés, une description des caractéristiques des produits ou des services concernés ou s'il est raisonnable d'envisager que cela soit le cas dans l'avenir ; qu'en relevant qu'à supposer démontrée l'affirmation de la société Lekiosque.fr selon laquelle le terme « kiosque » est aujourd'hui employé par l'ensemble des opérateurs du marché intervenant dans le secteur de la distribution de la presse en ligne, cette affirmation serait « inopérante à établir le défaut de caractère distinctif des marques critiquées, la validité d'une marque devant s'apprécier à la date de son dépôt », cependant que le fait le terme « kiosque » fasse aujourd'hui l'objet d'un usage généralisé dans le secteur de la distribution de la presse en ligne pouvait précisément constituer un élément susceptible de montrer qu'aux dates de dépôts des marques en cause, il était, à tout le moins, raisonnable d'envisager que le signe « monkiosque » constitue, à l'avenir, aux yeux des milieux intéressés, une description des services en cause, la cour d'appel a violé l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 ;

5°/ qu'une marque est descriptive lorsqu'elle constitue actuellement, aux yeux des milieux intéressés, une description des caractéristiques des produits ou des services concernés ou s'il est raisonnable d'envisager que cela soit le cas dans l'avenir ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté qu'antérieurement aux dépôts des marques contestées, la presse s'était faite l'écho de l'essor de « kiosques numériques », « kiosques en ligne » ou « kiosques numériques » qui offrent au public des espaces de vente, d'abonnement et de lecture en ligne de la presse ; qu'en relevant qu'à supposer démontrée l'affirmation de la société Lekiosque.fr selon laquelle le terme « kiosque » est aujourd'hui employé par l'ensemble des opérateurs du marché intervenant dans le secteur de la distribution de la presse en ligne, cette affirmation serait « inopérante à établir le défaut de caractère distinctif des marques critiquées, la validité d'une marque devant s'apprécier à la date de son dépôt », sans rechercher si l'existence d'un usage aujourd'hui généralisé du terme « kiosque » dans ce secteur n'était pas démontrée et si elle ne confirmait pas qu'aux dates de dépôts des marques en cause, il était, à tout le moins, raisonnable d'envisager que le signe « monkiosque » constitue, à l'avenir, aux yeux des milieux intéressés, une description des services en cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, que le caractère distinctif de la marque s'apprécie au jour du dépôt au regard de la connaissance du terme contesté auprès du public concerné.

8. L'arrêt retient qu'il n'est pas démontré qu'à la date des demandes d'enregistrement des marques en cause, le terme « kiosque », qui renvoie le public à l'abri édifié sur la voie publique dans lequel il peut acheter des journaux et magazines, selon la définition qu'en donne le dictionnaire Larousse de 1955, permette au public concerné d'établir un rapport immédiat et concret avec les services d'abonnement et de distribution de journaux et périodiques en ligne, même employé en association avec le pronom possessif « mon ». Il retient, au contraire, que les articles de presse datés entre 2000 et 2006 adjoignent au terme « kiosque » les adjectifs « numérique » ou « électronique », ce qui montre que le public ne peut faire un rapprochement immédiat entre l'expression « monkiosque », certes évocatrice, reprise dans les marques litigieuses, et ces services.

9. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, invoquée par la troisième branche, et n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a pu ne pas tenir compte de la généralisation actuelle alléguée de l'appellation « kiosque », dans le secteur de la distribution de la presse en ligne, laquelle était inopérante pour apprécier le caractère distinctif du signe « monkiosque » au moment du dépôt des marques attaquées, dès lors que la société Lekiosque.fr n'avait pas soutenu qu'à cette date, il était raisonnable d'envisager qu'il le devienne.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le troisième moyen, en tant qu'il fait grief à l'arrêt d'ordonner le transfert à la société Toutabo des noms de domaine « lekiosk.fr » et « lekiosk.net »

Enoncé du moyen

11. La société Lekiosque.fr fait grief à l'arrêt de lui ordonner, sous astreinte, de transférer à la société Toutabo les noms de domaine « lekiosk.fr » et « lekiosk.net », alors :

« 1°/ qu'en ordonnant le transfert du nom de domaine « lekiosque.fr », sans constater l'existence d'un risque de confusion entre ce nom de domaine et les marques de la société Toutabo, la cour d'appel a violé l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle ;

2°/ qu'en statuant ainsi, tout en relevant qu'« il ne peut être reproché à la société Lekiosque.fr immatriculée au registre du commerce et des sociétés depuis le mois de décembre 2006 d'exploiter un site sous un nom de domaine correspondant à sa dénomination sociale pour une activité de presse numérique », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

3°/ qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

12. Ayant retenu, par des motifs vainement critiqués, que la société Lekiosque.fr avait commis des actes de contrefaçon des marques « monkiosque.fr - monkiosque.net » n° 3431776 et « monkiosque » n° 3798336 par l'usage du signe « lekiosk », c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel a ordonné à cette société, de transférer à la société Toutabo les noms de domaine « lekiosk.fr » et « lekiosk.net » qui comportent ce signe.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa huitième branche

Enoncé du moyen

14. La société Lekiosque.fr fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation pour défaut de caractère distinctif des marques n° 3431776 et n° 3798336 dont la société Toutabo est titulaire, de dire, en conséquence, qu'elle a commis des actes de contrefaçon de ces marques, et de la condamner au paiement de dommages-intérêts ainsi qu'à des mesures d'interdiction d'usage et de transfert de noms de domaine, alors « que le caractère distinctif d'une marque doit être apprécié par rapport à chacun des produits ou services désignés dans son enregistrement ; qu'en appréciant le caractère distinctif des marques en cause qu'au seul regard des services de vente, d'abonnement et de distribution de presse en ligne, alors que les marques ne visaient pas uniquement des services en ligne, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 711-2, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 :

15. Aux termes de ce texte, le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés.

16. Pour rejeter les demandes d'annulation des marques n° 3431776 et n° 3798336 dont la société Toutabo est titulaire, l'arrêt retient que le public ne peut faire un rapprochement immédiat entre la dénomination « monkiosque » ou le signe complexe « monkiosque.fr monkiosque.net » et les services de vente, d'abonnement ou de distribution de presse en ligne.

17. En se déterminant ainsi, au regard des seuls services en ligne, sans examiner le caractère distinctif des marques pour désigner les services de « services d'abonnement à des journaux (pour des tiers) ; distribution de journaux » désignés à l'enregistrement de la marque n° 3431776 ni ceux de « publication de livres » et « services d'abonnement à des journaux (pour des tiers) » désignés à l'enregistrement de la marque n° 3798336, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche, en tant qu'il fait grief à l'arrêt d'ordonner le transfert à la société Toutabo du nom de domaine « lekiosque.fr »

Enoncé du moyen

18. La société Lekiosque.fr fait grief à l'arrêt de lui ordonner de transférer à la société Toutabo le nom de domaine « lekiosque.fr », alors « qu'en ordonnant le transfert de ce nom de domaine, sans constater l'existence d'un risque de confusion entre ce dernier et les marques de la société Toutabo, la cour d'appel a violé l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle :

19. Ce texte dispose :

« Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :

1°/ D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;

2°/ D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque ».

20. Après avoir constaté l'existence d'une contrefaçon par imitation du fait d'un risque de confusion ou d'association dans l'esprit du public entre la dénomination « LeKiosk » utilisée sur le site internet « www.lekiosk.fr » par la société Lekiosque.fr et les marques antérieures « monkiosque.fr monkiosque.net » et « monkiosque » dont la société Toutabo est titulaire, l'arrêt ordonne le transfert du nom de domaine « lekiosque.fr ».

21. En statuant ainsi, sans constater l'existence d'un risque de confusion entre le site internet « lekiosque.fr », correspondant à la dénomination sociale de la société Lekiosque.fr, et les marques antérieures, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le quatrième moyen

22. La société Lekiosque.fr fait grief à l'arrêt de lui faire interdiction, sous astreinte, de faire usage, à quelque titre que ce soit, des signes verbaux et semi-figuratifs « Lekiosk », alors « que le juge ne peut prononcer une mesure d'interdiction excessivement générale ; qu'en interdisant à la société Lekiosque.fr de faire usage des signes verbaux et semi-figuratifs « Lekiosk » « à quelque titre que ce soit », tout en ayant uniquement constaté un risque de confusion s'agissant de l'usage de la dénomination « Lekiosk » dans la vie des affaires pour offrir des services permettant de lire sur un support numérique ses revues, magazines et journaux, la cour d'appel, qui n'a pas justifié la nécessité de prononcer une mesure d'interdiction aussi générale, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle. »

Recevabilité du moyen

23. La société Toutabo conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que ce moyen n'a pas été invoqué devant les juges du fond et que, nouveau et mélangé de fait et de droit, il est irrecevable.

24. Cependant, ce moyen, qui ne repose sur aucun fait qui n'ait été constaté par les juges du fond, est de pur droit et peut être en conséquence soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation.

25. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle :

26. Après avoir constaté que l'usage par la société Lekiosque.fr du signe « lekiosk » dans la vie des affaires pour offrir des services permettant de lire sur un support numérique ses revues, magazines et journaux, entraînait un risque de confusion avec les marques dont la société Toutabo est titulaire, l'arrêt fait interdiction à la société Lekiosque.fr de faire usage, à quelque titre que ce soit, des signes verbaux et semi-figuratif « le kiosk ».

27. En statuant ainsi, sans justifier de la nécessité de faire interdiction à la société Lekiosque.fr de faire usage du signe « lekiosk » pour d'autres services que ceux permettant de lire sur un support numérique les revues, magazines et journaux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation : sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

28. La société Lekiosque.fr fait grief à l'arrêt de dire l'action en contrefaçon de la société Toutabo recevable, en conséquence, de dire qu'elle a commis des actes de contrefaçon de ces marques, et de la condamner au paiement de dommages-intérêts ainsi qu'à des mesures d'interdiction d'usage et de transfert de noms de domaine, alors « que pour rejeter la fin de non-recevoir opposée par la société Lekiosque.fr, sur le fondement de l'article L. 716-4-5 du code de la propriété intellectuelle, aux demandes de la société Toutabo au titre de la contrefaçon, la cour d'appel a retenu qu'« il ressort des développements qui précèdent que l'affirmation de la société Lekiosque.fr selon laquelle aux dates de dépôt des marques arguées de contrefaçon précitées, la marque verbale « Monkiosque » et la marque complexe « Monkiosque.fr Monkiosque.net » seraient dépourvues de toute distinctivité n'est nullement montré » ; qu'ainsi, la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera, par voie de conséquence, celle du chef de l'arrêt ayant dit l'action en contrefaçon de la société Toutabo recevable, et ce par application de l'article 625 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

29. La cassation prononcée sur la huitième branche du premier moyen du pourvoi du chef de dispositif rejetant la demande d'annulation des marques n° 3431776 et n° 3798336 pour désigner les services d'abonnement à des journaux (pour des tiers), de distribution de journaux et de publication de livres n'entraîne pas la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif disant l'action en contrefaçon de la société Toutabo recevable, disant qu'en faisant usage du signe « lekiosk », verbal et semi-figuratif, à titre de marque et de nom commercial, la société Lekiosque.fr a commis des actes de contrefaçon par imitation et l'a, par conséquent, condamnée à indemniser la société Toutabo, qui ne s'y rattachent pas par un lien de dépendance nécessaire, dans la mesure où l'arrêt ne retient, au titre des actes de contrefaçon, que l'usage de la dénomination « LeKiosk » dans la vie des affaires pour offrir des services permettant au public de lire sur un support numérique ses revues, magazines et journaux, services identiques ou similaires à ceux désignés dans la marque antérieure.

30. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'annulation de la société Lekiosque.fr pour défaut de caractère distinctif de la marque « monkiosque.fr - monkiosque.net » n° 3431776 et de la marque « monkiosque » n° 3798336 pour désigner les services de « services d'abonnement à des journaux (pour des tiers) ; distribution de journaux » désignés à l'enregistrement de la première et ceux de « publication de livres » et « services d'abonnement à des journaux (pour des tiers) » désignés à l'enregistrement de la seconde, en ce qu'il ordonne le transfert du nom de domaine « lekiosque.fr » et en ce qu'il fait interdiction à la société Lekiosque.fr de faire usage, à quelque titre que ce soit, des signes verbaux et semi-figuratifs « Lekiosk », l'arrêt rendu le 28 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bessaud - Avocat(s) : SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier ; Me Galy -

Textes visés :

Article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019.

Com., 6 décembre 2023, n° 20-18.653, (B), FRH

Rejet

Protection – Droit de consentir à la mise sur le marché d'un produit revêtu de la marque – Exclusion – Cas – Epuisement – Conditions – Mise dans le commerce

Il résulte de l'article L. 713-4, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, qui doit s'interpréter à la lumière de l'article 7 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques, que le droit exclusif du titulaire d'une marque de consentir à la mise sur le marché d'un produit revêtu de sa marque, qui constitue l'objet spécifique du droit de marque, s'épuise par la première commercialisation de ce produit avec son consentement.

La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (arrêt du 12 juillet 2011, L'Oréal e.a., C-324/09) que la fourniture par le titulaire d'une marque, à ses distributeurs agréés, d'objets revêtus de celle-ci, destinés à la démonstration aux consommateurs dans les points de vente agréés, ainsi que de flacons revêtus de cette marque, dont de petites quantités peuvent être prélevées pour être données aux consommateurs en tant qu'échantillons gratuits, ne constitue pas, en l'absence d'éléments probants contraires, une mise dans le commerce au sens de la directive ou du règlement sur les marques communautaires.

En conséquence, est approuvé l'arrêt qui écarte tout épuisement des droits du titulaire d'une marque sur des échantillons gratuits, même revêtus de cette marque, dès lors que la distribution gratuite de ces produits ne vaut pas mise dans le commerce. En conséquence, la commercialisation ultérieure de ces échantillons caractérise une atteinte à l'objet spécifique du droit des marques et donc à la fonction essentielle de garantie d'origine des produits d'une marque.

Reprise d'instance

1. Il est donné acte à la société [T] et associés, prise en la personne de M. [T], de sa reprise d'instance, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Ouest SCS.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 25 février 2020), la société Ouest SCS, qui exerce une activité de vente de tous objets, d'occasion ou neufs, sous l'enseigne « Easy Cash », a revendu des produits cosmétiques de marque « Chanel », dont certains avaient été acquis auprès de Mme [N], qui les avait elle-même achetés auprès d'un revendeur agréé par le réseau de distribution Chanel.

3. Mandaté par la société Chanel, un huissier de justice s'est rendu dans un magasin « Easy Cash » et a placé sous séquestre des produits portant la mention « Ne peut être vendu que par les dépositaires agréés Chanel », ainsi que des produits dont le film plastique avait été retiré ou qui avaient été partiellement utilisés.

4. La société Chanel a assigné Mme [N] et la société Ouest SCS, la première, pour vente de produits de marque « Chanel » sans l'autorisation du titulaire de la marque, la seconde, pour usage illicite de marque et parasitisme.

5. La société Ouest SCS a été mise en sauvegarde judiciaire, M. [T] étant désigné en qualité de commissaire à l'exécution du plan de continuation et de mandataire judiciaire. Un jugement du 14 septembre 2022 a prononcé la résolution du plan de sauvegarde et mis la société Ouest SCS en liquidation judiciaire, la société [T] et associés, prise en la personne de M. [T], ayant été désignée mandataire judiciaire liquidateur.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche, et le quatrième moyen

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. La société [T] et associés, prise en la personne de M. [T], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Ouest SCS, fait grief à l'arrêt de dire que la société Ouest SCS a fait un usage illicite des marques dont la société Chanel est titulaire en proposant à la vente quatre échantillons qui n'avaient pas été placés dans le commerce par la société Chanel, de fixer la créance de la société Chanel au passif de la société Ouest SCS à la somme de 20 200 euros, dont 200 euros au titre des échantillons de produits, d'autoriser la publication, d'ordonner la mainlevée du séquestre réalisé le 23 décembre 2011 et la remise des produits à la société Chanel et de débouter la société Ouest SCS de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi résultant de la saisie, alors :

« 1°/ que le titulaire d'une marque qui invoque son usage illicite par un tiers doit justifier que cet usage porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, et en particulier à sa fonction essentielle qui est de garantir aux consommateurs la provenance des produits ou des services ; qu'en admettant que la société Chanel était fondée à imputer à la société Ouest SCS un usage illicite de sa marque du fait de la revente d'échantillons, d'un nombre très limité, sans relever aucune atteinte aux fonctions de la marque, la cour d'appel a violé l'article L. 713-1 du code de la propriété intellectuelle ;

2°/ que le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté économique européenne ou dans l'Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement ; que la fourniture par le titulaire de la marque, ou avec son consentement, d'échantillons de produits à un consommateur, à titre gratuit, dans le but de faire la publicité des mêmes produits, constitue une mise dans le commerce au regard du but commercial poursuivi ; que la simple mention sur un échantillon « ne peut être vendu » est impropre à remettre en cause ce principe ; qu'en l'espèce, la société Chanel reprochait à la société Ouest SCS de revendre des échantillons de produits de marque Chanel acquis auprès de Mme [N], qui les avait elle-même reçus gratuitement d'un distributeur agréé Chanel ; qu'en retenant que la mention figurant sur les échantillons « échantillon gratuit - ne peut être vendu » était exclusive d'une mise dans le commerce, quand ces échantillons avaient été mis dans le commerce du fait de leur remise à Mme [N] à titre certes gratuit mais dans un but commercial, la cour d'appel a violé l'article L. 713-4 du code de la propriété intellectuelle ;

3°/ que la propriété intellectuelle est indépendante de la propriété de l'objet matériel ; qu'en l'espèce, en affirmant que malgré la remise de l'échantillon au consommateur il n'y avait pas eu transfert de propriété, la cour d'appel a procédé à une confusion entre le droit de propriété sur l'objet matériel et le droit de propriété intellectuelle sur la marque, et violé la règle selon laquelle la propriété intellectuelle est indépendante de la propriété de l'objet matériel ensemble l'article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

8. Il résulte de l'article L. 713-4, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, qui doit s'interpréter à la lumière de l'article 7 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques, applicable au regard de la date des faits, que le droit exclusif du titulaire d'une marque de consentir à la mise sur le marché d'un produit revêtu de sa marque, qui constitue l'objet spécifique du droit de marque, s'épuise par la première commercialisation de ce produit avec son consentement.

L'épuisement des droits du titulaire de la marque garantit ainsi la libre circulation des marchandises. Il appartient à celui qui se prévaut de l'épuisement du droit d'en rapporter la preuve pour chacun des produits concernés (CJCE, arrêt du 20 novembre 2001, Zino Davidoff, C-414/99, point 54 ; Com., 26 février 2008, pourvoi n° 05-19.087).

9. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (arrêt du 12 juillet 2011,

L'Oréal e.a.,C-324/09), que la fourniture par le titulaire d'une marque, à ses distributeurs agréés, d'objets revêtus de celle-ci, destinés à la démonstration aux consommateurs dans les points de vente agréés, ainsi que de flacons revêtus de cette marque, dont de petites quantités peuvent être prélevées pour être données aux consommateurs en tant qu'échantillons gratuits, ne constitue pas, en l'absence d'éléments probants contraires, une mise dans le commerce au sens de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ou du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993.

10. L'arrêt retient que la distribution d'échantillons gratuits à Mme [N], même revêtus de la marque Chanel, ne vaut pas mise dans le commerce, écarte tout épuisement des droits du titulaire de la marque Chanel sur les quatre échantillons gratuits, relève que le titulaire de la marque, malgré la remise de l'échantillon au consommateur, conserve les droits conférés par cette titularité et en déduit que la société Ouest SCS ne pouvait pas faire usage de la marque Chanel pour commercialiser ces produits.

11. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a caractérisé l'atteinte à l'objet spécifique du droit des marques et donc l'atteinte à la fonction essentielle de garantie d'origine des produits de la marque Chanel, sans confondre le droit de propriété sur l'objet matériel et le droit de propriété intellectuelle sur la marque, a fait une exacte application de l'article L. 713-4 du code de la propriété intellectuelle.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

12. La société [T] et associés, ès qualités, fait grief à l'arrêt de fixer la créance de la société Chanel au passif de la société Ouest SCS à la somme de 20 200 euros, dont 15 000 euros au titre des produits usagés ou dont l'emballage a été ôté, d'autoriser la publication de l'arrêt, d'ordonner la mainlevée du séquestre réalisé le 23 décembre 2011 et la remise des produits à la société Chanel et de rejeter la demande de la société Ouest SCS en dommages-intérêts en réparation du préjudice subi résultant de la saisie, alors :

« 1°/ que le titulaire de la marque qui s'oppose à la revente d'un produit qui avait été mis dans le commerce dans l'Union européenne avec son consentement doit rapporter la preuve d'un motif légitime, par exemple d'une altération du produit ; qu'en affirmant en l'espèce que la société Chanel est fondée à s'opposer à tout acte de commercialisation d'un produit dont il ne peut être établi qu'il n'a jamais été utilisé au préalable, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315, devenu 1353, du code civil, ensemble l'article L. 713-4 du code de la propriété intellectuelle ;

2°/ que le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans l'Union européenne ou dans l'Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement ; que le titulaire de la marque ne peut s'opposer à tout nouvel acte de commercialisation que s'il justifie de motifs légitimes, tenant notamment à la modification ou à l'altération, ultérieurement intervenue, de l'état des produits ; que l'altération des produits au sens de l'alinéa 2 de l'article L. 713-4 du code de la propriété intellectuelle s'entend d'une dégradation de leurs qualités, qui ne peut se déduire automatiquement de leur simple utilisation ; qu'en l'espèce, en affirmant péremptoirement que, s'agissant de parfums et de produits cosmétiques, toute utilisation partielle d'un produit conduit à son altération, la cour d'appel a violé l'article L. 713-4 du code de la propriété intellectuelle ;

3°/ que le juge doit répondre aux conclusions des parties ; qu'en l'espèce, la société Ouest SCS faisait valoir dans ses conclusions d'appel que la société Chanel devait lui notifier son opposition à la revente des produits de sa marque, qui avaient été mis dans le commerce, pour pouvoir faire échec aux règles de l'épuisement du droit de marque ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

13. Il résulte de l'article 713-4, alinéa 2, du code de la propriété intellectuelle que, malgré une mise dans le commerce licite, faculté reste ouverte au titulaire de la marque de s'opposer à tout nouvel acte de commercialisation, s'il justifie de motifs légitimes, tenant notamment à la modification ou à l'altération, ultérieurement intervenue, de l'état des produits.

14. L'arrêt retient que, s'agissant de parfums et de produits cosmétiques, toute utilisation partielle d'un produit conduit à son altération, laquelle est gravement préjudiciable à l'image de la société Chanel et à l'univers de luxe et de pureté qu'elle véhicule et que la société Chanel, titulaire de la marque, est fondée à s'opposer à tout acte de commercialisation d'un produit cosmétique et de parfumerie dont il n'a pas été établi qu'il n'ait jamais été utilisé au préalable.

15. En l'état de ces constatations et appréciations, c'est sans inverser la charge de la preuve que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a pu retenir que la commercialisation de produits cosmétiques dépourvus de leur emballage d'origine constituait une altération de l'état de ces produits.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

17. La société [T] et associés, ès qualités, fait grief à l'arrêt de dire que la société Ouest SCS a engagé sa responsabilité délictuelle en revendant dans des conditions parasitaires des produits de marque Chanel, de fixer la créance de la société Chanel au passif de la société Ouest SCS à la somme de 20 200 euros, dont 5 000 euros au titre des produits revendus à l'état neuf, d'autoriser la publication de l'arrêt, d'ordonner la mainlevée du séquestre réalisé le 23 décembre 2011 et la remise des produits à la société Chanel et de rejeter la demande de la société Ouest SCS en dommages-intérêts en réparation du préjudice subi résultant de la saisie, alors :

« 1°/ que le fait de commercialiser des produits, licitement acquis, relevant d'un réseau de distribution sélective ne constitue pas en lui-même un acte fautif ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Ouest SCS avait licitement acquis le produit litigieux auprès de Mme [N], qui l'avait elle-même licitement acheté à un membre du réseau de distribution sélectif Chanel ; qu'en affirmant néanmoins que pour pouvoir bénéficier de la protection apportée à la revente des produits d'occasion, la société Ouest SCS se devait de ne pas concurrencer la vente de produits neufs dont le réseau de distribution sélective a l'exclusivité, pour en déduire que la société Ouest SCS avait commis une atteinte au réseau sélectif de vente, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

2°/ que des produits d'occasion, même d'état neuf, n'appartiennent pas au même marché que des produits neufs équivalents, et ne peuvent donc pas entrer en concurrence avec eux ; qu'en affirmant que pour pouvoir bénéficier de la protection apportée à la revente des produits d'occasion, la société Ouest SCS se devait de ne pas concurrencer la vente de produits neufs dont le réseau de distribution sélective a l'exclusivité, pour en déduire que la société Ouest SCS avait commis des faits de parasitisme et de concurrence déloyale, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

3°/ que le parasitisme, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment des investissements consentis ou de sa notoriété, résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le constat d'huissier du 23 décembre 2011 indiquait que certains produits étaient dans leur emballage d'origine mais n'en donnait qu'un seul exemple précis ; qu'en se contentant d'un unique exemple isolé de produit revendu dans son emballage d'origine pour en déduire que la société Ouest SCS avait commis des faits de parasitisme, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

4°/ que le juge ne peut pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en affirmant que « l'huissier a constaté le 23 décembre 2011 que la société Ouest SCS mentionnait sur des étiquettes tant son propre prix de revente que celui du produit à l'état neuf, en faisant explicitement la comparaison entre les deux » et que « son dirigeant a en outre indiqué renvoyer les clients potentiels à tester les produits chez le revendeur agréé situé dans la même galerie », quand le procès-verbal de constat d'huissier du 23 décembre 2011 produit aux débats ne comportait aucune mention en ce sens, la cour d'appel a dénaturé ce procès-verbal, en méconnaissance du principe interdisant au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

5°/ que ne constitue pas un acte de concurrence déloyale ni de parasitisme, le simple fait pour un revendeur de produits d'occasion, même d'état neuf, de présenter une comparaison avec le prix des produits neufs équivalents ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu qu'en mentionnant sur des étiquettes tant son propre prix de revente que celui du produit neuf, et en faisant explicitement la comparaison entre les deux, la société Ouest SCS avait cherché à s'approprier la clientèle de produits neufs cherchant la « bonne affaire » et avait commis des faits de parasitisme et de concurrence déloyale ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

6°/ que ne constitue pas une concurrence déloyale, ni un parasitisme, le simple fait pour un revendeur de produits d'occasion, même d'état neuf, de s'appuyer sur la renommée de la marque desdits produits, qu'il a licitement acquis, serait-il incapable de fournir lui-même des conseils sur ces produits que les clients peuvent tester auprès de vendeurs agréés ; qu'en l'espèce, en retenant que la société Ouest SCS avait commis des faits de parasitisme et de concurrence déloyale en s'appuyant sur le travail fourni par la société Chanel et les membres de son réseau pour favoriser ses propres ventes, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la cour

18. L'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que le dirigeant de la société Ouest SCS invitait les clients potentiels à tester les produits chez le revendeur agréé situé dans la même galerie avant de revenir les acheter dans sa boutique où il les vendait moins cher.

19. En cet état, c'est sans dénaturer les constats d'huissier de justice que la cour d'appel a caractérisé l'action parasite de la société Ouest-SCS.

20. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

21. La société Ouest SCS et la société [T] et associés, ès qualités, font grief à l'arrêt de les condamner au paiement des dépens et à payer à la société Chanel la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 1°/ que le juge est tenu de respecter l'objet du litige tel qu'il ressort des prétentions des parties ; qu'en l'espèce, la société Chanel demandait dans ses conclusions d'appel de fixer au passif de la société Ouest SCS la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'en condamnant la société Ouest SCS et M. [T], en sa qualité de mandataire judiciaire, à payer une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, au lieu de fixer cette somme au passif de la société Ouest SCS, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que le jugement ouvrant la procédure de sauvegarde emporte de plein droit interdiction de payer toute créance née après le jugement d'ouverture, à la seule exception des créances nées pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période ; que les dépens et les frais irrépétibles exposés par un créancier ne sont ni utiles au déroulement de la procédure quant à sa finalité de sauvegarde de la société débitrice en procédure collective, ni la contrepartie d'une prestation fournie à celle-ci ; qu'en l'espèce, il était constant que la société Ouest SCS était sous procédure de sauvegarde lorsque la cour d'appel a été saisie, et lorsqu'elle a statué ; qu'en condamnant la société Ouest SCS et M. [T], en sa qualité de mandataire judiciaire, au paiement des dépens et à payer à la société Chanel une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé les articles L. 622-7 et L. 622-17 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

22. Il ressort de l'arrêt que la société Ouest SCS bénéficiait d'un plan de sauvegarde arrêté par jugement du 6 janvier 2016, de sorte que les dépens et les frais irrépétibles exposés par la société Chanel, au cours de l'instance d'appel, n'avaient pas à être fixés au passif de la procédure de sauvegarde.

23. L'arrêt retient que la société Ouest SCS, qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel et la condamne à payer à la société Chanel la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

24. En cet état, la cour d'appel, qui a tranché le litige conformément aux règles de droit qui lui étaient applicables, a statué sans méconnaître l'objet du litige.

25. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bessaud - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SCP Capron -

Textes visés :

Article L. 713-4, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019.

Rapprochement(s) :

Sur la mise dans le commerce au sens de l'article 7 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, cf : CJUE, arrêt du 12 juillet 2011, L'Oréal e.a., C-324/09.

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