Numéro 12 - Décembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2023

BAIL RURAL

3e Civ., 14 décembre 2023, n° 22-16.751, (B), FS

Rejet

Bail à ferme – Résiliation – Causes – Mise en demeure – Notification – Lettre recommandée – Lettre recommandée adressée au domicile du preneur – Défaut de remise au preneur – Mention « pli avisé et non réclamé »

La mise en demeure prévue au 1° du I de l'article L. 411-31 du code rural et de la pêche maritime, qui constitue un acte préalable obligatoire à l'exercice d'une action en résiliation du bail pour défaut de paiement des fermages, est de nature contentieuse, de sorte que ne vaut pas mise en demeure la lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée par le bailleur au fermier et ayant été retournée avec la mention « pli avisé et non réclamé ».

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 24 mars 2022), par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 26 juin 2019, retournée avec la mention « pli avisé et non réclamé », Mme [B] (la bailleresse), propriétaire de parcelles de vigne données à bail à la société civile d'exploitation agricole (SCEA) Domaine Bouvet (la preneuse), a mis en demeure cette dernière de payer les fermages dus au titre des années 2016 à 2018.

2. Par requête du 16 décembre 2019, elle a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en résiliation du bail, en expulsion et en paiement des fermages.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La bailleresse fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en résiliation du bail et ses demandes subséquentes, alors :

« 1°/ que les juges du fond, qui doivent en toutes circonstances faire observer et observer eux-mêmes le principe du contradictoire, ne peuvent fonder leur décision sur un moyen qu'ils ont relevé d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, pour débouter Mme [B] de sa demande en résiliation du bail rural faute de justifier d'une mise en demeure notifiée ou signifiée à la SCEA Domaine Bouvet ou à son gérant, la cour d'appel a retenu qu'il résulte des dispositions des articles 668 et 669 du code de procédure civile que la date de la réception d'une notification faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception est celle qui est apposée par l'administration de la poste lors de la remise à son destinataire, qu'en conséquence Mme [B] n'est pas fondée à soutenir que la lettre recommandée du 27 juin 2019, que la SCEA Domaine Bouvet n'a pas retirée, vaut mise en demeure ; qu'en fondant sa décision sur un tel moyen, sans inviter au préalable les parties à présenter des observations, quand aucune des parties ne l'avait invoqué dans ses conclusions soutenues à l'audience, la SCEA Domaine Bouvet, qui y avait seul intérêt, n'ayant pas même évoqué cette première mise en demeure, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en toute hypothèse, il incombe au destinataire, régulièrement avisé, d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception d'aller la retirer à la Poste ; qu'il s'ensuit que la mise en demeure de payer des fermages, prévue au 1° du I de l'article L. 411-31 du code rural et de la pêche maritime, étant faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, est valablement délivrée et réputée faite à domicile ou à résidence dès lors qu'elle a été adressée au siège social du preneur, personne morale, qui en a été avisé mais n'a rien fait pour la retirer ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que Mme [B] justifiait avoir envoyé à la SCEA Domaine Bouvet un courrier du 26 juin 2019 contenant mise en demeure de payer plusieurs termes de fermage sous peine de résiliation de son bail, ce par lettre recommandée du 27 juin 2019 adressée à son siège social à [Localité 1] ; qu'en retenant néanmoins, pour débouter Mme [B] de sa demande en résiliation du bail rural, qu'elle ne justifierait pas d'une mise en demeure notifiée ou signifiée à la SCEA Domaine Bouvet ou à son gérant, la lettre recommandée du 27 juin 2019, qui n'avait pu être distribuée lors de sa présentation par les services postaux le 28 juin 2019, n'ayant pas été retirée par la SCEA Domaine Bouvet, ne pouvant valoir mise en demeure, quand elle avait elle-même constaté que la SCEA Domaine Bouvet n'avait entrepris aucune démarche pour prendre connaissance du courrier recommandé qui lui avait été régulièrement adressé à son siège social, la cour d'appel a violé les article L. 411-31 et R. 411-10 du code rural et de la pêche maritime ensemble les articles 668 et 669 du code de procédure civile ;

3°/ que le principe de bonne foi et de loyauté implique qu'une partie à un contrat, destinataire d'un courrier recommandé avec avis de réception expédié par son cocontractant, ne puisse se plaindre de ne pas avoir reçu une notification dès lors qu'il n'a pris aucune mesure lui permettant de prendre connaissance de la notification adressée par son cocontractant ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que Mme [B] justifiait avoir envoyé à la SCEA Domaine Bouvet un courrier du 26 juin 2019 contenant mise en demeure de payer plusieurs termes de fermage sous peine de résiliation de son bail, ce par lettre recommandée du 27 juin 2019 adressée à son siège social à [Localité 1], que cette lettre recommandée n'a pu être distribuée lors de sa présentation par les services postaux le 28 juin 2019 et que la SCEA Domaine Bouvet ne l'a pas retirée ; qu'en retenant, pour débouter Mme [B] de sa demande en résiliation pour défaut de paiement du fermage, que celle-ci ne pourrait se prévaloir de la mise en demeure envoyée par courrier recommandé du 27 juin 2019 quand il ressortait de ses propres constatations que la SCEA Domaine Bouvet, régulièrement avisée de ce courrier et qui n'alléguait aucune cause justifiant son inaction, ne l'avait pas retiré à la Poste, la cour d'appel a violé les articles 1103 et 1104 du code civil ensemble les articles L. 411-31 et R. 411-10 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article L. 411-31, I, 1°, du code rural et de la pêche maritime, le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie de deux défauts de paiement de fermage ou de la part de produits revenant au bailleur, ayant persisté à l'expiration d'un délai de trois mois après mise en demeure postérieure à l'échéance, cette mise en demeure devant, à peine de nullité, rappeler les termes de ce texte.

5. Selon l'article R. 411-10 du même code, la mise en demeure prévue au 1° du I de l'article L. 411-31 précité est faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

6. Il en résulte que cette mise en demeure, qui constitue un acte préalable obligatoire à l'exercice d'une action en résiliation du bail pour défaut de paiement des fermages, a une nature contentieuse.

7. La cour d'appel, qui a constaté que la lettre recommandée du 26 juin 2019 n'avait pas été retirée, en a, à bon droit, déduit, sans violer le principe de la contradiction, ni méconnaître l'exigence de bonne foi posée par l'article 1104 du code civil, que les articles 668 et 669 du code de procédure civile trouvaient application et que la lettre ne valait pas mise en demeure.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Davoine - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix -

Textes visés :

Articles L. 411-31, I, 1°, et R. 411-10 du code rural et de la pêche maritime.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 8 février 2006, pourvoi n° 04-18.664, Bull. 2006, III, n° 29 (rejet).

3e Civ., 14 décembre 2023, n° 22-20.257, (B), FS

Cassation partielle

Bail à ferme – Sortie de ferme – Indemnité au bailleur – Dégradation du fonds – Travaux en cours de bail – Accord du bailleur (non)

Si des travaux ont été réalisés par le preneur en violation des dispositions de l'article L. 411-28 du code rural et de la pêche maritime et ont entraîné une dégradation du fonds, le bailleur ne peut réclamer, en cours d'exécution du bail, la condamnation du preneur à remettre en état les lieux. Il peut cependant demander, à l'expiration du bail, l'allocation d'une indemnité dans les conditions de l'article L. 411-72 du même code.

Bail à ferme – Résiliation – Causes – Manquements – Manquements antérieurs au renouvellement du bail – Effet et persistance sous l'empire du nouveau bail

Le renouvellement du bail ne prive pas le bailleur de la possibilité d'en demander la résiliation, sur le fondement de l'article L. 411-31, I, 2°, du code rural et de la pêche maritime, lorsque les effets sur la bonne exploitation du fonds d'agissements du fermier, même antérieurs à ce renouvellement, se sont produits ou prolongés au cours du bail renouvelé.

Bail à ferme – Résiliation – Causes – Agissement du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds – Manquements antérieurs au renouvellement du bail – Effet et persistance sous l'empire du nouveau bail

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 16 juin 2022), par acte du 2 décembre 2005, [F] [V], aux droits duquel viennent MM. [D] et [M] [V], Mmes [Z] et [U] [V] (les bailleurs), a donné à bail rural à M. [O] (le preneur) des parcelles.

2. Le 21 août 2020, invoquant notamment la suppression de haies implantées sur les parcelles, réalisée par le preneur sans leur accord, les bailleurs ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en résiliation du bail et en remise en état des lieux.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, le troisième moyen et le quatrième moyen, pris en sa troisième branche

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le quatrième moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

4. Les bailleurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de remise en état des haies et des bornes, alors :

« 1°/ que tout créancier d'une obligation peut en poursuivre l'exécution en nature, et le preneur doit répondre des dégradations qui arrivent pendant sa jouissance ; qu'en l'espèce, les consorts [V] demandaient la condamnation de M. [O] à remettre en état des haies arasées sur la parcelle cadastrée [Cadastre 6] et à réimplanter des bornes sur la même parcelle ; qu'en rejetant ces demandes au seul motif que le bail conclu avec M. [O] est toujours en cours, quand cette circonstance ne faisait pas obstacle à ce que le bailleur demande et obtienne la remise en état par le preneur d'un terrain qui, donné à bail, avait subi des dégradations, la cour d'appel a violé les articles 1221 et 1732 du code civil, ensemble l'article L. 411-28 du code rural et de la pêche maritime ;

2°/ que le droit du bailleur d'obtenir, en fin de bail, une indemnité égale au montant du préjudice subi s'il apparaît une dégradation du bien loué n'exclut pas qu'il puisse obtenir, en cours de bail, la remise en état des lieux loués lorsqu'il est constaté qu'ils ont été dégradés ; qu'en l'espèce, la cour a elle-même constaté que le bail entre les consorts [V] et M. [O] est toujours en cours ; qu'en rejetant la demande des consorts [V] tendant à obtenir la remise en état des haies arasées sans autorisation des bailleurs et la réimplantation des bornes sur la parcelle louée au seul motif qu'ils pourront prétendre, à l'expiration du bail, à une indemnité égale au montant du préjudice subi, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 411-72 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article L. 411-28 du code rural et de la pêche maritime, pendant la durée du bail et sous réserve de l'accord du bailleur, le preneur peut, pour réunir et grouper plusieurs parcelles attenantes, faire disparaître, dans les limites du fonds loué, les talus, haies, rigoles et arbres qui les séparent ou les morcellent, lorsque ces opérations ont pour conséquence d'améliorer les conditions de l'exploitation.

Le bailleur dispose d'un délai de deux mois pour s'opposer à la réalisation des travaux, à compter de la date de l'avis de réception de la lettre recommandée envoyée par le preneur. Passé ce délai, l'absence de réponse écrite du bailleur vaut accord.

6. Aux termes de l'article L. 411-72 de ce code, s'il apparaît une dégradation du bien loué, le bailleur a droit, à l'expiration du bail, à une indemnité égale au montant du préjudice subi.

7. Il en résulte que, si des travaux ont été réalisés par le preneur en violation des dispositions de l'article L. 411-28 susmentionné et ont entraîné une dégradation du fonds, le bailleur ne peut réclamer, en cours d'exécution du bail, la condamnation du preneur à remettre en état les lieux. Il peut cependant demander, à l'expiration du bail, l'allocation d'une indemnité dans les conditions de l'article L. 411-72 précité.

8. Dès lors, après avoir constaté que le bail était toujours en cours, la cour d'appel a, à bon droit, retenu qu'il ne pouvait y avoir de condamnation relative à des remises en état.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. Les bailleurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande en résiliation du bail du fait de l'arrachage des haies, alors « que le renouvellement du bail par le seul effet de la loi, en l'absence de congé, ne prive pas le bailleur de la possibilité de demander sa résiliation pour des manquements du fermier antérieurs à ce renouvellement si les effets de ces manquements se sont poursuivis au cours du bail renouvelé ; qu'en se bornant à relever, pour rejeter la demande de résiliation du bail, qu'il n'est ni soutenu ni justifié que l'arrachage par le preneur, sans autorisation ni notification aux bailleurs, des haies implantées sur la parcelle louée, aurait entraîné des conséquences révélées au cours du nouveau bail, quand suffit que les effets de ces manquements se soient poursuivis au cours du bail renouvelé pour permettre au bailleur de demander la résiliation du bail, la cour d'appel a violé les articles L. 411-28 et L. 411-50 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 411-28, L. 411-31, I, 2°, et L. 411-50 du code rural et de la pêche maritime :

11. Selon le premier de ces textes, pendant la durée du bail et sous réserve de l'accord du bailleur, le preneur peut, pour réunir et grouper plusieurs parcelles attenantes, faire disparaître, dans les limites du fonds loué, les talus, haies, rigoles et arbres qui les séparent ou les morcellent, lorsque ces opérations ont pour conséquence d'améliorer les conditions de l'exploitation.

Le bailleur dispose d'un délai de deux mois pour s'opposer à la réalisation des travaux, à compter de la date de l'avis de réception de la lettre recommandée envoyée par le preneur. Passé ce délai, l'absence de réponse écrite du bailleur vaut accord.

12. Selon le deuxième, le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie d'agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds.

13. Selon le dernier, à défaut de congé, le bail est renouvelé pour une durée de neuf ans et, sauf conventions contraires, aux clauses et conditions du bail précédent.

14. Il s'en déduit que le renouvellement du bail ne prive pas le bailleur de la possibilité d'en demander la résiliation, sur le fondement de l'article L. 411-31, I, 2°, précité, lorsque les effets sur la bonne exploitation du fonds d'agissements du fermier, même antérieurs à ce renouvellement, se sont produits ou prolongés au cours du bail renouvelé.

15. Pour rejeter la demande en résiliation du bail, l'arrêt constate, d'abord, que le bailleur reprochait dès 2010 au preneur l'arrachage des haies et retient, ensuite, que le bailleur ne peut se prévaloir de ce motif, antérieur au renouvellement du 15 décembre 2014, pour demander la résiliation du bail renouvelé. Il ajoute, enfin, qu'il n'est aucunement soutenu, ni de surcroît justifié, que les faits reprochés, à savoir l'arrachage des haies, auraient eu des conséquences révélées au cours du nouveau bail.

16. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande en résiliation du bail du fait de l'arrachage des haies, l'arrêt rendu le 16 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Davoine - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Articles L. 411-28 et L. 411-72 du code rural et de la pêche maritime ; articles L. 411-28, L. 411-31, I, 2°, et L. 411-50 du code rural et de la pêche maritime.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 22 mai 1986, pourvoi n° 84-16.793, Bull. 1986, III, n° 75 (rejet), et l'arrêt cité.

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