Numéro 12 - Décembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2023

SEPARATION DES POUVOIRS

Tribunal des conflits, 4 décembre 2023, n° 23-04.294, (B)

Domaine privé – Convention ayant pour objet la valorisation ou la protection de ce domaine – Refus de conclure ou de mettre fin avec une personne privée à une telle convention – Contestation par un tiers – Compétence du juge administratif

Selon l'article L. 2212-1 du code général de la propriété des personnes publiques, les forêts des personnes publiques relevant du régime forestier font partie de leur domaine privé. En vertu de l'article L. 211-1 du code forestier, les forêts qui appartiennent à l'Etat relèvent du régime forestier. L'Office national des forêts (ONF) est chargé, par l'article L. 221-2 du code forestier, de la gestion des bois et forêts appartenant à l'Etat, ce qui inclut notamment l'exploitation de la chasse dans ces bois et forêts.

Si la contestation par une personne privée de l'acte par lequel une personne morale de droit public, gestionnaire du domaine privé, initie avec cette personne privée, conduit ou termine une relation contractuelle, quelle qu'en soit la forme, dont l'objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n'affecte ni son périmètre ni sa consistance relève de la compétence du juge judiciaire, la juridiction administrative est compétente pour connaître de la demande formée par un tiers tendant à l'annulation de l'acte autorisant la conclusion d'une convention ayant cet objet, comme de l'acte refusant de mettre fin à une telle convention. La juridiction administrative est, de même, compétente pour connaître de la contestation par l'intéressé de l'acte par lequel une personne morale de droit public refuse d'engager avec lui une relation contractuelle ayant un tel objet.

Domaine privé – Convention ayant pour objet la valorisation ou la protection de ce domaine – Conclusion, conduite ou fin de la convention – Contestation par le cocontractant – Compétence du juge judiciaire

Vu, enregistrée à son secrétariat le 29 septembre 2023, l'expédition du jugement du 28 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Montpellier, saisi d'une demande de l'association intercommunale de chasse agréée de [Localité 2]-[Localité 3] tendant à l'annulation du bail de chasse conclu le 1er avril 2016 par l'Office national des forêts (ONF) avec l'association Chasse et loisirs des Pyrénées-Orientales sur un lot de la commune de [Localité 3], à l'annulation des décisions des 11 février et 9 mai 2022 du directeur de cet Office refusant de résilier ce bail à la date du 1er avril 2022 et de conclure un bail avec elle et à ce qu'il soit enjoint au directeur de l'ONF de conclure un bail de chasse avec elle sur ce lot, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu, enregistré le 17 novembre 2023, le mémoire présenté pour l'Office national des forêts, tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'association intercommunale de chasse agréée de [Localité 2]-[Localité 3], par les motifs que l'Office est un établissement public industriel et commercial, que la conclusion des baux de chasse relève de sa mission industrielle et commerciale, qu'elle ne nécessite pas l'usage de prérogatives de puissance publique ni ne comporte occupation du domaine public ni n'affecte la consistance ou le périmètre du domaine privé, que le refus de résiliation des baux de chasse n'est pas détachable de ces contrats de droit privé et que le refus de conclure de tels baux mettent en cause des rapports de droit privé ;

Vu, enregistré le 22 novembre 2023, le mémoire présenté par le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, qui s'en remet aux observations présentées par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;

Vu, enregistré le 27 novembre 2023, le mémoire présenté par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui s'en remet aux observations présentées par l'Office national des forêts ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été communiquée à l'association intercommunale de chasse agréée de [Localité 2]-[Localité 3], qui n'a pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code forestier ;

Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Considérant ce qui suit :

1. L'Office national des forêts (ONF) a conclu, le 1er avril 2016, un bail de gré à gré avec l'association Chasse et loisirs des Pyrénées-Orientales pour l'exploitation de la chasse sur un lot de la forêt domaniale de [Localité 1], situé sur le territoire de la commune de [Localité 3] (Pyrénées-Orientales).

L'association intercommunale de chasse agréée de [Localité 2]-[Localité 3] a demandé à l'ONF la résiliation de ce bail et la conclusion, avec elle, d'un nouveau bail de gré à gré pour l'exploitation de la chasse sur le même lot. Cette demande a été rejetée par l'ONF le 11 février 2022.

L'association intercommunale de chasse agréée de [Localité 2]-[Localité 3] a demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation du bail et des décisions du 11 février et 9 mai 2022 refusant de prononcer la résiliation du bail et de conclure avec elle un nouveau bail et à ce qu'il soit enjoint à l'ONF de conclure avec elle un nouveau bail de chasse, de gré à gré, sur ce lot.

Par jugement du 28 septembre 2023, le tribunal administratif a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence.

2. Si la contestation par une personne privée de l'acte par lequel une personne morale de droit public, gestionnaire du domaine privé, initie avec cette personne privée, conduit ou termine une relation contractuelle, quelle qu'en soit la forme, dont l'objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n'affecte ni son périmètre ni sa consistance relève de la compétence du juge judiciaire, la juridiction administrative est compétente pour connaître de la demande formée par un tiers tendant à l'annulation de l'acte autorisant la conclusion d'une convention ayant cet objet, comme de l'acte refusant de mettre fin à une telle convention.

La juridiction administrative est, de même, compétente pour connaître de la contestation par l'intéressé de l'acte par lequel une personne morale de droit public refuse d'engager avec lui une relation contractuelle ayant un tel objet.

3. Selon l'article L. 2212-1 du code général de la propriété des personnes publiques, les forêts des personnes publiques relevant du régime forestier font partie de leur domaine privé.

Les forêts qui appartiennent à l'Etat relèvent du régime forestier en vertu de l'article L. 211-1 du code forestier.

L'ONF est chargé, par l'article L. 221-2 du code forestier, de la gestion des bois et forêts appartenant à l'Etat, ce qui inclut notamment l'exploitation de la chasse dans ces bois et forêts.

4. La forêt de [Localité 1] appartenant à l'Etat, elle fait partie de son domaine privé et sa gestion est assurée par l'ONF. Il résulte, dès lors, de ce qui a été dit au point 2 que la contestation par l'association intercommunale de chasse agréée de [Localité 2]-[Localité 3] du refus qui lui a été opposé par l'ONF de résilier le bail de chasse passé le 1er avril 2016 avec l'association Chasse et loisirs des Pyrénées-Orientales pour l'exploitation de la chasse sur un lot de cette forêt et le refus de conclure avec elle un nouveau bail de chasse sur le même lot ressortit à la compétence de la juridiction administrative.

5. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'Office national des forêts au titre du I de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction administrative est compétente pour connaître du litige.

Article 2 :

Les conclusions de l'Office national des forêts présentées au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

- Président : M. Mollard - Rapporteur : M. Stahl - Avocat général : M. Chaumont (rapporteur public) - Avocat(s) : SCP Poupet et Kacenelenbogen -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; article L. 211-1 et L. 211-2 du code forestier ; article L. 2212-1 du code général de la propriété des personnes publiques ; loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Tribunal des conflits, 4 décembre 2023, n° 23-04.296, (B)

Service public – Administrateur provisoire désigné sur le fondement de l'article L. 313-17 du code de l'action sociale et des familles – Agents et employés – Dommages causés dans l'exercice de leurs fonctions – Faute détachable – Exclusion – Compétence du juge administratif

Il résulte du V de l'article L. 313-14 du code de l'action sociale et des familles que l'administrateur provisoire désigné sur le fondement de l'article L. 313-17 du même code accomplit au nom du préfet, et pour le compte de l'association, « les actes d'administration urgents ou nécessaires pour mettre fin aux difficultés constatées ». Dès-lors, il y a lieu de juger ensemble la situation de l'administrateur provisoire et celle des agents publics de la direction départementale.

Service public – Agents et employés – Dommages causés dans l'exercice de leurs fonctions – Faute détachable – Exclusion – Applications diverses – Usage des moyens du service – Défaut d'intérêt personnel

Il ressort des pièces du dossier que les agents publics mis en cause et l'administrateur provisoire de l'association requérante ont agi dans l'exercice de leurs fonctions, avec les moyens du service et sans être animés par aucun intérêt personnel. Ainsi, les fautes alléguées ne revêtent pas le caractère de fautes personnelles détachables du service.

Vu, enregistrée à son secrétariat le 19 octobre 2023, la lettre par laquelle le greffe du tribunal judiciaire d'Epinal a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant l'association « Centre d'activités sociales, familiales et culturelles » à M. [S] [M], Mme [X] [D], M. [I] [N], Mme [F] [W], Mme [E] [B], M. [V] [C], et à M. [L] [G] devant le tribunal judiciaire d'Epinal ;

Vu le déclinatoire présenté le 28 décembre 2022 par le préfet des Vosges, tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente par le motif que les agents mis en cause n'ont commis aucune faute personnelle détachable du service ;

Vu le jugement du 31 août 2023 par lequel le tribunal judiciaire d'Epinal a rejeté le déclinatoire de compétence ;

Vu l'arrêté du 18 septembre 2023 par lequel le préfet des Vosges a élevé le conflit ;

Vu, enregistré le 19 octobre 2023, le mémoire présenté par l'association « Centre d'activités sociales, familiales et culturelles », tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit par le motif que le litige porte sur des fautes personnelles détachables du service commises par les agents mis en cause ;

Vu, enregistré le 10 novembre 2023, le mémoire présenté par le ministre de la santé et de la prévention, qui tend à la confirmation de l'arrêté de conflit par le motif que la juridiction administrative est compétente pour connaître de ce litige, qui concerne des faits qui sont qualifiables de fautes de service des agents mis en cause ;

Vu, enregistré le 20 novembre 2023, le mémoire présenté par la SCP Boulloche, Colin, Stoclet pour M. [M], Mme [D], Mme [W], M. [C], Mme [B] et M. [N], qui tend à la confirmation de l'arrêté de conflit par le motif que la juridiction administrative est compétente pour connaître de ce litige, qui concerne des faits insusceptibles de constituer des fautes personnelles détachables du service des agents mis en cause ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à M. [G] et au ministre de l'intérieur et des outre-mer, qui n'ont pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 5 juin 2020, le préfet des Vosges a suspendu certaines des activités d'hébergement de l'association « Centre d'activités sociales, familiales et culturelles », qui a son siège à [Localité 1], pour une durée de six mois et, par un arrêté du 9 juin 2020, a placé l'association sous administration provisoire, pour une durée de six mois renouvelable, sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-17 du code de l'action sociale et des familles et dans les conditions prévues au V de l'article L. 313-14 du même code. Puis par un arrêté du 19 novembre 2020, modifié le 20 novembre suivant, le préfet a ordonné la cessation des activités du centre d'hébergement et de réinsertion sociale géré par l'association, de l'hébergement d'urgence ainsi que du point d'accueil écoute, en vue de leur transfert à d'autres structures au 1er mai 2021.

Le mandat de l'administrateur provisoire a par ailleurs été renouvelé par une décision du 1er décembre 2020, toujours pour une durée de six mois.

2. L'association « Centre d'activités sociales, familiales et culturelles » a assigné devant le tribunal judiciaire d'Epinal d'une part le directeur départemental de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations des Vosges ainsi que cinq autres agents de ce service, d'autre part l'administrateur provisoire désigné par le préfet des Vosges, afin d'obtenir leur condamnation à l'indemniser de l'ensemble des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de fautes dont elle soutient qu'elles revêtent le caractère de fautes personnelles détachables du service commises par ces agents à l'occasion de son placement sous administration provisoire et de la suspension, puis de la cessation définitive d'une partie de ses activités.

3. Il ressort des pièces du dossier que les agents de la direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations et l'administrateur provisoire, désigné sur le fondement du code de l'action sociale et des familles pour accomplir au nom du préfet les actes d'administration urgents ou nécessaires en vue de mettre fin aux difficultés constatées, ont agi dans l'exercice de leurs fonctions, avec les moyens du service et sans être animés par aucun intérêt personnel. Ainsi, les fautes alléguées, à les supposer établies, ne revêtent pas le caractère de fautes personnelles détachables du service.

Par suite, la juridiction administrative est compétente pour statuer sur l'action engagée par l'association aux fins d'obtenir réparation du préjudice qui résulterait des actes accomplis par les agents de la direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations des Vosges et par l'administrateur provisoire désigné par le préfet.

4. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le préfet des Vosges a élevé le conflit sur l'action intentée devant la juridiction judiciaire.

D E C I D E :

Article 1er :

L'arrêté de conflit pris le 18 septembre 2023 par le préfet des Vosges est confirmé.

Article 2 :

Sont déclarés nuls et non avenus la procédure engagée le 15 octobre 2021 par l'association « Centre d'activités sociales, familiales et culturelles » devant le tribunal judiciaire d'Epinal ainsi que le jugement de ce tribunal en date du 31 août 2023.

- Président : M. Mollard - Rapporteur : Mme Maugüé - Avocat général : M. Chaumont (rapporteur public) - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; articles L. 313-14, V, et L. 313-17 du code de l'action sociale et des familles.

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